Contrôles au faciès
Les contrôles d’identité "au faciès" continuent ainsi que les protestations contre leurs répétitions. La réalité en est contestée. Pourtant, les discriminations qui les accompagnent sont un problème grave qui affecte au quotidien des milliers de nos concitoyens.
La promesse n°30 du candidat Hollande est oubliée. Mieux (ou pire !), les déclarations gouvernementales s’accumulent tentant de justifier le refus du gouvernement d’y mettre fin et même plus récemment d’en justifier le principe même.
Pourtant une mesure simple réclamée depuis longtemps par les associations permettrait de lutter contre les pratiques de contrôle au faciès : le récépissé de contrôle d’identité. Sa délivrance permettait à chaque personne contrôlée d’en avoir une trace et à une commission indépendante (ce pourrait être le Défenseur des Droits) de les répertorier, d’en d’évaluer la fréquence et l’efficacité. Si nécessaire il servirait en cas de litige (contrôle abusif, accusation injustifiée...). Signé en double exemplaire, iI pourrait comporter outre la date et l’heure, l’identification des parties (contrôleur et contrôlé), le cadre légal, les raisons du contrôle...
Aujourd’hui, en l’absence de données officielles, il est difficile d’en dresser un tableau complet, de savoir comment ils sont conduits et quelle est leur efficacité réelle.
Cependant, les études menées depuis ces dix ans attestent de leur emploi massif. Elles soulignent leur caractère discriminatoire. En 2009, une étude, menée conjointement par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Open Society Justice Initiative dans cinq gares parisiennes a fourni des données quantitatives (voir http://www.cnrs.fr/inshs/recherche/docs-actualites/rapport-facies.pdf).
Ainsi les individus perçus comme « noirs » avaient six fois plus de chances de subir des contrôles de police que ceux perçus comme « blancs ». Les individus perçus comme « arabes », quant à eux, étaient contrôlés en moyenne huit fois plus que les individus perçus comme « blancs ».
Pour les personnes ayant subi au moins un contrôle, le nombre moyen de contrôles au cours des douze mois précédant l’enquête s’élevait à 2,65.
Cette moyenne augmentait de manière significative pour les personnes ayant des ascendants étrangers, pour celles ayant des ascendants originaires d’Afrique du Nord.
De son côté le collectif "Stop le contrôle au faciès" vient de publier un rapport "Les Maux du déni, cinq ans de contrôles abusifs 2011-2015" (voir http://stoplecontroleaufacies.fr/slcaf/wp-content/uploads/2016/03/Les-Maux-du-De%CC%81ni1.pdf) qui présente des témoignages illustrant des infractions au code de déontologie.
Mais tout cela n’empêche pas M. Caseneuve, ministre de l’Intérieur de tenir les contrôles au faciès pour un phénomène "tout à fait marginal" au cours du débat du 2 mars 2016 lors de l’examen de la réforme pénale et de la proposition de délivrer des récépissés de contrôles d’identité par l’Assemblée Nationale. On comprend mieux alors les véritables raisons du gouvernement : sans traces officielles des contrôles, le phénomène et son ampleur peuvent ainsi être très facilement niés.
Les déclarations gouvernementales sont parfois beaucoup plus directes.
En août 2015, Alain Vidalies secrétaire d’État aux transports déclarait qu’il préférait « qu’on discrimine effectivement pour être efficace, plutôt que de rester spectateur. ». Face au tollé il est revenu sur ses propos mais de telles déclarations en disent long sur les orientations gouvernementales.
Condamné par la justice en juillet 2015 pour « faute lourde » à la suite de contrôles policiers ciblés sur les Noirs et les Arabes, le gouvernement avait l’occasion respecter la promesse n° 30 du candidat Hollande.
Au contraire de cela et contre l’avis exprès de la ministre de la Justice du moment, Mme Christiane Taubira le gouvernement de M. Valls, qui s’était déjà opposé à la mise en place du récépissé lorsqu’il était ministre de l’intérieur, a décidé de se pourvoir en cassation.
L’argumentaire développé contre le jugement de la cour d’appel souligne que « La cour d’appel ne pouvait alors dire que les services de police judiciaire avaient commis une faute lourde établie par le contrôle […] de la seule population dont il apparaissait qu’elle pouvait être étrangère, sans rechercher si ce contrôle n’était pas justifié par l’objet de la réquisition en exécution de laquelle il était réalisé. »
En clair, comme les Noirs et les Arabes n’ont pas le physique de bons Français, il est légitime de les considérer comme des immigrés présumés suspects d’infractions à la législation qui régit les étrangers.
Le GISTI accuse sans détour : « c’est une validation du contrôle au faciès ». Le droit à la non-discrimination ne s’appliquerait pas aux contrôles d’identité.
De telles pratiques ont un nom : des politiques publiques racistes.
Ce « délit de sale gueule » pèse lourd sur la société française minant gravement le principe d’égalité inscrit dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen.
Comme le projet d’extension de la déchéance de nationalité ces pratiques sont dangereuses porteuses de divisions au sein de la société, c’est un signal désastreux adressé à tous ceux qui doutent de leur appartenance pleine et entière à la nation.
Une proposition de loi
http://www.senat.fr/rap/l15-598/l15-598_mono.html
visant à "lutter contre les contrôles d’identité abusifs" a été déposée le 15 décembre 2015 par les sénateurs et sénatrices Éliane Assassi, Laurence Cohen, Cécile Cukierman, Christian Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen (CRC).
Elle a été rejetée par la commission des lois du Sénat car elle "restreindrait fortement les possibilités actuelles de contrôle d’identité, pourtant nécessaires dans le contexte actuel et créerait une forte insécurité juridique pour les agents des forces de l’ordre." Le remplacement dans l’article l’article 78-2 du code de procédure pénale du critère actuel d’"une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner" par des "raisons objectives et individualisées" ne se fera pas, laissant toute sa place à l’arbitraire !
Pourtant le Défenseur des Droits sollicité par la cour d’appel de Paris a d’ailleurs demandé au gouvernement de prendre "des mesures concrètes visant à prévenir et réprimer les contrôles d’identité abusifs" et de prévoir "des garanties suffisantes contre les risques arbitraires". Il préconise même de renverser la charge de la preuve en cas de suspicions de contrôle discriminatoire : les plaignants n’auraient plus à apporter la preuve que les forces de l’ordre les ont discriminés, ce qui se révèle dans les faits quasiment impossible pour les victimes.
Dans son rapport 2015, la CNCDH estime qu’une politique efficace de lutte contre les contrôles d’identité au faciès ne saurait faire l’économie de la mise en place d’une attestation nominative de contrôle ; celle-ci bénéficierait grandement d’une réflexion plus générale sur le régime légal encadrant les contrôles d’identité en France.
Le MRAP fidèle à ses objectifs de lutte contre toutes les formes de racisme et de discriminations n’aura de cesse de les dénoncer, d’exiger que le gouvernement y mette fin et qu’il prenne les mesures nécessaires à la mise en place du récépissé.