Édito du mois de mars : Rapport Stora : aux sociétés civiles de s’en emparer
L’historien Benjamin Stora a remis le 20 janvier dernier à Emmanuel Macron le rapport sur "les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie" que celui-ci lui avait demandé. Il y formule une trentaine de préconisations.
Dès sa publication, ce rapport a suscité controverses et débats tant en France qu’en Algérie mettant en lumière ses insuffisances et ses ambiguïtés ; les inquiétudes sont nombreuses sur sa portée et l’usage qui pourra en être fait. Les raisons du Président Macron sont certainement électorales et géostratégiques à un an de la prochaine élection présidentielle et dans un monde où le colonialisme "de papa" est discrédité.
Depuis la fin de la guerre de libération nationale menée par le peuple algérien, les États français et algérien ont entretenu le statu quo et bloqué toute possibilité de reconnaissance d’une histoire commune fondée sur le travail approfondi des historiens et de construction de mémoires partagées. Le rapport minimise l’ampleur des crimes – crimes de guerre et crimes contre l’humanité – commis pendant la période de conquête coloniale de l’Algérie et d’opposition à son indépendance.
Malgré ces limites, il peut être un point d’appui pour les sociétés civiles pour participer activement à l’écriture de l’histoire de la colonisation et de la décolonisation, exiger la reconnaissance explicite et officielle des crimes coloniaux et leur juste réparation. Cette voie ouverte vers la vérité historique doit inclure les points de vue des uns et des autres et estimer à leur juste ampleur les crimes. Elles devront aussi se saisir des questions liées aux séquelles du colonialisme en France, séquelles vécues en particulier par celles et ceux que l’on persiste à qualifier d’"issus de l’immigration", celles et ceux qui sont supposés être originaires des anciennes colonies françaises et qui sont victimes de racisme, de discriminations.
Les propositions du rapport restent insuffisantes même si les gestes symboliques proposés sont nombreux, certains de grande importance. Les décrets récents qui restreignent la consultation des archives en dépit des engagements du Président de la République légitiment des craintes sur la portée réelle de la commission "Mémoires et Vérité". La promesse du président de la République lors de sa visite à Josette Audin d’"une dérogation générale [ouvrant] à la libre consultation tous les fonds d’archives de l’État qui concernent ce sujet [tous les disparus de la guerre d’Algérie]" semble bien loin. Les débats autour de plusieurs projets de loi de ce début d’année 2021 qui visent, à mots à peine couverts, nos concitoyens d’origine maghrébine ont créé une atmosphère détestable et font craindre pour l’avenir.
Nous ne saurions nous satisfaire de belles déclarations du Président de la République comme celle du 26 septembre 2019 sur "Une France qui regarde son histoire en face et qui sut reconnaître ses responsabilités dans les heures les plus sombres… Une France qui assume son rôle historique de conscience universelle". Pour faire droit aux exigences de dignité et de justice, la reconnaissance explicite et officielle des faits historiques, la condamnation du caractère criminel de la colonisation, la désignation des responsabilités doivent être claires.
L’amitié entre le peuple algérien qui a tant souffert et le peuple français est à ce prix.
Augustin Grosdoy, co-président du MRAP
Paris, le 1er mars 2021