Depuis 20 ans, des progrès ont été faits dans cette reconnaissance. Le 16 octobre 2021, à l’occasion d’une cérémonie pour le cinquantième anniversaire du massacre, Emmanuel Macron, comme Président de la République, a reconnu dans un communiqué "des crimes inexcusables", commis sous l’autorité de Maurice Papon. Et pourtant, le préfet de police et les ministres responsables, ont été maintenus en poste. Le 17 octobre 1961, à Paris, quelques 30 000 Algériens (alors musulmans français d’Algérie), ont manifesté, pacifiquement, à l’appel du FLN contre le couvre-feu qui leur avait été imposé. La répression fut extrêmement brutale. Le nombre officiel de morts n’a jamais été connu (estimation de 200 à 400 victimes).
La présidence française a reconnu en octobre 2021, pour la première fois, que : "près de 12 000 Algériens furent arrêtés et transférés dans des centres de tri au Stade de Coubertin, au Palais des sports et dans d’autres lieux. Outre de nombreux blessés, plusieurs dizaines furent tués, leurs corps jetés dans la Seine" . Selon des archives aujourd’hui déclassifiées, la mort de dizaines d’Algériens avait été rapportée au chef de l’État, Charles de Gaulle. Une note, datée du 28 octobre 1961, a été rédigée par le conseiller du général de Gaulle pour les affaires algériennes, Bernard Tricot. Il indique au président de la République qu’" : il y aurait eu 54 morts (...) les uns auraient été noyés, les autres étranglés, d’autres encore abattus par balles. Les instructions judiciaires ont été ouvertes. Il est malheureusement probable, que ces enquêtes pourront aboutir à mettre en cause certains fonctionnaires de police". Dans une seconde note, datée du 6 novembre 1961, Bernard Tricot parle de : "la découverte dans la région parisienne, depuis le 22 octobre, des cadavres d’un certain nombre de Musulmans algériens". Il expose également à Charles de Gaulle une : "question d’ordre gouvernemental : savoir si on se bornera à laisser les affaires suivre leur cours, auquel cas il est probable qu’elles s’enliseront, ou si le ministre de la Justice, ainsi que le ministre de l’Intérieur, doivent faire savoir aux magistrats et officiers de la police judiciaire compétente, que le gouvernement tient à ce que la lumière soit faite (...) Il importe beaucoup, semble-t-il, que le gouvernement prenne dans cette affaire une position qui, tout en cherchant à éviter le plus possible le scandale, montre à tous les intéressés, que certaines choses ne doivent pas être faites et qu’on ne laisse pas faire". Sur la note la réponse manuscrite du général de Gaulle est la suivante :"Il faut faire la lumière et poursuivre les coupables" et "il faut que le ministre de l’intérieur prenne vis à vis de la police une attitude d’autorité qu’il ne prend pas".
Malheureusement ,aucune procédure à l’encontre des policiers n’a jamais été lancée.Les ministres de l’Intérieur Roger Frey, et de la Justice Bernard Chenot, ont été confirmés dans leur fonctions, de même que Maurice Papon qui a toujours nié quelque violence policière que ce soit.
Tirer des leçons pour aujourd’hui. Que cette vérité là soit dite, seulement plus
de 60 ans après, doit nous convaincre que l’histoire nationale est aussi un pilier de l’entreprise politique. Que cette histoire peut être aussi un art de l’imbroglio mémoriel. Soyons bien persuadés, que les commentaires des événements que nous vivons aujourd’hui, sont loin de s’inscrire dans une vérité politique, à la fois sensible et rationnelle. Que leur présentation, au contraire de doter chacune et chacun de nous d’une conscience historique comme politique, contribue, le plus souvent, au travers de la désinformation, de la manipulation, à la falsification des faits et à fabriquer des mythes. Le combat pour la lucidité est ardu car il s’inscrit, pour chacun, dans l’héritage d’une vision du passé dépendante de l’enseignement qu’il reçoit de la famille dans laquelle il grandit, de la société dans laquelle il vit. Parce que le colonialisme fut une machine à produire des effacements mémoriels, allant jusqu’à falsifier le sens de l’histoire, le temps est venu que les politiques permettent l’ouverture totale de toutes les archives et laissent l’histoire aux historiens. Que révélerons de la révolte des Gilets Jaunes ou de l’épidémie de COVID, les archives dans 50 ans ?
La difficile reconnaissance des faits relatifs à la guerre d’Algérie, malgré certaines avancées incontestables, laisse des traces psychiques et politiques fortes. Elles expliquent que les autorités étatiques, les associations d’anciens combattants ou patriotiques, les syndicats de policiers, les élus, méconnaissent le devoir de vérité et de mémoire à l’égard des victimes du crime d’État du 17 octobre 1961, hormis celles et ceux se rattachant aux forces progressistes ici présentes. Le 19 mars est la journée d’hommage aux victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie. Le 25 septembre est la journée des harkis. Le 5 décembre est la journée d’hommage aux morts pour la France en Afrique du Nord et en Algérie. La date du 19 mars 1962, jour du cessez-le- feu, déclenche son lot de polémiques et certains veulent l’ignorer. Là aussi s’affrontent mémoire traumatique, instrumentalisations politiques, déni étatique... C’est profondément choquant et singulier. Où est la place des musulmans d’Algérie, bénéficiant alors de la nationalité "française", malheureusement vidée de ses principaux droits ? Le silence est encore largement de rigueur sur les événements les plus troubles dont ont été victimes ces "français" là, comme le 17 octobre 1961, où concernant la question de la torture.
Localement, le symbole le plus évident de ce blanc de mémoire et de parole, est le refus obstiné et funeste de la Municipalité Saint-Loise que soit apposée en ce lieu une plaque. Le MRAP en porte le projet, rappelant ce que furent les crimes du colonialisme et l’apport à notre ville des communautés venues des anciennes colonies.
Pour avancer, le Mrap voudrait convaincre de ce que fut le traumatisme abominable, vécu par les Algériens le 17 octobre 1961. Nous avons rencontré, il y a quelques jours, un de ceux ,vivant ici, qui a participé au cortège du 17 mars 1961. Nous lui avons proposé de prendre la parole pour exprimer son vécu. Bouleversé par l’émotion, étreint par la douleur, éreinté en pensant ses frères morts, les mains sur sa poitrine il nous dit qu’il ne pourrait pas, qu’il ne le supporterait pas.Tout juste en partant pour ne pas devoir en dire plus, nous a-t-il lancé "Tu sais heureusement que je courrais vite" .Des témoignages il y en a, celui d’un cardiologue : " Le cadavre que j’ai vu est celui d’un homme qui avait été battu à mort et torturé, des blessures qui ne correspondaient pas à la thèse de l’évasion par la police " . Celui d’un militant présent au troisième étage du journal
l’Humanité : "C’est dans la soirée que j’ai vu l’insoutenable horreur . Nous avons entendu des coups de feu et nous vîmes des policiers traîner sur le sol des corps d’Algériens et les entasser. Des voitures de police sont venues, quand elles sont reparties il n’y avait plus un seul corps (...) Celui d’un séminariste :"J’ai effectué mon service militaire à Vincennes. Les policiers tapaient avec des planches en bois sur la tête des Algériens , c’étaient des comités d’accueil. Ceux-ci étaient en sang et je devais accompagner les Algériens, deux par deux, derrière une tôle. J’entendais des hurlements, ensuite on m’a demandé d’aller chercher les blessées, c’était horrible, membres cassés, visages tuméfiés, crânes en sang" . Et combien d’autres preuves !
Malheureusement, eu égard aux liens entre les deux rives de la Méditerranée, la vision de ce massacre n’est point partagée comme elle le devrait. Et pourtant,face aux amnésies les leçons douloureuses du passé restent des choses affreuses. Soyons donc fiers d’être ce petit noyau qui, chaque année, refuse le silence de l’oubli et, qu’une mémoire occultée, étouffent la vérité historique et les mots des survivants. C’est d’autant plus nécessaire que, la montée des idées d’extrême droite, qui nient complètement l’ampleur des crimes commis au nom de la France, tant pendant la période coloniale que pendant la guerre d’Algérie, gangrènent notre société. Pour preuve, le maire de Perpignan, candidat à la présidence du Rassemblement National, vient de baptiser une esplanade de sa ville du nom de Pierre Sergent. Certes résistant, mais officier de la Légion étrangère, ayant participé au putsch d’Alger en 1961. Il fut un des chefs de l’OAS (organisation responsable de 1600 à 2400 morts entre 1961 et 1962, dont 80 à 85 % musulmans). Cet "hommage" honteux, rendu par la municipalité de Perpignan à un assassin terroriste, qui fut condamné à mort par contumace, devait faire réfléchir. En particulier, toutes celles et ceux qui font du RN un parti comme les autres, sur les conséquences pour notre France, s’il devait arriver au pouvoir.
Il ne s’agit pas pour nous de repentance, de demander pardon, mais simplement de reconnaître l’ampleur de l’oppression. D’ailleurs, il y a toujours eu des résistants contre celle-ci. Des cheminots, des appelés du contingent, des dockers, des syndicalistes, des intellectuels ont œuvré pour la paix en Algérie. Ce geste fort de reconnaissance est indispensable pour éviter que la France, patrie des Droits de l’Homme, pervertie pas les idées fascisantes, ne dévale la pente des abandons.
Craignons que celle-ci ne permette pas de retour en arrière. Comme l’a dit Patrice Karl : "L’histoire de la colonisation et des décolonisations est un ensemble de tragédies inachevées, une chaîne de causalité dont les rouages agissent toujours au gré du ressac et des résurgences, nourrissant ainsi le limon de nos sociétés en crises successives, justifiant les pratiques d’un État sanglé par le capitalisme en constante adaptation" .
Eu égard à ce constat, à la propagation des idées racistes, en considération d’une France assumant son rôle historique de conscience universelle, en considération des paroles des présidents de la République et du rapport de Benjamin Stora qui doit libérer la parole sur la guerre d’Algérie, Monsieur le représentant de l’État, Madame la maire de Saint-Lô, Monsieur le député, Madame et Monsieur les conseillers départementaux des cantons de Saint-Lô 1 et 2, qui avez été invités, pour le MRAP, votre silence et trop d’absences deviennent insupportables.