Stigmatiser une population ne résout pas les problèmes
La presse a fait grand cas d’un professeur de Trappes (membre du Parti Républicain Solidariste) qui a stigmatisé sans nuance la ville de Trappes. La population de cette ville, dans sa diversité, le maire de Trappe, les militants locaux du MRAP ont dénoncé cette façon dangereuse d’aborder des situations sociales complexes.
Le MRAP choisit de diffuser l’analyse pertinente du sociologue Rachid Benzine qui, sans nier les difficultés, permet de les aborder de façon constructive.
Rachid Benzine
Février 2021
Trappes : ceux qui font et ceux qui défont
Je ne dispose pas d’information suffisante pour évaluer quel est le niveau de menace contre M. Lemaire, professeur que j’ai eu l’occasion à de nombreuses reprises de rencontrer y compris devant ses élèves. Mais quoi qu’il en soit, il est normal que la police soit vigilante, enquête pour évaluer de potentielles menaces, contre lui ou contre toute personne, et les protège autant que nécessaire. Nous savons que ces menaces sont réelles dans notre pays et à quoi elles peuvent mener. Nous ne pouvons pas prendre le risque d’une nouvelle attaque, d’un nouveau meurtre comme celui contre Samuel Paty.
Mon sujet n’est ainsi pas M. Lemaire en tant que personne mais l’emballement médiatique qui piège tout le monde. Personne ne conteste que Trappes a des problèmes. De nombreux rapports et livres les ont documentés. Cependant, en jetant l’opprobre de manière globale sur une ville et ses habitants, on empêche en réalité de résoudre les problèmes que l’on dénonce.
Trappes est ma ville. C’est aussi celle d’Omar Sy, Jamel Debbouze, Sophia Aram, Nicolas Anelka, Issa DOUMBIA et plein d’autres français de grand talent. Dans la même ville, des dizaines de jeunes français habitant sont partis vers le djihad en Syrie et en Irak. J’ai eu l’occasion de travailler là-dessus dans le cadre de mes recherches universitaires, d’apporter notamment des réponses à travers l’art et la fiction. Au-delà des itinéraires terroristes de certains trappistes, d’autres comportements de repli et des groupes salafistes avec des lectures intolérantes des textes religieux existent aussi. Des problèmes malheureusement classiques de ghettoïsation et de marginalisation économique s’ajoutent à ces difficultés.
Il faut néanmoins ne pas s’être beaucoup intéressé à notre pays pour découvrir aujourd’hui qu’il y a un côté clair et un côté obscur à Trappes. La vraie question n’est en réalité pas la dénonciation ou l’indignation mais : comment résout on les problèmes ? Ce n’est pas la première séquence médiatique basée sur l’émotion et le buzz plus que sur l’intelligence et l’action.
En tant qu’acteur de terrain et chercheur, je veux ici alerter très sérieusement car ce traitement de sujets graves met la République en difficulté plus qu’il ne la renforce. Chaque rédacteur en chef, chaque journaliste, chaque responsable politique trop pressé de twitter, doit s’interroger sur sa responsabilité dans cette situation.
A Trappes, comme dans toutes les villes de France, une armée silencieuse de bénévoles, d’enseignants, de fonctionnaires territoriaux ou d’Etat, mène au quotidien le combat de la cohésion, le combat contre les racines du terrorisme et contre les extrémismes. Chacun tente à sa manière d’apporter sa pierre à l’édifice pour refaire société avec ceux qui doutent, déceler les signes d’une violence à venir chez quelques-uns, opposer la raison critique aux discours des prêcheurs de haine et des falsificateurs de religion.
C’est ce travail difficile du quotidien que les responsables politiques et médiatiques devraient mettre en lumière, à Trappes comme ailleurs. Quelles sont les actions de terrain ? Qu’est ce qui marche ? Ce qui ne marche pas ? Qu’est ce qu’on peut généraliser ? Quel financement ? Quel devrait être le rôle du maire ? De l’Etat ? De l’Ecole ? Des parents ?
A mon niveau, je participe à Trappes avec la Mairie et plus particulièrement avec Monsieur le Maire Ali Rabeh, l’éducation nationale, la préfecture et des associations à la prévention contre la radicalisation. La pièce Lettres à Nour, fruit d’un travail universitaire se joue à Trappes et les élèves l’étudient. Ils participent au projet « Nos Lettres à Nour », un projet où chaque élève écrit une lettre à un des protagonistes. C’est une modeste contribution dans un océan de besoins. Mais je ne suis pas seul. D’autres agissent au quotidien et, collectivement, nous ouvrons un autre possible pour notre ville, et notre pays.
L’enjeu des prochaines années, c’est celui de rebâtir l’universalisme républicain car il a été abîmé par les immobilismes, par les entrepreneurs de haines et par notre incapacité à construire un débat national intelligent sur ces sujets. Partout où je vais, je vois une France en action, une France qui est belle parce qu’elle tente de s’unir. Votre responsabilité journalistique est de la montrer. Votre responsabilité politique est de la porter et de lui donner des moyens. Pas de gâcher son travail.
Paris, le 19 février 2021