Monsieur le Président de la République,
L’Union européenne, et donc la France, viennent de conclure avec la Turquie un accord très largement qualifié par de nombreux acteurs associatifs, politiques, médiatiques de honteux. Le MRAP partage cette appréciation.
Juridiquement, nous notons d’abord que sa légalité quant au droit international est très contestable. Il contredit aussi bien la convention de Genève de 1951 que les traités européens concernant l’accueil des demandeurs d’asile. Ceux-ci ne permettent ni les renvois collectifs fussent-ils masqués par des procédures administratives complexes, ni les renvois des solliciteurs avant l’examen de leur demande. Encore moins vers un pays comme la Turquie qui ne satisfait pas aux dispositions de la convention de Genève, qu’il est donc absurde de qualifier de "pays sûr" et qui ne satisfait pas, l’Union européenne le dit par ailleurs, aux exigences d’un Etat démocratique.
Politiquement, il est particulièrement désolant et désespérant de voir l’Union euroépenne, avec plus de 500 millions d’habitants et le quart du PIB mondial, prétendre qu’elle est incapable d’accueillir quelques centaines de milliers de nouveaux résidents et demander à un pays qui, seul, en héberge plus de 2,7 millions, de contribuer encore à ce devoir international auquel elle-même se dérobe. Inclure une compensation financière ajoute une note sordide à l’accord Union européenne-Turquie qui n’est qu’un marchandage politique sur le dos des réfugiés. Ces 6 milliards seraient mieux utilisés pour organiser un accueil digne des réfugiés en question.
Humainement, comment l’Union européenne peut-elle continuer à prétendre promouvoir les Droits de l’Homme quand elle cherche avant tout à éviter de remplir ses devoirs par rapport aux victimes des guerres, des barbaries et des misères qui ravagent le monde, en Syrie mais aussi dans d’autres pays ? L’Union européenne a successivement échoué à mettre en oeuvre un accord visant à répartir équitablement sur son territoire les réfugiés arrivés sur ses côtes, puis elle a tenté de les confiner dans le pays où ils débarquent, la Grèce, engageant un processus de nouvelle fermeture de ses frontières. Enfin elle se propose de les renvoyer dans le pays qu’ils ont quitté au péril de leur vie ! Sait-elle encore qu’il ne s’agit pas de marchandises encombrantes, mais d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont atteint les limites de la souffrance ?
Le MRAP est convaincu, avec presque tout le monde, que cet accord, à supposer qu’il soit réellement mis en oeuvre, n’aura aucun effet sur la réalité du problème qu’il prétend traiter. Le nombre prédéterminé de personnes concernées, 72 000, est à la fois arbitraire et dérisoire. Les hommes et femmes qui cherchent désespérément un refuge continueront évidemment à risquer leur vie pour gagner (ou retrouver) un continent où ils espèrent pouvoir vivre.
D’autres solutions existent pourtant. Elles exigent un peu de courage politique. Et d’abord celui de ne pas encourager, mais de combattre les préjugés et les peurs qui envahissent une partie des populations européennes et françaises. Il faut affirmer, les capacités de nos économies et de nos sociétés à faire face à une arrivée finalement marginale de quelques centaines de milliers de réfugiés. L’Union européenne a les moyens d’accueillir immédiatement et dignement ces personnes et de les installer dans des conditions qui permettront soit leur retour quand elles le jugeront possible, soit leur installation définitive dans notre société qu’elles viendront enrichir. La France a déjà eu l’occasion de faire unt el effort en 1962 avec l’accueil de plus de 1 million de pieds-noirs et de harkis, en 1978 avec l’accueil de 130 000 boat-people.
Il faut remettre en cause des accords comme celui de Dublin, qu’avec beaucoup d’autres le MRAP critique depuis longtemps et qui s’est d’ailleurs révélé inapplicable et contourné ces derniers mois. Loin des dérisoires tentations de rétablissement de frontières internes fermées, l’Europe doit réaffirmer les principes de libre circulation dans l’espace Schengen. Elle doit ouvrir de nouvelles voies d’accès sûres et légales pour les réfugiés. Ces voies libéreraient ces populations errantes de la monstrueuse industrie du passage clandestin.
Cela nécessite une inversion des discours officiels, un travail d’explication et de conviction et un changement de politique migratoire en France et en Europe. La France en est-elle capable ?
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de nos respectueuses salutations.
Renée Le Mignot
Jean Claude Dulieu
Augustin Grosdoy
co-présidents du MRAP