TEXTE DE L’AUTEUR ALEXANDRE GALIEN
La montée de l’extrême droite en France n’est pas inquiétante, elle est mortifère et semble inéluctable. Elle est une hydre, dont l’un des visages se dessine aussi dans l’industrie culturelle.
Ne nous y trompons pas, l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite toucherait en premier lieu les personnes en exil, les personnes racisées, LGBT+ et les femmes, victimes de discriminations de plus en plus violentes dans les pays où les conservateurs sont au pouvoir. Je n’appartiens à aucune de ces catégories, et ne fais donc pas encore partie de ceux que le danger guette au premier chef. Pourtant, comme écrivain, je fais partie de ceux qui créent – et cela n’a aucun rapport avec la qualité de mes productions. C’est un fait, je suis là pour inventer des histoires. Et, l’Histoire, justement, celle qu’on ne peut inventer (n’en déplaise aux zemmouristes) nous l’a appris : chaque fois que les extrêmes ont pris le pouvoir, les artistes ont eu un rôle à jouer, en les soutenant ou en s’y opposant.
Le livre n’a malheureusement jamais été une citadelle imprenable par les esprits étriqués, mais la concentration de maisons d’édition qui font écho à cette idéologie est inquiétante. Les éditions Fayard, en particulier, ont été reprises en juin 2024 par Lise Boëll, ancienne éditrice d’Éric Zemmour et de Philippe de Villiers. Par sa ligne éditoriale de plus en plus radicale, elle montre que l’extrême droite ne cherche plus à pénétrer le monde du livre à pas de loup ; elle le fait avec le bruit des bottes.
Pourtant, cette maison, Fayard, a été la mienne en 2020, sous la direction de Sophie de Closets, qui en a été l’une des figures les plus inspirantes. Grâce à elle, mon premier livre a reçu un prix littéraire, lançant un début de carrière balbutiant mais dont, au fond de moi, je suis fier. Parce que c’est une chance d’être édité, lu et soutenu. Il ne s’agit évidemment pas que de talent, il y a une bonne étoile pour les auteurs. Et je l’ai suivie sur ce navire qu’est Fayard. Et c’est bien parce que j’aime ce navire et ceux que j’y ai croisés que je m’inquiète de son cap à tribord.
Je pourrais, comme beaucoup, renier publiquement mon appartenance à la maison aujourd’hui, ce que je ne manque pas de faire. Cela ne suffit pourtant pas. Je pense que ceux qui inventent des histoires doivent aussi inventer des manières de résister ; l’impertinence est, à mes yeux, une formidable qualité d’écrivain. Je suis encore lié par contrat à Fayard, qui continue d’écouler mon premier livre. Et, tant qu’ils le feront, des droits d’auteur me seront reversés. C’est ainsi. Cet argent, qui met un peu de pesto dans les farfalle, leur a donné cette année un goût rance.
J’ai donc pris la décision que cet engagement qui lie tout auteur et son éditeur se retourne contre Fayard. Ainsi, je souhaite que mes droits d’auteur se transforment en devoir de citoyen. À compter de l’arrêté de compte 2025, je ferai don de toutes les sommes issues de la vente de mes livres au MRAP, le mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples.
Ce choix vient d’échanges lumineux que j’ai eus avec l’une de ses présidentes, Kaltoum Gachi, et de la ligne résolument humaniste et universaliste de l’association, qui défend toutes les victimes de haine, sans distinctions. Le MRAP a par ailleurs été partie civile dans tous les procès dont a fait l’objet Éric Zemmour. Elle le sera aussi dans ceux qui seront intentés – à n’en point douter – à certains auteurs qui ont publié, ces derniers mois, un cale-porte chez Fayard (Coucou Ciotti et Bardella, entre autres).
Mon souhait le plus cher est de voir ce pied de nez repris par d’autres auteurs qui ont un jour été publiés dans les différentes entités de Fayard (Pauvert, Mazarine ou 1001 nuits). Je suis persuadé que par ces petites impertinences, nous pouvons, écrivains, artistes, nous muer en cailloux dans ces bottes décidément trop bruyantes.
Alexandre Galien