Islamophobie et racisme anti-musulman
1. Antiracisme universaliste
Le racisme est un et indivisible avec des formes multiples et différentes victimes : Roms, Arabes, Musulmans, Noirs, Asiatiques, Juifs… Le combat universaliste pour l’égalité réelle, la défense et la promotion des Droits humains passe par la lutte contre le racisme, idéologie de domination, toutes les situations qui le génèrent et toutes ses déclinaisons.
Les expressions et les causes du racisme et des discriminations dans nos sociétés sont complexes. Et le combat antiraciste est très intimement lié aux problématiques économiques et sociales. Les politiques d’intégration et la question sociale ne se fractionnent pas.
Depuis sa création en 1949, le MRAP défend "la liaison entre tous les racismes et la nécessité de mener contre tous un seul et même combat." (Droits et liberté, n°364-365, décembre 1977). Il a très vite pris en compte le racisme anti-arabe au même titre que l’antisémitisme.
En octobre 2017 le MRAP publie un texte de référence sur l’antisémitisme (voir : https://mrap.fr/le-mrap-et-l-antisemitisme-etat-des-lieux.html).
Au regard des événements qui ont occupé le devant de la scène, le bureau national du MRAP a estimé indispensable de faire le point sur l’islamophobie et le racisme anti-musulman.
2. Islamophobie
L’origine du mot "islamophobie" remonte à la fin du XIXe siècle et son usage est avéré dès le début du XXe siècle par des sociologues coloniaux (Maurice Delafosse, Revue du Monde musulman, mai 1910) qui y voient un traitement discriminatoire de l’islam et des pratiquants de l’islam préjudiciable à la "politique musulmane" de la France, au développement de ses "colonies musulmanes".
En 2003, dans un contexte post-attentats du 11 septembre 2001, la paternité du mot est faussement attribué aux mollahs iraniens afin de discréditer ceux qui l’utilisent.
Le débat est dans l’espace public. La frénésie médiatique, la tonalité de certaines déclarations autour des "affaires de foulard" révèlent cette forme de racisme jusque-là contenue. Le MRAP s’interroge sur la pertinence et l’adéquation du mot. En septembre 2003, il organise un colloque à l’Assemblée Nationale : "Du racisme anti-arabe à l’islamophobie…" (Différences n° 249, janvier 2004). Il l’inscrit dans le combat contre toutes les formes de racisme et dénonce l’assignation forcée des musulmans à une "résidence communautaire" de plus en plus pesante.
Aujourd’hui, ce qui caractérise l’usage du mot "islamophobie" c’est sa polysémie. Pour les uns il doit être strictement réservé à la critique (légitime) de la religion islam, pour d’autres il se confond avec la définition de discriminations racistes dont sont victimes les personnes de culture, d’ascendance ou de religion musulmanes. Le plus souvent son usage oscille entre ces deux définitions. La Commission nationale consultative des droits de l’homme dans son rapport de 2003, note "une confusion croissante entre l’hostilité à l’immigration maghrébine prédominante dans les années 1990 et une hostilité à l’islam, aux musulmans, des amalgames avec la délinquance dans les quartiers dits sensibles, avec le fondamentalisme ou le terrorisme".
À son congrès de 2004 (Différences n° 253, janvier 2005), le MRAP définit l’islamophobie dans le cadre de la définition légale de la provocation à la haine raciste : les actes islamophobes se traduisent par des violences, des injures, des discriminations envers les personnes ou des attaques contre leurs lieux de culte ou de sépultures. Ce nécessaire combat pour les droits des personnes ou groupes de personnes musulmanes, leur protection et leur respect, ne saurait tolérer son instrumentalisation. Le MRAP refuse toute limitation de la liberté d’expression de ceux qui usent de leur droit légitime à la critique des religions, leurs idéologies, leurs institutions ou interdits. Il précise : "Cette double vigilance est garante d’une action antiraciste pour une société apaisée." Au-delà des approches diverses concernant le mot "islamophobie" le MRAP est uni dans la volonté d’agir avec force contre le racisme subi par les musulmans.
3. Musulmans en France
Dans leur dernière enquête conjointe sur "la diversité des populations en France", parue en octobre 2008 sous le titre "Trajectoires et Origines", l’Ined et l’Insee précisent que 2,1 millions de personnes parmi la population âgée de 18 à 50 ans se déclarent de confession musulmane, quelle que soit leur religiosité et leurs pratiques soit entre 6 et 7 % de la population. Sur cette base, l’INED estime la population musulmane en France entre 3,9 et 4,1 millions.
Le ministère de l’Intérieur avance en 2015 le chiffre de 4 à 5 millions. Ce n’est qu’une approximation puisque la loi française interdit les recensements sur la base de la religion. Il inclut les "musulmans déclarés", les personnes de "culture musulmane" ce qui est flou. Certains sondages utilisent l’expression "d’origine musulmane" qui entretient des confusions (on peut être d’origine maghrébine sans être de confession musulmane par exemple).
La grande majorité ne se reconnaît pas dans les marqueurs religieux qui peuvent faire clivage dans la société (sexistes par exemple). Cela ne les empêche pas de se sentir blessés par les attaques lancées contre l’islam et les musulmans. Ils ne se reconnaissent pas non plus dans le "jeu de ping-pong" entre les identitaires d’extrême-droite et les islamistes.. N’essentialisons pas "les musulmans" ! Prenons en compte leur diversité ; les musulmanes ne sont pas toutes voilées – loin de là – ou en burkini ni les musulmans en tenue de madrassa. La "population musulmane en France" est, comme toute la population, fort diverse dans ses référents et dans son positionnement religieux, allant des intégristes aux athées déclarés, voire militants. On est loin d’un "grand remplacement" fantasmé et d’une "islamisation" de la France.
Le discours islamophobe d’où qu’il vienne est redoutable par ses conséquences non seulement sur les "musulmans" ou supposés tels, mais aussi sur l’ensemble de la société. Ils formatent les esprits pour une acceptation des idées réactionnaires de l’extrême-droite et de la droite extrême qui veulent les utiliser pour accéder au pouvoir.
4. Racisme antimusulman
Le racisme anti-musulman – comme tout racisme – repose sur l’amalgame de chaque personne musulmane ou supposée telle à une image stéréotypée faite de préjugés construits et bien ancrés depuis des siècles. Les ressorts idéologiques de l’extrême-droite et de la droite extrême qui prétendent combattre l’islamisation de la France et désigner des boucs-émissaires pour détourner l’attention des questions économiques et sociales et pour diviser viennent de loin, particulièrement de la période coloniale.
À la fin du XIXe siècle les justifications idéologiques ne manquent pas pour stigmatiser "la nullité intellectuelle des races qui tiennent uniquement de cette religion [le mahométisme] leur culture et leur éducation" (Ernest Renan, L’islamisme et la science, 1910) et inférioriser pour mieux civiliser ces "barbares".
L’ordonnance de 1944 relative au statut de FMA (Français musulmans d’Algérie) certes abrogeait le code de l’indigénat mais entérinait les inégalités coloniales. Avec la guerre d’Algérie, le racisme anti-arabe a connu une recrudescence violente et meurtrière.
Ce qui s’est construit en France à force de discours, de lois, d’aveuglement, de mensonges c’est l’idée d’une altérité musulmane incompatible avec la République, justifiant le rejet des personnes perçues comme pratiquantes.
5. Islam, islamisme, terrorisme
Les discours assimilant islam, islamisme, terrorisme viennent de loin. Un certain nombre d’attentats, celui du 11 septembre 2001 à New York, mais aussi ceux de Londres, Madrid, Paris…, l’existence d’États ouvertement théocratiques, comme l’Iran, l’Arabie ou le Soudan, la longue guerre civile en Algérie ont conforté l’invention par des idéologues occidentaux, dans les années 2000, d’une "guerre de civilisations" et la construction d’un "ennemi commun". Celui-ci venait opportunément après la chute du mur de Berlin et l’implosion de l’URSS. La suspicion à l’encontre des personnes perçues comme musulmanes et de l’islam s’en trouve accrue.
Le terrorisme est bien évidemment totalement étranger à l’immense majorité des musulmans (de religion, de culture ou d’origine). Ils aspirent à vivre ici en paix. Mais certains courants de l’islam ont pris de plus en plus d’importance, soit de leur fait, soit du fait de ceux qui les stigmatisent pour agiter des peurs, les utilisent à leurs fins propres, politiques ou non. D’autre part, le refus de reconnaissance, les discriminations mais aussi des influences externes, la pression sociale ont pu provoquer des replis communautaristes et une volonté de mettre en avant son identité, exploités par le prosélytisme musulman. Ils ont pu pousser certains courants minoritaires à poursuivre des buts propres incompatibles avec les valeurs républicaines, les exigences d’un vivre ensemble apaisé et l’indivisibilité de la République. Plus encore, certains se vivant ou se présentant comme exclus de la République se sont appropriés des marqueurs spécifiques (voiles, tenues islamiques, dispenses scolaires, etc.) pour en faire leurs revendications communautaires.
Les droits individuels et collectifs ne sauraient dépendre de l’appartenance ou de la non-appartenance à une communauté. La laïcité doit garantir contre ces dérives. Elle doit être défendue contre ceux qui la confondent avec le rejet des personnes perçues comme pratiquant une religion, en particulier celles de confessions musulmanes et contre ceux qui, se réclamant d’une religion, rejettent les personnes perçues comme agnostiques, athées ou d’une autre religion.
Racisme anti-musulman et enfermement identitaire politico-religieux renvoient l’un à l’autre. Défendre les victimes du racisme anti-musulman implique de se détacher voire de combattre les tendances identitaires des groupes de l’islam politique et de construire une mémoire partagée y compris de la colonisation.
6. Pour l’égalité réelle
L’islamophobie est à la source d’actes violents contre les mosquées, les personnes de confession musulmane, notamment les femmes portant le voile dans l’espace public.
Les discriminations ne sont pas seulement le produit de comportements individuels ou collectifs racistes mais sont très largement le produit d’un système de domination idéologique et social, d’un racisme systémique incarné par la pérennité des discriminations à l’emploi, au logement, à l’éducation, aux discriminations parfois pratiquées par les institutions étatiques comme lors des contrôles aux faciès, la relégation, pour des raisons à la fois économiques, sociales et historique d’une fraction des musulmans dans les"quartiers populaires" trop souvent oubliés des politiques publiques (délabrement, absence de services publics, etc).
Certains s’efforcent régulièrement de manipuler l’histoire, d’inventer des concurrences entre des mémoires à rebours de la nécessaire construction d’une mémoire partagée évitant que se perpétuent les fractures du passé.
L’égalité réelle passe également par la défense des libertés publiques et individuelles. Il importe de prendre toute la mesure de la gravité de la situation créée par le développement actuel de l’islamophobie, autant pour la population musulmane ou supposée telle, que pour la société dans son ensemble.
Le MRAP, ses comités locaux, ses militant•e•s, ses adhérent•e•s poursuivent leur action pour un vivre ensemble apaisé. Une société se construit par l’inclusion, double mouvement enrichissant ceux qui incluent et ceux qui s’incluent.
Il est possible et nécessaire de s’appuyer sur le besoin de justice, d’égalité, sur l’empathie et la fraternité pour combattre les peurs et la haine sur lesquelles s’appuient celles et ceux qui défendent des intérêts particuliers.
Il faut combattre les discours de haine sur Internet sans sous-estimer les difficultés et s’efforcer d’y diffuser des messages de solidarité et d’amitié entre les peuples et les populations, agir auprès des jeunes générations, notamment en intervenant dans tous les lieux de vie, de loisirs, d’éducation, culturels ou sportifs, accueillir, soutenir, défendre les personnes victimes de racisme par l’action juridique.
Les propos de ceux qui profèrent diffamations, injures racistes envers une personne ou un groupe de personnes ou provoquent à la discrimination, la haine ou la violence raciste doivent être dénoncés et leurs auteurs poursuivis si nécessaire.
La réponse la plus déterminée et la plus unitaire possible doit être apportée aux porteurs de haine. Le MRAP et ses comités fidèles à leur combat, prendront toute leur part de cette recherche d’unité et du combat contre le racisme sous toutes ses formes et en l’occurrence contre l’islamophobie.
Paris le 1er février 2020