Non à l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme
Lettre de la fédération de Paris du MRAP à Madame Hidalgo
Depuis plusieurs mois, Israël mobilise ses relais en Europe pour instrumentaliser l’antisémitisme. Il se sert d’une définition de l’antisémitisme par l’IHRA (Alliance internationale pour la mémoire de l’holocauste) qui multiplie les références à l’État d’Israël pour empêcher la critique de sa politique. Le gouvernement du Royaume-Uni fut le premier en décembre 2016 à reconnaître la validité de cette définition .Le Parlement européen a suivi en juin 2017 puis le Conseil européen en décembre 2018. En France, l’Assemblée nationale a adopté le 3 décembre 2019 la résolution proposée par Sylvain Maillard, député LREM vice-président du groupe d ’amitié France-Israël, reprenant la définition IHRA.
L’offensive a été relancée il y a quelques semaines par les propagandistes d’Israël auprès des institutions, municipalités, parlements et gouvernements. Cette opération a suscité de fortes oppositions. L’AFPS (Association France Palestine Solidarité) a proposé à la signature une tribune sous le titre « Pour combattre efficacement l’antisémitisme , rejetons tout amalgame ». Avec de nombreuses personnalités et organisations (dont le Mouvement de la paix , LDH, CGT, FSU, Union syndicale Solidaires, PCF...), le MRAP a signé cette tribune qui affirme :« Pour être efficace, le combat contre l’antisémitisme doit refuser tout amalgame et converger avec la lutte contre toutes les autres formes de racisme. Les promoteurs de la définition IHRA ont fait le choix inverse : donner la priorité à la défense inconditionnelle d’Israël, quitte à affaiblir et diviser la lutte contre l’antisémitisme(...) Nous ne céderons jamais à ce chantage. De la même manière que nous dénonçons sans ambiguïté les actes antisémites en France et dans le monde, nous affirmons notre droit à soutenir le peuple palestinien, victime d’une politique coloniale et raciste. C’est pourquoi nous appelons toutes les personnes de conscience, les collectivités locales, les institutions à rejeter la définition IHRA ». Cet appel a été entendu à Strasbourg puisque le conseil municipal a rejeté la définition IHRA en ne cédant pas aux interventions de l’ambassadeur d’Israël en France. Le comité local du MRAP s’en est félicité.
Par contre, le Conseil de Paris a refusé d’entendre cet appel et adopté la définition IHRA de l’antisémitisme. Il a reçu les félicitations de l’ambassadeur d’Israël en France : « Nous saluons le vote du Conseil de Paris (…) Merci à Anne Hidalgo et aux groupes qui ont soutenu ce vote essentiel pour le combat contre la haine et le boycott ». La Fédération du MRAP de Paris a réagi après ce vote en adressant un courrier à la maire de Paris :
Madame la Maire
Vous avez reçu récemment, comme de nombreux maires, une pétition initiée par l’AFPS (Association France Palestine Solidarité) sur le thème « Pour combattre efficacement l’antisémitisme, rejetons tout amalgame ! ». Signée par de nombreuses organisations (Mouvement de la Paix, LDH, MRAP, FSU, CGT, Solidaires...) et personnalités, elle expliquait son opposition à la définition IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance). de l’antisémitisme et vous demandait de ne pas l’adopter. Contrairement à d’autres institutions et collectivités locales, le Conseil de Paris n’en pas tenu compte ; il a cédé aux pressions et adopté la définition IHRA de l’antisémitisme. Pour justifier cette décision, vous avez déclaré : « La position qui consiste à critiquer Israël dans son État comme existence même relève d’une définition de l’antisémitisme, c’est une nouvelle forme d’antisémitisme ». Si c’était vraiment le cas, nous serions d’accord avec vous car le MRAP n’a jamais participé à une démarche délégitimant l’existence d’Israël. Mais, dans la réalité, la définition IHRA de l’antisémitisme, qui s’écarte de son objet initial et multiplie les références à Israël, est utilisée par l’État d’Israël et ses soutiens en Europe pour instrumentaliser l’antisémitisme et empêcher toute critique de sa politique d’occupation et de colonisation qui bafoue le droit international. Preuve en est que, dans certains pays qui ont adopté la définition IHRA, celle-ci a été utilisée pour restreindre, interdire et criminaliser les critiques de l’État d’Israël.
En France, la CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme) a jugé la définition IHRA « contraire au droit constitutionnel français » et appelé « à ne pas faire d’amalgame entre le racisme et la critique légitime d’un État et de sa politique, droit fondamental en démocratie ». Au moment du débat de la résolution sur la définition IHRA à l’Assemblée nationale en décembre 2020, un collectif de 127 intellectuels juifs du monde entier, y compris d’Israël, a appelé les députés à s’y opposer. Le 13 janvier 2021, l’ensemble des groupes progressistes juifs aux États-Unis a également exprimé son opposition à la définition IHRA. Le journal israélien Haaretz publiait le 11 décembre 2019 un article dénonçant l’assimilation entre antisionisme et antisémitisme : « La nouvelle définition n’a rien à voir avec la lutte contre l’antisémitisme. Ceci est une tentative évidente de contrôler la lutte contre l’antisémitisme avec l’unique objectif de rendre l’occupation et la colonisation acceptables et ainsi de museler les opposants à l’occupation en criminalisant toute tentative d’y mettre fin ».
Le MRAP juge prioritaire la lutte contre l’antisémitisme et toutes les formes du racisme. Mais il ne saurait accepter une définition réductrice de l’antisémitisme qui aboutirait à restreindre la liberté d’expression et à faire l’amalgame entre l’antisémitisme et la critique légitime de l’État d’Israël. De plus, le MRAP considère qu’il existe déjà en France une législation visant à lutter efficacement contre l’antisémitisme et à le poursuivre.
Après ce vote du Conseil de Paris qui risque d’encourager Israël dans sa politique d’annexion et de colonisation, nous vous proposons de mettre à l’ordre du jour d’une prochaine session un examen de la situation dramatique des Palestiniens victimes du blocus, de la répression, d’une accélération de la colonisation de leur territoire et de la négation de leurs droits.
Restant à votre disposition, nous vous prions d’accepter, Madame la Maire, nos salutations.
La présidence collégiale,
Yasmine KACI et Marie MONTOLIEU