Alors que les migrantes et les migrants font une fois de plus l’objet d’une campagne de rejets et de fausses informations sur leur présence qualifiée de « submersion », il est bon de rappeler que de nombreuses personnes étrangères, femmes et hommes, en situation régulière et résidant parfois depuis de nombreuses années dans nos communes, restent des oublié-e-s de la démocratie.
Elles et ils participent à la vie économique, sociale, culturelle et sportive, contribuent aux taxes à l’instar d’autres citoyennes et citoyens et leur nombre est pris en compte pour calculer la dotation que l’État verse à la région, au département et à la commune et pour calculer le nombre d’élu-e-s des conseils locaux.
Cependant, si elles et ils ne viennent pas d’un pays de l’UE, elles et ils sont exclu-e-s de toute participation électorale et ne peuvent donc pas s’exprimer sur le choix des élu-e-s qui les représenteront et décideront de l’avenir de leur commune de résidence.
Cette injustice persistera encore lors des prochaines élections municipales de mars 2026.
Le droit de vote local et l’éligibilité des étrangères et étrangers non européens résidents en France serait une conquête pour la démocratie. Bien qu’il ait été à l’agenda politique en France depuis plus de quarante ans, il n’a toujours pas été adopté. Rappelons que quatorze États européens sur vingt-sept l’ont mis en œuvre. Dans certaines communes, la légitimité des élu-e-s dans nos territoires est fragile quand une forte proportion de la population n’a pas le droit de s’exprimer et est ainsi mise à l’écart des décisions locales, entraînant à sa suite des générations issues de l’immigration qui tendent à s’abstenir.
Deux propositions de lois ont été présentées à l’Assemblée et au Sénat, sans avoir obtenu la majorité requise de la part des deux Assemblées. Dans les pays européens où les étrangères et étrangers non communautaires sont électrices/électeurs et éligibles, le droit de vote local, établi depuis 1975 en Suède, 1981 au Danemark, 1985 aux Pays-Bas, n’a pas donné lieu à un vote ethnique ni à un vote musulman comme certains le craignaient dans leur argumentation contre le droit de vote.
Le fait que la France ait parfois affiché l’accès à la nationalité (d’ailleurs très sélectif) comme contrepartie à l’absence de droit de vote local n’a pas été un argument plus concluant, car il n’y a nulle part au monde de pays où la fermeture de la nationalité ait conduit à davantage d’ouverture au droit de vote ni vice-versa. Certains pays sont au contraire ouverts à l’une et l’autre, comme la Nouvelle-Zélande, et d’autres fermés à l’un comme à l’autre, comme l’Italie.
L’argument constitutionnel faisant valoir qu’il n’est pas possible de dissocier la nationalité de la citoyenneté a lui aussi été battu en brèche par l’accès aux droits politiques des européens résidents dans un autre pays de l’UE que le leur, a été inscrit dans le traité de Maastricht (1992) qui définit la citoyenneté européenne et a obligé les Etats de l’UE à dissocier ainsi la citoyenneté de la nationalité en modifiant leur Constitution.
Dans les pays ne faisant pas partie de l’UE comme la Suisse, plusieurs cantons ont accordé le droit de vote et l’éligibilité aux personnes étrangères (le canton de Neuchâtel depuis 1848…). Au Royaume Uni, les ressortissants du Commonwealth ont le droit de vote et bénéficient de l’éligibilité à toutes les élections, y compris nationales, et l’accès à la Chambre des Lords leur est aussi ouvert, ce qui n’est pas sans lien avec l’antériorité de ce pays dans la lutte contre les discriminations.
C’est la résidence qui enracine les nouvelles citoyennes et nouveaux citoyens qui, par leur participation aux affaires de la cité contribuent à faire avancer la démocratie. Leur présence parmi les électrices et électeurs permet aussi de mieux lutter contre le rejet de l’autre car certains partis politiques sont tentés d’utiliser leur absence pour faire progresser leurs idées xénophobes.
Attribuer le droit de vote et l’éligibilité aux élections locales pour les personnes étrangères qui résident en France serait une avancée décisive pour la conquête de nouveaux droits et pour les progrès de la démocratie.
Il est temps d’accorder à ces citoyennes et citoyens le droit de participer pleinement à la vie démocratique locale.
Paris, le 24 avril 2025