8 février 1962 : Massacre à Charonne
Une chape de plomb s’abattra sur le crime d’État du 17 octobre 1961 qui sera remplacé dans la mémoire collective, par un autre massacre celui commis au métro Charonne, quelques mois plus tard le 8 février 1962.
Il faudra plus de 30 ans pour que des historiens, écrivains, cinéastes, militants déchirent le voile de cette « nuit portée disparue ». Aucun responsable de ce crime ne sera poursuivi pour celui-ci !
7 février 1962 : plusieurs attentats à la bombe par l’OAS sont menés en région parisienne au
domicile de diverses personnalités : deux professeurs de droit, Roger Pinto et Georges Vedel, deux journalistes, Serge Bromberger et Vladimir Pozner blessé grièvement, le sénateur communiste Raymond Guyot dont la femme est blessée. Celui visant l’appartement d’André Malraux à Boulogne-Billancourt blesse grièvement une fillette, Delphine Renard âgée de quatre ans qui perdra la vue, ce qui choque profondément l’opinion publique.
Des organisations syndicales et politiques se réunissent le soir du 7 février et lancent l’appel à une manifestation le 8 février :
« TOUS EN MASSE, ce soir à 18 30, place de la Bastille »
« Les assassins de l’OAS ont redoublé d’activité. Plusieurs fois dans la journée de mercredi, l’OAS a attenté à la vie de personnalités politiques, syndicales, universitaires, de la presse et des lettres. Des blessés sont à déplorer ; l’écrivain Pozner est dans un état grave. Une fillette de 4 ans est très grièvement atteinte. Il faut en finir avec ces agissements des tueurs fascistes. Il faut imposer leur mise hors d’état de nuire. Les complicités et l’impunité dont ils bénéficient de la part du pouvoir, malgré les discours et déclarations officielles, encouragent les actes criminels de l’OAS.
Une fois de plus, la preuve est faite que les antifascistes ne peuvent compter que sur leurs forces, sur leur union, sur leur action. Les organisations soussignées appellent les travailleurs et tous les antifascistes de la région parisienne à proclamer leur indignation, leur volonté de faire échec au fascisme et d’imposer la paix en Algérie. »
Le texte est signé des organisations syndicales CGT, CFTC, UNEF, SGEN, FEN et SNI. Le PCF, le PSU , les Jeunesses communistes, les Jeunesses Socialistes Unifiées , la Jeunesse Ouvrière Chrétienne et le Mouvement de la Paix s’associent à l’appel.
La manifestation est interdite et Maurice Papon donne l’ordre de la réprimer, avec l’accord du ministre de l’intérieur Roger Frey et du Président de la République, Charles de Gaulle. Les manifestants sont sauvagement agressés par les brigades spéciales de la police au carrefour du métro Charonne : ils sont matraqués, jetés à terre, refoulés dans la bouche de métro dont les grilles ont été fermées. Sur la foule entassée, les policiers jettent des grilles d’arbres en fonte, les manifestants sont pourchassés jusque dans les couloirs d’immeubles, les cafés. Tard dans la soirée on apprend qu’il y a des morts, 8 dont 3 femmes et un adolescent de 15 ans, 250 blessés dont une centaine grièvement atteints. Un mois et demi après succombe à ses blessures une 9ème victime. Les victimes : Anne-Claude Godeau, Fanny Dewerpe, Suzanne Martorell, Daniel Fery (15 ans) , Jean-Pierre Bernard, Edouard Lemarchand, Hyppolite Pina, Maurice Pochard et Raymond Wintgens .
Cinq jours après le drame, un million de personnes défilent dans Paris en direction du cimetière du Père-Lachaise pour manifester leur soutien aux victimes de Charonne .
Aucun policier ne sera poursuivi. Les enquêtes n’aboutiront pas. Le premier ministre renouvellera aussitôt sa confiance à Maurice Papon, lequel restera préfet de police de Paris jusqu’en janvier 1967. Le 17 juin 1966, une loi d’amnistie sera votée, couvrant les répressions des manifestations de 1961 (le massacre du 17 octobre 61 et celles de 1962, notamment).