Revue de presse : Pour que l’affaire Théo ne se reproduise pas

Pour que l’affaire Théo ne se reproduise pas Photo DR
Des responsables d’associations interpellent Bernard Cazeneuve pour l’inciter à ouvrir un chantier de réformes autour d’une série de mesures concernant le fonctionnement de la police qu’ils proposent.

Suite à notre demande, le Premier ministre nous a reçus le lundi 13 février pour examiner avec nous les conséquences et les leçons à tirer de « l’affaire Théo », du nom de ce jeune homme sauvagement maltraité par des policiers lors d’un contrôle d’identité.

Nous n’avons pu que constater nos désaccords sur les mesures à adopter face à une situation que toutes les associations présentes ont estimée lourdement dégradée et périlleuse. Nous sommes en effet restés sur la nette impression que le gouvernement s’estimait quitte avec les mesures adoptées dans les domaines du recrutement, de la formation et l’annonce de la généralisation de caméras portables par les forces de police.

Nous ne partageons pas ce point de vue ; nous considérons même que toutes les conditions existent pour que de nouveaux drames se produisent. C’est pourquoi nous réitérons une série de demandes précises touchant au fonctionnement des forces de police en souhaitant qu’elles soient prises en compte et donnent lieu, à cette fin, à l’étude d’une série de réformes.

Parmi les mesures essentielles, figurent notamment :

La mise en chantier d’un rapport MacPherson à la française. Pensé sur le modèle du rapport britannique de 1997 (suite au meurtre de Stephen Lawrence et des ratés de l’enquête), il devrait être mené sous la supervision d’un magistrat, et réunissant magistrats, policiers et associations.

La publication des chiffres des violences policières. Pour mettre fin aux fantasmes et faire œuvre de transparence (comme dans d’autres pays), ces chiffres doivent être publiés officiellement, comme le sont les chiffres des violences subies par les policiers.

La réforme de l’IGPN et de l’IGS. La mise en chantier d’une réforme de l’IGPN et de l’IGS, dont le fonctionnement actuel est plus que problématique, nous apparaît comme une nécessité urgente. Ces deux corps devraient céder la place à un corps moins marqué par le corporatisme policier et faisant place à la diversité des institutions de la justice et du droit ainsi qu’à des personnalités issues de la société civile.

L’instauration du ticket de contrôle. Cette mesure n’est en rien en opposition ou en substitution des caméras ; elle permet aux citoyens de savoir pourquoi ils sont contrôlés, sur quelle base légale et quels sont leurs recours. Elle permet également d’attester de la fréquence des contrôles. Elle est, de fait, devenue emblématique pour une large partie de la société civile. La mettre à l’étude, tests à l’appui, aurait de ce fait une forte valeur pédagogique.

La formation des membres des forces de l’ordre. La formation ne saurait être que technique ; elle doit intégrer les apports des sciences sociales et faire place, singulièrement sur la question des préjugés et des discriminations, à la parole des associations de défense des droits, sur le modèle de ce qui s’est pratiqué quelques années après 1981.

La réforme du cadre et des techniques d’interpellation. Durant la formation, ce cadre devrait être clarifié. Les techniques dangereuses d’immobilisation et autres « pliages » destinés à la neutralisation devraient être bannies. De la même façon, le rappel des règles déontologiques (tutoiement, coups, insultes, humiliations…) devrait être constant, de même que le fait d’être un dépositaire de l’autorité publique est une circonstance aggravante lorsqu’un délit est commis, et non l’inverse.

L’utilisation des compétences. Organiser la confrontation des zones les plus difficiles avec les forces de police les plus jeunes et les moins expérimentées relève du non-sens. Les membres des forces de l’ordre les plus compétents devraient être affectés aux zones les plus difficiles, via notamment un système de bonification.

L’inspection. Nommer auprès de la DDSP un « référent violences policières » ou un corps d’inspection modifié associant d’autres personnels que le personnel policier afin de désenclaver le travail d’analyse et de suivi des affaires.

Aucune de ces mesures, nous en sommes conscients, ne constitue en soi une panacée et toutes doivent être passées au marbre du débat contradictoire. La situation générale est par ailleurs à ce point dégradée qu’inverser les tendances à l’œuvre nécessitera à la fois du temps, une mobilisation de l’ensemble du gouvernement et la remise en cause d’un certain nombre de mesures d’ordre législatif mais également de notre conception de la sécurité publique dont nous devons avoir l’intelligence de l’éloigner de la politique du chiffre qui s’incarna il y a déjà quinze ans dans la quasi-disparition de la police de proximité.

Dans l’immédiat, rien ne serait pire que l’immobilisme et la sous-estimation des demandes de clarification qui s’expriment dans le pays, notamment au sein de la jeunesse.

C’est pour toutes ces raisons que nous demandons au Premier ministre de prendre la décision d’ouvrir un chantier de réformes autour des pistes ici exposées. Quoi qu’il en soit, ce chantier, pour urgente que soit son ouverture, s’inscrit dans un effort de long terme qui restera d’actualité au-delà des prochaines échéances électorales.

Signataires : Louis-Georges Tin, président du CRAN ; Françoise Dumont, présidente de la Ligue des droits de l’homme, Augustin Grosdoy, co-président du MRAP, Dominique Sopo, président de SOS Racisme.

Tribune publiée sur le site de Libération