Le MRAP salue l’attribution du prix Nobel de la paix au docteur Mukwege et à Nadia Murad
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Le gynécologue Denis Mukwege "a dédié sa vie à défendre des victimes de violences sexuelles en temps de guerre", en République démocratique du Congo et a tenté de réparer les dégâts physiques engendrés par de telles pratiques. Il a condamné l’impunité des viols collectifs et "critiqué le gouvernement congolais et d’autres pays pour ne pas en faire assez pour faire cesser l’usage des violences sexuelles contre les femmes dans leur stratégie et comme arme de guerre".
Nadia Murad, est l’une des 5000 femmes Yézidies qui ont été victimes de viol et d’autres abus de la part de Daech. Elle a eu le "courage de raconter ses propres souffrances et de s’exprimer au nom des autres victimes". En 2016, elle avait été nommée ambassadrice de l’ONU « pour la dignité des survivants de la traite d’êtres humains. »
Ces crimes ne sont pas nouveaux, dans les conflits passés, récents et en cours, de manière constante, les femmes sont exposées à des atrocités inimaginables qui bafouent leurs droits les plus élémentaires. Le viol est une de ces multiples manifestations. Les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie l’ont d’ailleurs reconnu comme un crime contre l’humanité.
Pendant la seconde guerre mondiale, un système d’esclavage sexuel de masse a été organisé à travers l’Asie par l’armée impériale japonaise, les victimes, souvent mineures étaient surnommées les « femmes de réconfort ». Dans les camps nazis, principalement à Ravensbrück, les femmes étaient contraintes de se prostituer, le nombre de ces victimes est estimé à plus de 34000.
En mai, le président de la République des Philippines, Rodrigo Duterte, a encouragé ses soldats à violer des femmes, assurant « qu’il en porterait la responsabilité. » La réponse de la communauté internationale n’a pas été à la mesure de la gravité de la situation face à une telle déclaration de la part d’un chef d’État.
L’ONU a publié dès 2004 des estimations effrayantes : au moins 60 000 femmes violées entre 1991 et 2002 pendant la guerre civile au Sierra Leone, 40 000 au Liberia entre 1989 et 2003, 60 000 pendant les affrontements en ex-Yougoslavie et au-delà de 200 000 depuis 1998 en République démocratique du Congo. Aurait pu être ajouté plus récemment le Nigeria, où Boko Haram, a pratiqué des enlèvements massifs d’adolescentes victimes ensuite de viols.
Les viols ont eu un caractère massif en Algérie entre 1954 et 1962.
L’avocate Gisèle Halimi, l’une des premières à avoir dénoncé, pendant la guerre d’Algérie, les multiples viols en cours, estime que neuf femmes sur dix étaient violées quand elles étaient interrogées par l’armée française.
Un rapport des Nations Unies a conclu qu’au moins 250 000 femmes furent victimes de viol au cours du génocide au Rwanda et leurs organes sexuels furent mutilés lors de sévices indescriptibles..
Le viol systématique est soit un moyen de domination, soit utilisé comme instrument de torture, soit pour terroriser la population soit considéré comme une sorte de « purification ethnique ». Ils font partie d’une stratégie militaire délibérée.
Dans certains cas, des femmes sont violées de façon répétée jusqu’à ce qu’elles soient enceintes. Elles sont maintenues en captivité jusqu’à un terme avancé et sont relâchées lorsqu’un avortement ne peut plus être pratiqué. Il s’agit d’une stratégie visant délibérément à forcer les femmes à donner naissance à un enfant « porteur de l’identité ethnique des bourreaux » (comme ce fut le cas en ex-Yougoslavie).
En République démocratique du Congo, un rapport des Nations Unies recense les exactions commises : « la violence sexuelle a été
utilisée pour terroriser la population et l’asservir. Les différents groupes armés ont commis des violences sexuelles qui s’inscrivent dans le cadre de véritables campagnes de terreur. Viols publics, viols collectifs, viols systématiques, incestes forcés, mutilations sexuelles, éventrations de femmes enceintes, mutilation des organes génitaux, sont autant de techniques de guerre utilisées contre la population civile. »
Des milliers de femmes et de fillettes (dès 10 ans) yézidies ont été prises en otage par Daesh après l’occupation, en 2014, de leur région de Sinjar dans le nord-ouest de l’Irak. Elles ont été vendues comme esclaves sexuelles. Quelque 3 000 d’entre elles seraient toujours en captivité. Des femmes ont préféré se suicider pour ne pas être capturées par l’EI.
Le stigmate social qu’est le viol dans la plupart des sociétés rend le
viol de guerre d’autant plus destructeur. Le viol est considéré par les victimes comme pire que la mort et produit une honte qui entache famille et tribu . Des femmes violées sont poussées au suicide ou sont assassinées lorsque le viol est découvert.
Le MRAP espère que l’attribution du prix Nobel de la paix au docteur Mukwege et à Nadia Murad contribuera à ce que l’opinion publique et la communauté internationale prennent conscience de l’ampleur et de la gravité de ce phénomène. Le viol comme arme de guerre doit être, dans tous les cas, reconnu comme un crime de guerre et un crime contre l’humanité.
Les responsables qui encouragent de tels crimes doivent être poursuivis devant les tribunaux internationaux. L’objectif du comité Nobel est de « mettre fin à l’utilisation de la violence sexuelle comme arme de guerre ».
Espérons que cet objectif soit atteint.
Paris, le 8 octobre 2018