Le gouvernement va proposer la 29e loi sur l’immigration depuis 1980 ! C’est devenu un exercice obligé de tout ministre de l’Intérieur. Toutes vont dans le sens d’une dégradation des conditions d’accueil et des droits des personnes migrantes et ajoutent des obstacles parfois insurmontables à leurs démarches administratives et juridiques.
Depuis un siècle et demi, les mouvements d’immigration en France ont été l’objet, de la part des pouvoirs politiques, de périodes d’acceptation ou de rejet selon les intérêts économiques de l’heure, les personnes migrantes elles-mêmes faisant trop souvent l’objet de rejets souvent insidieusement provoqués par des discours xénophobes et racistes.
L’extrême-droite a imposé dans le débat politique les thèmes de « l’invasion migratoire » et du « grand remplacement » même si diverses études d’opinion montrent qu’ils viennent loin dans les préoccupations de Français après le chômage, les retraites, l’inflation…
Gérald Darmanin, comme d’autres avant lui, a choisi de faire de ce projet de loi son étendard politique. Déposé pour septembre 2022, ce projet sera présenté en janvier 2023 ; son examen pourrait être reporté au printemps.
Une réalité migratoire mesurée
Les statistiques avancées pour le justifier sont pour certaines au mieux approximatives, au pire inexactes (voire mensongères) : en 2021, 7 millions d’immigré·es vivent en France (10,3 %1 de la population) ; 5,2 millions d’étranger·es (7,7 % [1] de la population totale). La commission des finances du Sénat estime que 400 000 personnes (0,6 % de la population) bénéficient de l’Aide Médicale d’État [2].
Selon l’ONU, la France est l’un des pays d’Europe de l’Ouest où l’immigration est la plus faible (16e sur 283 dans l’Union européenne). En 2019, le nombre d’entrées permanentes en France était de 4 pour 1000 habitants (7 en Allemagne, 9 en Espagne) [3]
Il n’y a ni « invasion migratoire », ni « grand remplacement » en France ou en Europe.
Le ministre de l’Intérieur répète « étrangers = délinquance »
Aucune donnée publique n’établit la part de l’immigration illégale dans la délinquance. En 2019, selon les données du ministère de la Justice [4], 15,7 % des condamnés étaient de nationalité étrangère. Mais il faut relativiser ces chiffres car les infractions les plus courantes sont liées aux difficultés que cumulent les personnes migrantes : absence de papiers, de permis de travail, accès limité aux droits, surveillance policière accrue, précarité juridique…
Il n’est pas rare d’entendre que les immigrés “piquent” le boulot des Français ou font baisser les salaires. En réalité si leur impact est plutôt faiblement négatif à court terme, il est positif à moyen et long terme. Ils apportent des compétences et du travail (notamment dans les « métiers en tension », les emplois difficiles et pénibles, dans l’artisanat et les travaux peu qualifiés…). Ils apportent des forces vives à une population active vieillissante.
Leur impact sur le budget de l’État est faible. Leur contribution fiscale (impôts + cotisations) est supérieure aux dépenses de protection sociale, de santé, d’éducation. L’Aide Médicale d’État qui est l’objet de tant que fantasmes est la seule prestation sociale dont bénéficient les sans-papiers (1,07 milliard, à comparer aux 230 milliards du budget de l’Assurance maladie).
Le projet de loi porte gravement atteinte aux droits des personnes migrantes.
Malgré tout cela, le ministre de l’Intérieur affiche sa volonté d’expulser encore plus.
Les préfets, encore récemment encouragés par leur ministre, par sa circulaire [5] du 17 novembre 2022, distribuent à pleines poignées (environ 120 000 par an) les OQTF (Obligation à Quitter le Territoire Français), même lorsqu’elles n’ont aucune possibilité de réalisation. Le ministre peut ainsi afficher un taux d’exécution très faible (environ 10 %), et justifier de durcir les conditions d’accueil des personnes migrantes.
Ainsi, dans une circulaire du 17 novembre 2022, il ordonne aux préfet∙es d’exécuter les OQTF sans faiblir et de renforcer les capacités de rétention, « Sans attendre les nouvelles évolutions législatives » avec « la méthode employée pour le suivi des étrangers délinquants ». Cette circulaire annonce les objectifs du projet de loi sur l’immigration : OQTF contre tout étranger en situation irrégulière, refus d’octroyer un délai de départ volontaire dans de nombreux cas, prise des IRTF (interdictions de retour sur le territoire français) « aussi souvent que possible ». L’OQTF devrait entraîner la suspension des droits et prestations sociales, le signalement aux bailleurs sociaux (en contradiction avec le droit inconditionnel à l’hébergement). Les locaux de rétention administrative (LRA) seraient multipliés.
Pour augmenter le taux d’exécution des OQTF, un certain nombre de droits démocratiques liés à la vie privée et familiale seraient rognés. Les auteurs d’infraction ne seront plus protégés par une arrivée en France avant 13 ans, non plus que par un mariage ou une parentalité avec des nationaux. Les OQTF feraient l’objet d’un suivi rigoureux par les préfectures. Quant aux voies de recours possibles devant un juge administratif, elles seraient réduites de 12 à 4. Enfin les attributions ou renouvellement de titres de séjours seront soumis à des exigences linguistiques accentuées.
Les demandeurs d’asile sont également visés. Le désir d’accélérer l’examen des dossiers est certes souhaitable pour les demandeurs. Mais le pouvoir affiche cyniquement un autre but : ne pas laisser aux demandeurs le temps de commencer en France une intégration qui justifierait ensuite leur maintien dans le pays à un autre titre. Sous couvert d’efficacité et de proximité, les services de l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) seront territorialisés, dans des « Espaces France Asile » placés sous l’autorité des préfets eux-mêmes sous l’autorité directe du ministre de l’Intérieur.
La “déconcentration” de la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile) et la généralisation du juge unique (au lieu de trois) peut priver les personnes d’une formation collégiale et de la compétence de la cour nationale et elle remet en cause la présence du représentant du HCR (Haut-commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés).
Des améliorations en trompe-l’œil
Le gouvernement a par ailleurs imposé au ministre de l’Intérieur que le projet comporte, outre le volet sécuritaire, un second volet confié au ministre du travail, Olivier Dussopt. Le projet s’affiche maintenant comme une loi « pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration ».
Ce second volet prévoit de nouvelles possibilités de régularisations pour certains sans-papiers par l’obtention de titres de travail dans une liste restreinte de métiers dits « en tension » (avec un volet spécifique pour quatre professions de santé). Cet accès serait de droit à certaines conditions (durée de présence et de travail), et non plus soumis à la bonne volonté de l’employeur et à l’arbitraire du préfet. Cette procédure correspond à une forte demande d’une partie du patronat en manque de main d’œuvre. Des mesures du même type sont d’ailleurs prises dans d’autres pays de l’OCDE, en contradiction politique avec les positions anti-immigration cultivées depuis des décennies.
Mais, au final, ce second volet apporte peu par rapport à la circulaire “Valls” de 2012 qui, en 2021, a permis à 30 000 personnes d’obtenir un titre de séjour (dont 7 000 sur la base d’un travail régularisé). Il ne s’agit que d’un titre d’un an dont le renouvellement n’est pas assuré et en cas de non prolongation replongerait les personnes migrantes dans la précarité et l’illégalité des sans-papiers.
Et déjà, pour « rassurer la droite », le ministre du Travail assure que cela ne concernera que quelques milliers de personnes alors que les sans-papiers sont plusieurs centaines de milliers.
Sans doute, ce second volet pourrait être un point d’appui pour obtenir la régularisation dans quelques situations mais il maintient les bénéficiaires dans l’extrême précarité d’une “régularisation” provisoire liée à certains emplois. Son flou et son caractère restrictif ne peuvent faire « contre-poids » à l’esprit et à la lettre du projet global destiné à systématiser la délivrance d’OQTF, augmenter les IRTF, refuser les délais de départ, inscrire au fichier des personnes recherchées, assigner à résidence les personnes qui ne seront pas placées en rétention.
Comme pour toute politique qui veut faire du chiffre, ce projet méconnaît la complexité des situations et la vulnérabilité des personnes, favorise les mesures de privations de libertés.
Le MRAP refuse un tel projet de loi
Il ne se résigne pas face à ce projet rétrograde qui va à rebours de l’Histoire. Il le refuse car il amoindrit encore les droits pourtant fondamentaux qui doivent être respectés pour tous et toutes. Ce projet précarise davantage une population qui contribue fortement à notre économie et aspire à participer pleinement à notre vie sociale, culturelle et économique, il aggrave les conditions de vie de familles entières, il renonce à toute ambition d’accueil et d’intégration.
Il fait fi de l’absurdité qu’il y a à vouloir à tout prix faire partir les migrants à coup d’OQTF, tout en les empêchant de quitter le territoire en les bloquant à Calais, Grande-Synthe, etc. Il risque de renforcer la traque des sans-papiers et les contrôles d’identité au faciès à l’encontre d’une partie de la population française.
Un tel projet ne peut qu’aggraver encore les difficultés des étrangers résidant légalement dans notre pays depuis plusieurs années et n’ayant d’autres projets que de s’y intégrer. Il n’est pas rare que des retards administratifs ou des refus de prolongation des titres de séjour fassent d’eux des clandestins.
Il veillera à ce que cette loi ne constitue pas une régression par rapport à la circulaire Valls, qui ouvre d’autres voies de régularisation que l’emploi.
Il est du devoir de toute la société et de ses pouvoirs publics d’accueillir les étrangers, en particulier ceux qui fuient des conditions de vie devenues insupportables pour des raisons politiques, économiques ou climatiques. Il est utile et nécessaire, que les hommes et les femmes continuent de circuler sur la Terre pour y échanger leur force de travail, leurs connaissances et leurs cultures, comme ils l’ont toujours fait et le feront toujours.
Le MRAP, dans l’unité avec les associations de solidarité avec les personnes migrantes, défendra non seulement le principe de la régularisation mais son extension de droit à toutes les personnes présentes sur le territoire, avec des titres de séjours pluriannuels débouchant rapidement sur le statut de résident et à l’égalité des droits. Comme il combat toutes les mesures qui éloignent de l’objectif qui est le sien, la liberté de circulation et d’installation pour tous.