Critiquer la politique d’Israël est un droit
Trente-huit députés PCF et LFI ont proposé à l’Assemblée nationale une résolution « condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien ». Cette proposition a déclenché une violente polémique, sur les réseaux sociaux d’abord, puis dans les journaux, et enfin à l’Assemblée Nationale, avec des accusations d’antisémitisme, relayée dans l’hémicycle par le député Meyer Habib, puis plus grave par le ministre Éric Dupont-Moretti.
Le MRAP rappelle que l’expression antisémitisme est un délit et que cette accusation ne saurait être brandie de manière irresponsable dans des débats politiques. Si le Garde des sceaux est vraiment convaincu de l’accusation d’antisémitisme, il doit ordonner des poursuites ! Le MRAP condamne ces accusations qui profitent d’abord à l’extrême-droite.
Est mise en cause en particulier l’utilisation de l’expression « groupe racial ». Il convient de souligner que cette expression ne figure que dans les citations de textes internationaux, notamment de la « convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid » de novembre 1973 qui érige l’apartheid en « crime contre l’humanité » ou en commentaires de ces citations. Les signataires du projet rappellent aussi que le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, de juillet 1998, classe l’apartheid dans les crimes contre l’Humanité.
Les détracteurs de ce projet de résolution dénoncent son prétendu caractère antisémite, en réactivant ainsi la vieille assimilation « antisionisme = antisémitisme » « critique de la politique d’Israël = haine des juifs » : constater qu’Israël pratique une forme d’apartheid serait donc antisémite. Ils oublient que c’est la loi fondamentale israélienne de juillet 2018 qui définit Israël comme « État-nation du peuple juif » et précise dans son article 1 que « Seul le peuple juif a droit à l’autodétermination nationale en Israël ». C’est aussi oublier que la Convention européenne des droits de l’homme a reconnu que le droit de critiquer la politique du pouvoir israélien, y compris en appelant au boycott, relevait du droit des citoyens.
Le texte par ailleurs réaffirme clairement, comme le fait depuis toujours le MRAP, que la solution de deux États suppose la reconnaissance de l’État de Palestine aux côtés de celui d’Israël et invite le Gouvernement français à reconnaître cet État, conformément à la résolution de l’Assemblée Nationale portant sur cette reconnaissance adoptée le 2 décembre 2014.
Il faut rappeler que cette résolution « condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien » fait suite à la publication très remarquée d’un rapport d’Amnesty International sur « l’apartheid israélien envers le peuple palestinien ». Ce rapport « tend à la condamnation de l’instauration d’un régime d’apartheid par Israël à l’encontre du peuple palestinien, tant dans les territoires occupés (Cisjordanie, incluant Jérusalem Est, et Gaza) qu’en Israël et appelle à son démantèlement immédiat ».
Ce rapport a le grand mérite de documenter de manière précise les discriminations dont sont victimes les Palestiniens. Il traite de cette situation en référence à la convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid. Il fait référence à l’Afrique du Sud.
Cependant, pour le MRAP, l’usage du terme « apartheid », dans ce rapport comme dans la résolution parlementaire pose quelques questions. La référence à l’Afrique du Sud est une référence à un État et aux personnes qui en dépendent légalement. Certes la convention élargit la définition de l’apartheid puisqu’elle fait référence à « un régime institutionnalisé » (pas limité à un État). Cela permet au rapport de considérer globalement les Palestiniens uniformément comme victimes, qu’ils soient résidents d’Israël, réfugiés ou résidents de Cisjordanie et ou Gaza.
Mais cette globalisation occulte ce qui fait les spécificités de chacune des situations. Les non-juifs d’Israël (palestiniens ou non) vivent sous les lois de l’État d’Israël, dont ils sont citoyens discriminés ; pour eux on peut parler d’apartheid comme pour l’Afrique du Sud. Les exilés vivent sous les lois des pays dans lesquels ils sont réfugiés, qui ne les discriminent pas en droit en tant que Palestiniens. Les réfugiés des camps vivent sous l’autorité du HCR. Les habitants de Gaza et de Cisjordanie vivent sous un régime de blocus-occupation-colonisation « hors la loi ». Pour ces derniers, ce qui est premier c’est ce blocus-occupation-colonisation ; les discriminations-exactions qu’ils subissent sont un moyen et une conséquence de cette situation.
Cette globalisation peut être contre-productive pour la reconnaissance des droits individuels et collectifs du peuple palestinien dans la mesure où elle occulte ce qui est premier : l’expulsion-occupation-colonisation et laisse de côté la revendication fondamentale de reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien au regard du droit international.
Cette globalisation « unifie » les exactions de l’État d’Israël sur tout le territoire de la mer au Jourdain et peut même induire que tous les Palestiniens de la mer au Jourdain vivent sous le même « régime ». L’avenir serait donc celui d’un État unique où l’égalité des populations serait le combat à mener. Ce n’est actuellement ni la revendication du peuple palestinien ni l’état du droit international.
Le MRAP invite tous les militants solidaires du peuple palestinien à se saisir de ce rapport et de ce projet de résolution parlementaire pour en apprécier la portée et les termes, et faire pièce aux attaques illégitimes dont ils sont l’objet.
Le 6 août 2022,
Bureau National du MRAP