Lettre au Président de la République pour la création d’un Musée National de l’histoire du colonialisme du 3 juin 2021
Lettre à Monsieur le Président de la République
à Monsieur le Président de la République
Palais de l’Élysée
55 Rue du Faubourg Saint-Honoré
75008 Paris
Paris le 3 juin 2021
Objet : Création d’un musée national de l’histoire du colonialisme
Monsieur le Président,
L’histoire coloniale de la France constitue un enjeu actuel important.
En 1931, s’est tenue à Paris l’Exposition coloniale qui, par son ampleur et son succès, a largement participé à la construction d’une représentation dégradée de l’Autre, justifiant la « mission colonisatrice ».
Depuis, cette construction a été largement battue en brèche, par l’action des colonisés eux-mêmes, et par de nombreux historiens , penseurs et politiques, qui comme Aimé Césaire ont su dire que, si « mettre des civilisations en contact les unes avec les autres est bien »...« de toutes les manières d’établir contact » elle n’a pas été « la meilleure ». Ajoutant que du coup tous les apports réciproques possibles en ont été pervertis. Au point qu’en 2017, vous avez vous-même qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité ».
Néanmoins, il apparaît que cette construction est si solidement ancrée qu’elle tient bon, et alimente toujours un racisme systémique au cœur de notre société. Pour preuve, l’expression discriminante « issu(e) de l’immigration », qui ne va concerner que des populations, dont l’apparence (nom, couleur de peau,..) est censée traduire une origine liée à notre ancien empire colonial.
Pour aider à sa déconstruction, il faudrait un acte fort, au niveau de ce qu’a été l’Exposition coloniale internationale de 1931.
Cet acte fort pourrait être la création d’un musée national de l’histoire du colonialisme.
C’est un besoin et c’est le moment.
C’est un besoin car il faut un lieu où, au-delà des articles, analyses et reportages, on puisse « montrer » le colonialisme, comme on a voulu montrer en 1931 le « Sauvage ».
Un lieu où ce colonialisme apparaisse dans sa réalité et sa diversité, en partageant des mémoires qui aujourd’hui se côtoient ou même s’affrontent, en aidant ainsi à la construction d’une mémoire commune qui fasse nation.
Un lieu où le grand public puisse et ait envie de se rendre, où enseignants et éducateurs conduisent leurs élèves.
Un lieu où puisse être présenté le travail de nos historiens sur cinq siècles d’histoire coloniale, dans un pays qui dispose de 10 000 musées, mais aucun sur cette période.
C’est le moment, car ce musée se placerait dans la droite ligne du travail mené à votre demande par l’historien Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie, un chapitre qui est au cœur de notre histoire coloniale. Il se placerait également dans la droite ligne des 318 « portraits de France », proposés par un conseil scientifique présidé par l’historien Pascal Blanchard, toujours à votre demande.
C’est le moment, car de nombreux jeunes de toutes origines ont conscience d’un silence sur une période douloureuse et conflictuelle. Ils veulent aujourd’hui savoir pour combler ce vide. Il est temps de leur offrir des documents incontestables et une vision d’ensemble, notamment à l’approche du 60° anniversaire de l’indépendance de l’Algérie.
C’est le moment enfin, car des voix de plus en plus nombreuses et diverses, élus ( voir le rapport parlementaire présenté par Caroline Abadie le 9 mars, ainsi que le vœu émis par le Conseil de Paris), chercheurs ou simples citoyens, se lèvent pour pointer cette exigence.
Nous nous adressons solennellement à vous pour que vous lanciez ce chantier qui doit contribuer à renforcer la lutte contre le racisme, aider à « vivre ensemble », et à « faire société et république ».
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos sentiments respectueux.
GROSDOY Augustin, LE MIGNOT Renée, QUANTIN Jean-François, coprésidents du MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples)
LATRECHE Mohamed, LE MAREC Jean-Paul, POUILLOT Henri, VENULETH Jacques, membres de la Commission Musée Colonialisme du MRAP
Cette lettre est publiée dans le journal l’Humanité ici