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MRAP

Tribune collective « Mesdames et messieurs les député-e-s, faites le choix d’une France qui protège les enfants ! » publiée dans Libération




Cette tribune a initialement été publiée dans Libération : https://www.liberation.fr/idees-et-debats/mesdames-et-messieurs-les-deputees-faites-le-choix-dune-france-qui-protege-les-enfants-20251210_OVV4QNVLCFC7FN3EHQEWB3ZZPY/

Tribune signée par Jean-François QUANTIN, Président honoraire de l’association mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP)

Le 11 décembre, une proposition de loi visant à protéger les mineur·es non accompagné·es et à lutter contre le sans-abrisme des enfants en France sera présentée à l’Assemblée nationale. Quelle que soit votre sensibilité politique, vous aurez le pouvoir de mettre un terme à une situation intolérable dans notre République : des milliers d’enfants dorment dehors faute d’une protection qui devrait leur être garantie.

Aujourd’hui, en France, de nombreux enfants isolés ne sont pas protégé·es. Il·elles sont laissé·es à la rue pendant des semaines, parfois des mois, en attendant qu’un juge statue sur leur situation et reconnaisse, dans 50 à 80% des cas, leur minorité et leur isolement. Pendant ce temps, ces jeunes filles et garçons, souvent déjà éprouvé·es par l’exil, sont exposé·es à l’errance, à des traitements inhumains et dégradants, à des violences ou encore au risque d’être exploité·es ou soumis·es à l’emprise d’adultes malveillants. Plongé·es dans une situation de détresse extrême, sans protection, sans hébergement, sans aide financière et sans accompagnement socio-juridique de l’État, ils·elles ne peuvent pas subvenir à leurs besoins essentiels. La plupart présentent des symptômes physiques liés à leurs conditions de vie (douleurs ostéo articulaires, problèmes respiratoires, gastro-entérologiques, dermatologiques ou dentaires). Tou·tes présentent des signes de souffrances psychiques.

La proposition de loi n°2021 vise à inscrire dans la loi le principe de présomption de minorité en assurant un recours suspensif. Ainsi, dès qu’un·e juge des enfants est saisi, l’accueil dans les dispositifs de protection de l’enfance doit se poursuivre et ce jusqu’à ce qu’une décision judiciaire définitive soit rendue. Cette proposition n’est pas parfaite. Elle n’apporte pas toutes les garanties que nous aurions souhaitées. Elle ne répare pas l’ensemble des défaillances des politiques publiques de protection de l’enfance. Mais elle demeure une avancée positive essentielle :

- Elle permet de se mettre en conformité avec les garanties prévues par la Convention relative aux droits de l’enfant et les récentes décisions du Comité des droits de l’enfant de l’ONU qui ont condamné la France ;

- Elle affirme le principe de présomption de minorité, qui doit s’appliquer tout au long de la procédure et tant qu’une décision judiciaire définitive n’est pas intervenue ;

- Elle réaffirme un principe simple, tous les enfants en danger, sans discrimination, doivent être protégé·es au titre de la protection de l’enfance.

Voter cette loi, c’est respecter les principes de la Convention internationale des droits de l’enfant et son interprétation faite par le Comité et appliquer les recommandations du Défenseur des droits, de la CNCDH, de la commission d’enquête parlementaire sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance ainsi que de l’ensemble des associations et collectifs citoyens qui interviennent auprès de ces adolescent·es.

Rejeter cette loi, en revanche, c’est assumer publiquement la responsabilité de laisser des enfants dormir dehors, au mépris de nos engagements internationaux et alors même qu’une solution législative est à portée de main.

Nous, associations, collectifs, syndicats et citoyen·nes engagé·es auprès des mineur·es isolé·es depuis de nombreuses années, vous appelons à prendre vos responsabilités afin de faire évoluer les dispositifs de protection de l’enfance et garantir qu’aucun enfant ne soit laissé sans protection.

Il est temps de placer l’intérêt supérieur de l’enfant au dessus des clivages partisans. Le 11 décembre, faites le choix de la protection, de la dignité et de la justice. Faites le choix d’une France qui protège les enfants, sans discrimination.

1 Comité des droits de l’enfant de l’ONU, rapport CRC/C/FRA/IR/1, 3 octobre 2025 ; enquête concernant la France menée au titre de l’article 13 du Protocole facultatif à la CIDE ;
2 Médecins du Monde et Médecins sans Frontières, Mineurs non accompagnés : les lourdes conséquences sur la santé des politiques de non-accueil en France, juin 2023 ; Médecins sans Frontières et le Comede, La santé mentale des mineurs non accompagnés - Effets des ruptures, de la violence et de l’exclusion, novembre 2021.
3 Comité des droits de l’enfant, Décision CRC/C/92/D/130/2020, 25 janvier 2023, S.E.M.A c. France ; Comité des droits de l’enfant, Décision CRC/C/96/D/132/2020, 21 mai 2024, U.A c. France ; Comité des droits de l’enfant, Observations finales : France, CRC/C/FRA/CO/6-7.
4 Défenseur des droits, Les mineurs non accompagnés au regard du droit, février 2022.
5 CNCDH, Avis sur les mineurs non accompagnés (A-2025-6), 12 juin 2025.
6 Rapport de la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance, 1er avril 2025.
7 Rapport inter-associatif, Mettre fin aux violations des droits des mineurs isolés : 90 propositions pour une meilleure protection des mineurs isolés, janvier 2023 ; Utopia 56 et l’AADJAM, Enquête - MIE, des droits au hasard du département d’arrivée ?, juillet 2025.

Contre l’affaiblissement insidieux des institutions républicaines de contrôle de l’État




Le MRAP est signataire de ce texte.
La séparation des pouvoirs est une garantie fondamentale dans les démocraties, en particulier pour le respect de l’État de droit, sans laquelle une société n’a pas de Constitution, comme le proclame l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. En plus des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires, la France s’est dotée d’autorités administratives indépendantes (AAI)[1] pour exercer une mission de contrôle, notamment en matière de respect des droits de l’Homme.

Tel est le cas du Défenseur des droits. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), tout comme ses équivalents dans les autres pays européens, permet la rencontre d’experts avec des représentants de la société civile pour analyser les dysfonctionnements et émettre des avis ou déclarations. D’autres instances assurent la transparence de l’action administrative, conformément à l’exigence de redevabilité prévue à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, comme la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada).
L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) intervient pour faire respecter le pluralisme des opinions, le respect des règles déontologiques par les chaînes de la TNT ou pour vérifier le respect des règlements européens (tel le RGPD) par les plateformes. Toutes ces institutions ne disposent déjà que de moyens insuffisants pour remplir leurs missions [2].
Avant le vote de rejet du budget, le Rassemblement national (RN) avait fait voter en catimini par la commission des finances du Sénat et à la faveur d’une présentation fallacieuse d’un amendement au projet de loi de finances, la baisse de la dotation allouée à ces différentes institutions, dans des proportions telles pour trois d’entre elles (la CNCDH, la Cada et le Comité consultatif national d’éthique-CCNE) que leur existence même aurait été remise en cause.
Cet amendement était d’autant moins justifié que, par exemple, le nombre de saisines de la Cada a connu en 2024 une hausse significative et qu’en dépit de ses efforts les délais de traitement n’ont pas été réduits, ce qui témoigne de la nécessité de moyens supplémentaires. L’exigence de redevabilité de l’administration ne pourrait plus être remplie si la Cada était embolisée par manque de moyens.
Quant à l’Arcom, son budget était baissé pour abonder des mesures pour… la protection des données personnelles, alors que c’est un de ses rôles !
Les questions de société sur la fin de vie, sur les recherches sur les embryons, nécessitent un regard croisé de chercheurs et de partenaires issus de la société civile, pour des avis rendus par le CCNE. Alors que vont s’ouvrir les assises de la bioéthique, cette décision de quasiment le priver de dotation témoignait d’un grand mépris de la science.
On ne peut s’indigner d’un côté de la prolifération des discours de haine, de la montée de l’antisémitisme et du racisme, et casser le thermomètre de l’autre : la CNCDH, par son rapport annuel sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie remis au Premier ministre, permet de dresser un état des lieux de la société française et donne ainsi des outils pour agir. Elle élabore un rapport sur la lutte contre la haine et les discriminations envers les personnes LGBTI et est également rapportrice spéciale sur la traite des êtres humains, ou sur le respect par les entreprises de leurs obligations de diligences sociales et environnementales… Elle veille au respect par la France de ses
engagements internationaux et à ce titre, elle dialogue avec les institutions internationales, le Conseil de l’Europe ou l’Union européenne en ce qui concerne les droits de l’Homme, et est accréditée auprès de l’ONU. Est-ce précisément ce rôle qui dérange ?
Ces instances servent l’intérêt général et la démocratie. L’arme du budget est redoutable. Elle invisibilise la dévitalisation du contrôle indépendant des politiques publiques.
Nos organisations alertent contre ces dérives : elles n’accepteront pas cette attaque majeure contre l’Etat de droit et il ne saurait être question d’une quelconque baisse de dotation dans le cadre du vote d’un nouveau budget.

  • Paris, le 9 décembre 2025

[1] Le Défenseur des droits est protégé constitutionnellement.
[2] A titre d’exemple, en 2025, le budget de fonctionnement (hors salariés) de la CNCDH s’est élevé à 388.000 €, du CCNE à 726.000 €, de la Cada à 242.000 €.


Communiqués du MRAP (Voir aussi les appels et communiqués dont le MRAP est signataire)


Communiqués de Collectifs soutenus par le MRAP