Ce procès va de concert avec une persistance préoccupante de crimes ou de forfaits visant la communauté juive. Lors de sa réunion du 7 octobre le BE a jugé utile de faire une mise au point.
Le contexte
De quoi parle-t-on quand on aborde l’antisémitisme ? C’est en 1879 que ce mot antisémitisme apparait pour la première fois sous la plume d’un pamphlétaire très antijuif répondant au nom de Wilhelm Marr. Ce terme parfaitement inadéquat connait vite un engouement inattendu. Pour le petit Larousse (édition 1906) c’est « la doctrine de ceux qui sont opposés à l’influence des Juifs » qui devient au début des années 80 « la doctrine […] d’hostilité à l’égard des juifs » alors que pour le Robert (édition 1958) l’antisémitisme est « la lutte contre le sémitisme ». En fait aujourd’hui l’antisémitisme désigne le racisme qui vise les juifs. Ça n’a jamais signifié rien d’autre que cela et surtout pas, comme on l’entend parfois, "raciste envers les sémites" pour deux raisons : i) parce qu’il n’y a pas de « race sémite » au même titre que la notion de races humaines est antiscientifique et raciste comme nous l’avons souvent rappelé au MRAP, ii) parce que on peut à la rigueur parler de « langues sémitiques » et là n’est pas notre propos.
L’assassinat de Ilan Halimi, les assassinats de l’école Ozar Hatorah à Toulouse, l’attentat de l’hyper Casher de Vincennes ou encore l’assassinat de Sarah Halimi sont là pour nous rappeler que l’antisémitisme est encore bien présent notre société. Même si en 2016 les actes antisémites ont sensiblement diminué, une analyse statistique du ministère de l’intérieur montre que leur nombre annuel a quintuplé en 30 ans (117 par an dans les années 1990 contre 574 dans les années 2010). La France connait une augmentation des violences et une banalisation de la parole antisémite. L’analyse de l’actualité montre clairement que l’antisémitisme persiste dans les esprits. Ainsi, les juifs auraient trop de pouvoir dans le domaine de l’économie (25 %), les médias (22 %), la politique (19 %)[1]… Selon ce même sondage, pour 35% des personnes interrogées les juifs utiliseraient aujourd’hui dans leur propre intérêt leur statut de victimes du génocide nazi perpétré pendant la Seconde Guerre mondiale[2]. Ce dernier thème est attisé par des spécialistes du négationnisme ou des politiciens du style Le Pen père (le « détail[3] ») ou Soral ou encore des pseudos humoristes comme Dieudonné, ce discours pénètre même parfois certaines sphères se réclamant de l’antiracisme.
Chaque déclinaison du racisme comporte des caractères spécifiques selon les populations qui en sont victimes, ainsi le racisme institutionnel, le racisme du quotidien ou les discriminations. Mais plus de 70 ans après l’extermination des juifs par les Nazis, racisme à l’encontre des juifs est encore à ce jour, le seul qui conduit à tuer des petits enfants dans la cour de leur école.
Sur le douloureux problème lié au Moyen Orient il semble utile de rappeler que l’antisémitisme est un racisme antijuif et l’antisionisme appartient à la critique d’un mouvement politique idéologique et religieux. Il est vrai que certaines mouvances remplacent le terme juif par le terme sioniste par peur de poursuites pour entrave à la loi contre le racisme. Dans cette optique il n’est plus question de « complot juif », mais de « complot sioniste ». Dans ce dernier cas il s’agit d’une nouvelle terminologie antisémite. Enfin, la dernière période a pu voir l’accélération et une sorte de libération de la parole antisémite avec le développement des réseaux sociaux. Une analyse des sites informatique montre qu’il y a un message antisémite toutes les 43 secondes sur internet.
Les combats du MRAP contre l’antisémitisme
Dès sa création, il y a près de 70 ans, le MRAP (il s’appelait alors Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix), issu de la résistance, s’est attaché à lutter contre toutes les formes de racisme quels qu’en soient les auteurs ou les victimes. Le MRAP récuse leur hiérarchisation ainsi qu’il l’a rappelé lors de son congrès d’octobre 2015 en précisant que « le racisme est un et indivisible bien que ses formes soient multiples et souvent liées entre elles ». Le changement de sigle du mouvement en 1977 marque plus encore sa volonté de l’universalisme de son combat.
Riche de cette histoire qui ne hiérarchise pas les déclinaisons du racisme, le MRAP ne peut accepter l’introduction d’une concurrence mémorielle dans le champ antiraciste, ni une relativisation d’une forme particulière du racisme.
Combien de fois avons-nous entendu ou lu des assertions du type « on parle trop de la Shoah ». On ne parle jamais trop d’une déclinaison du racisme, y compris l’antisémitisme, à l’heure où les assassins tuent des juifs jusque dans la cour d’une école. Il nous appartient de traiter toutes les formes de racisme avec la même vigueur et il incombe aux instances de la République, y compris dans les représentations officielles, d’être aux côtés de toutes les victimes du racisme sans distinction aucune.
Pour le MRAP pas d’indulgence pour toutes les expressions de l’antisémitisme. Récemment, le Mouvement, à travers ses comités locaux ou au niveau national, a été amené à porter plainte ou à prendre positions vis-à-vis de la plupart des actes, des publications ou des déclarations antisémites commises dans l’hexagone ou en Europe. Pour ne rappeler que quelques exemples :
Vive protestation contre Jean-Michel Larqué journaliste sportif qui avait "clairement associé la confession juive des dirigeants du club de foot d’Arsenal à leur âpreté aux gains d’argent. »Dénonciation de l’antisémitisme sur les réseaux sociaux.Interventions du MRAP lors des agressions et assassinats antisémites de ces dernières années (Toulouse, assassinat d’Ilian Halimi, agression d’une famille à Livry Gargan…).Dénonciation d’un concert du groupe antisémite « peste noire » dans la région de Limoges.
Sur un registre du même type, le MRAP est amené à agir contre les assassins de la mémoire. Plus que jamais l’histoire doit rester présente dans nos esprits. Elle est la source à laquelle chaque citoyen doit pouvoir s’abreuver pour lutter contre les paroles, les comportements, les actes qui entretiennent l’antisémitisme. Dans cette période où les rares rescapés des camps atteints par l’âge, disparaissent les uns après les autres, le MRAP tient à mettre en garde ceux qui tentent de nier l’existence du génocide nazi et la responsabilité de la France dans son exécution. C’est bien madame Le Pen qui déclarait le 9 avril dernier, dans une interview télévisée que cette rafle du Vel d’Hiv était la faute des seuls Allemands, montrant ainsi qu’elle demeure dans la filiation de l’extrême-droite, nostalgique de Vichy, largement illustré par les propos, les attitudes et les fréquentations de son père. C’est dans le cadre de ce refus de l’oubli que le MRAP a lancé il y a quatre ans son opération de création dans chaque ville d’une rue des « combattants du ghetto de Varsovie ».
Mais si le MRAP combat l’extrême-droite qui théorise sur le « détail de l’histoire », il n’a pas plus de complaisance avec le livre « les blancs les juifs et nous » dans lequel on peut lire « pour le sud la Shoah est moins qu’un détail » alors que l’auteure précise « vous les juifs je vous le dit en vous regardant droit dans les yeux, je n’irai pas à Auschwitz : »
C’est là une invitation au négationnisme par l’oubli.
Le MRAP est également amené à réagir lorsque des organisations, sous couvert de défendre le peuple palestinien, utilisent des arguments relevant de l’antisémitisme le plus primaire. Au cours de leur longue histoire, juifs et arabes ont presque toujours vécu en bonne intelligence alors qu’en occident l’antisémitisme sévissait avec la plus grande vigueur. Le sionisme, né à la fin du 19ème siècle a représenté pour beaucoup une réponse possible à l’antisémitisme, mais a conduit au drame du peuple palestinien. C’est dans ce contexte que des groupes d’intégristes, musulmans ou non, adeptes d’un antisionisme radical utilisent les clichés antisémites de l’extrême droite et des méthodes terroristes pour tenter de défendre la cause palestinienne. Réaffirmons-le avec force : le MRAP est attaché à une paix juste et durable au Moyen Orient et pour y parvenir l’antisémitisme n’est pas la solution. Le MRAP régira contre toutes manifestations antisémites. Ainsi notre mouvement a été amené à porter plainte contre deux membres de l’organisation BDS34. Ces derniers avaient diffusé en août 2014, sur leurs pages « Facebook », un photomontage comportant une photo qui avait vocation à assimiler étoile de David et croix nazie.
Conclusion- perspectives
La lutte contre l’antisémitisme fait partie intégrante du combat du MRAP. Ce combat est plus que jamais nécessaire en raison de la multiplication des actes antisémites associé au développement des théories négationnistes. Il importe que les comités locaux s’impliquent plus largement encore en lançant des formations (en particulier dans les établissements scolaires), des débats et des actions contre l’antisémitisme. Il importe également de ne pas négliger des actions de mémoire (par exemple la campagne d’inauguration d’une « rue des combattants du ghetto de Varsovie » dans les villes pourrait être développée par nos comités locaux). Enfin, et cela concerne tous les militants du MRAP il est indispensable qu’une vigilance de tous les instants s’instaure vis-à-vis des sites antisémites et des réseaux sociaux.
Le BE se tient à la disposition des comités locaux pour animer des débats sur l’antisémitisme.
En outre il est proposé un colloque national sur cette question courant 2018.
[1] [1] Sources : CNCDH, FONDAPOL 2014
[2] [2] FONDAPOL 2014.
[3] [3] En 1987 Le Pen avait qualifié les chambres à gaz nazies comme « un détail de l’histoire. Propos réitérés en 1997, 2009 et 2015. Il a été condamné 5 fois pour ces propos grâce entre autre à l’action du MRAP.