Construire l’avenir sur une compréhension et une écriture partagées de l’histoire, sans rien occulter
Le MRAP a pris connaissance avec intérêt du rapport de Benjamin Stora sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Même si on peut y relever des insuffisances et des ambiguïtés, il soulève des questions qui rejoignent la perspective d’un vivre ensemble, malgré les origines et les expériences différentes de chacun, ce que porte le MRAP. Seule cette perspective permettra que les héritiers des drames de l’histoire trouvent un avenir de fraternité.
Depuis une soixantaine d’années, les États français et algérien ont utilisé le ressenti des populations ayant vécu de façons différentes une l’histoire commune pour entretenir un statu quo. Les deux États devraient avoir la volonté de construire, à l’inverse, une vision historique fondée sur un travail approfondi des historiens. C’est pourquoi le MRAP soutient activement la lutte pour l’ouverture sans restriction de toutes les archives, une ouverture qui n’est toujours pas acquise : contrairement aux engagements pris par le Président de la République Française en septembre 2018, de récents décrets rendent ces archives de plus en plus difficilement consultables. Il doit pouvoir en être de même en Algérie.
Pour ce qui est de la France, il est indispensable qu’une reconnaissance explicite et officielle et une condamnation du caractère criminel de la colonisation soient effectuées, y compris des crimes qui ont accompagné l’action militaire et policière de la France pendant la conquête de l’Algérie et pour s’opposer à son indépendance. L’amitié entre le peuple algérien qui a tant souffert et le peuple français est à ce prix.Cette démarche concernant le passé colonial de la France est simplement la reconnaissance nécessaire de faits historiques, et nullement une attitude morale que certains tentent de discréditer sous le nom absurde de « repentance » ou de « demande de pardon ».
Le rapport évoque aussi la complexité de cette question en France-même. Il y a, au sein de la population de notre pays, de nombreuses personnes qui ont un lien direct avec le souvenir de cette occupation et de cette guerre, qu’ils y aient participé à un titre ou un autre ou qu’ils aient eu des parents ou grands-parents concernés de différentes façons. Le MRAP pense que les enfermements identitaires doivent être dépassés et que partager, sans victimisation ni culpabilité, les éléments d’un passé vécu de façon contradictoire et parfois douloureuse est le socle de notre vie actuelle et future, nécessairement commune.
Le MRAP a l’intention d’intégrer ce travail d’histoire et de mémoire indispensable aux actions de proximité qu’il effectue auprès des populations porteuses de cette histoire, souvent victimes de racisme, de discriminations, en particulier dans la jeunesse, afin que celle-ci ne soit plus assignée par l’histoire à la condition d’ « indigène » qui fut celle de leur passé. Seul l’accès à une véritable égalité et citoyenneté permettra de dépasser les dangereuses crispations découlant du passé, notamment la persistance du racisme.
Le MRAP ne compte pas s’enfermer dans le cadre limité franco-algérien, mais, à l’occasion du débat nécessaire initié par ce rapport, il est nécessaire de lancer une réflexion nationale pour lutter efficacement contre les séquelles du colonialisme pratiqué par la France dans de nombreuses autres parties du monde. Elles continuent de peser sur notre société.
Le rapport de Benjamin Stora ne doit pas être un aboutissement, il doit ouvrir un chantier dans une direction qui peut être fructueuse, si l’Etat sait donner les impulsions nécessaires et si la société française s’empare de cette perspective de fraternité. Toutes les forces démocratiques doivent y contribuer. Ce sera le cas du MRAP.
Paris, le 12 février 2021