Différences n°93 - septembre 1989 spécial Enquête d'identité

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Sommaire du numéro

n°93 septembre 1989 numéro spécial: Enquête d'identité [identité]

  • Editorial: qui suis-je?
  • Constante et variable: l'identité par Osiris Mangamba
  • Immigrés de tous les pays, repérez vous: entretien avec Jacques Hassoun psychanalyste par Kahene Khane
  • Identité française: les leçons de l'Histoire par Yves Lequin
  • Racines: le mythe par Marcel Durand
  • Aryen: détournement d'identité par Gilles Lagarde
  • Entre exil et royaume par René Gallissot
  • J'abandonne ma part d'héritage: « identité à la carte » de Maurice Rajsfus
  • Les pluriels français par René François et Geneviève Senée
  • Les armes de la Liberté (indiens d 'Amérique) par Robert Pac
  • Palestine: j'écris ton nom par Losfallah Soliman
  • L'homo sovieticus en crise par Anne Rodier
  • Comment peut-on être d'Islam par Claude Liouzu
  • Le rêve transnational entretien avec Armand Matelard par Cherifa Benabdessadok
  • Couples et métissages par Augustin Barbara
  • Les vieux dans tous leurs états par Laure Lasfargues
  • La culture d'abord (Antilles) par M. Giraud et C.V. Marie
  • Concert en prison par Souad Belhaddad
  • Cinéma: festival de la Rochelle par Souad Belhaddad
  • Regards croisés: table ronde autour de l'identité avec Leïla Sebbar, Fausto Guidicce, Ulysses Santamaria et Kristin Couper
  • Des citoyens à l'école par Mireille Maner


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Tél. : (1) 48.06.88.00 TARIFS le numéro spécial : 40 F le numéro mensuel : 10 F ABONNEMENTS 1 an : 10 nO mensuels et 4 nO spéciaux : 200 F 1 an à l'étranger: 300 F 6 mois: 120 F Etudiants et chômeurs: 1 an: 150 F 6 mois: 80 F (joindre une photocopie des cartes d'étudiant ou de pointage) Soutien: 300 F Abonnement d'honneur: 1 000 F DIRECTEUR DE LA PUBLlCA TION Albert Lévy REDACTION en chef: René François Cherifa 8enabdessadok Maquette/Secrétariat de rédaction : LA GRAF (Annette Lucas, Marina Da Silva) Iconographie: Joss Dray ADMINISTRATION/GESTION Marie-Odile Leuenberger ONT PARTICIPE A CE NUMERO Osiris Mangamba, Jacques Hassoun, Yves Lequin, Marcel Durand, Gilles Lagarde, René Galissot, Maurice Rajfus, Geneviève Senée, Robert Pac, Lotfallah Soliman, Anne Radier, Claude Liauzu, Armand Mattelart, Augustin Barbara, Laure Lasfargues, M. Giraud, C.V. Marie, Christiane Dancie, Michel Garcia, Souâd Belhaddad, Mireille Manner, Fausto Giudice, Ulysses Santamaria, Kristin Couper et Leïla Sebbar. Photocomposition: PCP 17, place de Villiers, 93100 Montreuil Tél. : 42.87.31.00 Impression: Montligeon. Tél. : 33.83.80.22 Commission paritaire nO 63634 ISSN 0247-9095 Dépôt légal: 1989-06 La rédaction ne peut être tenue pour responsable des photos, textes et documents qui lui sont envoyés. Couverture: Maya Masson o M M _,e]: Fi "':i il il"" iJ O:J !. 6 CONSTANTE ET VARIABLE: L'IDENTITE. Définition par Osiris Mangamba, Africain, mathématicien. 12 IMMIGRES DE TOUS LES PAYS, REPEREZ-VOUS. Entretien avec Jacques Hassoun, psychanalyste. 14 LES LEÇONS DE L'HISTOIRE, à propos de l'identité française, par Yves Lequin. 17 LE MYTHE. Contre-attaque aux arguments de l'extrême droite sur l'identité nationale menée par Marcel Durand. 19 DETOURNEMENT D'IDENTITE. Qui sont les véritables aryens? par Gilles Lagarde. 20 ENTRE EXIL ET ROYAUME. La question des communautés vue par René Galissot. PORTRAITS D'IDENTITE 24 J'ABANDONNE MA PART D'HERITAGE, de Maurice Rajfus. 26 LES PLURIELS FRANÇAIS. Regard photo sur diverses régions françaises. René François et Geneviève Senée. 31 LES ARMES DE LA LIBERTE. Reportage de Robert Pac sur les Indiens d'Amérique du Nord. 34 PALESTINE, J'ECRIS TON NOM, de Lotfallah Soliman. Suivi de textes poétiques de Mahmoud Darwich et Sara Alexander. ENQUETE D'IDENTITES A 1 R E 38 L'HOMO SOVIETICUS EN CRISE, par Anne Rodier. 40 COMMENT ETRE D'ISLAM, par Claude Liauzu. 42 LE REVE TRANSNATIONAL. Armand Mattelart interviewé par C. Benabdessadok. 48 COUPLES ET METISSAGES, d'Augustin Barbara. 50 LES VIEUX DANS TOUS LEURS ETATS, par Laure Lasfargues. 54 DOM-TOM: La culture d'abord, par M. Giraud et C. V. Marie. CULTURE 57 MUSIQUE. Concert en prison. Souâd Belhaddad. 58 LIVRES. Les rides du lion, d'Abdellatif Lâabi. Edmond Jabès ... 61 CINEMA. Tour du monde à La Rochelle. Christiane Dancie. 62 TABLE RONDE Autour de l'identité: Fausto Giudice, Ulysses Santa maria, Kristin Couper et Le·,la sebbar réunis par Chérifa Benabdessadok 66 DES CITOYENS A L'ECOLE (projet d'action éducative), traité par Mireille Manner. DIFFERENCES - N° SPECIAL - SEPTEMBRE 1989 3 Pompe. funèbre. Marbrer'e CAHEN & Cie 43.20.74.52 MINITEL par 'e 11 LES PIEDS SENSIBLES c'esll'affaire de SULLY Confort, élégance, qualité, D illérentes a besoin de vous. des chaussures faites pour marcher 85 rue de Sèvres Votre revue, faute d'un lectorat plus important, est menacée de disparition. Et pourtant, votre courrier le prouve, vous êtes attaché à Différentes. Vous aimez la qualité ode ses informations, la richesse de la réflexion qu'elle vous propose. Différentes est la seule revue qui privilégie la compréhension de la diversité culturelle. Faites la connaÎtre autour de vous. 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Suivaient les réponses platement quotidiennes qu'on imagine. Pour en découvrir de plus profondes, les générations successives mobilisent indéfiniment, selon les approches, la métaphysique et les théologies aussi bien que l'astronomie, la paléontologie, la biologie, l'histoire, la psychanalyse ou d'autres scien...... _ ces, sans oublier les multiples formes de l'occultisme. Se connaître, se définir: douteux débat avec autrui, avec soi-même. Comment analyser valablement, de l'intérieur ou du dehors, une existence en grande partie masquée ou inachevée? L'essentiel peut se révéler demain , L'identité d'un être humain, supposée constante, n'est-elle pas une illusion quand la vie suit son cours, avec ses soubresauts et ses contradictions, dans un contexte non moins mouvant. « On veut trop être quelqu'un », remarque Henri Michaux. Quoiqu'il en soit, cette recherche incessante ne relève pas que de la théorie. Pour les hommes, pour les peuples, l'affirmation d'identité se déploie plus souvent dans la douleur et dans le sang que dans la quiétude et le bonheur. Il suffit pour s'en convaincre, de penser aux drames encore afférents, après Pasqua, aux « papiers» qui la certifient, pourtant si peu explicites sur le quidam tenu de les présenter à toute réquisition. Qui suis-je? Bientôt pointe la fausse querelle de « l'inné» et de « l'acquis ». Elle sous-tendait, ces dernières années, la bataille sur la réforme du code de la nationalité: les jeunes issus de l'immigration restent-ils étrangers en vertu de leurs chromosomes (jus sanguinis) ? Ou bien l'expérience vécue, la culture où ils baignent depuis leur plus jeune âge fait-elle d'eux des gens 'de « chez nous» (jus solis) ? Fondamentalement, le racisme, dont on connaît les méfaits, relève de ce mensonge: chaque homme serait à jamais déterminé par le groupe « racial» dont il est censé faire partie, corps et âme, C'est la négation de l'individu, enfermé arbitrairement dans le corset des préjugés et des hiérarchies sociales qu'ils recouvrent... Cependant, depuis quelques années, la notion d'identité est de plus en plus invoquée pour faire valoir les attaches positives de l'individu à sa communauté historique, culturelle, ethnique ou religieuse. D'aucuns confondent à tort cette composante normale de la personnalité avec le repliement sur soi et le rejet de l'autre. De fait, il se trouve une infinité de combinaisons possibles entre un être humain et ses différentes appartenances. C'est quand l'une d'elles est bafouée, méprisée ou niée qu'il s'en réclame avec le plus de véhémence. C'est lorsqu'elle est reconnue qu'il peut le mieux s'ouvrir à l'universel. On pouvait le prévoir: dès lors qu'une idée juste et humaine - le respect de l'identité de chacun - gagne l'opinion, devient une force de progrès, elle se voit rapidement pervertie à des fins opposées. Les tenants d'une certaines droite, pas seulement « extrême », se posent en champion de l'identité nationale, européenne - ou occidentale - pour imposer l'image passéiste, sclérosée, qu'ils en ont. Tout ce qui est non conforme à ce mirage les plonge dans le désarroi et la fureur, leur inspire haine et violence, Contre une telle aberration, 1789, précisément, a forgé la démocratie, la laïcité. Chaque membre de la société doit pouvoir vivre selon ses convictions et ses goûts, à condition de laisser aux autres la même liberté, tout en prenant part, avec eux, à la politique de la cité. C'est du moins un principe proclamé ... En somme, cette « enquête d'identité », réalisée par Différences, signifie aussi conquête, combat. o 5 ENQUËTE 'identité, c'est ce qui définit, ce qui dure. Mais c 'est aussi le changement et ce qui autorise le risque du changement. L'égal, l'équivalent, le pareil et l'identique sont différents ••• Rien de plus simple puisque (a + b)2 a 2 + 2 ab + b 2 , quelque soit a et quelque soit b : vous ou moi. Joss Dray/A RIA , CONST NTE ET VARIABL-E D 1 T E CONSTANTE E T VARIABLE Osiris Mangamba, Africain, enseignant de mathématiques pose le problème des critères de délimitation de l'identité: culturelle, nationale, linguistique, éthnique, religieuse, de classe ou autre. ne définition formelle ne semble pas nécessaire pour comprendre le terme. Toutes les tentatives en ce sens (dictionnaires, encyclopédies, etc.) retiennent les idées suivantes: « Caractère ou état de ce qui ne change pas; principe d'identité

 principe fondamental de la logique traditionnelle,

selon lequel une chose est identique à elle-même (a est a) ». Ainsi en mathématiques, une identité est soit une égalité quasi tautologique du genre 2 2, soit une égalité vraie quelle que soit la valeur que prennent les variables. Par exemple, sI la lettre a représente un nombre susceptible de varier, la proposition a + a + 5 2a + 4 + 1 est vraie quelle que soit la valeur que l'on donne à a. Cette égalité est alors appelée une identité. En ce sens, on doit donc se garder de confondre identité avec égalité, ou avec équivalence. On retrouve donc, là aussi, l'idée de base de la définition générale rapportée ci-dessus, à savoir que l'identité correspond à ce qui ne change pas, puisqu'une grandeur qui varie par l'intermédiaire d'une variable est dite identique, lorsque (et seulement lorsque) sa valeur ne change pas. L'identité est ainsi considérée comme le caractère de ce qui ne change pas, c'est donc comme un caractère qui permet de distinguer des objets au sens général et neutre de ce terme, c'est-à-dire y compris par exemple les êtres, les personnes ou groupes de gens, etc. C'est par exemple le sens qui est utilisé en droit: l'identité d'un individu, notée sur une 8 L'identité d'un individu, notée sur une (( carte" est ce qui le distingue de tous les autres. « carte », est ce qui le distingue de tous les autres. L'identité apparaît alors ici comme la spécificité ou comme la caractéristique. Et elle est encore clairement distincte de l'équivalence. Pourtant, si cette conception « stricte» de l'identité peut aller sans problème en logique formelle traditionnelle et dans certaines disciplines qui l'utilisent, elle soulève des difficultés dans le domaine des sciences sociales. Nous partirons ici de la notion générale d'identité nationale, qui semble permanente. En quoi consiste-t-elle ? Y sont généralement rangés le territoire national, la langue, le mode de vie (au sens étroit), la culture au sens large. Il ne semble pas que le type physique des habitants soit important. Or tous ces éléments définissant l'identité nationale sont variables, et même leur conjonction donne une résultante variable bien qu'on puisse, il est vrai, y trouver une sorte d'invariant de base. Autrement dit, ce qu'on nomme identité nationale change tout en « restant le même ». Mais c'est cette contradiction apparente qui en permet justement la permanence. LE CHANGEMENT On a souvent insisté sur le fait qu'un pays comme la France actuelle, s'est formé, à travers des siècles d'histoire, par l'amalgame d'une grande quantité de peuples apportant chacun sa touche à l'édifice. A l'extrême droite, certains ont tenté de sceller une « pureté identitaire » originelle européenne. Ils entendaient montrer notamment, que le « melting pot» français actuel n'était que le résultat de dégénérescences récentes, de « lâche capitulations» devant les « barbares modernes» (arabes et nègres bien évidemment), barbares que certaines (la gauche) voulaient absolument intégrer dans la nation qui, de la sorte, perdrait sa pureté, son identité! Pour mener à bien ces travaux pour une nation comme la France, sans faire un détour par la Grèce et Rome, présentés comme berceaux incontournables de la civilisation occidentale. Dans ses « Leçons sur la philosophie de l'histoire », Hegel, qui pourtant, signe dans ce texte une sorte d'acte de naissance de ce qu'on appellera plus tard l'européocentrisme, note ceci: « L 'Histoire de la Grèce montre, à ses début, cette migration et ce mélange de tribus en partie autochtones; en partis tout à fait étrangères ... (1) ». Puis il ajoute: « .,. l'on n'ignore pas que les débuts de la civilisation se rattachent à l'arrivée des étrangers en Grèce ». Après avoir parlé du caractère assez mythologique des débuts de la Grèce tels qu'ils sont parfois racontés, il note: « D'un caractère plus historique que (les) commencements, est l'arrivée des étrangers: on rapporte comment les divers Etats ont été fondés par des étrangers; ainsi A thènes par Cécrops, un Egyptien dont l'histoire est plongée dans l'obscurité ... On cite encore Pélops de Phrygie, le fils de Tantale, puis Danaüs d'Egypte ; de lui descendent Acrisus, Danaé, Persée ... Importante surtout est l'arrivée de Cadmus, d'origine phénicienne, qui apporta, dit-on, les lettres de l'écriture; Hérodote dit de celle-ci qu'elle est phénicienne ... Grâce aux colons de la Grèce, les éléments importés et autochtones fusionnèrent (2) ». Plus loin, parlant de Rome, le même auteur note que « de naissance, Rome fut quelque chose d'artificiel, de contraint, sans rien d'originel ... Tous les historiens sont d'accord sur ce point que de bonne heure, déjà, des bergers erraient sous des chefs ça et là sur les collines de Rome. Le premier groupe qui se constitua à Rome fut un Etat de brigands et que non sans peine les habitants dispersés des environs furent réunis pour une vie commune. Par la suite, et pour être bref, notons qu'au moment de la décadence de l'empire romain, la cité sera prise successivement par des « barbares ». D'abord ce furent les Wisigoths conduits par Alaric, qui pénètrent en Italie en 401 (après Jésus-Christ). Les Vandales, venus de Pannonie au nord du Danube, Attila, les Ostrogoths puis les Lombards envahissent aussi l'Italie du Nord. Grecques ou romaines, les racines pures, originelles mises en avant sont donc un mythe. L'histoire de France, comme de tout autre pays présente des traits similaires. De tous temps, l'identité nationale apparaît comme changements et mutations. LA PERMANENCE Si le changement est ainsi partie intégrante de l'identité nationale, celle-ci n'est identité que parce que, précisément, elle présente en même temps, au travers des temps, une sorte de constante, une espèce d'invariant qui cependant s'adapte. Ainsi, si l'on peut parler d'un peuple germanique primitif, dont le peuple et DIFFERENCES - N° SPECIAL - SEPTEMBRE 1989 la nation allemande seraient l'héritier actuel, c'est à travers la dislocation de ce peuple primitif en tribus germaniques, puis la constitution de principautés aux dimensions diverses, suivie de la création du Saint-Empire romain germanique, de la re-création d'une langue allemande commune au XVIe-XVIIe siècles, puis l'unité allemande au XI Xe siècle, l'histoire de ces peuples est un mouvement permanent (d'ailleurs non linéaire) mais au travers duquel, par delà les vicissitudes, s'est toujours maintenu quelque chose comme la « germanité » de ces hommes et femmes. Il en est de même, mutatis mutandis, de la France depuis au moins Hugues Capet. Naturellement, cet élément de permanence étant lui-même historique, en tant que tel, il ne peut être considéré comme absolu. Autrement dit, toute conception de l'identité en sciences sociales, qui fait de ce concept un absolu, court le risque de se trouver face à de grosses difficultés. C'est ainsi que nous voulons entendre le mot de Hegel, pour qui « l'identité est donc, par elle-même et en soi, non-identité absolue (3) ». L'importance de ce point réside en ceci qu'il est en fait le noeud central de la polémique qui oppose en permanence, en France par exemple, les partisans de « l'ouverture» de la nation à tous ceux qui veulent et peuvent s'y intégrer (en gros la gauche) d'une part, et d'autre part les divers tenants du « chant du diable » dont la première phrase est bien le fameux couplet « Compagnons gardons la France pure» (en gros la droite) dont le mot d'ordre est de sauver 1'« identité nationale ». Mais Hegel, encore lui, s'en prenait déjà, non sans raison, à tous ceux qui « se raccrochent» de cette façon à « l'identité vide », ceux qui vont « ne répétant avec insistance que l'identité (a a) n'est pas la différence, mais qu'identité et différence sont deux choses différentes. Ils ne s'aperçoivent pas qu'en disant cela, ils admettent déjà implicitement que l'identité est quelques chose qui diffère: ne disent-ils pas en effet que l'identité diffère du différent? Puisqu'on est obligé d'admettre ce fait comme faisant partie de la nature de l'identité, il en résulte que, si l'identité comporte des différences, cela tient, non à l'intervention d'influences extérieures, mais à sa nature même (4) », c'est en réalité la nature même de l'identité, de comporter des différences. Autrement dit, parler d'identité suppose déjà parler de différences. Cela méritait d'être fortement rappelé ici, surtout par les temps qui courent en France. En examinant le processus de formation et de vie des société à travers l'Histoire, l'on est amené, pour répondre à cette question, à considérer un phénomène apparemment contradictoire, comme étant généralement à l'origine de l'apparition et du développement des problèmes d'identité. Une grande hétérogénéité d'un groupe ou d'une société, c'est une faible assimilation (faible ou insuffisante) ~ 9 ~ de ses composantes (individuelles ou par exemple ethnique, culturelle ou autres), et de l'autre, une tendance excessive à l'homogénéisation (assimilation souvent forcée), sont l'une et l'autre source de conflits d'identité. L'hétérogénéité pousse généralement chaque composante à une affirmation prononcée de son identité propre du fait notamment de la relative liberté dont elle dispose ; tandis que l'homogénéisation excessive (tendance à réduire sans mesure la spécificité de chaque composante) donne naissance à une sorte de rejet et conduit donc aux mêmes problèmes. Dès lors que la diversité est inhérente à l'identité, l'affirmation, dans le cadre de la diversité ne fait qu'exprimer, en quelque sorte, des identités constituantes de l'autre. En même temps, la tendance à réduire (sinon suprimer) ces identités constituantes de la totalité exprime d'une certaine façon la volonté de ne prendre en compte que « l'unité de l'identité ». Mais cette unité ne peut être absolue. Ainsi la politique assimilationniste de la France aux colonies prétendait intégrer les colonisés à « la nation française ». C'était dire qu'on voulait bâtir une identité « nationale» nouvelle. Celle-ci, dans le cadre d'un mouvement historique associant diversité et unité des différences, réussirait à fondre en un seul mot (au 10 Présentation de drapeau du 1er régiment de tirailleurs sénégalais, à Longchamp, le 14 juillet 1913. Ils recombattent pour la France en 39-40. moins à la limite) la France et des peuple d'Afrique, d'Asie, d'Amérique et d'Océanie, a priori parfaitement différents les uns des autres. En réalité, le caractère radicalement contradictoire de la démarche avec l'entreprise colonialiste était si évident qu'on tenta de contourner l'obstacle: les citoyens des colonies furent faits successivement « citoyens de l'empire, puis de l'Union française (après 1945), puis de la Communauté (1958) ». Mais jamais, dans leur ensemble, ils ne devinrent français. Tout simplement, sans doute, parce qu'ils ne pouvaient pas le devenir. Puis, devant le refus de reconnaître ces « identités éventuellement constituantes », ils l'exprimèrent plus radicalement, et enfin exigèrent la cassure: ce fut la lutte pour l'indépendance. Un peu analogue à cette situation, fut celle des nationalités dominées en Europe au XIxe siècle

Tchèques, Slovaques, Hongrois, Croates,

Serbes, etc., dans les empires comme l'Autriche-Hongrie et d'autres. Les tentatives de maintenir ces peuples sous le joug ne faisaient qu'exacerber leur volonté d'affirmer leur identité nationale qu'on s'efforçait de nier. Aujourd'hui, dans la quasi-totalité des pays d'Afrique noire par exemple, lesquels sont des communautés multiethniques où coexistent un grand nombre de nationalités improprement appelées « tribus », l'on assiste à la montée de l'affirmation des entités ethniques en tant que telles ; cette tendance se surperposant à l'affirmation de toute la communauté multiethnique dans le cadre de ce qu'on appelle non sans condescendance « les jeunes états indépendants » ... (5). Autre exemple: aujourd'hui en France, cohabitent, tant bien que mal, des chrétiens, des musulmans et des non-croyant; les uns français, les autres pas. Cette diversité induit évidemment des problèmes d'identité. D'une part, du fait même qu'elle existe; mais aussi du fait des difficultés d'assimilation, c'est-àdire d'une certaine « rigidité» que la société française « originelle» (mais aussi sans doute immigrée) oppose à l'intégration des communautés immigrées. Aussi, peut-on dire sans trop se tromper que les problèmes d'identité en France aujourd'hui sont à la fois inhérents à la nature immigrée de plusieurs communautés vivant dans ce pays, et à ce que nous appellerons (improprement certes mais par commodité) un certain dépit que certaines de ces communautés ressentent face au refus de leur reconnaître un statut auquel elles estiment non sans quelque raison avoir droit : être partie intégrante de l'entité française (c'est le cas des jeunes Beurs par exemple). Beaucoup de gens, parfois respectables, parmi les plus chauds défenseurs de « la nation française et de son identité millénaire », ne furent pas hier (il y a 50 ans) parmi les plus chauds défenseurs de cette nation et cette identité. Et cela à un moment où la question, décisive, qui se posait, était celle de la survie même de cette nation et de son identité. Le vaste mouvement de fond dont le signal le plus connu fut le sursaut gaulliste de juin 1940, ne se développa véritablement que par (et grâce à) la conjonction de deux éléments complémentaires

un élan patriotique en France, et

une vaste mobilisation de centaines de milliers de combattants dans les colonies françaises d'Afrique et d'ailleurs (dans « l'empire» comme disait de Gaulle). Soit dit en passant, il est vrai que l'épopée de Leclerc et sa 2e DB, pourtant partie de Douala au Cameroun vers le Tchad en recrutant des combattants dans toute l'ex-EAF, est depuis réduite, par une de ces transmutations dont l'Histoire regorge, à une affaire des seuls Français « pur sang ». Pendant donc que la nation et son identité étaient défendues dans ces conditions, les grands défenseurs actuels (c'est évidemment plus commode) de cette entité, ou leurs homologues de 1940, collaboraient souvent avec les nazis, ou au mieux, se soumettaient, et « ne faisaient pas de politique ». Aussi peut-on considérer que la question se pose, avec quel- , ::.\ N . " .. Si~'Iî,I"!le,,\:H\·.,!, TaHl,,: //"';::-' .' Nt",! ·4",,'~,ù.~Wn __ . . ", li ,~~T ,,' 't;l,le\-e, .. ,,! ,: 't~ ; f"ilt 'î{;'; gè ... ~""ll ,lu Xtoll$tllt'hlt ,. .•. ," • i .,,~" ., in!! :;";,~{4 " T.'îni, 1\i,/:""$ pl"I'k'IÜ;n: ,,',",i ...... l' ·~·~~ff·· que légitimité, de savoir qui, de ces gens-là ou des combattants coloniaux de 1914-18 ou 1939-45 (ou leurs descendants), a plus ou moins le droit de se réclamer de « l'identité nationale française ». De plus en plus, on entend dire en France que l'Europe (occidentale) est en quelque sorte à la croisée des chemins, et qu'elle est l'avenir de la France. Qu'elle doit se faire politiquement, et donc devenir une entité ayant une identité plus consistance qu'un simple Marché commun. Cette construction, si elle se réalisait, serait une nouvelle expression du mouvement qui, dans l'histoire et depuis des siècles, transforme l'identité des communautés humaines, tout en assurant également la permanence. Mais alors, quelle singulière contradiction, de la part de ceux qui admettent ce mouvement ambivalent (permanence de l'identité dans l'intégration constante des diversités) au niveau européen pour construire « l'identité européenne », tout en le niant au niveau de la France, en refusant (directement ou à travers de multiples restrictions) à ceux des immigrés qui le veulent, la possibilité de se réclamer de ce qu'ils estiment pouvoir revendiquer et assumer: l'identité française. • Osiris Mangamba Immigré, Africain et Nègre Enseignant de mathématiques (/) G. W.F. Hegel: Leçons sur la philosophie de l'histoire

Librairie J. Vrin, Paris, /987, 3' édition, page 174.

(2) Ibid., page /75. (3) G. W.F. Hegel: Science de la logique; Aubien Editions Montaigne, tome 3, Paris, 1971, p. 33. (4) Ibid., pages 33-34. (5) Les éditions l'Harmattan / 5-), rue de l'école Polytechnique, Paris 5') publient en semptembre 1989 une étude systématique de ces phénomènes, faite dans le cas du Cameroun, et intitulée Tribalisme et Problème National en Afrique Noire: le cas du Kamerun, par Elenga Mbuyinga. Environ 350 pages, 16 x 24. A 'fou!ous .' .• IDENTITE EN CARTE Depuis quand sommes-nous encartés? Cette question à mille francs mériterait d'aboutir au micro de Lucien Jeunesse qui se ferait probablement un plaisir d'apporter, au banco, les précisions suivantes: • 18e 11ge siècles. Voyageurs français ou étrangers sont tenus de porter lors de leurs prérégrinations un « passerport de l'intérieur » • • 1789. Dans sa phase ascendante, la Révolution reconnaît aux étrangers établis en France les mêmes droits que les français. C'est la citoyenneté qui prime sur la nationalité. • 1917/1920. Tous les étrangers doivent porter une carte d'identité. • 27 octobre 1940. Un décret instaure la carte d'identité pour les Français. Son port est obligatoire sous peine d'amende. • 1945. La carte d'identité des étrangers est remplacée par ne carte de séjour et une carte de , travail. • 22 octobre 1955. Un décret réglemente plus précisément ce papier administratif et le dénomme « carte nationale d'identité ». Ce survol en repères oblige à trois constats: 1) La carte d'identité a d'abord été créée pour les étrangers, consommant progressivement la confusion entre citoyenneté et nationalité que les révolutionnaires de 1789°savaient distinguer. 2) Le gouvernement de Vichy trouve en 1940 un dispositif administratif déjà bien avancé qui lui donne les moyens de faire porter aux juifs une mention spéciale et d'organiser ses rafles. 3) La forme et la valeur juridique de cette carte change en fonction des événements socio-politiques. Ainsi, la CNI perd tout caractère obligatoire dans les années 60 mais dès 1973 et avec le décret de 1974 sur l'arrêt de l'immigration, la police judiciaire peut garder à vue « toute personne dont il apparaÎt nécessaire d'établir ou de vérifier /'identité ».

Apposition de

/0 mention « ;uif » sur /0 carte d'identité. Loi du 11.12.49. Document « Dossier ;uif » nO 4. Editions SE.SNRA. 11 IMMIGRES DE TOUS LES PAYS Différences: Qu'est-ce qui favorise chez les jeunes nés de l'immigration l'émergence de troubles pathologiques ? • Jacques Hassoun : Ces jeunes vivent • dans la confrontation entre une culture dominante, la culture française et ses rudiments de culture parentale qui sont par ailleurs généralement mal compris et déconsidérés. Il y a de plus le regard de l'autre. Ce regard est toujours vécu comme une blessure. Ici deux grands types de possibilités se présentent: soit l'enfant va en rajouter du côté de l'étrangeté, soit il va essayer de disparaître c'est-à-dire de se fondre dans la masse. On m'a raconté à ce propos une blague que je trouve signifiante: un enfant, appelons-le t:l Ahmed, travaille bien en classe. Un jour, sa ~ maîtresse le félicite et lui dit: maintenant, tu Jacques Hassoun vas t'appeler Gilbert. Il rentre chez lui et annonce à sa famille qu'il porte désormais le nom de Gilbert. Sa mère lui donne une fessée, il récidive auprès de son père qui lui donne une raclée, idem de la part des ses frères. Lorsqu'il arrive à l'école le lendemain devant l'inquiétude de la maîtresse quant à son état, il explique: c'est une bande d'arabes qui m'a attaqué. D : La morale de cette histoire ? • J.H. : L'enfant se détache du groupe, • de son groupe d'origine. Le premier malaise naît du sentiment de honte. Alors que le père ou la fonction paternelle est de donner accès au symbolique, il y aurait là comme du symbolique abîmé. Et une partie des identifications de l'enfant va être comme désavouée. En second lieu nous rencontrons l'oubli de langue maternelle, ou sa pratique au titre d'une langue folklorique. La position de révolte par rapport à cette situation insoutenable mène à la guerre, à une guerre individuelle ou collective en bande. D : Ce qu'on appelle communément le choc de cultures est-il nécessairement problématique, entraîne-toi! obligatoirement des problèmes dans les processus d'identifications pour ceux qui le vivent de l'intérieur? • J.H. : Je crois très fermement que lors- • qu'on démarre dans la vie coincé entre deux cultures non seulement antagonistes mais dont l'une se présente comme étant la seule bienséante, on met des années à s'en sortir. On paie très cher ce passage : dans sa peau, dans sa vie professionnelle ou affective. Les Polonais, les Italiens, les Portugais ont connu le même sentiment de honte. Si par hasard, il y a du politique qui vient soutenir cette réalité, cela devient intéressant. Cela ne veut 12 Le fait d'être Arabe, Nègre, Juif ou Turc devient problématique lorsqu'il y a perte des repères d'identification. Jacques Hassoun * , psychanalyste et écrivain, montre l'importance de la transmi• S S•i on. pas dire qu'il faut uniquement s'étayer du politique ou de l'histoire. Mais force est de constater que les immigrations politiques, espagnole ou italienne ont souvent réussi à construire des repères pour leurs enfants. D : Le problème relève finalement d'une reconquête, personnelle, de sa propre histoire ... • J.H. : Oui, c'est très important de re- • prendre pour son propre compte l'histoire des parents et de tenter de la replacer dans sa propre histoire, dans sa subjectivité. Car les signifiants parentaux dans leur singularité ne sont pas indifférents. Ce n'est pas un mince problème lorsque une tension culturelle et politique vient aiguiser cette nécessaire rencontre. Parmi mes patients, nombreuses sont les femmes maghrébines ou orientales. Ce sont elles qui se posent le plus de questions, parce qu'elles sont obligées de faire un pas tellement grand, tellement important qu'elles sont amenées à brûler des vaisseaux que les garçons croient pouvoir épargner. Par exemple, elle sont tentées d'épouser un Français, de disparaître avec un nom patronymique passe-partout, ce qui suppose d'elles une rupture radicale avec la famille. Avec des deuils, bien sûr. Quand un père ou un grand-père meurt, il y a au début une réconciliation autour de cette mort, mais la culpabilité revient de manière monstrueuse, avec un sentiment de trahison très fort. La jeune fille semble ne pas pouvoir s'identifier ici à sa mère (ni comme femme, ni comme mère) alors se posent d'importants problèmes d'identification qui sont beaucoup plus complexes que l'identification masculine. D : Cette blessure vécue plus fortement par les femmes entraÎne-t-elle un désir d'affirmation plus grand ? • J.H. : J'ai entendu il y a peu de temps • un pasteur protestant, militant d'extrême gauche, rapportant les propos tenus par un père de famille maghrébin : « ma fille aînée est entrée à l'école supérieure de commerce, mon autre fille est en train de suivre les cours de l'école normale, l'autre s'est lancée dans la publicité, et mon fils est aux Baumettes ». S'il y a une part de vérité ici c'est que la démarche des femmes pour s'insérer dans le monde occidental comporte une telle radicalité qu'elles vont plus loin que les positions masculines. Remarquez que sur les listes des élections européennes en France, ce sont deux femmes maghrébines qui ont été élues. Il y a peut-être derrière ce fait de la démagogie pour ceux qui ont organisé ces listes mais pas seulement ! D : Le terme de « harki» me paraît particulièrment lourd à porter puisqu'il veut dire en arabe populaire du Maghreb «traître ». Quelles incidences ça peut avoir? Il J.H : Je connais quelques enfants de harkis dans mon entourage amical. C'est vrai que cette histoire leur reste en travers de la gorge. Quel statut ont-ils? Beaucoup inventent une saga: soit qu'ils étaient d'origine turque, et ce qui se passait en Algérie ne les concernait en rien; soit qu'ils étaient fidèles au peuple à travers tel ou tel bachaga, idéalisant ainsi le comportement tribal. C'est comme ça qu'ils peuvent se rattraper aux branches! Harki c'est d'ailleurs un terme qui a changé de sens. Au départ, harki signifie « membre d'un mouvement» (1). Et le harki est devenu membre du mouvement d'appui à la France, donc un traître. Or, de la même manière qu'en Allemagne, des mots de la langue ont complètement disparu comme par exem- Ji ~". ~ ~

"
.:_----- « Si t 'en as marre d 'a v oir le cul entre deux chaises ... prends un canapé. " Sma in.

REP E R E Z - V OUS 1 • pie le terme de « leibenborn » qui indiquait le lieu où l'on amenait de belles femmes blondes aux yeux bleus, polonaises, allemandes ou danoises qui servaient de prostituées et de mères porteuses aux SS blonds aux yeux bleus, alors que le mot « leibenborn » voulait simplement dire « source de vie », investi par l'idéologie nazie il fut à ce titre éliminé de la langue. Aussi, je pense que pour deux ou trois génération, le terme harki sera imprononçable, sinon comme une injure. C'est à ces « petits détails », si je puis dire que les enfants de la 2e génération sont confrontés avec force. D : Dans votre pratique psychanalytique avezvous constaté une évolution particulière des traits d'identification? • J.H. : Ces traits sont actuellement re- • dimés. On a moins honte d'être ceci ou cela. Les Noirs des Etats-Unis ont connu une évolution semblable. Dans une première phase on avait honte d'être Noir, on se décrépait les cheveux, on utilisait des lotions pour se blanchir la peau. Puis ce fut le « black is beautiful ». Et dans une 3e phase à laquelle on arrive aujourd'hui c'est « 1 am black, OK man », je suis Noir et alors? Pour ce qui concerne la France, je suis très frappé de voir les jeunes issus de l'immigration maghrébine s'éloigner de cette référence d'origine. Ils se considèrent de plus en plus comme Français avec un certain nombre de différences qu'ils commencent à prendre en charge. Le problème ne réside plus dans le fait d'être arabe, nègre, juif ou turc, mais dans la perte des repères. L'identification se soutient toujours d'une différence. Un trait ne se distingue que d'un autre. Si l'enfant perçoit les traits identificatoires des parents comme brouillés, la voie de la transmission est barrée. D. : Quels sont les facteurs qui favorisent ceux ~ qui arrivent à s'en sortir? ' ,. 13 ~ Il J.H. : Je cro,is q~e ,ceux qui s'en sortent ont reussl a ne pas prendre la totalité de la charge sur leurs épaules. La différence de générations a joué. Ils ont pu s'approprier quelques emblèmes parentaux tout en acceptant que ceux qui viennent de l'extérieur entrent en composition avec leur nouvelle culture. Si enfin on veut éviter l'alternative « se fondre dans la masse, ou être d'éternels exilés pris dans la nostalgie de ce que l'on n'a jamais connu », il faut poser la question de la transmission: qu'est-ce qui est transmis et comment repérer ce qui nous a été transmis? D : De quelle manière les relais de la transmission sont-ils identifiables? Il J.H. : Freud dit: « les éducateurs et les enseignants prennent le relais des parents ». Or, des éducateurs et des enseigants maghrébins, il y en a très peu. Pourtant, je crois, d'après mon observation personnelle, que les enfants maghrébins ont aujourd'hui des repères extérieurs, des lieux d'identification imaginaires. Le fait qu'il existe par exemple plusieurs radios arabes, plusieurs associations dont certains sont résolument laïques et/ou intégrationnistes, peut donner à penser que ce relais pourrait être pris et que soient rédimés les signifiants parentaux qui persistaient là comme abîmés. D. : Quel rôle assume la passion religieuse dans ce type de situation où le besoin de repère prend un caractère vital ? Il J.H. : Le rôle de la passion religieuse est semblable aux autres formes de la passion qui relève de la rencontre dramatique. Le saut dans l'imaginaire devient total, il mène au lieu même où quelque chose fait défaut, dans une relation à la fois de captation et de fascination. La passion religieuse vient, à bon marché, offrir à un jeune beur ou à un jeune juif ou à un jeune Iranien, ou à un Portugais ou à un Espagnol, la consolation, la notion de communauté qui lui manque et puis surtout une aliénation à une abstraction, qu'il imagine d'ailleurs comme une désaliénation. Il va lui-même s'aliéner à cette abstraction et il va aliéner cette abstraction à lui-même. Il s'empare de Dieu et en fait un être. En fin de compte, il devient esclave. Esclave de sa passion, exactement de la même manière que dans la passion amoureuse, où l'on est l'esclave d'un homme ou d'une femme. Dans la passion religieuse on est esclave de cette divinité et de ses adorateurs qui proclament : « vous êtes des hommes libres. On va vous fourguer la culture que vos parents n'ont pas eue, la dignité que vos pères n'ont pas pu vous transmettre ». Ces passionnés de Dieu ont des convictions absolues

cela représente pour certains d'entre

eux une manière aliénée de s'en sortir. Les combattre c'est entendre les reports profonds de leur fascination et poser le problème politique de leur aliénation .• Propos recueillis par Kahena Khane (1) mouvement karata (en arabe).

  • Dernier livre paru: « Les Passions intraitables

» Ed. Aubier. 14 IDENTITE FRANÇAISE LESLECONSD L'identité nationale française existe, fruit d'une histoire partagée dont Yves Lequin (1) tire les leçons : la capacité à accueillir, l'aptitude à l'évolution et au mouvement est une partie même de l'histoire de la nation française. a notion d'identité est devenue depuis quelques années l'un des concepts chéris des sciences sociales. Peut-être parce qu'il est suffisamment flou pour que chacun y trouve son compte. Il en va un peu de lui - sans nier sa validité - comme de la culture populaire en son temps: sa beauté est celle du mort ou du moins du moribond. Il est donc logique qu'une pensée qui lit la crise en termes de décadence annonce, à une décennie du millénaire, les dangers qui pèsent sur l'identité française. Parce qu'elle risque de se dissoudre dans une entité euroopinion publique, au moins aussi étrangers que ceux qui inspirent, aujourd'hui, le débat. L 'UNIFICATION On sait que c'est à partir du milieu du XIxe siècle que l'immigration étrangère prend en France un caractère de masse et rompt avec la traditionnelle mobilité des élites. Or les centaines de milliers de travailleurs qui vont s'installer, au gré de la conjoncture économique et politique, arrivent au moment même où achève de se constituer fortement l'identité nationale, dans ce XIxe siècle de la démocratie progressive, puis de la République: la vision eschathologique des historiens de la Troisième République, un Ernest Lavisse par exemple, n'est pas si erronée que cela. Voici donc un pays qui, à l'inverse d'une Espagne et d'un Royaume-Uni déchirés, d'une Allemagne et d'une Italie où l'unité est tout fraîche, est exempt de tout irrédentisme régional. C'en est fini de cet « ... agrégat de peuples divisés» dont parlait Mirabeau, avec quelque exagération, à la fin du siècle précédent et les derniers signes de la tentation séparatiste ont disparu avec les soubresauts du fédéralisme antijacobin. L'Etat moderne, monarchique puis républicain, achève d'unifier une nation dans l'homogénéité de son appareil territorial, animé par des fonctionnaires dont la mobilité, à l'échelle du pays tout entier, est gage d'une manière uniforme d'administrer. Partout sont les marques identiques du pouvoir, la mairie, le « palais scolaire », les statues des hommes illustres. La célèbre ligne Saint-Malo-Genève peut bien opposer une France du Sud, moins avancée, à la France du Nord, plus engagée dans la modernité: elle n'est L'HISTOIRE péenne dont on cerne malles contours? C'est une autre histoire. Surtout parce que les trente années qui viennent de s'écouler ont installé sur le territoire national des minorités suffisamment étrangères et des cultures suffisamment résistantes pour qu'en soit menacée l'identité même de la France, cette vieille construction pluriséculaire, dont Fernand Braudel vient de nous retracer la genèse. C'est un débat, me semble-t-il, qui repose sur deux idées reçues: celle qui considère l'identité nationale comme une donnée ancienne et sans retouches possibles ; celle qui oublie que depuis plus d'un siècle, elle a été assez forte en France pour absorber des éléments qui, sur le moment, apparaissaient, à une certaine que dans le regard des élites, et, au début du Xxe siècle, la nouvelle géographie vidalienne, en privilégiant la «région naturelle », d'abord définie par des paysages, fait fi de la tradition provinciale. Le marché intérieur s'unifie du réseau de ses chemins de fer et d'un appareil bancaire de plus en plus cen tralisé. LES PARTICULARISMES Quand l'historien américain Eugen Weber force le trait pour souligner la prégnance des particularismes provinciaux à la fin du XIXe siècle, il ne la fonde jamais sur l'existence de cultures originales assez fortes, ni assez dynamiques pour se poser en termes d'identité alternatives. Car avec la circulation accélérée des hommes et des biens s'achève aussi l'unification linguistique de la nation. En 1863, ils étaient 7,5 millions à ne pas parler le français dans la vie quotidienne; vers 1977-1 979, 79 070 des chefs de familles corses savent encore parler la langue de l'île et trois Alsaciens sur quatre le dialecte haut-allemand. C'est que, justement, la marche conquérante du français n'est pas forcément la liquidation des autres parlers. Ceux-ci connaissent même au C 'est par la différence et le divers que s'exalte l'existence. Vidor SegGlen (EsSGi sur l'exotisme}. XIxe siècle une étonnante renaissance. Mais les voies mêmes qu'elle emprunte, le souci d'en fixer les règles grammaticales et de leur donner le statut d'une langue écrite n'en soulignent que mieux un combat perdu d'avance, puisqu'il est mené avec plusieurs siècles de retard. Constituer les langues régionales, c'est en souligner les faiblesses et où reconnaître l'occitan, parmi les cent manières de dire en: Languedoc et en Aquitaine? L'essen- ' tiel est pourtant ailleurs, et Pierre-Jakez Helias de noter que le français, c'est d'abord une conquête pour le petit Breton; comme pour le futur commis des postes rouergal ou l'aspirant fonctionnaire corse: la clef d'une France de la modernité, celle des chances de promotion sociale et qui, tout entière, parle français. Peu importe qu'à la maison, on continue à s'exprimer en ce qui devient dialecte, voire patois. Avec eux, finit par s'estomper et pâlir la trace des entités provinciales dont la redécouverte est, elle aussi, cependant, l'un des traits dominants du XXe siècle à son zénith et sur un ton qui s'enfle dans l'entre-deux-guerres pour emprunter le langage de l'autonomisme politique, en Bretagne, en Corse, en Alsace et même au pays catalan. A vant de disparaître au lendemain de 1944, car les tenants d'un certain provincialisme sont parmi les vaincus de la Libération, après une dérive qui - sauf en Corse - les a menés de l'alliance avec l'extrême droite aux compromissions avec l'occupant. Dernier éclat des provinces ou simple effet ~ 15 ~ de la nationalisation du marché culturel ? On a vu que la fidélité populaire aux langues vernaculaires n'empêchait pas l'adhésion à l'identité nationale et à ses choix de société: de même, les «provinces» de la France contemporaine sont, sans doute, moins l'affirmation d'une autre identité que' la construction d'élites lettrées parisiennes à la recherche d'une légitimité; leurs peuples et leurs territoires deviennent alors de simples carrières, où l'on puise les matériaux nécessaires à la construction d'une image qui n'a guère, sur le terrain, de réalité. Et le régionalisme des années soixante sera d'une tout autre nature en traduisant plutôt la frustration née du dessaisissement de l'initiative économique au profit du seul Etat jacobin ou des décideurs parisiens. QUELLE INTEGRATION? C'est donc dans cette France où se joue, avec une force peu commune, l'intégration des cent peuples divers dont parlait Mirabeau, qu'arrivent les Belges, puis les Italiens et les Espagnols, en attendant les Portugais et les Maghrébins. Le « creuset français» joue d'abord sur les Français eux-mêmes; comment les étrangers n'y seraient-ils pas eux-mêmes entraînés? L'étrangeté des étrangers n'est pas, en effet, le discours de notre seul présent. A chaque vague nationale naissent les stéréotypes qui justifient leur caractère inassimilable et la figure répulsive de l'étranger s'élabore dès les années 1850, à propos de ces Belges qui cependant ne parlent pas tous flamand à Roubaix, où ils sont même un temps majoritaires, on se plaint de leur bigoterie, de leur tendance à vivre ensemble, de n'obéir qu'à leurs propres notables. Voici ensuite, plus fermement constituée, la figure de l'Italien, nonchalant et fanatique, ce « christo» marseillais, qui joue facilement du couteau, dans les années 1880. Tous traits que l'on retrouve, par une sorte de dérive du descriptif, quand on parle des Polonais dans les années 1920, des Espagnols dans l'aprèsseconde- guerre et, bien sûr, des Maghrébins d'après 1950. S'y ajoute cependant, on ne parle pas encore d'identité nationale, le concept de sauvagerie, lointaine récurrence de la notion grecque de barbares, et, dans les années 1920, de primitivisme, rassurant au départ - les travailleurs algériens ne sont-ils pas de grands enfants, étonnés et naïfs? - la crise des années 1930 va en inverser le sens, comme celle des années 1970, il est vrai que la dénonciation aussi, avec les peurs qu'elle charrie, dans ces taxinomies des qualités et des défauts qui suivent la guerre de 1914-1918 : le Belge est désormais paré de toutes les vertus, l'Italien est moins suspect, . quand le Polonais - qui vient d'arriver - est brutal, l'Oriental cauteleux et fourbe, le Chinois mystérieux et insondable. Cette France ivre de victoire n'est pas très sûre d'ellemême: ne va-t-elle pas perdre son âme de l'invasion du jazz et du tango, de la culture nègre et d'un cinéma dont le cosmopolitisme amène avec lui la pornographie et la révolution ? Un académicien se demande gravement s'il ne conviendrait pas de limiter l'apprentissage des langues étrangères si l'on veut sauver la culture française et l'on sait les diatribes d'un Robert Brasillach contre ce Paris-Babel où elle serait menacée de se dissoudre. A vrai dire, l'étrangeté de chaque nouvelle vague étrangère - qui vient bel et bien de plus en plus loin - masque l'aisance avec laquelle la précédente s'est fondue dans la communauté nationale. Le cycle belge, majoritaire jusqu'aux années 1880 ? Oublié, même des historiens ; si la seconde vague italienne des années 1920 est si fortement ressentie, c'est que la première, celle des années 1880-1910, n'a pas laissé de traces ; hors de leurs descendants, qui se souvient aujourd'hui des mineurs polonais de l'entre-deux-guerres ? On vient tout juste d'écrire leur histoire. Et sait-on qu'il est des Algériens et des Marocains nombreux dès les années 1920 qui, eux aussi, se sont évanouis dans l'ensemble de la population ? L'IMMIGRA 1ION MISE EN HISTOIRE En fait, l'arrivée d'étrangers en France s'est faite longtemps par un simple rallongement des chemins qui avaient d'abord amené vers ses villes et ses usines les provinciaux : les Belges ont suivi vers Paris les Picards et les Normands

les Italiens, Piémontais puis Romagnols

et Napolitains, les Savoyards et les gens des Alpes du Sud ; les Espagnols, ceux du Bassin aquitain, précocement saigné à blanc par l'exode rural. D'autre part, c'est l'ensemble du territoire, donc de la nation, qui en a été irrigué et les campagnes aussi: de 1920 à 1930, c'est grâce à 100000 Vénètes et Frioulans que renaissent la Haute-Garonne rurale et le Gers, les Belges ont repris les fermes normandes et les Italiens repeuplent l'arrière-pays niçois. Voilà pourquoi, aujourd'hui, l'histoire de l'immigration se déploie aussi rapidement parce qu'elle est aussi une partie de l'histoire de la nation française, d'un mouvement qui fond en un seul peuple, en même temps, provinciaux et étrangers, et selon les mêmes modes, à travers la diffusion rapide de modèles culturels et d'une expression linguistique qui, longtemps, furent d'abord les problèmes des seuls Français de souche .• Yves Lequin (1) Professeur, Yves Lequin a dirigé la publication de La mosaïque France, histoire des étrangers et de "immigration en France, chez Larousse. L'extrême droite entend défendre l'identité française. Entre crispation et mythologie, l'indigence de la pensée lepéniste s'étale. ébut janvier, le Front national lançait un cycle de conférences bimensuelles. Il s'agissait pour ses dirigeants d'une initiative de formation parmi d'autres, à une distinction près toutefois: largement ouvertes aux adhérents et aux sympathisants du mouvement, prononcées par des universitaires sous la coordination d'un pompeux Institut de formation nationale, ces conférences du mercredi soir se veulent « de haute tenue ». Quatorze séances ont ainsi fait le tour du thème de l'identité, choisi parce qu'il est, de l'aveu même de Bruno Mégret, délégué général du mouvement, « au centre de l'engagement politique du Front national ». Et d'ajouter, non sans fierté : «face au parti cosmopolite, nous sommes les champions du droit à l'identité ». En mai, ses efforts de mise en forme et de formation doctrinales entamés à l'automne connaissent un nouvel aboutissement avec la sortie du premier numéro d'une revue d'études nationales dont il est tout naturellement le directeur de publication; la rédaction en chef en est confiée à Jean-Claude Bardet, son ancien adjoint à la tête des Comités d'action républicaine et un vieux compagnon de route de la nouvelle droite (GRECE, club de l'Horloge). En dépit d'une petite rédaction qui ne compte que Régis Constant, Jean-Yves Le Gallou, Pierre Milloz et Georges-Paul Wagner, l'ours de cette revue n'a pas triste mine. Vingt-trois « personnalités» regroupées dans un « conseil scientifique» apportent leur caution à l'opération. S'y côtoient en bonne intelligence des universitaires déjà connus pour leur engagement au FN, tel Jean-Claude Martinez, Bruno Gollnisch, Abel Poitrineau ou Pierre Vial, mais aussi des figures marquantes des milieux de la nouvelle droite (Jean Varenne, ancien président du GRECE, et son acolyte en études indo-européennes, Jean Haudry) comme du maurassisme (Pierre Gouri nard) ou du traditionalisme catholique (Claude Polin, Claude Rousseau ou Jean de Viguerie). Peu importe que ces vingt-trois se retrouvent dans les vingt-cinq qui constituent le« comité de patronage» - vitrine de la revue. Ce n'est que pour mieux signifier l'importance accordée par Bruno Mégret à cette publication, DIFFERENCES - N° SPECIAL - SEPTEMBRE 1989 RACINES L E M Y THE conçue comme un « instrument du rayonnement » de son mouvement ainsi à même de prouver qu'il est bien « l'expression politique d'un véritable courant de pensée ». Quel titre pouvait donc mieux lui convenir que celui qu'elle s'est donnée: Identité? Car, bien audelà des propos de tribune et des textes programmatiques, il s'agit bien d'un thème central, véritable colonne vertébrale du lepénisme. Entre « hôpital» et « immigration », le Passeport pour la victoire, véritable ABC du lepénisme conçu pour édifier les masses à l'aube de la campagne présidentielle, notait à l'entrée « Identité nationale» : Celle« de la France est menacée par la crise démographique, la décadence du système scolaire, les idéologies qui culpabilisent l'affirmation nationale, la présence sur notre sol d'un nombre excessif et inutile d'immigrés appartenant à des sociétés "closes" et opposant leur racisme à l'assimilation qui est de règle dans la société française ». « L'identité de la France n'est pas un folklore quelconque, quelques habitudes de vie (béret basque, baguette de pain, comme dans les caricatures), quelques coutumes qui seraient de même valeur que toutes les autres. Le passé plus que millénaire et constamment créateur de notre pays a créé une culture, des habitudes de pensée et de sensibilité, de valeurs morales que tout Français à la fierté d'assimiler et de faire vivre. » Ces propos choisis, mûrement pesés pour en gommer toutes les aspérités, laissent à peine entrevoir l'importance dans le discours lepéniste de l'identification à une identité mythique. Certains discours de Jean-Marie Le Pen sont sans ambiguïté, le lien entre la terre et les morts est essentiel, l'appartenance à la patrie n'est vraiment acquis que « quand le sang et les os de nos pères ont commencé à en fertiliser le sol». Quoi d'étonnant qu'un tel discours valorise l'appartenance et la fidélité que l'attachement d'un Le Pen à sa maison natale de la Trinité-sur-Mer? Ce lien biologique qui t'onde plus sûrement que d'autres l'appartenance à une communauté identifiable est indiscible, il est aussi inviolable parce qu'immuable. Un postulat inavoué émerge tout de même qui fait du Front nationalle seul dépositaire de cette identité. Les autres partis politiques, regroupés dans la trop célèbre « bande des quatre », ne sont que les représentants du parti cosmopolite, des tenants du mondialisme et de l'indifférenciation. S'il est vrai qu'on ne se définit qu'en s'opposant, ~ 17 ~il faut bien reconnaître que ce n'est pas dans les textes et discours des dirigeants du Front national qu'il faudra chercher une caractérisation plus précise de l'identité française. L'orateur frontiste n'a pas de raison de s'en expliquer, il s'adresse à ceux qui communient dans la même identité, la communauté d'origine suffit à trouver un terrain d'accord. L'accent est plus complaisamment mis sur les menances qui pèsent sur celle-ci que sur ce qui la fonde. Dans une étude fo rt intéressante, un chercheur en lexicologie politique, Jean-Paul Honoré, précisait: « Pour le Front national, l'identité d'un peuple ne se construit pas, perpétuellement, dans l'échange. E//e a été fixée une fois pour toutes dans un passé quelque peu mythifié, et se confirme ou s'abolit dans l'affrontement. Chez les tenants de l'idéologie identitaire, l'étranger est donc une menace et adjuvant, un indispensable repoussoir. (1) ». En cela, la pensée identitaire trouve sa prolongation naturelle dans la pensée sécuritaire puisqu'il faut toujours faire face à une menace contre laquelle il est naturel de se défendre. La hiérarchie concentrique des cercles d'appartenance si chère à Jean-Marie Le Pen qu'il en tire une hiérarchie préférentielle (2) peut bien fonder autant d'identités superposées, il restera toujours une différence irréductible qui le séparera de la « barbarie ». Signe des temps, les dirigeants frontistes n'évoquent plus « l'occident chrétien» comme leurs prédécesseurs des années soixante, adeptes de la barre de fer. Tour à tour, ils se réfèrent plus volontiers à une identité française ou à des ensembles plus vastes où sont sensés s'incarner les valeurs spirituelles et morales (chrétiennes essentiellement) qui leur confèrent une valeur estimable: l'Occident parfois quand le péril étranger est communiste, l'Europe plus souvent. Actualité électorale oblige, les nombreux écrits sur cette entité méritent le détour pour ce qu'ils révèlent de la conception de l'identité à la mode lepéniste. « L'Europe c'est d'abord une réalité charnellefaite de terres qui se nomment Bretagne, Poméranie ou Toscane, Catalogne, Provence, Ecosse, Bavière, Péloponnèse ou Bourgogne. L'Europe, ce sont aussi des peuples, des nations, des patries, une histoire. »Pour Bruno Mégret (3), il ne fait aucun doute que « l'Europe existe d'abord en tant que communauté de civilisation. » Mais pas question d'aliéner les parties pour le tout. Dans un article voisin, Jean-Yves Le Gallou, l'ancien secrétaire général du club de l'Horloge, l'exprime sans détour : « L'Europe doit souligner ce qui la différencie du monde. » Elle « ne doit» donc « pas être un moyen d'abraser les différences, de niveler les peuples européens, mais au contraire un moyen de les protéger ». Bref, elle doit être, en caricaturant un peu, une fédéra- 18 tion de réserves indigènes. Chacun chez soi et tout ira bien, tel était déjà le message de la nouvelle droite, parfaitement formalisé dans un colloque du club de l'Horloge, en janvier 1988, intitulé « Antiracisme et identité» (4). La défense d'une identité prétendument française - prétendument parce que seuls les partisans du Front national peuvent s'y reconnaître et y communier, ne va pas sans revendication d'un droit. Ainsi, Jean-Marie Le Pen se montre parfois offusqué qu'on puisse lui reprocher d'attaquer sans cesse l'immigration : « Nous avons non seulement le droit mais aussi le devoir de défendre notre personnalité nationale et nous aussi notre droit à la différence », devrait-il répliquer un jour sur une radio en septembre 1982 (5). Sans doute, influencé par ses conseillers, de plus en plus nombreux en provenance des sphères de la nouvelle droite qui la première a su habilement négocier le virage, Jean-Marie Le Pen abandonne de plus en plus nettement ce que Pierre-André Taguieff appelle un « racisme d'assimilation» pour un « racisme d'exclusion » (6). L'accent est moins mis sur « l'infériorité des "indésirables" que sur sur "leur supposée différence irréductible, leur identité inassimilable ». Que celle-ci soit culturelle ou biologique, il s'agit des diverses facettes d'un même racisme différentialiste. Mais dans l'affirmation d'une identité une, le Front national n'a rien d'un champion de cohérence. Les nécessités de l'action politique l'obligent à adopter implicitement une conception constructiviste et donc évolutive de l'ordre social qui seul donne sens à son action - si je ne peux rien changer à l'ordre du monde, à quoi me servirait-il d'agir? Or, cette position est intellectuellement inconciliable avec la revendication d'une identité mythique. Reste à conclure à l'indigence de la pensée lepéniste qui souffre en son sein l'existence d'une contradiction, impensable dans le cadre d'une pensée identitaire, à moins que la référenc~ constante à une identité française indéfinie ne soit qu'une mystification volontaire . • Marcel Durand (1) Jean·Paul Honoré. Les Temps modernes, avril /985. Jean·A/arie Le Pen et le Front national (Description et in· terprétation d'une idéologie identitaire). (2) C'est un camaïeu de nuances qui part de ma personne, de ma famille vers ma commune, ma communauté de travail. ma communauté communale, provinciale ou nationale, Les Français d'abord, p. /68. (3) Identité, mai· juin /989, L'Europe: identité et puissance, p. 12. (4) Cf. les comptes-rendus de ce colloque dans Différences, mars /988 et Article 31 (BP 423, 75527 Paris Cedex JI), février /988. (5) Pour l'analyse de cette reprise du « droit à la différence », voir Pierre-André Taguieff, « La métaphysique de Jean-Marie Le Pen» dans Le Front national à découvert, Presses de la fondation nationale de sciences politiques, p. /82; ou encore du même auteur La force du préjugé, La Découverte, p. 337. (6) Pour plus de détail sur l'analyse que nous résumons ici, on se reportera avec profit à son article « L'identité nationaliste », Lignes, nO 4, octobre /988, p. 14 à 60 et surtout p. 23-24. DETOUI RNEMENT D'IDENTITE Le nazisme et ses thèses racistes s'appuyaient aussi sur une mythologie identitaire à base de falsification. Voici les vrais aryens. es nazis prétendaient distinguer les «Aryens» et les «nonAryens » : ils se sont servis de cette distinction supposée scientifique pour discriminer, puis massacrer ceux qu'ils appelaient « non-Aryens ». Ce triste temps de racisme généralisé est déjà loin de nous. Et pourtant n'entendons-nous pas parfois dans la bouche de l'un ou de l'autre ce mot d'« Aryen» et « non-Aryen» employés, innocemment ou non, dans le sens même où l'entendaient les nazis. Plus grave, il semble que certains, aujourd'hui où renaît le racisme, se réfèrent, sous couvert de pensée profonde et originale, à quelque vertu de la race qui n'est pas sans rappeler celle que les nazis prêtaient à la race « aryenne », et s'ils n'osent pas peut-être prononcer le mot, ils l'ont sur le bout de la langue. Il importe donc de savoir ce qu'il signifie exactement, car savoir ce que parler veut dire, c'est démasquer les faux-semblants, dissiper la mystification, c'est combattre le danger. Ce ne sont pas les nazis ni leurs inspirateurs qui ont inventé ce terme d'« aryen ». Il appartient à une haute antiquité et il a un sens bien précis sans aucun rapport avec celui qu'ils lui ont donné. « Je suis Aryen, d'ascendance alyenne », dit un vieux texte. Qui parle ainsi? C'est Darius, roi des rois, qui régna sur l'empire perse de 522 à 486 avant J .-c. Cette affirmation se trouve dans les inscriptions qu'on peut encore aujourd'hui voir sur les pierres de son palais de Suse et sur une falaise près de Persépolis. Mais lisons toute la phrase: « Je suis Darius, grand roi ... , achéménide, persefi/s de Perse, Alyen d'ascendance alyenne ». C'est, en quelque sorte, la carte de visite du roi, une carte de visite solennelle. Il se présente; il donne son nom, celui de sa famille (Achéménide), sa nationalité (Perse), et aussi son appartenance à un ensemble plus vaste que celui des tribus perses, l'ensemble aryen. Qui donc étaient ces gens qui se disaient Aryens? Bien des siècles avant Darius, vers le milieu Jeune Iranienne. Descendante des Aryens qui se sont installés sur le plateau iranien. ou la fin du deuxième millénaire av. J.-c., des peuples nomades se répandaient dans le nord de l'Inde et sur le plateau iranien. Ils parlaient des idiomes très proches les uns des autres qui constituaient l'un des rameaux de la grande famille des langues indo-européennes, c'està- dire que la langue de ces peuples qu'on appelle « Indo-Iraniens » (du nom des pays où ils se sont établis) était apparentée à celles d'autres peuples qui envahirent l'Asie mineure et l'Europe, les Hittites, les Arméniens, les Grecs, les Slaves, les Germains, les Celtes, les Italiotes, etc. Ces Indo-Iraniens se désignaient eux-mêmes du nom d'arya« aryen ». D'où venaient-ils? On ne sait trop: d'Ukraine, d'Asie centrale ou, peut-être, de Sibérie septentrionale. En tout cas ils avaient certainement parcouru beaucoup de chemin et erré dans diverses directions depuis qu'ils s'étaient séparés des autres peuples indo-européens. Leur langue s'était déjà bien différenciée et ils avaient eu le temps d'acquérir des caractères propres qui en faisaient un peuple bien distinct de ses congénères. Seuls ils se disaient Aryens: ce nom n'a jamais été porté par aucun des autres peuples de langues indo-européennes, Slaves, Celtes, Germains ou autres. Ces Aryens se sont donc installés dans le nord de l'Inde et sur le plateau iranien. Ils s'y sont mêlés aux populations indigènes, qui ont fini par adopter la langue de leurs conquérants. Dans le sous-continent indien, plus de la moitié du pays parle des langues dites encore« in doaryennes », hindi et ourdou, bengali, mahratte, etc., (que cette dénomination distingue des autres langues de l'Inde, notamment des langues dravidiennes, parlées dans le sud). C'est là que se sont développées la civilisation brahmanique et la prestigieuse littérature sanscrite. Sur le plateau iranien les descendants des Aryens, mêlés aux anciens habitants, se sont divisées en divers groupes ethniques qu'on voit paraître dans l'histoire, Perses, Parthes, Sogdiens, etc. Ils forment aujourd'hui la nation iranienne, mais aussi le peuple kurde, le peuple afghan, le peuple baloutche. Ils ont produit la brillante littérature persane. D'autres Aryens cependant, proches parents de ceux qui envahirent l'Iran, n'y pénétrèrent jamais, mais continuèrent à nomadiser dans les steppes d'Asie centrale et du nord de la mer Noire. Ce sont eux, ou certaines fractions d'entre eux, que les historiens grecs et latins désignent sous les noms de Scythes, de Sarmates, d'Alains. Ces derniers gardent dans leur nom le souvenir des anciens Aryens, car alain vient de aryana, qui n'est qu 'un dérivé d'arya. Des tribus d'Alains ont participé aux grandes invasions barbares de la fin de l'antiquité. Certains d'entre eux ont fini par s'installer loin en Occident, jusqu'en France. Les localités d'Allainville et d'Allaines, sur l'autoroute d'Orléans, leur doivent leur nom. Elles perpétuent donc obscurément le souvenir des Aryens, mais c'en est vraiment dans notre pays le seul vestige. Il reste pourtant des Aryens un autre vestige onomastique, mais en Orient. Car le nom d'Iran, aujourd'hui si familier à tous, n'est luimême qu'une forme du vieux nom des Aryens: il vient d'aryânâm qui veut dire« [le pays] des Aryens ». En somme s'il y a aujourd'hui des gens qui pourraient à bon droit, si par hasard cette lubie les prenait, revendiquer le nom d'Aryens, ce sont les Persans. Mais, Dieu merci, ils sont à cet égard raisonnables. Les Aryens appartiennent à l'antiquité et leur nom ne saurait aujourd'hui s'apPliquer à personne . • Gilles Lagarde RACISME? .. ~~ -' ' : :: '1- .-~O : -.:'\ .. mRIP .......... : 36l5tapermrap 19 ENTRE EXIL ET ROYAUME C'est dans la communauté que se jouent les problèmes d'identité. La collectivité est constituée de .réel et d'imaginaire. René Gallissot (1) tente de distinguer l'un et l'autre. e mot « communauté» ne peut s'employer qu'en le rapportant à des relations réellement existantes. La communauté globale n'existe pas. Il existe des communautés, des fractions de population dont il faut manifester les liens. Ils peuvent être d'ordres divers; ils relèvent aussi de l'imaginaire. Chaque communauté se donne un mythe de référence. C'est là que se jouent les problèmes d'identité. La collectivité imaginaire peut être constituée par l'Islam, l'arabisme, le judaïsme, l'Europe, etc. En présence d'affirmations communautaires, il faut distinguer ce qui appartient au système d'échange, aux relations qui créent effectivement des groupes, et ce qui est projection imaginaire. L'image de la communauté est souvent présentée sur le mode mysticoreligieux ou sur le mode de la parenté. On imagine que les membres de telle ou telle communauté ont des liens quasi charnels ou mystiques. Parfois, on va si loin dans cette croyance qu'on racialise les liens communautaires et l'on passe à une compréhension raciste. SOUS L'INSULTE, LE DRAPEAU L'urbanisation a créé des lieux de développement et de rencontre des migrants, dont les relations sont d'abord des relations d'habitation et de travail, mais qui sont marqués aussi par des rapports interethniques. Dans ces zones urbaines, il se produit des réactions et des projections communautaires. On donne, par exemple, aux groupes migrants, une appellation par leur religion ou par des sté- 20 réotypes. En les traitant ainsi, on les discrimine, on les distingue. On les identifie comme une catégorie à part pour ne pas leur reconnaître leur nationalité ou pour leur dénier leur qualité de Français. Les migrants peuvent se saisir de cette discrimination qu'on leur assigne pour en faire une revendication. Les deux choses marchent ensemble. Ils sont discriminés et ils se projettent comme revendiquant leur appartenance communautaire. Ils défendent les intérêts de la communté, et luttent pour l'égalité à partir de cette identification. La communauté sert donc à la fois à être assigné à un rang inférieur, ou à une localisation urbaine dévalorisée, ou encore à un groupe politiquement sujet à caution (y compris à l'échelle mondiale comme le cas des Il yale risque de voir s'instaurer des tendances à la fermeture au nom du respect des pratiques communautaires. chiites) et à se revendiquer par réaction. N'oublions pas que pendant la guerre d'Algérie, on n'appelle les Algériens ni Algériens ni Français, on les appelle précisément immigrés. C'est pour les Algériens impossibles à nommer qu 'on a généralisé l'appellation d'immigrés. Auparavant, elle servait à désigner la main-d'oeuvre étrangère au sein du mouvement syndical et communiste. Elle concernait plus particulièrement ceux qui avaient participé à la Résistance sous le sigle de la MOI (Main-d'oeuvre immigrée). PORTE-PAROLE OBLIGES Pour qu'il y ait revendication communautaire, il faut que se manifestent des porte-parole. Le phénomène le plus fort à l'heure actuelle, c'est la présence de deux intelligentsias dans les communautés de l'immigration. L'une a émigré: des étudiants viennent poursuivre leurs études en France, mais ils ne peuvent plus retourner dans leurs pays parce que les anciens étudiants qui occupent les postes leur bloquent les possibilités de promotion. L'intelligentsia migre plus facilement, c'est relativement son privilège du fait qu'elle possède un capital-savoir. L'autre intelligentsia se constitue dans la seconde génération scolarisée qui est en partie en état de promotion par l'école. Y compris les filles qui ont une double raison à la promotion par la voie de l'école. Si bien qu'émerge actuellement une intelligentsia issue de l'immigration. Ces deux intelligentsias se retrouvent pour animer le mouvement communautaire: Tunisiens, Marocains, Algériens surtout du fait du nombre et des relations canalisées en France et en Algérie par un passé colonial particulier. L'intelligentsia donne l'encadrement des groupes, elle se reconnaît généralement mal dans les forces politiques traditionnelles et dans les syndicats; ce phénomène fournit des porteparole qui vont demander à être reconnus comme les représentants de telle ou telle communauté. Ils font, de ce fait, passer la communauté réelle (qui repose le plus souvent sur une concentration géographique) à une revendication de représentation; il se servent des références communautaires pour être des représentants. Cela pose des questions politiques s'il s'agit d'institutionnaliser la représentation communautaire dans un Etat pluraliste de tradition jacobine et assimilatrice. On peut se demander si le développement des communautés n'est pas paradoxalement un moyen d'intégration. Si précisément, cette demande communautaire de reconnaissance n'est pas d'abord un outil privilégié pour les revendications d'égalité et la conquête des droits, dont le droit de vote mais pas uniquement. Dans ce cas-là, l'identification communautaire ne remplit pas seulement une fin communautariste, mais assure une fonction d'association, de lutte sociale et politique. Cela appartient à la vie associative et non plus à la mythologie communautaire. Le déploiement de la vie associative est, à mon sens, un véritable moyen d'intégration puisque lieu de conjonction sociale dans les quartiers, régions et à l'échelle nationale. Néanmoins, ces communautés fonctionnent comme les autres communautés historiques: rurales, nationales ou religieuses, par exemple. C'est-à-dire au consensus imposé, destiné entre autres, à cacher les conflits internes. Il y a là une sorte de jeu de cache-cache entre l'imposition de normes communautaires, à l'égard des femmes en particulier, et les luttes pour l'égalité. L'aspect potentiellement aliénant de toute communauté c'est le fonctionnement à l'unanimisme à usage de présentation extérieure et à usage d'imposition du silence à l'intérieur. Dans cette espèce d'actionnariat de communauté, il yale risque de voir s'instaurer des tendances à la fermeture au nom du respect des pratiques communautaires. Les communautés fonctionnent en reproduisant, voire en durcissant des hiérarchies de pouvoir par ceux qui ambitionnent d'en être les propriétaires. Dans la représentation communautaire, il yale vice de la propriété. La bataille pour les radios libres est à ce titre très sensible. Il y a donc des fermetures partisanes et des particularismes imposant des pratiques de pouvoir, mais ce qui frappe aujourd'hui c'est suis citoyen fronfals, républicain sans réticence. Chrétien devenu évêque, fafonné por 10 culture de mon pays et ottaché ilia terre des Droits de "homme. Cet enracinnement me permet de devenir citoyen du monde. Mon village ,'est la planète. La solidarité n'a pas de frontières. J'apprends Il devenir frère de tous les hommes. La rencontre des peuples, le choc des cultures me révèlent ce que je suis. Jacques Gaillot, Evêque d'Evreux que la fermeture n'est plus possible. L'éclatement et la diversification d'une culture urbaine est un élément fort, cette culture ne peut plus être nationale. Cette espèce de polyvalence culturelle qui se développe implique des modes culturels qui viennent du monde entier. La culture urbaine est transnationale et générationnelle. Elle partient en propre à la génération qui la fabrique. Elle est, bien sûr, bricolée, mais elle est moins enfermée dans les particularismes ou dans ce qu'on appelle les spécificités culturelles. Il paraît de plus en plus simpliste de parler de deux cultures ou des conflits entre tradition et modernité. Il y a, en fait, des conflits de génération, des conflits sociaux dans la constitution de cette culture jeune, urbaine, qui est à la fois plurielle et commune. Ce qui est plus grave, c'est l'inégalité dans l'accès aux biens dits culturels et plus globalement aux biens sociaux. On peut même se demander si les exclusions les plus fortes ne tiennent pas à l'accès ségrégué à cette culture transnationalisée qui vous donne par exemple des télévisions à deux ou trois niveaux. Il faut analyser cette stratification, et non plus poser le problème en termes de conflits de cultures, de surcroît trop facilement réduites à la religion. • René Gallissat (/) Historien, directeur du laboratoire Chryseis/lresco/ CNRS spécialisé dans l'étude des relations interethniques et des nouveaux mouvements sociaux, auteur de Misère de l'antiracisme, Arcan/ère, 1985. 21 ndiens des Etats- Unis, Juifs fran- - ~ais, peuples d'URSS, provinces ca: Gros plan sur des visages .~ 'cde Palestine, " '-""" de France, Palestiniens, immigrés en France, l'enquête d'URSS et ~ de France de terrain ne peut que l'objectif photo a relié être que parcelautour de leurs luttes laire. Voici donc quelques instantanés des facettes identitaires de quelques-uns et de quelques autres. o D , DE N T 1 T É 22 23 , E M 0 G N AGE J'ABANDONNE MA PART D'HERITAGE Dans « Identité à la carte» (1), Maurice Rajsfus déconstruit une image trop · souvent « représentative» des juifs de France et nous révèle là son identité propre. Extraits. Nous avons fui pendant des siècles. Avec au coeur la crainte de la populace, la peur atroce des soudards. Bien souvent, c'était la mort horrible d'hom- ............ - mes, de femmes et d'enfants, de vieillards affolés mais déjà résignés à leur sort. Le plus souvent, il n'était même pas question de se battre. L'envisager relevait de la folie pure. Il fallait subir. Dieu était encore là pour décider ce qui était bon pour le peuple juif et la prière devait faire oublier la morsure du fouet et le froid du couteau. Sous l'oeil bienveillant des autorités, des émeutiers sûrs de l'impunité pillaient les maisons et les pauvres commerces, les échoppes des artisans. Il n'y avait pas de refuge et la survie se jouait au hasard de la direction que prenait le flot déchaîné. Il n'y avait pas de recours non plus. Rien que la haine ou l'indifférence. Nous tentions de survivre, d'une ville à l'autre, cherchant vainement un lieu où le Juif ne serait plus montré du doigt, chassé à coups de pierres ou de bâton. Au bout du chemin, il y aurait, c'était certain, la Palestine céleste et cette certitude confortait peut-être ceux qui risquaient leur vie au gré des colères de populations qui voyaient la solution de leur propre misère dans la chasse aux « assasins de Jésus ». Nous avons été ballottés d'un pays à l'autre, conditionnés, façonnés par les persécutions, les interdits et les obligations. Il y avait souvent la mort assurée, sans raison. Il fallait craindre les conversions forcées, les rapports haineux avec la po pula- 24 ce, entretenus par les prêtres, la police et l'armée. Les accusations de crime rituel étaient fréquentes et se terminaient en cauchemars sanglants. Nous nous sommes adaptés au fil des siècles, confinés dans des activités particulières, interdits de séjour en certains lieux, contraints jusque dans nos habitudes vestimentaires. Dans ces conditions, on ne pouvait que nous reconnaître, nous utiliser à l'occasion, nous chasser ou nous assassiner. Rendus méfiants mais dans le même temps cauteleux et durs en affaires, nos ancêtres se sont repliés sur une vie communautaire obligée où seule la prière pouvait permettre une évasion temporaire. Chétifs et pâles à force d'étudier la Loi divine, nous prenions note pour les siècles à venir des articles d'un Code de conduite indispensable à notre survie. Pourquoi dire « nous », alors que je fais partie de ceux qui ne se sentent plus tellement concernés par le judaïsme? Il n'est pas possible d'oublier les persécutions, les bûchers de l'inquisition, les expulsions, les pogromes qui d'Ouest en Est ont ensanglanté l'Europe, depuis le Moyen Age jusqu'au début de ce siècle, avant de se transformer en massacres scientifiques au cours de la Seconde Guerre mondiale. Lorsqu'au cours de l'enfance on a entendu relater les exploits de ces hordes hallucinées, tuant un juif comme on écrase un animal malfaisant, puis que l'on a vécu personnellement ces horribles tourments, que l'on est donc certain qu'il ne s'agit pas de légendes, faut-il pour autant retrouver ces croyances ancestrales qui n'ont guère servi de remède contre le déchaînement de la barbarie? Nombreux sont ceux qui ne sont pas loin de penser que l'existence de l'Etat d'Israël constitue la juste récompense des souffrances endurées au cours des siècles. C'est d'ailleurs dans cet état d'esprit que l'Assemblée générale des Nations unies devait décider de la partition de la Palestine en novembre 1947. (Cette compensation, apparemment généreuse, ne tenant aucun compte des réalités locales.) Bien sûr, pour les juifs orthodoxes, c'était là une hérésie car le retour en masse vers cette palestine de rêve, tellement magnifiée dans les prières - L'An prochain à Jérusalem - ne pouvait que dépendre de la venue du Messie qui devait annoncer les Temps nouveaux. Il a bien fallu que le rabbinat s'adapte à cette nouvelle conception de l'histoire juive, sous son éclairage religieux. D'ailleurs, il n'y a plus guère que les attardés de Méa Shearim (2) pour protester violemment contre l'existence de cet Etat juif qui s'est instauré au mépris de l'enseignement traditionnel des rabbins. Impossible pourtant d'oublier cette histoire. Survivant d'une traque infernale qui a frappé tant de générations, j'en suis l'héritier physique. C'est évident. Quant à en être l'héritier moral, c'est là un tout autre problème. Pour être clair, qu'il ne reste pas de place pour l'équivoque: je ne revendique pas de droit de succession! Je ne veux bénéficier d'aucune part d'enfant légitime car je n'ai rien de commun avec les exécuteurs testamentaires. Pourtant, me dira-t-on, tu es un héritier légitime, au même titre que les autres et la Loi du Retour te concerne directement. Que répondre à cela? S'il faut vraiment utiliser un langage de notaire, on peut se mettre d'accord sur une formule qui conviendra peutêtre: je suis un héritier indigne! Plus généreux pourtant que certains voudraient le laisser entendre, j'abandonne sans problème ma part d'héritage à ceux qui voudraient bien en disposer. Peu à peu, être Juif c'est devenu à nouveau pratiquer une religion (même si la foi est absente) ou se conduire en fervent supporter de l'Etat d'Israël. Face à cette image qui tend à s'imposer, je ne me reconnais pas profondément Juif et je crois que, déjà, mes parents l'étaient de moins en moins. Quand à la culture, son champ d'action s'est tellement rétréci (même si cela peut être tout à fait regrettable) qu'elle ne peut plus justifier la survie - à tout prix - d'une véritable identité. A moins que l'on ne confonde identité et nostalgie .. . • (l) Ed. Arcantère, 1989. (2) Quartier de la ville de Jérusalem où se sont installés les religieux juifs ultra-orthodoxes qui ne reconnaissent pas l'Etat d'Israël. C'est le ghetto mOJ'ennageux de Pologne transplanté au coeur du Proche-Orient. cc Peu à peu, être iuif est devenu à nouveau pratiquer une religion ou se conduire en fervent supporter de l'Etat d'Israël. )) 25 26 La plupart des ,dentltés régionales fortes sont accrochées il une langue et un terroir. Manifestation du syndicat des chômeurs en mai 85. Avec les Serruriers Noirs. LES PLURIELS 1 Paysanne dans les Cévennes: préserver et maintenir cette part de mémoire et d'identité qui nous enrichit. KALEIDOSCOPE RANCAIS ~ Le Dupont en béret, baguette de pain sous le bras n'existe que dans les bandes dessinées. Sous cette norme préfabriquée, se découvrent et se vivent des identités plurielles. a langue basque est parlée par 100 000 personnes. Le breton, dans 600 communes, est compris par un million d'individus. Le catalan avec 300 000 locuteurs, le flamand 100 000, l'alsacien (compris par les trois quarts de la population), l'occitan et le corse sont des langues répandues et vivantes. Eh oui! Français, nous sommes différents et multiples, la nation française inclut ainsi des minorités fortes, caractérisées par une identité propre, géographique, historique, linguistique, sociologique, culturelle ... parfois l'une ou l'autre, souvent toutes à la fois. Et ces racines-là, ces diversités sont probablement une vraie richesse, une force centrifuge et centripète. Et si la carte de l'identité française comportait une ligne invisible mais forte, non écrite parce qu'évidente et comportant la mention Oc, Bzh, Euskadi, Corsica ou Titi parisien? Notre histoire commune peut être lue différemment d'un point du territoire à l'autre. Vue des bureaux royaux de 1532, l'adjonction de la Bretagne est un agrandissement, vu ~ de Clisson ou de Rennes, c'est une mise sous t::I tutelle. De même, les sanglantes descentes de i:l ~ Simon de Montfort sur le Toulousain s'appellent encore aujourd'hui croisades, sur les bords de la Garonne. Quant aux Basques, ils peuvent considérer Roncevaux comme une bonne pilée donnée aux armées de l'empereur. Dans les livres d'histoire, c'est encore un drame que la mort de Roland. Et le reste à l'avenant

les écoles de la République ont unifié

la langue et l'histoire, dans la foulée des Jacobins de 1789 qui voulaient la République Une et Indivisible. HISTOIRE ET MEMOIRE On a recommencé à parler régions dans les années 60. En créant 21 (puis 22) régions administratives, il s'agissait surtout d'agrandir un champ départemental jugé trop petit. Les régionalistes et les autonomistes ont déchanté : Basques, Bretons, Occitans et Corses ne se sont pas reconnus dans ces régions artificielles qui n'avaient pas de pouvoir et découpaient hardiment les aires culturelles ou linguistiques. Or, au cours des Trente Glorieuses du développement économique français, certaines régions ont vu leurs industries locales mourir à l'heure de la rationalisation. Les exploitations agricoles traditionnelles, touchées de plein fouet par les décisions de Bruxelles ou les efforts de rentabilisation ont disparu par centaines de milliers. Les régions furent alors des pions dans un jeu qui les dépassait. Leur population n'a plus guère eu le choix qu'entre l'exil ou le chômage. Leur jeunesse est devenue réservoir de main-d'oeuvre. Leur terroir a été utilisé pour les besoins du tourisme : parcs à bronze-culs de l'Europe et richesses pillées, sans retombées pour l'économie locale. Les ennemis furent rapidement désignés: les technocrates de Bruxelles et leurs quotas, les nucléocrates d'EDF, les promoteurs de villages de vacances en béton, bref, les bureaux parisiens tout occupés à présenter des bilans sans se préoccuper des dégâts. L'effondrement des économies locales traditionnelles, la rupture des équilibres anciens ont fait durement ressentir la perte d'une identité sociologique, culturelle et linguistique propre, souvent}ortement prégnante. Devant le nivellement des cultures, la normalisation des comportements, le mépris des « péquenots », ils ont réagi. Un courant culturaliste s'est développé : les cultures minoritaires se sont affichées, portées par des talents neufs. Glenmor, Stivell, Servat, Joan-Pau Verdier et Claude Marti éclatent dans ces années. Des maisons d'édition régionales naissent et grandissent : la mémoire et l'histoire refont surface. Parallèlement, les politiciens locaux et certains industriels montent des lobbies actifs: le CELIB (Comité d'études et de liaisons des intérêts bretons) ou le CELIC corse. Enfin, des militants politiques ou associatifs entrent en scène. Certains, glissant au nationalisme, assimilent leur lutte à celle du tiers monde, l'Etat menant à leurs yeux une politique de colonisation intérieure. Une minorité passera même à l'action armée (FLB, FLNC. .. ). Au plan des idées, tout un courant se développe, distinguant les nations primaires, fondées sur la langue et la culture, des nations secondaires, fruits de l'histoire et s'appuyant sur un pacte politique. Le pacte, affirmait-on, peut changer dans le cadre, par exemple, d'un • 27 L 'heure de repos dans les vignobles alsaciens. QUELQUE PART EN FRANCE Dans la Montagne bourbonnaise, entre les vallées de la Loire et de l'Allier, le canton du Mayet-de-Montagne, avec ses onze communes, est jumelé à neuf villages du lac de Takadji, au Mali. Les relations ont été marquées déjà par la livraison de pompes aux agriculteurs maliens, ce qui fut l'occasion de plusieurs voyages. Cet été, trois Maliens sont venus à leur tour visiter cette région verdoyante qui échappe à la sécheresse, contrairement à leur pays menacé par la désertification. Ici, ce n'est pas le sable qui fait problème, c'est le manque de bras qui aboutit au recul des cultures et des prairies devant les austères plantations de sapins. Les trois invités ont passé quelques jours dans différentes fermes, où ils ont pris part aux travaux quotidiens. Ils ont été reçus par des associations pour dialoguer avec les habitants. Un concert africain a eu lieu. En été, les festivités se multiplient dans la Montagne bourbonnaise. Au cours des fêtes patronales, on savoure ensemble le soir, la traditionnelle soupe aux choux. Mais on s'est mis aussi aux merguez et parfois au méchoui. On accueille toutes les musiques : le jazz et le rock font bon ménage avec la valse et le tango sous le signe de 28 l'accordéon-roi. Les fanfares jouent en plein air, les orchestres classiques dans les églises romanes et les châteaux. Quant aux chants et danses folkloriques, ils trouvent une place de choix; ceux du cru, bien sûr, mais aussi les plus lointains grâce aux troupes venues des quatre points cardinaux pour le festival annuel de Garmat, tout proche, qui éclate joyeusement aux alentours. Dans le département voisin, le Puy-de-Dôme, on recevait, début août, 334 réfugiés kurdes d'Irak. Au camp militaire de Bourg-Lastic, la population leur a apporté des vêtements, des jouets pour les enfants. Il est vrai que leur arrivée avait été bien préparée par la fondation France-Liberté et la Croix-Rouge. Ces paysans, chassés de leurs pays par la guerre et les gaz asphyxiants vont repeupler quelques villages abandonnés. Ce qu'ont fait naguère, non loin de là, des familles portugaises. Certes, les préjugés voire les haines racistes n'ont pas disparu par enchantement dans notre vieille province d'Auvergne-Bourbonnais. Simplement, le temps présent fait son oeuvre .• L.M. ~Etat supranational européen accordant une large place aux régions. Du Royaume-Uni (Galles, Ecosse, Irlande) à la République fédérale d'Allemagne (les Uinder) en passant par les statuts sicilien ou sarde, ou encore l'expérience espagnole des Autonomies, les voies exploratoires ne manquent pas. Les années 70 vont d'ailleurs voir reconnaître le fait identitaire régional ~t minoritaire. En 1978, le président de la République (Valéry Giscard d'Estaing) signe une charte culturelle bretonne, « acte de reconnaissance de la personnalité culturelle bretonne et engagement d'en garantir le libre épanouissement », car elle est « une des manières de vivre, quelque chose de plus, dans un monde qui se banalise et dontl'âme se vide » ... Texte sans suite réelle: l'essentiel des efforts faits pour la survie et l'apprentissage des langues minoritaires sont restés à la charge d'initiatives privées ou associatives. UN TISSU SOCIAL COLORË Et c'est d'ailleurs la grande force des mouvements autonomistes ou régionalistes que de s'appuyer sur un tissu associatif réel, porteur des exigences de la population. En Corse, l'un des détonateurs de la revendication autonomiste fut l'installation des rapatriés d'Algérie sur des terres agricoles, au détriment des paysans corses qui manquaient et de terres et d'argent pour les cultiver. La question de la maîtrise du sol et du travail, cruciale en Corse était ainsi posée. En 1973, les frères Siméoni mobilisent l'opinion insulaire contre les boues rouges de la firme Montedison qui empoisonnent l'autre ressource corse: la mer. C'est alors la question de la maîtrise et de la protection des ressources locales qui est dévoilée. Autre cheval de bataille: l'implantation de villages de vacances, véritables parasites de béton dans le paysage, sans retombées économiques pour la population. C'est la question de l'aménagement non maîtrisé localement qui est mise en avant. Les incidents d'Aléria, où l'occupation d'une grande cave vinicole fit des tués, étaient, au départ, un ras-le-bol des Corses face aux nombreux trafics. Encore une occasion de découvrir que l'avenir se décidait ailleurs: à Paris ou à Bruxelles, sans aucune consultation. , A chaque fois, la défense des intérêts des insulaires contre des décisions prises en haut lieu, dans des centres politiques ou financiers décollés du réel corse, servit de moteur à la revendication autonomiste et à l'exigence de démocratie qu'elle porte. De là, les Corses ont découvert que l'on pouvait être corse: la langue et L 'heure de la cloche â Usinor Longwy la culture sont devenues aussi des enjeux. Elles ont été redécouvertes et à nouveau dites dans le théâtre et la chanson de l'île. Il ne faut pas s'y tromper, ici comme ailleurs, il ne s'agit pas d'un retour au passé, c'est l'avenir qui est en ligne de mire, pour développer l'île. Les archaïsmes et les clans sont largement montrés du doigt. Pour les Occitans aussi, des leaders se sont dégagés, porteurs de revendications économiques autant que culturelles. Emmanuel e Mes IIneêfres IIuvergn"'s ont serv' " Alès'" sous Verc'ngétorlx. Mon qUlllrléme pefif-lll., né ee mols de septembre, Il la mo"ié de ses IIneêIres Il,.,,bes. le reste eonvII'ncu que s, """",,,ce lII't!Ibo-auVe,..I6Ie IIV"" pu se réllliser en temps voulu, Cé$lll' el .. siégions IIl11'11Ïenf pris la pMée. Gilles Perrault Maffre-Baugé fut d'abord un dirigeant des colères des viticulteurs acculés par les décisions de Bruxelles, sur le vin et ses quotas. L'idée occitane doit beaucoup, là aussi, à la réflexion de ces paysans : les décisions les concernant doivent être prises au plus près de leurs problèmes, sauf à faire La Grande-Motte partout. Le « Volem viure al pais» est un mot d'ordre commun aux viticulteurs, aux ouvriers des chantiers navals de La Ciotat, aux jeunes pacifistes du Larzac et aux écologistes ... En 1978, l'écrivain cévenol Jean-Pierre Chabrol, le professeur Robert Lafont et Emmanuel MaffreBaugé lancent un manifeste pour l'autonomie occitane: « En ce combat, notre pays n'est pas un lieu quelconque qu'on aménage et déménage. C'est l'Occitanie dont la culture longtemps étouffée renaît en ce moment dans le souffle de toute une jeunesse. C'est le cadre d'anciens et de récents combats pour la liberté de conscience : pays des cathares, des camisards et des maquisards. C'est le pays des grandes luttes paysannes et ouvrières qui ont marqué l'histoire des peuples. C'est le pays d'une vie publique réglée d'usages civils, d'une conscience démocratique que l'on na pu encore briser [ .. .] » Cela signifie qu'il faut ici un pouvoir démo- ~ 29 cratique exercé contre celui des multinationales et contre l'étatisme centralisateur, qui se sont alliés. Il faut dans le cadre d'une démocratisation de tout le territoire un pouvoir autonome qui donnera à l'espace occitan de nouvelles chances. » Nous décidons donc de rendre publique notre détermination, conclut ce texte. Nous serons avec tous ceux qui lutteront contre la liquidation brutale ou perfide de ce qui reste de vie sociale chez nous, contre l'Europe du capital, pour l'autonomie ici. Et pour l'Europe des peuples. » On retrouve là tous les thèmes fondamentaux des revendications régionalistes ou autonomistes. S'y mêlent, sans contradiction, le désir du changement et le respect du passé ; le souci du progrès et l'aspiration à la reconnaissance d'une personnalité régionale contre ce qui la menace (l'Europe, la bureaucratie centralisée, le profit). La région y est sentie comme un lieu de démocratie privilégiée, enracinée, lieu de la mémoire pour l'avenir, rassembleuse du corps social. .. LANGUE ET IDENTITE La plupart des identités régionales fortes sont accrochées à une langue et un terroir. Pas toutes. La Lorraine industrielle a montré que le . sentiment d'identité régionale s'appuie aussi sur des comportements ou des situations collectives liées au travail ou à la situation sociale. Région d'industries lourdes (mines et sidérurgie), pays de tous les brassages et de toutes les immigrations, vallées vouées à la monoculture de l'acier, c'est sur ces bases que la Lorraine industrielle a construit son identité. Ceux qui se considéraient comme les hommes du fer ont bâti leurs solidarités et leur communauté autour et contre ces usines. Les « batailles pour la production » de l'après-guerre, la fierté d'un métier dur mais vital pour le pays, l'esprit de classe magnifié ont profondément marqué les hommes, tout comme les usines marquaient le paysage. La liquidation de la sidérurgie lorraine et les conflits qu'elle a entraînés ont montré très nettement que cette conscience collective avait marqué jusqu'aux non-ouvriers: commerçants et enseignants ont participé massivement aux opérations ville-morte, à Longwy et ailleurs. La mort des usines a effacé les repères et les pierres de touche de cette identité collective. Car ici, on a, par exemple, longtemps fêté le 1 er mai contre le Il novembre et le 14 juillet, on acclamait le drapeau rouge, on votait communiste, on enterrait ensemble les tués au travail. Ces hommes était souvent ouvriers du fer avant d'être lorrain, syndiqué ou jaune avant d'être italien ou maghrébin. On sait combien cette conscience collective s'est chèrement défendue avant d'être dispersée. Pour beaucoup de Français encore, sans qu'il n'en demeure rien, la Lorraine reste le premier centre sidérurgique du pays. Le sociologue Gérard Noiriel a même pu parler « d'amateurs de folklore» en montrant la presse locale pleurant la fin d'une conscience collective, comme d'autres se penchent sur les civilisations disparues. Sans tomber dans ce travers, notons simplement qu'il y eut là, durant des décennies, un très fort sentiment d'appartenance, de destin collectif, de références et d'attitudes communes. Une identité. Pour le reste, constatons avec Gérard Noiriel qu'ailleurs, « d'autres hommes au travail, sur les terres ou dans les usines reconstruisent cette véritable volonté de vivre en commun ». Si l'expression des identités régionales a parfois pris la forme politique d'une revendication autonomiste, elle s'est très rarement définie comme non française, indépendantiste. Un peu comme si la France (et non l'Etat) était comprise comme la résultante d'identités plus petites, plus proches aussi, plus facilement compréhensibles puisque mieux assises dans le quotidien. L'identité régionale est peut-être une des conditions du renforcement de l'identité culturelle, politique, sociale et nationale française. C'est l'esprit centralisateur qui a toujours posé comme condition le nivellement des diverses identités, jamais le contraire. Sauf quelques groupes marginaux, personne ne parle d'indépendance. Plusieurs siècles d'histoire ont laissé des traces: occitane et française, bretonne et française, corse et française, les identités se mêlent et se complètent aux yeux de la plupart des acteurs. Assises solides mais minoritaires, les identités régionales ne doivent cependant pas être abordées de façon angélique. Fragilisées, en convalescence, elles ont parfois tendance à se durcir

racisme anti-immigré en Corse, emploi

fréquent du mot « race » au Pays basque, tentative de définir vrai et faux Breton, le danger existe toujours de vouloir s'affirmer contre plus minoritaire que soi. Dangereux pour les étrangers, ce racisme-là menace aussi la cohésion des identités régionales

l'alsacien se différencie entre francique

et allemanique, le breton connaît quatre variantes, l'occitan est éclaté en multiples « patois », le corse compte un parler génois (Bonifacio) et un autre grec (Carghese) ... comment alors se définir contre les autres sans se retourner contre soi-même? Autre danger, le ghetto passéiste ou l'on se retranche soi-même des autres. Les évolutions possibles de nos identités dépendent bien sûr aussi de facteur locaux, de la politique de l'Etat, de celle de l'Europe ... mais surtout de la volonté de chacun de préserver de maintenir cette part de mémoire et d'identité différente qui nous enrichit.. René Fran~ols et Geneviève Senée Que sont les Indiens devenus ? Au-delà des images de western qui trafiquent à l'envi l'ampleur du génocide, un peuple debout se bat pour la reconnaissance de son identité. Robert Pac fait le point. es Indiens ont survécu au plus grand génocide de l'Histoire, si on considère l'ensemble du continent américain, et résisté à tous les processus de destruction culturelle et d'oppression. Les Indiens des Etats-Unis mènent depuis une vingtaine d'années une lutte qui interpelle l'histoire et la conscience des hommes. C'est un combat pour la reconnaissance de leur souveraineté nationale. Ils sont en effet un peuple indigène qui occupait le territoire actuel des Etats-Unis depuis des dizaines de milliers d'années lorsque les Européens y débarquèrent. Les Noirs, les Chicanos et d'autres, minoritaires, y mènent depuis des décennies des luttes opiniâtres et déterminées contre le racisme et l'exploitation. Mais la spécificité de la bataille des Indiens la rend bien différente de celles-ci. Alors que les Noirs luttent pour une intégration politique et économique véritable, les Indiens combattent pour leur autodétermination. Ils refusent l'assimilation à la société blanche. « Ils rejettent fondamentalement les techniques politiques occidentales et trouvent leur force profonde dans l'idéologie, bien au-dessus et au-delà des idées occidentales concernant le processus historique. » L'auteur de ces lignes, Vine Deloria (1), président de l'Institute for the Development of Indian Law, a ainsi défini la souveraineté indienne

« Il est devenu de plus en plus évident

que l'idée de la souveraineté indienne n'est pas simplement une conception juridique. De nombreuses références à la souveraineté font allusion à la notion d'un peuple distinct, séparé des autres, car, du fait de la principale caractéristique de la souveraineté indienne, tant que l'identité culturelle des Indiens demeure intacte, aucune mesure politique particulière adoptée par le gouvernement des Etats-Unis ne peut supprimer les SURVIE LES ARMES DE LA LIBERTE peuples indiens en tant qu'entités souveraines. ( ... ) Finalement, on peut dire que la souveraineté est fondée plutôt sur le maintien de l'intégrité culturelle que sur des pouvoirs politiques, dans la mesure où, quand une nation perd son identité culturelle, elle connaît un déclin correspondant de sa souveraineté. ( ... ) Quand on envisage la souveraineté dans cette optique plus large, on découvre de nouvelles possibilités d'actions plus constructives ( .. .) la souveraineté dépend alors de lafaçon dont les traditions sont développées, défendues et transformées pour faire face à des conditions nouvelles. Il existe un besoin urgent de revenir aux modes traditionnels de participation aux fonctions culturelles et sociales de la communauté. Ce besoin s'exprime actuellement autour du thème général de l'autodétermination et, sur le plan politique, il se traduit par un appui en faveur de la souveraineté indienne (2). » Pour Elise Marienstras, « Loin d'être un anachronisme, l'attachement des Amérindiens à leurs cultures tribales traditionnelles est la condition première de la survie du groupe et donc de l'intégrité de ~ 31 LA LONGUE NUIT DE LEONARD PELTIER TERRES INDIENNES Depuis treize ans, Leonard Peltier 1 un Indien Lakota-,Chippewa (Sioux), dame son innocence : il n'a tué personne et n'a enfreint aucune loi. Pourtant, il est emprisonné depuis 1976.11 est un leader de l'American Indian Movement (AIM) depuis 1970. Dès lors, ses activités lui valurent d'être la cible du FBI. En iuin 1976, Leonard Peltier fut arrêté et faussement accusé du meurtre de deux agents du FBI, morts sur la réserve de Pine Ridge (Dakota du Sud), à la suite d'une fusillade avec les Indiens. Il fut condamné à deux peines de prison à vie sur le faux témoignage d'une Indienne circonvenue et sur le rapport d'un « expert » en armes et balistique, le 18 avril 1977. En septembre 1981, Leonard Peltier et ses avocats purent obtenir un certain nombre de documents que le Fill avait soustraits à la iustice lors du procès. L'un d'eux établissait que les balles trouvées dans les corps des deux agents du FBI n'avaient pu être tirées avec le fusil attribué à Leonard Peltier. Malgré cela et d'autres pièces montrant que le FBI avait ourdi un véritable complot contre Leonard Peltier, le tribunal confirma les sentences rendues contre celui-ci. Une requête en appel déposée devant la Cour Suprême en mai 1987, fut encore reletée, malgré qu'elle ait été soutenue par soixante- ~ l'individu. Vivantes, les cultures indiennes sont capables de s'adapter et de se modifier pour devenir compatibles avec des formes d'économie moderne (3) », Les Indiens ne sont pas des passéistes ni des séparatistes. Leur lutte pour la souveraineté ne demande pas la création d'un Etat supplémentaire aux Etats-Unis. Au contraire. Mais elle implique, de la part des Etats-Unis, une remise en cause de leur système de valeurs. La société américaine doit évoluer vers un Etat pluri-ethnique (cosmopolite) dans lequel la double appartenance nationale serait le ciment même des institutions. Cela n'est pas une utopie. C'est une nouvelle conception de la société que les Indiens proposent au monde au moment d'une grave crise de la pensée occidentale. Us Indiens sont porteurs des valeurs qui garantissent un avenir à l'humanité. Ils demandent aux hommes 32 quinze membres du Congrès, de nombreux leaders religieux comme le Reverend Desmond Tutu, ar- , chevêque an'glican de Capetown, en Afrique du Sud, le Reverend Jesse Jackson, l'archevêque de Canterbury et Rabbi Balfour Brickner, ainsi que par de nombreuses organisations américaines et internationales et quatre Prix Nobel soviétiques. Le cas de Leonard Peltier a été porté devant la commission des Droits de l'homme des Notions Unies en 1988. Leonard Peltier est l'un des nombreux prisonniers américains, membres des minoritésethniques des Etats-Unis, en faveur desquels le MRAP mène actuellement en, Fronce une compagne de sensibilisation. Ils ont été iniustement emprisonnés, voire condamnés à mort, à cause de la ' couleur de leur peau, de leur action antiraciste, antifasciste pour les Droits civiques, ou nationale (comme les Indiens ou les Porto-Ricains). Le MRAP n'oublie pas les Blancs qui sont derrière les barreaux à couse de l'aide qu'ils ont apportée à ces minoritaires. Tous ces emprisonnés sont, le plus souvent, ignorés par les défenseurs des Droits de l'homme. Nous nous devons de foire entendre en France leur cri et d'agir pour qu'ils recouvrent la liberté. POUl' tout renseignement et soutien: NlRAP, 89 rue Oberkompf, 75543 Porls cedex , 1 ou 48.06.88.00. R. P. de réfléchir au sens profond de la vie et d'abandonner les modes de vie artificiels et superflus qui les enchaînent à une société aliénante et suicidaire. LE MOUVEMENT INDIEN De nombreuses organisations existent qui luttent pour la défense des droits légaux des Indiens, comme l' lndian Law Resource Center ou le National Congress of American lndians (NCAI), Dans les réserves, d'autres organisations luttent également pour cet objectif, comme le Seven Generation Fund et le Western Shoshone National Council des Shoshones de l'Ouest, les comités de défense de Big Mountain chez les Navajos et Hopis de l'Arizona, le Lakota Treaty Council chez les Sioux, etc. 1492 1820 1840 1860 1978 Les femmes indiennes ont aussi leurs organi- Evolution de la confiscation des terres in sations, comme le Women of Ali Red Nations diennes depuis le début de la colonisation (W ARN),ainsi que les jeunes avec le National lndian Youth Council (NIYC). Mais, c'est l'American Indian Movement (AIM) qui a le plus fait pour la popularisation de la cause indienne, aux Etats-Unis et dans le monde, Créé en 1968 par Dennis Banks et les deux frères Bellecourt, l'AIM s'est signalé au monde entier par l'occupation du pénitencier d'Alcatraz en 1969, l'occupation du siège du Bureau des affaires indiennes à Washington en 1972, son soutien au siège de W ounded Knee en 1973, l'organisation de la Plus Longue Marche en 1978. L'AIM a pris part à l'organisation de la Conférence internationale suries discriminations à l'égard des populations indigènes dans les Amériques aux Nations unies à Genève en 1977 et apporté un concours important aux débats de la 4" Session du tribunal Russel à Rotterdam en 1980 consacrée aux Indiens d'Amérique ainsi qu'à la Conférence internationale des ONG suries peuples autochtones et la Terre, aux Nations unies à Genève en 1981. L'AIM refuse l'assimilation et la société blanche. Il revendique la reconnaissance de la souveraineté des nations indiennes et le respect des traités qu'elles ont signés avec le gouvernement américain. De façon permanente, l'AIM mène la lutte contre les vols des territoires ancestraux et le pillage de leurs ressources naturelles par les grandes sociétés multinationales. Il « La plus longue marche» d'un peuple debout. JE SURVIS TU SURVIS NOUS SURVIVONS ••• Dans les « Ecoles de survie », les enfants et les adolescents indiens apprennent l'histoire, la langue, les traditions, la spiritualité indiennes, leurs droits légaux et aussi les moyens de survivre lorsque la soif de profit de la société blanche aura épuisé les ressources de notre Terre. A l'initiative de l'American Indian Movement (AIM), les deux premières « Ecoles de survie» furent créées en 1972 à Saint-Paul et à Minneapolis, villes jumelées du Minnesota. Elles furent suivies d'autres: à Rapid City, près de la réserve Sioux de Pine Ridge, à Yankton (Sud Dakota), à Oklahoma City, à San Francisco ... Jim Eagle, un enseignant indien, explique l'idée de ces écoles: « C'est important pour survivre, pour ne pas épuiser toutes nos ressources, Bientôt, il faudra vivre comme nos ancêtres, on n'aura pas le choix. Ceux qui ne seront pas capables de survivre périront, C'est aussi simple que ça. Votre système a créé un monstre,' ils ne savent pas comment le nourrir, ils ne savent plus quoi faire, à moins de se foutre en l'air. Beaucoup d'entre nous ont oublié le savoir-faire de nos ancêtres et nous devons réapprendre à nos enfants nos traditions. Nous sommes probablement les seuls à vivre dans la pauvreté et à pouvoir en rire. On y est tellement habitué. Mais on est en train d'en sortir très vite, en apprenant à nos jeunes à respecter les anciennes religions, le système politique qui est le nôtre, en leur apprenant à honorer les anciens, pas à les placer dans les hospices, mais à en prendre soin. La survie et l'éducation des jeunes, c'est ça qui compte. La seule chose qui compte vraiment, ce sont nos enfants, notre avenir, notre espoir. En dehors de ça, nous n'avons rien, ils sont notre jeune nation. » • R. P. (Cité dans Nations indiennes, nations souveraines, par Jean-François Graugnard, Edith Patrouilleau et Sebastien Eimeo a Raa, François Maspero, 1977) s'attache aussi à la lutte contre la misère et pour la préservation de la culture indienne, Une autre organisation très importante, l'lnternationallndian Treaty Council (IITC), une organisation non gouvernementale (NGO), lutte pour le respect des traités et se bat dans le cadre du Droit international. C'est l'IITC qui avait organisé la Conférence de Genève de 1977. L'ETHNOCIDE, HIER ET AUJOURD'HUI L'arme la plus efficace des colonialistes pour soumettre les peuples indigènes a toujours été, après la force, la destruction de leur culture. Les Indiens d'Amérique du Nord ont eu évidemment à faire face à toutes les sortes d'entreprises de destruction de leur identité culturelle: tentatives pour les forcer à abandonner leur organisation communautaire ; déplacements de populations, ce qui, pour un peuple dont la culture a de profondes implications avec la Terre, constitue un acte de génocide délibéré ; actions des missionnaires de tout genre pour détruire la spiritualité indienne, en particulier en éduquant les jeunes Indiens dans des établissements blancs, loin des réserves ... Aujourd'hui, les juges et les services sociaux ont succédé aux missionnaires. Ce sont eux qui décident que les parents indiens sont inaptes à élever leurs enfants et qui ordonnent leur placement dans des familles de blancs, à l'assistance publique ou dans des internats religieux ou fédéraux où ils reçoivent une éducation occultant complètement les valeurs indiennes. Entre 25 et 35 0,10 des jeunes Indiens sont ainsi aujourd'hui séparés de leurs familles. Les déplacements de population, quoique plus rares, sont encore utilisés, comme la déportation récente de JO 000 Navajos et Hopis dans l'Arizona. L'invasion de la « culture» européenne

presse, ciné, radio, TV, etc. joue un rôle

dévastateur, Mais la misère, qui reste le lot des Indiens, dans les réserves et au dehors, est la principale arme ethnocidaire. Le chômage, qui atteint 90 070 dans les reserves, et son alliée, l'aide publique, le welfare, ont pour conséquence l'alcoolisme, forme d'aliénation causée par le désoeuvrement et la conscience de sa perte d'identité. Les enfants délaissés cherchent des ivresses à leur portée : ils inhalent les vapeurs de certains crayons feutre, de vernis à ongles, de colle, d'essence ... La lutte opiniâtre des Indiens pour la sauvegarde de leur idendité culturelle prend ici tout son sens. Elle s'appuie sur le combat contre le racisme et l'exploitation. • Robert Pae (1) Ecrivain sioux, auteur notamment de Custer died for your sins, God is red, et We talk, you lesson. (2) ln Self-determination and the Concept of Sovereignty, paru dans Economic Development in American Indian Reservations, Native American Studies of New Mexico, Development series n° 1, 1979. (3) La Résistance indienne allx Etats-Unis, Julliard/ Archives, 1980. 33 Palestinienne ou arabe d'abord? Pour Lotfallah Soliman poser en ces termes la question identitaire serait un non-sens. Aussi préfère-t-i1 engager sa plume dans une définition moins banale. Histoire politique, culture et lutte nationale se mêlent dans la quête de ce peuple sans terre. a complexité identitaire dans cette région qui constitue le Proche-Orient du monde occidental est le mieux illustrée par le destin d'une personnalité admirable, philosophe, homme de lettre, diplomate et militant politique. Fayez Sayegh est né en 1922, à Kharba, un village de ce qui s'appelait « Bilâd al-Sham » avant de devenir la Syrie. Encore enfant, il « émigre» avec sa famille en Palestine. En 1938, il est étudiant à l'université américaine de Beyrouth et, en 1947, il obtient un doctorat en philosophie de l'université de Georgetown, aux Etats-Unis d'où, après avoir été conseiller de la délégation diplomatique libanaise à Washington, puis président de la délégation yéménite à l'ONU en même temps que directeur du bureau de la Ligue arabe à New York, il rentre à Beyrouth pour occuper une chaire de philosophie à l'université américaine. En 1959, Fayez Sayegh est élu président du premier Congrès palestinien. En 1965, il fonde le Centre de recherches palestiniennes. En 1970, il est élu membre du Conseil national palestinien et devient membre du premier Comité exécutif de l'OLP. Il meurt d'une crise cardiaque le 10 décembre 1980. Fayez Sayegh était-il Syrien? Libanais? Yéménite ? Palestinien ? De telles questions peuvent dérouter un occidental. Pour un Arabe oriental, elles paraissent plutôt incongrues. La place manque pour décrire en détail l'itinéraire de la conscience identitaire, dite « nationale », palestinienne. Aussi nous contenterons-nous, ici, d'en souligner certains traits qui nous paraissent essentiels, laissant à d'autres le soin d'entrer dans les détails. LE PREMIER de ces traits est qu'aussi bien le « Fatah » que les autres organisations de com- 34 , ERR E bat qui allaient investir l'OLP sont nés parmi les Palestiniens qui résidaient, depuis 1948, en dehors du territoire de la Palestine du mandat britannique. Leur idéologie ne pouvait pas ne pas refléter cette situation. Le « retour » à leurs villes, à leurs villages dont les noms avaient le plus souvent été effacés de la carte y occupait donc une place importante, primordiale. LE SECOND TRAIT concerne plus particulièrement le « Fatah » qui allait devenir la principale composante de l'actuelle OLP. Le Fatah est né avec une vision étatique du problème palestinien. Dès le départ, il s'agissait donc d'un « Etat en quête d'une nation ». Dans le contexte de la région, ce n'était pas une innovation. Dans ses rapports avec le peuple palestinien, le Fatah, puis l'OLP-Etat ne faisait que suivre la trajectoire tracée par les autres Etats, d'abord sous Mandat, ensuite indépendants, après le démantèlement de la région réalisé par les puissances occidentales. Autour d'eux, ces nouveaux Etats-sans-nations ont cristallisé des élites sociales, économiques, politiques et intellectuelles dont l'existence même, en tant qu'élites, était liée au morcellement effectué par les colonialismes français et anglais. Au fur et à mesure de la conscientisation de leurs intérêts individualisés et par conséquent souvent divergents, ces élites avaient suscité, chez les peuples concernés, une vision de soi à laquelle les « intellectuels de cour » - dont c'est la fonction - s'étaient empressés de « découvrir» des particularités « nationales » qui, bien qu'artificielles, avaient fini, à la longue, par devenir réelles. LE TROISIEME TRAIT réside dans les rapports ambigus entretenus par le Fatah puis l'OLPEtat avec les autres Etats de la région. Pour se doter d'une certaine autonomie de décision - objectif majeur de tout Etat - , le Fatah, ;.. puis l'OLP ont « joué» tantôt ces Etats les ~ I::i uns contre les autres et tantôt du concept de ~ « nation arabe» qui, vidé de son contenu réel, ~ liiiiïiiilÎl.ilillÎI ....... _IlÎIIÎ.~,. _____ .1IÏ ne servait plus - après 1967 - qu'à légitimer les régimes en place et particulièrement les plus réactionnaires et les plus particularistes d'entre eux. Toutefois, cette ambiguïté n'a pas été inutile, dans la mesure où elle a permis aux populations palestiniennes emmurées dans les camps de réfugiés en dehors de la Palestine du mandat, populations à « identité non identifiée » et vivant dans des conditions pénibles, de recouvrer une dignité d'abord, de se mobiliser ensuite pour « le retour» dans une Palestine idéalisée où elles ne seraient plus humiliées par la commisération factice de leurs « frères» des autres pays arabes. LE QUATRIEME TRAIT concerne les rapports entre l'OLP-Etat et les populations qui vivaient directement l'occupation israélienne. Dès le PALEST NE 'ECRIS TON NOM lendemain de la guerre de juin 1967, la communauté palestinienne dans les territoires occupés était traversée par deux courants antinomiques. Le premier, majoritaire, se prononçait pour l'option jordanienne. Aussi bizarre que cela puisse paraître aujourd'hui, ce sont les partisans de cette option qui fourniront, plus tard, des cadres dont certains allaient devenir membres du Conseil national et même du Comité exécutif de l'OLP. Ce constat laisse supposer que l'option jordanienne n'était favorisée que par crainte d'une judaïsation qui justifierait une annexion de la Cisjordanie. Le deuxième courant entendait agir en faveur d'une « entité palestinienne autonome », ce qui aurait été conforme aux objectifs de l'OLP-Etat, si ce courant ne s'était lui-même discrédité en proposant à Israël de négocier avec lui l'établissement de cette entité. A ce sujet, il convient de signaler que jusqu'aux années 1972-1973, l'OLP-Etat continua à rejeter toute idée d'une entité palestinienne en Cisjordanie en proclamant sa crainte de voir se constituer un Etat croupion, lié à Israël et dominé par lui. LE CINQUIEME TRAIT concerne la légitimation arabe et internationale de l'OLP-Etat. Cette légitimation commence par la reconnaissance de l'OLP-Etat par le Sommet arabe d'Alger, en 1973, comme « seul représentant légitime du peuple palestinien » et se poursuit par l'admission de l'OLP-Etat aux Nations unies en tant qu'observateur. Depuis - et surtout après la guerre du Liban -, aucun Sommet arabe ne manquera de réitérer sa reconnaissance de l'OLP et, dans les prises de position de cette dernière, la référence aux Sommets arabes deviendra une renvoi qui entend s'insérer dans le système des ~ 35 ~l'aspiration consiste à mettre en place, en Palestine, un pouvoir qui entend s'insérer dans le système des Etats nés des Première et Seconde guerres mondiales. La boucle commencée avec la balkanisation de la région était ainsi bouclée et l'OLP pouvait se permettre d'entamer le processus qui allait aboutir à la proclamation d'un Etat palestinien dont la configuration géographique serait ultérieurement ftxée par des négociations plus ou moins directes sous les auspices d'une Conférence internationale. Dans la précipitation du processus, l'Intifada a, sans conteste, joué un rôle majeur. D'après les témoignages qui nous parviennent de l'intérieur des territoires occupés, le peuple en dissidence d'occupation se reconnaît, du moins formellement, dans l'OLP et il n'y a aucune raison de supposer le contraire. Reste que J'Intifada a introduit dans le « jeu» un élément à la fois nouveau et perturbateur. En effet, des structures mises en place localement paraissent prendre de plus en plus directement en charge le quotidien du peuple insurgé. Naturellement, cette prise en charge se fait dans la perspective globale du mouvement national, représenté par l'OLP. Toutefois, la création d'un embryon de société multifonctionnelle, non plus en exil, mais sur le territoire même de la Palestine constitue un fait majeur dont les institutions de l'OLP-Etat doivent et devront tenir le plus grand compte. Il s'agit là d'un fait nouveau, non seulement dans l'histoire mouvementée de la Palestine, mais également dans celle des mouvements de libération. L'indépendance acquise, les structures institutionnelles de l'OLP-Etat devront impérativement s'imbriquer dans les structures socio-économico- politiques mises en place localement au cours de la lutte contre l'occupation. Il en résultera nécessairement une donne nouvelle, sans précédent historique, rendant aléatoires toutes les supputations. Nous n'en sommes pas encore là ! En l'état actuel des choses, je ne vois pas comment les actuels dirigeants israéliens, à quelque tendance qu'ils appartiennent, peuvent accepter la création d'un Etat palestinien indépendant. Dans la logique de ces dirigeants, reconnaître qu'il existe en Palestine un peuple qui peut légitement revendiquer ne fût-ce qu'une partie de ce pays, équivaut à dé légitimer le sionisme. Il faudra sans doute attendre qu'une portion de plus en plus importante des Israéliens - et des Juifs de par le monde - finissent par constater que « le roi est nu ». Peut-être alors se joindront-ils à nous, peut-être alors notre cause deviendra-t-elle la leur et peut-être pourrons-nous alors parler sérieusement de « l'après-guerre ». • Lotfallah Soliman Ecrimin égyptien. « Pour une histoire profane de la Palestine ». éd. La Découverte 1989. 89 F. 36 abmoud Darwich est, à lui seul, une des facettes de l'identité palestinienne, de ses espoirs, de ses racines, de sa douleur et sa révolte. Assigné à résidence durant plusieurs années, le poète vit en exil depuis 20 ans. Inspiré par la« révolution des pierres » et demandant le départ des occupants israéliens des territoires occupés, le poème que nous publions fut - mal traduit et détourné de son sens - utilisé par le gouvernement israélien pour dénoncer à la Knesset le « terroriste » Darwich. Quand la poésie du blé, de la terre, du ciel, du sang et des pierres fait peur aux chars et à l'épée, n'est-ce pas que la conscience de soi (l'identité) d'un peuple gagne du terrain ? PASSANTS PARMI DES PAROLES PASSAGERES Vous qui passez parmi les paroles passagères portez vos noms et portez. Retirez vos heures de notre temps, portez. Extorquez ce que vous voulez du bleu du ciel et du sable de la mémoire. Prenez les photos que vous voulez, pour savoir que vous ne saurez pas comment les pierres de notre terre bâtissent le toit du ciel. Vous qui passez parmi les paroles passagères. Vous fournissez l'épée, nous fournissons le song, vous fournissez l'acier et le feu, nous fournissons la choir, vous fournissez un outre char, nous fournissons les pierres, vous fournissez la bombe lacrymogène, nous fournissons la pluie. Moisie ciel et l'air sont les mêmes pour vous et pour nous. Alors prenez votre lot de notre song, et portez allez dîner, festoyer et danser, puis portez. A nous de garder les roses des martyrs à nous de vivre comme nous le voulons. Vous qui passez parmi les paroles passagères comme la poussière amère, passez où vous voulez mais ne passez pas parmi nous comme les insectes volants. Nous avons à foire dons notre terre nous avons à cultiver le blé à l'abreuver de la rosée de nos corps. •• « Un dessin caricatural doit porter ta promesse et inciter à la subl'ersion ». Nagi AI Ali. assassiné à Londres en août /987. Nous avons ce qui ne vous agrée pas ici pierres et perdrix. Alors, portez le passé, si vous le .voulez ou marché des antiquités et restituez le squelette à la huppe sur un plateau de porcelaine. Nous avons ce qui ne vous agrée pas nous avons l'avenir et nous avons à foire dans notre pays. Vous qui passez parmi les paroles passagères entassez vos illusions dons une fosse abandonnée, et partez rendez les aiguilles du temps à la légitimité du veau d'or ou ou battement musical du revolver. Nous avons ce qui ne vous agrée pas ici, portez. Nous avons ce qui n'est pas en vous: une potrie qui saigne, un peuple qui saigne une partie utile à l'oubli etau souvenir. Vous qui passez parmi les paroles passagêres, 11 est temps que vous portiez et que vous vous fixiez où bon vous semble mois ne vous fixez pas parmi nous. II est temps que vous partiez que vous mouriez où bon vous semble mois ne mourez pas parmi nous. Nous avons à foire dons notre terre ici, nous avons le passé, la voix Inaugurale de la vie et nous y avons le présent, le présent et l'avenir nous y avons l'ici-bas et l'ou-delà. Alors, sortez de notre terre, de notre terre ferme, de notre mer, de notre blé, de notre sel, de notre blessure, de toute chose, sortez des souvenirs de la mémoire; Ô vous qui passez parmi les paroles passagères. • Mahmoud Darwich Pakstine, mon PIl)"S Et!. de Minllit ara Alexander est une femme de vérité. Chanteuse, poétesse, artiste israélienne, née à Jérusalem, vivant en France, l'un de ses combats: l'amitié et le dialogue avec les Palestiniens. Un chant fauteur de paix, une expression pour affirmer malgré le temps,le vent, et la majorité des gens, que demain sera fait de« rencontre ». Le poème dédié à Mahmoud Darwich et aussi une chanson à la terre qui parle de soi et des autres. Et reconnaît la douleur. Dédié à Mahmoud Darwich RENCONTRE Les mêmes rêves, souvenirs qui pleuvent pour le même paysage. Harla si douce et si amère là-bas entre Carmel et mer. Un soir d'automne à Paris, ou carrefour du hasard on se rencontrait, on se parlait en orobe, en hébreu ... odeur de jasmin, fleur d'oranger, menthe, cyprès et palmier; il est palestinien, habitait à Haï"a mon kiboutz est à deux pas. Mahmoud, poète en exil, me raconte l'errance, le village, les champs, la maison qui peuplaient son enfonce, je lui parle du peuple juif, sa souffrance, son identité, son rêve millénaire de retrouver liberté et dignité. Les mêmes rêves, souvenirs qui pleuvent pour le même paysage Harfa si douce et si amère là-bas entre Carmel et mer. Mahmoud me raconte l'occupation, les terres volées, la répression, l'humiliation, l'espoir mutilé, je lui raconte la manif de 300 000 à Tel Aviv qui criaient « Palestine Israël, reconnaissance mutuelle " ... Il est tord on va bientôt fermer. Paris se démaquille et se couche, une dernière cigarette, passe-moi du feu abritant la flamme, nos moins se touchent, abritant nos rêves, nos coeurs se touchent. Les mêmes rêves souvenirs qui pleuvent pour le même paysage. Haï"a si douce et si amêre là-bas entre Carmel et mer. Voilà que pour un soir comme des magiciens, on a fait dissiper la haine. Comme des magiciens, voilà que pour un soir, on a fait renaTtre l'espoir. Sarah Alexander L'Urgence d'aimer L'Harmattan 1988 Passants panni des paroles passag;; 1 .1 Le bar Floréal P u Z Z L E L'HOMO SOVIETICUS E N Les conflits inter-ethniques en URSS font la « une» de l'actualité depuis plusieurs mois. Anne Rodier dresse un bref panorama d'une situation particulièrement compliquée. Sur fond de perestroïka. n 1989, l'URSS est un empire multi-ethnique où l'identité correspond tantôt à la nation, tantôt à l'ethnie. Plus de cent nations et nationalités sont soviétiques. Des peuples aussi différents que les Arméniens du Caucase ou que les Lituaniens des pays baltes ont une 38 C R identité commune. Ce sont tous des « homo sovietici », citoyens de la grande Union des Républiques socialistes (créée en 1922). Staline fut leur « petit père ». Le russe est leur langue commune. Leur avenir est lié à la politique de Gorbatchev. Et pourtant tout les sépare: quelque 400 langues, des religions aussi différentes que l'islam, le lamaïsme et le christianisme ainsi que leur origine historique. Toutes les Républiques de l'Union sont sous une telle tension, que, en quelques jours, un fait divers devient un conflit généralisé. Des crises de toute origine: sociale, religieuse ou politique, se transforment en conflit inter-ethnique. C'est donc avec raison que Gorbatchev parle « d'énorme danger ». Ainsi en juin dernier, à Marnéouli, en République de Géorgie, une altercation a lieu entre un chauffeur de taxi et son client. Des passants s'en mêlent. Des injures racistes font s'affronter Azerbaïdjanais et Géorgiens. Qua- ~... Q t;: ... .'."" ... ... ~ 1 S E tre personnes sont hospitalisées entraînant le lendemain la manifestation de quelque dizaines de milliers d'Azerbaïdjanais, pour exiger un éclaircissement de cette affaire. Ce même mois, dans une ville du Kazakhstan, république musulmane d'Asie centrale, lors d'un bal populaire, une bagarre éclate opposant de jeunes Kazakhs à de jeunes Caucasiens. Dès le lendemain, dans une ville voisine, à Novy Ouzen, six voitures sont incendiées par les manifestants kazakhs qui saccagent kiosques et boutiques. Sur un fond social, les violences s'amplifient durant trois jours. L'Etat impose le couvre-feu. LE BESOIN D'AUTONOMIE Chacun de ces deux exemples montre, hormis la gravité et l'ampleur du problème, la différence essentielle qui, en URSS, distingue l'ethnie de la nation. Quelle que soit sa nationalité d'adoption, un Géorgien est avant tout un Caucasien et un chrétien alors qu'un Azerbaïdjanais comme un Kazakh est avant tout un Turc, un musulman. Ajoutée aux tensions locales, l'attitude des forces de l'ordre (inspirée par le pouvoir central) face à un conflit inter-ethnique suit un mécanisme qui amplifie l'événement. Après les première émeutes, pour contenir l'agitation, les forces de l'ordre interviennent mais restent insuffisantes. Face à un problème sans solution immédiate, c'est l'escalade de la violence. Le conflit s'aggrave, l'armée réprime. Très vite, le couvre-feu est imposé. L'état d'urgence est décrété: des droits et libertés sont suspendus, l'arrestation sans mandat est autorisée. A l'origine d'un conflit interethnique, la citoyenneté soviétique n'est pas en cause. La violence exprime davantage un besoin d'autonomie ou de reconnaissance visà- vis du pouvoir central, qu'un rejet de ce dernier. Mais la force de la répression retourne la colère contre ce même pouvoir. Quel que soit le fond du problème, l'évolution du conflit suit un mécanisme fatal. Si toute l'URSS est concernée par la question identitaire, en 1989, trois régions se démarquent singulièrement par la fréquence de leurs crises. Lors de son discours télévisé du 1 er juillet 1989, sur les problèmes inter-ethniques, Gorbatchev cite en exemple ces trois régions qui ont fait l'actualité du mois de juin: l'Asie centrale, le Caucase et les Pays baltes. Ainsi, depuis le début de l'année, en Asie centrale, des émeutes ont éclaté en Ouzbekistan (en janvier), au Tadjikistan (en février), au Turkménistan (en mai) et au mois de juin au Kazakhstan. Soit dans quatre des cinq républiques de cette région. Le Caucase comme les Pays baltes, sont au moins autant présents dans l'actualité de 1989. Cette succession accélérée des événements, dans un même lieu géographique, désigne ces zones comme particulièrement sensibles. En outre, ces foyers posent la question de l'identité sous ses formes les plus diverses: la nationalité, l'ethnie, la religion et le statut social. Caucase, Pays baltes, Asie centrale, pourquoi ont-ils choisi l'ère gorbatchévienne pour se manifester? Dans les faits, c'est depuis 1985, date de l'arrivée de Mikhaï! Gorbatchev au pouvoir, que les conflits inter -ethniques éclatent aux quatre coins de l'URSS. Depuis quatre ans, l'Union soviétique est remise en cause. Avec le retour de la liberté d'expression, la révision de la Constitution et les réformes de l'économie, Gorbatchev amorce une politique de libéralisation: glasnost (transparence) et perestroika (restructuration), deux mots qui font les titres de l'actualité. Au nom de la politique de transparence, fin juin, dans un village géorgien, une « magouille politique» est dénoncée. Et l'opinion publique apprend que des terrains ont été illégalement vendus aux bureaucrates locaux et aux Azerbaïdjanais. Le lendemain, des milliers d'habitants, dans la rue, manifestent leur indignation. Les Azerbaïdjanais musulmans, minoritaires, ont généralement de meilleures situations sociales que les Géorgiens, chrétiens. Dans cette république, où les relations GéorgiensAzerbaïdjanais sont fragiles, la révélation de telles « transactions» ravive les conflits. Le 8 mai, à Mardakert, dans la région du Haut-Karabakh, un camion fonce dans une mêlée de 300 Arméniens et Azerbaïdjanais. Bilan: cinq blessés graves. Cet événement récent n'est que l'un des nombreux affrontements violents, relatant la montée de la haine raciale entre ces deux peuples. Dans cette région azéri, à majorité arménienne, la tension inter-ethnique ne date pas de la perestroika. Le découpage stalinien a accordé, par la constitution soviétique, le Haut-Karabakh à l'Azerbaïdjan. Cette attribution des territoires a ainsi installé dans une république musulmane chiite une minorité caucasienne chrétienne: les Arméniens. La notion P érestroïka et Glasnost ont révélé une diversité soviétique qu'elles ne savent pas encore gérer. d'identité nationale paraît bien étrange aux habitants de cette région! La politique de démocratisation de Gorbatchev redonne la parole aux peuples. Après l'annonce d'un projet d'amendement à la Constitution, les Armèniens revendiquaient le Haut-Karabakh en octobre 1987. Mais Moscou n'apporte pas de solution. Quant aux Azerbaïdjanais, leur réaction ne se fait pas attendre. Et en février 1988, dans cette même république, à Sumgaït, on assiste à un pogrom anti-arménien. La temporisation entre la politique de transparence et les solutions apportées par la perestroika est fatale aux minorités. Vue sous cet angle, le glasnost a des conséquences contraires à ses objectifs. LA QUESTION NATIONALE Le rôle de la perestroika est, quant à lui, tout aussi politique qu'économique. Du Nord au Sud, cette même perestroika s'adresse à des identités économiques de nature opposées. Au Nord, les républiques baltes: Estonie, Lettonie, Lituanie, à majorité catholique, vivent leur conflit inter-ethnique avec les Russes, donnant un caractère plus national à la question. En effet, ces derniers sont présents pour 30 % en Estonie, 35 % en Lettonie et 10% en Lituanie. La première revendication balte est d'ailleurs la limitation de l'immigration russe. Dans ces républiques, les crises violentes du Caucase font place à des manifestations modérées pour des revendications radicales. Leur identité politique est aussi notable: le conflit russo-balte remonte à 1939, quand le pacte germano-soviétique accorda secrètement à l'URSS ces trois républiques. Indépendants jusqu'en 1940, ces Etats avaient déjà une économie développée lors de leur entrée dans l'Union. Leur passé commun avec la Pologne et l'Allemagne, ainsi que leur situation géographique les désignent comme républiques privilégiées pour l'ouverture vers l'Europe. Moscou s'intéresse donc particulièrement à leurs problèmes. Mais leurs exigences sont de taille. Si ces derniers exigent l'autonomie économique que l'URSS approuvait le 31 août 1988, leur besoin d'indépendance est en outre politique. Et si la perestroika répond à certaines de leurs exigences, son caractère incomplet les révolte. En Asie centrale, le 1er mai 1989, à Achkhabad (capitale du Turkménistan), 200 manifestants saccagent boutiques et restaurants. A l'origine de ce conflit: une république particulièrement touchée par les faiblesses économiques du système socialiste soviétique. La redistribution inégale des biens de consommation y entraîne par exemple des pénuries cycliques. La restructuration de l'économie en URSS a pour objectif de résoudre ce problème. A la suite des premières réformes, des cafés et restaurants..s;oopératifs ont été créés. Redonnant aux populations locales l'espoir timide de connaître sinon l'abondance, du moins la fin proche des pénuries, ces commerces à caractère semi-privé sont très vite devenus le symbole de l'injustice sociale. En effet, derrière les vitrines, les produits affichés sont bien trop onéreux pour les habitants de la région. La perestroika, à travers ces initiatives privées, renforce les clivages sociaux. Le fait que ces coopératives soient, pour la plupart, tenues par des Arméniens, détourne le problème social en conflit inter-ethnique: et sur un fond de lutte de classes, des Caucasiens chrétiens s'opposent à nouveau à des Turcs musulmans. Dans un monde aussi paradoxal que l'URSS, en phase de démocratisation, chacun a besoin d'affirmer son identité. Les conflits interethniques posent deux problèmes: le besoin de reconnaissance ou d'indépendance d'un peuple face au pouvoir central et l'expression de l'identité culturelle ou religieuse des peuples à travers la montée de l'intégrisme musulman ou chrétien. Aujourd'hui ces questions restent en suspens ... Bien que pour Mikhaï! Gorbatchev: « (. . .) les problèmes qui surgissent, aussi compliqués soient-ils, peuvent être résolus et le sont déjà sur la base de la démocratie ... » • Anne Rodier 39 1 Fascinée ou terrifiée, la France découvre l'Islam et les musul- COMM ENT P EUT-ON mans de France. Claude Liauzu (1) montre dans un texte incisif comment l'Islam désormais fait partie des banlieues de l'histoire de France. n Islam français prend corps, qui pose des problèmes nouveaux pour notre société, pour notre conception de la nation, pour notre laïcité. Il fait problème. Et si décomposer une difficulté pour pouvoir la résoudre est la règle d'or de Descartes, nous ne sommes guère fidèles à l'esprit cartésien. LA POLITIQUE MUSULMANE D'UN ETAT ASSIMILATEUR La question ne peut se réduire à celle des rapports avec l'Etat, des stratégies d'intégration ou de contrôle social mises en oeuvre ou à inventer. Mais les carences de trois Républiques devant un phénomène aussi important pèsent lourdement sur la situation des communautéslssues de l'immigration et sur leurs possibilités d'insertion. Aussi faut-il rappeler que notre « politique musulmane » est aussi vieille que notre histoire coloniale, et qu'elle n'a jamais brillé ni par sa générosité ni par son efficacité. Convertir le Croissant à la Croix, préserver un Islam garant de la soumission de « l'indigène », exporter la laïcité? Tout cela a été entrepris, de manière désordonnée, depuis la conquête de l'Algérie, depuis 1830 ! Sait-on que la Mosquée de Paris a été fondée, dans les années 1920, à l'initiative de parlementaires, tel Edouard Herriot, et que les nationalistes algériens, par exemple l'Etoile nord africaine, ont dénoncé la connivence entre pouvoir colonial et vieux turbans ou bénioui- oui (2). Depuis, de variations en démissions, on n'a guère avancé. Pourquoi l'enseignement des Langues et cultures d'origine (LCO), cette pauvre culture à l'usage des pauvres, a-t-il été abandonné à des Etats étrangers dans un pays de tradition jacobine? Comment le statut d'une religion qui accompagne, au moins depuis la première guerre, des migrations massives et durables, a-til pu demeurer, jusqu'à aujourd'hui, dans l'indéfinition? Heureusement, un projet, fondé sur le dialogue avec les éléments représentatifs de la communauté musulmane semble en cours d'élaboration. Il n'est que temps d'aboutir, comme on l'a fait pour les autres 40 La masquée de Paris. Rue Geoffroy-Saint-Hilaire. cultes. Car l'opinion française désorientée, inquiète, profondément ignorante des réalités, subit un syndrome islamique, et la gauche n'est pas épargnée par ces incompréhensions. LAICITE ET ISLAM Incompréhensions qui, dans les années 1950, nous ont coûté cher, et nous ont entraîné dans des guerres coloniales d'autant plus déchirantes que les mouvements de libération ont été perçus comme arriération, fanatisme, rejet d'idéaux universels et universellement émancipateurs. Le temps n'est pas si loin, où les syndicats enseignants, la Ligue des droits de l'homme, la Ligue de l'Enseignement, la SFIO, le PC, interprétaient le soulèvement algérien en fonction de stéréotypes eurocentristes: bandits, avec ou sans honneur, disait Denis Forestier des combattants des Aurès, avaleurs de versets coraniques, disait A. Baillé des Moudjahiddin. Ce qui n'était peut-être pas totalement faux, mais c'était loin de rendre compte de ce phénomène gigantesque: l'accès des peuples du tiers monde au politique. Et, dans tous les cas, le traitement proposé, lui, a abouti à une mise en question des valeurs mêmes dont il se réclamait. L'effet Le Pen le rappelle régulièrement. Ceci pour hier. Les termes du débat ont-ils tellement changé ? Aujourd'hui et demain, la gauche doit ETRE D'ISLAM •• et devra relever d'autres défis. Notre héritage laïque, si riche qu'il soit, appelle une actualisation. Invité par la Ligue de l'Enseignement à son 87e congrès, j'ai été impressionné par l'effort de renouvellement et d'ouverture dont témoignent ces assises, par la qualité des rapports qui ont été présentés sous le signe de la solidarité et des droits de l'homme (Le Monde diplomatique de juillet a publié une page sur ce dossier sous les signatures de Michel Morineau et Guy Gauthier). Il est en effet indispensable d'interroger notre stock de références, de s'interroger sur ses limites. Dans une situation de crise profonde de la pensée et d'incertitudes, une laïcité vivante doit s'enrichir par un débat avec les conceptions du monde les plus diverses, par une écoute de l'altérité. C'est la différence qui enrichit. Tout repli frileux sur nos certitudes, dans un monde en mutation, condamne à la sclérose intellectuelle. L'immense problème posé par l'Islam tient à sa capacité de mobilisation des masses, à sa capacité de porter une espérance de justice. Ecraser l'Infâme, lutter contre l'intolérance, contre les mentalités médiévales, bien sûr, mais sans faire des millions de Mostazzafin (Déshérités), les Chouans de cette fin de siècle. L'importance nouvelle du religieux dans les sociétés du tiers monde est la manifestation des insuffisances de notre rationalisme, des modèles de modernité et de développement inspirés par les idéologies issues de l'Occident. Il serait aberrant et dangereux que les démocraties se posent en Iles de lumière encerclées de Vendées mystérieuses et inquiétantes. Or, c'est bien la pente dominante. Le PAF, aussi bien que le PIF (paysage intellectuel français), cultivent une fascinationrépulsion envers l'Islam. Celui-ci apparaît comme une sorte de Cavalier de l'Apocalypse, un spectre hantant nos consciences et notre inconscient. Alors que les médias, la communication, l'information instantanée, l'image, prennent une importance déterminante dans les relations entre sociétés, constituent une surréalité qui prend le pas sur la réalité, il est urgent de comprendre comment et pourquoi nous produisons nos représentations de l'Autre. Ce travail reste à entreprendre. Il faut au moins souligner la complexité des visions du monde musulman, qui mêlent souvenirs des Croisades et du Djihad, de la colonisation, exotisme et orientalisme. Ce qui domine dans la période actuelle, c'est la réduction des rives sud et est de la Méditerranée à un anti-Occident, à l'opposé absolu de l'Europe des droits de l'homme, de la démo- DIFFERENCES - N° SPECIAL - SEPTEMBRE 1989 cratie, de la liberté. A nos portes, camperaient des barbares condamnés à errer entre l'anarchie et le despotisme, prisonniers de leur religion, de leur violence, menaçant de les transporter chez nous. La question de l'Islam en France conjugue tout cela, à quoi s'ajoutent les contradictions liées à l'immigration, qui sont l'un des impensés de notre histoire. UN ESPACE A CREER Ces difficultés, si elles sont affrontées dans la clarté, peuvent ouvrir de nouvelles perspectives. La conception de la Oumma, du Dar el Islam de la Communauté des Croyants, de la Demeure de l' Islam, ne saurait s'ajuster à notre définition de la nationalité et de la citoyenneté. De plus, la tradition française, qui ne reconnaît que l'individu, est différente de celle des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne. Mais la constitution de l'Europe, les phénomènes de transnationalisation culturels appellent des inovations. La pluralité et les ancrages méditerranéens sont une des chances d'échapper au vortex d'une modernité faite de déracinement et d'arasement des identités. Au reste, la création esthétique, littéraire et musicale des immigrations prouve la fécondité d'itinéraires originaux. Et ces dynamiques, celles de la vie associative, appellent un espace d'expression. L'Islam en est l'une des composantes, de même qu'un processus de laïcisation, de transculturation qui est occulté par le néoorientalisme ambiant; par la mode scientifique et médiatique qui fait d'une religion la mesure de toute chose. Banlieues de l'Islam? Islam des banlieues? Ces titres choc seraient dangereux s'ils faisaient oublier le cantonnement dans les banlieues de l'histoire auxquelles sont contraintes les migrations et les générations qui en sont issues ... La laïcité vivante, active, créatrice, est-elle dans les flonflons du 14 juillet 1989 et sous les dorures des salons abritant le sommet des Sept plus « grands» ? N'était-elle pas plutôt dans la rue le 8 juillet, les 15 et 16 juillet, où musulmans, chrétiens et juifs, croyants et incroyants, manifestaient leur solidarité avec les peuples les plus pauvres, avec les luttes contre les Bastilles ? Claude Liauzu (/) Historien, auteur de nombreux ouvrages, dont La Crise orientale de l'Occident, Arcantère, /989. (2) Dans le vocabulaire de cette période, le vieux turban symbolise le conservatisme intellectuel des clercs musulmans et le béni-oui-oui le notable de service qui dit toujours oui. UNE HISTOIRE DE FOU Un parcours pas comme les autres, et pourtant bien répandu, celui d'une amie qui nous raconte cette anecdote. Madame Yvette Bitton se présente au Consulat de RFA à Paris pour faire légaliser un papier administratif. Madame Y. Bitton s'adresse au fonctionnaire qui l'accueille: - Bonjour, Monsieur. Pouvezvous, s'il vous plaît, légaliser ce papier signé par moi? Le fonctionnaire : - Votre carte d'identité, s'il vous plaît. Madame Bitton s'exécute. Le fonctionnaire: - Il Y a un problème: la personne concernée par le problème s'appelle Betton et vous vous appelez Bitton. - C'est la même chose, Monsieur. Voyez-vous, en arabe, il n'y a pas de voyelle, aussi ce nom se transcrit indifféremment Bitton ou Betton. Cela n'a pas d'importance. - Ah oui ! vous êtes épouse Koupréou. La carte d'identité de votre mari, je vous prie. (II regarde le document en question). Voilà encore un problème: votre mari s'appelle Koupréos et vous-même Koupréou! - C'est la même chose, Monsieur. Chez les Grecs, le nom de l'époux se termine par « os » et celui de l'épouse par « ou ». - Bon. Votre passeport, s'il vous plaît. Je vois, vous êtes grecque. - Oui. - Vous êtes née en Grèce? - Non, je suis née en Turquie. - Vos parents sont turcs? - Non, ils sont d'origine syrienne. - Alors, ils vivent en Syrie. Non, ils vivaient en Egypte. Ils sont en Egypte ? - Non, au Brésil. - Ils sont devenus Brésiliens? - Non, ils sont apatrides. - Vous vous payez ma tête. - Non. - Je vois, avec vous, tout est la même chose, mais rien n'est pareil à rien. C. B. LE MEILLEUR DES MONDES ~ ~~------------------.............. ~ ............ --------------~ LE REVE RA SNATIONAL 42 Professeur à l'université de Rennes, Armand Mattelart connait bien les réseaux de communication internationaux et leur influence sur les comportements collectifs ou individuels (1). Il dit ici pourquoi le rêve international . est devenu incontournable. Différences: La notion d'impérialisme culturel a longtemps servi à dénoncer la manipulation des identités par un ordre international uniformisateur. Comment appréciez-vous aujourd'hui l'efficacité de ce concept? Il Armand Mattelart : Ces termes d'uniformisation, d'homogénéisation et surtout d'impérialisme culturel ont été très importants dans les années soixante. Ils ont contribué à analyser les rapports de forces au niveau mondial et à y résister. La domination d'une puissance, en particulier celle des EtatsUnis, était patente. Le concept d'impérialisme culturel est né dans une période où on avait le sentiment qu'il n'y avait pas de riposte possible. Le monde entier paraissait abreuvé de bandes dessinées américaines, de Walt Disney, de séries télévisuelles. Les foyers de résistance à cette hégémonie n'étaient pas clairement situés. Aujourd'hui, la réalité est nouvelle: les logiques lourdes d'uniformisation et d'homo- ~ 43 ~ généisation fonctionnement toujours aussi fortement, mais on sait aussi qu'il existe des logiques contraires. De plus en plus de groupes de gens sous des latitudes bien diverses se rendent compte que des alternatives sont à construire pour résister au modèle de développement transnational dominant. Parlons de l'homogénéisation, mais parlons aussi des réponses qui émergent un peu partout même si les liens entre les diverses expériences ne sont pas toujours visibles. D : La force des mécanismes internationaux de productions des biens culturels et des représentations est de faire croire à l'universalité intrinsèque et immédiate de ces produits ... Il A.M. : Le monde est en train de se mondialiser, pourrait-on dire: aussi de plus en plus de réalités socio-économiques doivent produire des marchandises qui vont s'internationaliser. Les rapports entre les peuples passent aussi par des rapports de force entre industries culturelles. J'évoque ici aussi bien les agences de presse, que les agences de production publicitaire que la télévision ou le cinéma. Or, certains produits paraissent plus doués ou dotés d'universalité que d'autres. Que les Etats-Unis exportent leurs séries télévisées n'est pas gênant en soi. Mais, ce type de produits, par son omniprésence, empêche d'autres de fabriquer autre chose et de penser industriellement différemment la chose. La question de fond est bien la suivante : est-ce qu'il y a place sur le marché des industries culturelles pour d'autres expressions que celles qui ont été jusqu'ici hégémoniques? Certains disent : tout le monde ne produit pas des Dallas ou des Dynasties mais chaque peuple, chaque groupe a sa manière de lire Dallas ou Dinasty à partir de sa propre culture. Certes, mais cet argument est purement libéral. Le problème n'est pas de consommer avec telle ou telle force de résistance mais de penser et surtout d'exprimer à travers des produits industriels une attitude propre face au développement, à la conception de l'humain ou du bonheur humain. En un mot, récupérer sa dignité. Dignité.' un mot qui se trouve sur toutes les lèvres de ceux qui tentent de se libérer des formes d'oppression les plus diverses. D : La diffusion de la culture de masse et des valeurs de la société de consommation n 'ontils pas créé un précédent incontournable, définitivement installé dans les processus d'identification individuels et collectifs ? Il A.M. : Oui, le marché international a instauré des modèles et une mémoire qui sont un dénominateur commun à tous. Ce qui n'existait pas il y a seulement dix ou quinze ans, ou seulement de manière parcellaire. Les publicitaires considèrent que les gens sont plus ou moins « alphabétisés en publicité », par analogie et d'une manière plus globale on peut considérer que les gens sont « alphabétisés en culture de masse ». Cette culture de masse, universelle, a un signe particulier, c'est le si- 44 gne américain. Le problème de fond est le suivant

y a-t-il oui ou non moyen de produire

autre chose et en fonction d'autres modèles? D : Les incidences pratiques des médias sont probablement énormes. Qu'est-ce qui vous paraît le plus préguant au niveau des comportements? Il A.M : Les relations publiques dans nos univers sont dominées par les effets des médias. Qu'est-ce que, par exemple, la charity business? C'est une interrogation à laquelle certains ont répondu à partir d'une logique commerciale, du marketing, afin d'accomplir leurs fins philantropiques. D'autres préfèrent se situer sur le terrain du mouvement social. Les uns et les autres doutent de la validité des politiques de communication antérieures propres aux grandes organisations sociales. Ceci nous amène à constater que la culture marchande pénètre tous les interstices de la société. L'échec des grands modèles de construction socialistes conduit au fait qu'en cette fin de siècle nous nous trouvons bien nus. Certains abandonnent le combat. D'autres se replient sur des micro-groupes, sur des réseaux micro-cellulaires en prévoyant que la somme des expériences acquises fera émerger d'autres alternatives à des niveaux plus larges. Nous sommes dans une phase de reconstruction. VOUS AVEZ DIT GASTRONOMIE FRAN.C AISE? Demandez donc à un Fran~ais de vous présenter son pays : il vous parlera de sa gastronomie, « la meilleure du monde ». Mais si les Fran~ais ont su accommoder, cuisiner les aliments, ceuxci proviennent souvent d'ailleurs. Or que serait un chocolat liégeois sans le cacao importé du Mexique au XVII- siècle, une ratatouille sans les aubergines d'Inde apparues en Europe au XV· siècle? Ce n'est pas tout: le croissant si réputé fut inventé par un Polonais en Turquie; le cidre qui accompagne les crêpes bretonnes a été importé en Espagne par les Maures. Et si les Anglais restent écoeurés par ces « Froggy )) qui se nourrissent de grenouilles et escargots, les Fran. ~ais ne furent pas les premiers à en déguster. Il paraÎtrait même que la choucroute était à l'origine un met . chinois. Qui l'eût cru ? Tout ceci ne prouve rien, bien entendu, et montre seulement que la gastronomie, comme tout autre élément de notre culture, est le fruit de nombreux échanges. G. Senée L'essentiel étant, à mon sens, de bien combattre la conception néo-libérale de l'individu. Cette tâche est difficile, dans la mesure ou le néo-libéralisme fait aussi partie de la naturalité quotidienne. On a bien conscience ici et là que les lois du marché conduisent à la reproduction des inégalités sociales mais les contre-exemples sont terriblement lourds : le socialisme existant, le pouvoir étatique, le service public, le corporatisme syndical... D : Les pays du tiers-monde ont beaucoup de mal, notamment pour les plus pauvres, c'està- dire les plus dominés, à imposer leur propre logique de développement en fonction de leurs réalités propres. Il A.M. : L'effet numéro un du modèle de développement occidental c'est l'installation de modèles de consommation qui affectent gravement certaines sociétés. Exemple édifiant: le Brésil est un des premiers exportateurs de jus d'orange. Or, les Brésiliens souffrent de carences graves en vitamines C. Ailleurs, au Mexique, le coca-cola est devenu un objet de statut social et les réseaux de circuit de production de cette boisson ont servi à raffermir les pouvoirs des nouveaux caciques. La dénutrition et la pauvreté sont les effets de ce rêve transnational. D : Certains groupes ou peuples se sont emparés des technologies modernes pour se les approprier. De quelle manière ? Il AM : dans les années 70, peu de peuples du tiers monde se sont intéressés à l'autoprise en charge de la radio, par exemple, comme outil de communication et d'éducation. La plupart des gens y étaient opposés puisqu'ils n'y avaient pas accès. Aujourd'hui, des groupes de travail se sont constitués qui travaillent sur des réseaux de banques de données pour essayer de développer d'autres modes de développement. Et ceci non pas seulement à partir de politiques étatiques prises d'en haut, mais à partir du vécu des agents ou des acteurs de la société civile. Dans les années 80, il y a un renforcement des signes universels du modèle transnational- on n'a jamais tant parlé de la globalisation des médias - et pourtant, de plus en plus de gens contestent ces modèles et essaient de trouver des options nouvelles. Aussi bien à partir de l'industrie télévisuelle que dans les pratiques pédagogiques d'alphabétisation. Parce que de toute façon, les gens baignent dans cette culture exportée par l'Amérique . Aujourd'hui, vous ne trouverez pas de groupes populaires en Amérique latine, dans les bidonvilles ou chez les paysans qui n'ont pas incorporé cet élément de base. Au lieu de se situer en marge de la société, dans un territoire qui serait déjà libéré, qui constituerait une institutionnalité du futur , ils s'acceptent comme traversés, contaminés eux aussi, par ces réalités médiatiques contemporaines et ils essaient précisément de les dépasser. ~ La culture ind ustrie lle e t l'indus trie de la culture imposent â tous des ré fé rences universelles. Sur la base du plus petit dé nominateur commun, c'est l'aplanisse. ment, l'affad isse· me nt, l'érosion des originalités q ui tentent de s'impose r. 45 1'1 1 ,1 il i 1 ~ ~ ~ ~

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"li: ~E-x-em-pl-e p-ub-lic-itaire où les femmes voient leur identité transformée, avilie : ce qui est imposé dans l'espace de la ville c'est l'image de l'esclave sexuelle. • D : Les problèmes d'identité (religieuse, nationale, ethnique) se trouvent exacerbés du fait des contradictions aiguisées entre les cultures nationales et le marché international. Comment les appréhender ? Il A.M. : Bien malin celui qui peut répondre à cette question. De toute manière, il n'y a pas moyen de définir ou de se pencher sur la question de l'identité, des identités particulières sans s'interroger sur le rapport qu'ont les groupes représentant cette identité et finalement la production industrielle de films, disques, produits télévisuels ... Ce qui ne veut pas dire que toute la culture s'exprime par là. Mais c'est un terrain fondamental. D : En Europe, on ne voit pas poindre de réponses collectives aux effets pervers de l'économie de marché sur les individus marginali- 46 DIX MILLIONS DE DOLLARS AU NOM DE LA COULEUR DU CHRIST Un vidéo-clip de Madonna, IIke a proyer, représentant un Christ noir s'est attiré les foudres de nombreuses associations religieuses des Etats-Unis. Pepsi.Cola, producteur de ses images, a annulé SG campagne. Coût de l'opérotion : 10 millions de dollars. Les chrétiens bronz. és de ce pays,. d'Afrique ou d'ailleurs, auront apprécié ce refus satanique de la couleur nègre. sés qui souffrent de ne pas avoir leur place dans le tissu social et ressentent une précarisation dramatique de leur identité individuelle. Il A.M : La marchandisation et la commercialisation est très récente en Europe. La notion de service public a été et reste prépondérante. Télévision, santé, éducation, télécoms ... Le choc est d'autant plus brutal. La restructuration s'est faite pour la télévision en l'espace de 5 ou 6 ans. On est passé d'une légitimité télévisuelle de service public avec à l'horizon une vocation pédagogique à une logique commerciale. Il faut du temps pour reconstituer une légitimité de citoyens dans cette marée envahissante qui consiste à penser qu'un citoyen est d'abord un consommateur. Ce temps de la reconstitution est nécessaire aussi bien pour les assemblées de l'agora démocratique que pour les individus. Il est très difficile de vivre en ce moment parce que les gratifications liées au consensus critique antérieur ne sont plus de mise. C'est à travers des rapports souvent interpersonnels et intersubjectifs que l'on découvre finalement qu'il y a des gens, plus qu'on ne croit, qui posent des problématiques semblables. C'est là à mon sens une victoire d'avoir redécouvert que ce qui importe aussi, c'est l'expérience vécue. On l'a oublié pendant des années en ayant tendance à percevoir les individus à travers leur embrigadement dans un schéma de future société sans tenir compte de leurs sentiments, de leur subjectivité. La critique des formes qu'a assumée la critique sociale peut tomber dans la négation de la nécessité de la critique sociale comme elle peut engendrer une nouvelle réflexion sur ce que signifie la critique sociale dans un monde qui pense d'une autre façon la démocratie. D : Schématiquement, ceux qui fabriquent de belles images pour faire aimer et consommer tel ou tel produit s'intéressent aussi aux identités des gens. Comment cela se passe-toi! concrètement ? Il A.M. : La logique lourde adresse le même message aux cultures et aux individus les plus différents. Elle tend à nier effectivement ces différences, mais elle fonctionne aussi selon un principe de segmentation. Ceux qui analysent le marché s'intéressent aux différences de style de vie, aux mentalités, aux flux socio-culturels. La segmentation essaie de se croiser avec la globalisation dans la mesure où le but est de retrouver à l'intérieur de chaque réalité nationale les individus ayant les mêmes styles de vie ou les mêmes goûts ou les mêmes aspirations à tel ou tel mode de vie. Par exemple: on va repérer et quantifier ceux qui aiment le camembert et le Bourgogne à travers toute l'Europe. On constatera qu'ils représentent 10 070 des populations comprises entre l'Italie et la Hollande en passant par la Suède

ceci constitue un marché segmenté à l'intérieur

d'une logique d'approche globale. D : On peut supposer que pour mener de telles analyses, la recherche scientifique est mise à contribution. Dans quelle mesure ? Il A.M. : Si on faisait des statistiques, on s'apercevrait facilement que 80 à 85 % des connaissances qui servent de références aux médias et aux systèmes de communication sont émises à partir d'un potentiel de recherches commerciales. On n'a pas assez noté que la redistribution du pouvoir publicitaire, les reconstitutions des grands groupes, des grandes centrales d'achats, des groupes multi-médias, a été parallèle, ces 5 ou 6 dernières années à une polarisation et à une concentration du pouvoir de la recherche. Un des éléments les plus essentiels du fonctionnement des médias et de l'industrie de la communication en général est la connaissance des audiences, par rapport aux programmes et par rapport aux flux d'achats. La publicité sert évidemment à faire acheter. Il y a, pour atteindre ce but, un appareil de recherche commerciale très sophistiqué: études de marchés, sondages, mesures d'audience où s'investissent de plus en plus d'intelligences, de gens venant de domaines divers tels que la psychanalyse, l'anthropologie, l'économie. La communication est devenue un champ professionnel. Face à cette rationalisation de la recherche dans les pays de l'économie mondiale tripolaire (Europe, Amérique du Nord, Japon), les mouvements sociaux ont très peu d'outils d'analyse et ont peu développé la problématique de la recherche autour des réalités auxquelles ils sont confrontés. Il y a un contraste énorme entre les dossiers bien ficelés des grandes corporations publicitaires (qui ont été par exemple présentés devant le conseil de l'Europe à propos des quotas publicitaires et des quotas de programmes) et le peu de réflexion, de l'autre côté, sur les sources des mouvements sociaux. Or, s'il y a un domaine où va se jouer la démocratie aujourd'hui c'est précisément le contrôle de la source, le contrôle des chiffres. Si vous regardez l'instauration, l'installation des nouveaux paysages audiovisuels européens, bien souvent en ce qui concerne les privés, elle s'est faite sur la base d'études statistiques et d'estimations qui n'étaient pas sous contrôle des citoyens. Le problème de la recherche est un problème sérieux. La réponse devrait venir autant des organismes officiels comme services publics, que des universités, que des mouvements sociaux eux-mêmes. La logique médiatique ne fait pas seulement passer des messages ou des programmes, elle pose aussi le problème de l'analyse et de l'examen d'une réalité. Ce qui nécessite pour les logiques alternatives de se poser la question de la nécessité d'un autre type de citoyen. Un citoyen davantage soucieux de comprendre le monde qui l'entoure et ce qui s'y passe. Un citoyen qui ne se contente pas de se fier aux simples expressions éphémères, aux modes .• Propos recueillis par Cherifa Benabdessadok (/) Dernier livre paru: L'internationale publicitaire, ed. La Découverte coll. Textes à l'appui. A. Mattelart a également publié Multinationales et systèmes de communication (/976), L'ordinateur et le tiers monde (avec Hector Schmu· cler), La culture contre la démocratie (avec Xavier De/court et Michèle Mattelart) et Penser les medias (avec Michèle Mattelart). QUAND WALl DISNEY DEBARQUE EN FRANCE ••• Euro-Disneyland ouvrira ses portes en 1992 dans la ville de Marne-laVallée. Héritière des produits Disney, l'implantation de ce parc d'attractions s'ajoute aux nombreuses publications et réalisations audiovisuelles du créateur de Donald et Mickey. Le « royaume magique », comme disent les promoteurs du projet, s'étendra sur 67 hectares dans un parc de loisirs destiné à faire rêver. Les visiteurs y découvriront Main Street, représentation de la grand-rue d'une petite ville américaine ainsi que des histoires « extraordinaires» dans le château de la Belle au bois dormant ou dans la représentation des grands canyons. Euro-Disneyland sera, à peu de choses près, identique aux Disneylands déjà existants (Floride, Californie, Japon). Le financement du projet s'élève à la coquette somme de 14 milliards de francs, la BNP étant parmi les principaux investisseurs. Présenté comme un produit culturel européen, malgré sa conception américaine, EuroDisneyland joue l'optimisme financier sur le label Disney. Onze millions de visiteurs sont attendus dès la première année, dont la moitié serait constituée de touristes européens. Bien sûr les produits Disney appartiennent à la culture de masse et sont devenus de ce fait universels. On peut néanmoins se demander si ces produits ne sont pas déjà dépassés malgré leur gloire antérieure. L'Europe ne gagneraitelle pas à s'interroger sur les critères, en particulier architecturaux, culturels, humains et écologiques, à partir desquels les investissements d'avenir doivent se faire? • Emmanuelle Nigues « Si vous regardiez bien au fond de mes yeux, vous y verriez flotter deux drapeaux américains

et le long de mon

échine monte une bannière rouge, blanche et bleue, les couleurs des Etats-Unis ». The Spirit of Disneyland, Walt Disney Productions, '984. 47 COUPLES Le brassage continuel des populations, notamment en France, en mettant l'accent sur leur situation quotidienne au moment même du débat complexe sur l'immigration, nous amène à nous interroger avec Augustin Barbara (*) sur les concepts de culture et de société. e monde est un gigantesque bricolage» dit François Jacob ... Les mariages mixtes y contribuent grandement. Mais la simplicité du propos cache une telle complexité ! Alors qu'on les perçoit souvent à la périphérie des phénomènes sociaux les mariages mixtes sont au centre même du fondement des rapports entre les sociétés et les cultures. En effet, quelles sont dans notre monde moderne les sociétés qui ne soient pas engagées avec d'autres sociétés (pour reprendre la théorie de Claude Lévi-Strauss) dans des échanges économiques, symboliques et humains? Ces mariages constituent alors un indice concret de légitimité des contacts. Qu'il n'en existe pas, pour des raisons historiques ou autres (parce que la loi l'interdit par exemple) et nous avons une séparation des groupes humains (exemple: l'apartheid). DEJA DANS LA GRECE ANTIQUE! En même temps que leur nécessité s'impose comme un fait, les mariages mixtes sont une question préoccupante depuis la nuit des temps. Déjà dans la Grèce antique, ces unions mixtes provoquaient des réactions et l'on réglementait le mariage avec l'étranger (1). Nombreux sont les exemples pour nous signifier que les mariages mixtes ont toujours été 48 MÉTISSAGES des mariages surveillés, voire contrôlés et réglementés. Il n'est qu'à se souvenir de toutes les accommodations qu'il a fallu mettre en place pour que les mariages entre protestants et catholiques puissent se conclure sans trop de difficultés en France. Ce qui n'est pas le cas dans tous les pays (ex. : Irlande). QUELLES QUESTIONS AUJOURD'HUI ? Les mariages mixtes (perçus statistiquement, seulement à partir du critère de la nationalité au moment du mariage) représentent plus de 8 070 en France. Cette proportion de mariages mixtes croît régulièrement aux USA, mais aussi dans certains républiques d'URSS, révélant ainsi la complexité des multiples origines du peuple soviétique. Dans ce pays traversé par les conflits ethniques, l'on avait pensé que ces mariages joueraient un rôle important dans le décloisement des ethnicités. Quant à l'Amérique latine, la minorité d'origine européenne s'est lentement mais sûrement métissée avec les populations autochtones et celles que l'on a fait venir d'ailleurs. En RFA, les mariages mixtes sont également nombreux (7,3 % en 1984), notamment avec les Turcs immigrés. Ces mariages existent donc, mais ils questionnent toutes les sociétés sur des problèmes fondamentaux de leur évolution. Car ils posent le problème de l'identité globale des groupes. En outre, ils troublent le bon fonctionnement des institutions (juridiques, religieuses, politiques, etc.) qu'ils s'étaient données pour perdurer dans l'histoire. Ils deviennent les trouble-fête qui chevauchent les frontières que les nations avaient pu édifier ensemble. Elles s'étaient mises d'accord sur des limites réelles, fixes. Et voilà des contrevenants qui s'arrogent le droit individuel de les transgresser! Nous notons alors deux réactions. Tout d'abord une grande méfiance, pouvant aller de l'interdiction la plus ferme (apartheid, loi de Vichy interdisant le mariage avec les Juifs, de même en Italie avec Mussolini) à la tolérance prudente et difficile à vivre dans le quotidien. L'autre réaction est celle d'un idéalisme exagéré à vocation de métissage généralisé. LA CONDITION CONJUGALE MIXTE La relation de couple interculturel s'inscrit quotidiennement dans le rapport hommefemme, en brouillant souvent les rôles masculin et féminin habituels constitués à partir des éducations culturelles différentes vécues dans les milieux sociaux d'origines. Le statut de la femme et sa réalisation personnelle et sociale sont des éléments capitaux de cette relation. La question de la résidence familiale sera toujours présente dans les décisions que les conjoints prendront durant leur vie commune. La réalité interculturelle de la distance originelle prendra une force très grande au moment des conflits, surtout s'ils sont irrémédiables, dans un divorce, ou une séparation par exemple: Alors l'enfant sera, au moins pendant quelques années s'il est très jeune, au milieu du conflit, entre des adultes qui en Ce n'est pas fleur que ie veux être, comme elle est, ie veux simplement être homme autant que la fleur fleur. Guillevic. font leur enjeu farouche s'ils ne trouvent pas les accommodations nécessaires pour ne donner la priorité à l'intérêt de l'enfant plutôt qu 'au leur. Des antagonismes juridiques rendent la résolution de ces conflits très difficile. Par exemple, la filiation islamique crée une opposition sur l'autorité parentale. Cette dernière est paternelle et islamique au Maghreb alors qu'elle est devenue conjointe en France. LES RESPONSABILITES DES SOCIETES Par ailleurs les conflits dans la société internationale se répercutent dans les familles mixtes qui peuvent se trouver fragilisées d'un moment à l'autre (exemples : le conflit libanais, l'Irlande ... et déjà même les conflits ethniques en URSS), ce qui a conduit à prendre désormais en considération la vie quotidienne de ces couples dans les préoccupations politiques mondiales. La conférence d'Helsinki en août 1975 a consacré un paragraphe aux mariages mixtes dans l'acte final sur les droits de l'homme. Car si ces mariages sont mixtes ou interculturels, c'est bien parce que les sociétés, qui ont le droit d'avoir et de construire continuellement leur identité, ont aussi tendance à devenir normatives. Bien qu'ils constituent actuellement un moyen privilégié d'insertion et d'intégration de quelques étrangers ces mariages ne sont actuellement pas saisis comme une chance de compréhension des cultures, car ils vivent dans une obligation d'alignement culturel. Cette condition mixte, imposée de l'extérieur ne peut actuellement se transformer dans une expression mixte légitimée qui consacrerait le droit à une existence sociale en tant que mariages mixtes. Si ces conjoints ont pu dans un premier temps, à partir d'une « conduite d'écart », s'éloigner des normes globales, ils ne sont plus isolés et constituent une tendance des sociétés modernes au développement toujours croissant de ces mariages favorisé par les nouvelles conditions d'échanges et de communications entre les peuples. Par ailleurs cet ensemble de mariages mixtes se rapproche de plus en plus des autres mariages; ajoutant une originalité qui fait partie du nouveau paysage démographique français et européen. Il est aussi un indice du nouveau rapport individu-groupe et du rapport à la norme. En ce sens les mariages mixtes, s'ils font partie d'une problématique toujours présente dans l'histoire sont aujourd'hui une question de la modernité. Seraient-ils porteurs de décisions individuelles annonçant très longtemps à l'avance les décisions que les groupes devront prendre dans l'avenir? En ce sens, les mariages mixtes seraient encore et en même temps réprouvés et emblématiques! • Augustin Barbara (*) Sociologue auteur de Mariages sans fron tières, Paris ed. du Centurion. /985 (2' édition) et de Marriage across frontiers, C/evedon. Philadephia, Mallers Lingual. /989. (1) Michel Austin et Pierre Vidal-Naquet, Economies et sociétés en Grèce antique, Colin (U2). Paris. 1972. p. /16. PLoS. T~AI 0'" SE' MANE'~~ AV~A t €S 'êt"·'TS 49 L' ÂGE LES VIEUX DANS TOUS LEURS ETATS La vieillesse fait d'identité bafouée, figure refusée, elles, la tant les images sur rarement conformes à réalité, sont réductrices et les condamnent à une inexistence sociale. Mais, un peu partout, des gens âgés bousculent les idées reçues. Désormais, des octogénaires se baladent sur des planches de théâtre. 50 n festival réunit annuellement, à Mâcon, des troupes artistiques composées en grande majorité par les « plus de 50 ans ». Son objectif: ouvrir les frontières entre les pays et les âges. Et promouvoir une réflexion sur les changements qu'implique l'existence de ce nouvel âge. Prochaine étape: novembre 1989 ... avant le Woodstock des plus de 50 ans, qui se tiendra à l'approche de l'été. « L'expression artistique permet de casser les stéréotypes que l'on a sur les personnes âgées et d'améliorer leur image », explique Michel Daureil, Directeur de l'âge dans tous ses états, une manifestation où se croisènt chanteurs portugais, danseurs grecques et comédiens espagnols. « On a encore trop l'impression qu'en vieillissant, on perd plus qu'on ne gagne, comme si l'on refusait d'intégrer cette composante de notre identité d'être humain: vieillir est profondément naturel ». Voir des personnes âgées s'illuminer sur scène, rencontrer des gens de 90 ans qui ont envie de découvrir jusqu'au bout, bouscule l'image du « vieux» qui rouspète quand les motos pétaradent, et permet de repenser les relations entre les générations. Car il est étonnant de constater que, dans le public, il y a autant de jeunes que de gens âgés. Au mois de novembre 1988, 1 500 participants venus de toute l'Europe s'étaient retrouvés à Mâcon, pour présenter tous les arts de la scène, des traditions séculaires à l'adaptation d'auteurs contemporains. Toutes les générations de retraités y ont été représentées, des chômeurs de fin de droit âgés ... aux presque centenaires. Ce qui explique ce titre clin d'oeil et un peu provocateur donné au festival. « De qui parle-t-on lorsqu'on emploie le terme des plus de 50 ans? Des retraités? Pas seulement. Des personnes âgées? Le mot ne correspond plus à ces gens qui ont encore un dynamisme extraordinaire. Pas plus que le vocable vieux ». Eux-mêmes ne savent pas comment s'appeler, poursuit Michel Daureil, qui est par ailleurs chargé de mission sur les questions de vieillissement au sein du cabinet de Jack Lang. « Cette situation est comparable à celle des noirs: ils acceptent aujourd'hui de s'appeler « noirs» car ils ont travaillé sur leur négritude, et la revendiquent désormais. Nous devons tous, de même, réfléchir à ces questions pour que les plus de 50 ans trouvent leur territoire ... et soient moins négligés. C'est pour cela qu'ils ont, de manière transitoire, besoin de se retrouver comme cefut le cas pour les mouvements féministes ou maghrébins en France. Une étape indispensable pour saisir son originalité et sa force ». La discrimination face à ceux qui, en France, représentent plus de 20 070 de la population n'est pas un phénomène exclusivement hexagonal. Selon Michel Daureil, le racisme de l'âge est plus largement un problème métaphysique, et la peur de mourir n'est pas qu'individuelle. « C'est un problème de civilisation: l'Europe est un carrefour et a conscience de sa précarité », estime-t-il. La troisième édition du festival L'âge dans tous ses états, au mois de novembre prochain, s'articulera autour de moments de réflexion avec les professionnels de la santé et des structures d'hébergement. Des journées d'échanges sur la vie affective et les pratiques culturelles des personnes âgées complèteront un travail théâtral monté avec le Théâtre de l'Opprimé et un spectacle italien par des professionnels âgés travaillant avec Tadeuz Kantor. Un spectacle superbe d'une gaieté et d'une beauté rare, dit-on. Enfin, en juin 1990 un Woodstock des plus de 50 ans accueillera des troupes internationales. Parallèlement, le 26 juin sera déclaré journée nationale de l'âge dans tous ses états. Pour affirmer que la population âgée a autre chose à faire qu'attendre sa pension de retraite. Pour montrer son dynamisme trop peu utilisé. « A voir 60 ou 80 ans n'est en aucun cas synonyme de démision, inutilité, poids mort pour soi et pour ses enfants. Ce festival le prouve. Il est indispensable de valoriser le potentiel créateur des personnes âgées ». • ~ L.L. '" Festival l' Age dans tous ses états du J3 au /7 novembre. ~1: Tél. : 85.38.08.38 "'" VERS UNE REVOLUTION GRISE On ne sait pas comment les nommer. Ils ne savent pas non plus comment s'appeler. Et pourtant, ils représentent près d'un quart de la population française ! La vieillesse ça n'existe pas », répond sans hésiter Maximilienne Levet. Psychosociologue, gérontologue, auteur de plusieurs ouvrages (1) sur les gens âgés, elle estime qu'il est absurde de vouloir donner une étiquette commune à des gens de 55 et 90 ans. Et de les assimiler à un même groupe social, sous prétexte qu'ils sont à l'âge de la retraite. « Ils n'ont pas plus de choses en commun que des individus de 15 à 40 ans, qu'un même écart de 35 années sépare! » Comment sont vues et comment se voient les personnes âgées? L'une des deux images dominantes est celle d'un « 3e âge gai, dynamique, sportif ... » « Mais voit-on beaucoup de personnes de 70 ans sur une planche à voile ou une bicyclette, comme certains magazines semblent nous le faire croire? », s'interroge la psychosociologue. L'autre image véhiculée est au contraire celle d'un quatrième âge décrépit, dont l'accueil en institution représenterait un vrai gouffre pour la Sécurité sociale. « On oublie que 95 % des personnes âgées habitent toujours chez elles, et que ceux qui vivent dans des établissements ne sont pas tous impotents et dépendants ». ~ Bousculer l'image du vieux qui rouspète permettrait de repenser les relations entre les générations. 51 ~ Bien que ces images ne correspondent pas à la réalité, les personnes âgées s'y conforment, explique Maximilienne Levet. Ainsi, certaines d'entre elles refusent les termes de vieux et même du 3e âge, et d'autres s'étonnent à 85 ans, d'être en bonne forme. Quelles représentations se font-elles, alors, de leur place dans la société? La pression sociale est tellement forte, que les gens âgés se sentent frappés d'inutilité sociale. « Vous avez fait votre temps, on vous donne du pain - en assurant votre retraite - des jeux - avec des cartes demi-tarif pour vous distraire... aussi, laissez-nous nous débattre avec les problèmes économiques et le chômage, leur dit-on. Quoiqu'on fasse, on prend la place d'un jeune », poursuit-elle. « Même un bénévole âgé dans une association prend la place d'un TUC! » Alors, chacun « bricole », se faisant tout petit. « Le nouvel âge n'a pas encore pris conscience d'innover et d'explorer, en particulier le temps libre, une composante primordiale de notre société de demain. Pourtant les personnes âgées s'introduisent dans les failles de notre société, offrant leur matière grise et leur disponibilité pour apporter une réponse (grand-mères occasionnelles, aide aux pays en développement, soutien aux sortants de prison, accueil touristique ... ) Elles sont porteuses d'un autre type de mode de vie et de relation avec l'environnement. Porteuses, aussi, de contre-valeurs remettant en cause les fondements de la société industrielle (vitesse, loi du plus fort, etc.), recoupant bien souvent des préoccupations écologiques ». Selon Maximilienne Levet, ce phénomène constitue une véritable « révolution grise ». Est-ce pour cela qu'on évite de leur reconnaître un rôle social? • L.L. Papy-Boom (Avec Chantal Pelletier, ed. Grasset). Et vos parents âgés et vous. (Avec Anne Fontaine, ed. Retz 1989). L 'AGE, CA SE VIT BIEN! • -A la suite de leurs homologues américaines et allemandes, les Panthères grises s'organisent en France pour créer une nouvelle image de la vieillesse et revendiquer le droit à la citoyenneté et à l'originalité. NOUs sommes des rebelles de la vieillesse », lance la présidente des Panthères grises françaises. Renate Gossard, 50 ans, a fondé ce mouvement en décembre 1988, avec la première femme chef d'entreprise, âgée aujourd'hui de 94 ans, et une comédienne de 64 ans. L'association s'est faite intronisée au printemps dernier par les « Gray Panthers » américaines, qui existent depuis plus de 20 ans, et qui ont créé un véritable Lobby. Et par les « Grawen Panther » allemandes, fortes de leurs 25 000 adhérents, représentées au parlement et dont un des sloggans est « La politique d'accord, la fête d'abord ». A l'instar de ces deux associations, les Panthères grises françaises ont l'ambition de changer l'image de la vieillesse et d'affirmer la place sociale et politique des gens âgés et surtout... de vieillir le mieux possible, en refusant les moules du 3e âge. Leur idée: « l'âge ça se vit bien ». « C'est seulement dans le regard de l'autre qu'on se sent vieux », estime d'ailleurs Renate Gossard. « Nous refusons d'être relégués », poursuit-elle et de n'intervenir politiquement qu'à travers un bulletin de vote. Résister au fatalisme et à l'apathie est aussi une excellente préservation contre les handicaps et les maladies ». Un de leur cheval de bataille: la nécessité de 52 brassage des générations. Un forum est organisé (1) sur le thème de « la tendresse contre l'indifférence, ou la lutte contre la ségrégation des âges ». Enfin, elles se donnent pour objectif d'observer et de mieux comprendre le phénomène social de la vieillesse. « Après le couperet de la retraite, les personnes adoptent bien souvent une attitude d'hyperconsommation pour prouver qu'elles ont encore une vie sociale. Cette image de consommateur se transforme peu à peu en perception dévalorisée de soi, quand les possibilités de voyage et d'activités se restreignent ... L'amertume et la dérive s'installent alors dans le couple. Du côté des femmes veuves ou divorcées, quand l'identité de mère et d'épouse fout le camp, il y a souvent des drames ». Les panthères grises ont envie de rugir haut et fort. Le premier obstacle est d'arriver à convaincre les femmes âgées françaises de militer. .. car elles sont, en général, moins virilentes que leurs consoeurs étrangères. Mais, déjà l'association séduit, et les adhérents (qui comptent quelques hommes) sont âgés de 19 à 55 ans ... ! • L.L. (1) Forum du 4 au 16 octobre. Maison des associations. Nouveau Forum des Halles (exposition sur l'image de la vieillesse chez les enfants, défilés de mannequins - âgés -, rencontres avec des écrivains, sociologues, etc.). Tél.: 45. 75.08.60. ON LES Le dément sénile n'est pas si fou qu'on le croit, affirme Jean Maisondieu, psychiatre. Victime de rejet, la personne âgée refuse elle aussi de se voir ... au point d'en perdre la raison. Dans « le Crépuscule de la raison », un livre publié ces jours-ci, vous mettez l'accent sur les causes psychologiques de la démence sénile. Elle est surtout liée, démontrez-vous, à une impossible image de la vieillesse dans notre société ... La vieillesse est en effet symbole de la mort, et à ce titre rejetée. Je parlerai même d'apartheid. Les personnes âgées vivent finalement dans des espaces réservés. Les voient-on, l'été, dans les villages de vacances, ou à 6 h du soir dans les autobus? La tentation est forte de séparer ceux qui ont la vie devant eux ... et ceux qui ont la mort devant eux! Le vieillard a d'ailleurs tendance à s'identifier à ce rejet. Il est mis à part et il se met à part. Alors, quand il n'y a plus rien à se dire, comment ne pas en perdre la raison ? La démence est un enchaînement malheureux où tout le monde est complice et victime, autant la personne âgée que son entourage et la socété. C'est l'histoire absurde de miroirs humains qui se regardent, ne veulent pas se voir, mais ne peuvent éviter de le faire. Vous montrez comment on oublie, finalement, que le dément est encore tout simplement un sujet! Le dément, réduit à une pauvre chose délaissée est condamné par la médecine. Pour elle, la démence sénile est une maladie chronique et incurable, et les causes organiques sont privilégiées. Il ne s'agit pas de les opposer aux causes psychologiques, mais de tenir compte de ces dernières. Or, cette interrogation a toujours été occultée. Il est gênant de ne pas tenter de comprendre le dément sénile, en affirmant dans le même temps qu'il n'y a plus rien à faire! La démence est une maladie imaginaire liée à l'incapacité d'entendre la souffrance du dément, et liée à la peur de la mort. L'examen psychiatrique met en effet en évidence, dans les cas typiques, l'absence de délire, de dépression et de confusion. La perte de la rai- DIT DEMENTS son est donc isolée. Mes observations m'amènent à penser que, derrière ce qui paraît être insensé, il y a une conduite très censée, avec sa logique. On peut parler d'une opération de survie, lorsque l'angoisse devient trop forte devant la perte de capacité, devant la mort annoncée. C'est en quelque sorte tuer son image pour ne pas se détruire, mais le « je » existe toujours. Cela justifierait les efforts thérapeutiques, ne serait-ce que pour réduire la souffrance du vieillard et de ses proches. Car ne plus vouloir se voir ne signifie pas que l'on n'existe plus. Vous semQle-t-il possible de lutter contre cette ségrégation du vieillard, jugé trop encombrant, et ce rejet du dément, qui dérange ? Admettons qu'il n'est pas facile de s'identifier à quelqu'un qui se détruit! Il est donc indispensable d'aider les personnes âgées à construire une vie plus agréable, ce qui donnerait dans le même temps une image d'elles plus attractive. Toutefois, il faut se méfier des formules du genre « Il est jeune et actif pour son âge » qui ne sont qu'une autre forme de négation de la vieillesse. Nous devons aussi accepter que ce n'est pas facile de vieillir puis de mourir, et donc, ne plus faire de la mort un tabou. Notre culture tend à laisser croire que l'homme n'est pas mortel. De quoi en perdre la tête, lorsqu'on se rend compte ... que la mort est annoncée et que l'on se débat seul et impuissant ! On nie que la mort soit naturelle, l'assimilant à une maladie ou un accident. Or, elle est, tout simplement. Nous devons travailler à mieux accepter notre identité d'être mortel, ou comme l'écrivait Jankélévitch, notre « finitude créature Ile » . • Propos recueillis par Laure Lasfargues Le Crépuscule de la raison. Edition Centurion. 53 DOM.roM LA CULTURE D'ABORD Depuis une quinzaine d'années, un véritable bouleversement a transformé le rapport à l'art des Antillais. Grâce à un travail créatif et dynamique de jeunes artistes sont venus porter témoignage d'une nouvelle manière d'assurer l'identité antillaise. es formes musicales et les rythmes traditionnels abandonnés ou folklorisés à usage touristique, les productions locales réduites à de pâles imitations des musiques des îles voisines, un public qui n'accorde aucune attention aux rares créations authentiques ou refuse systématiquement de leur reconnaître la moindre valeur esthétique, et surtout un sceptiscisme généralisé quant à la capacité d'inverser ce cours des choses, tels sont les traits de la situation de la musique aux Antilles à la fin des années 60. Les autres formes d'art ne sont pas en meilleure part. Théâtre, littérature, poésie, peinture et cinéma restent des activités marginales, pour en pas dire inexistantes aux Antilles comme dans l'immigration. Cet état de la création artistique donne, malheureusement, un clair exemple du désert que traverse la culture antillaise en cette période, l'une des plus creuses de son histoire. Comparé à l'importance qu'accordent aujourd'hui les Antillais à l'expression sous toutes ses formes de leur culture, le changement ne manque pas d'apparaître impressionnant. Fruit d'un patient travail mené au cours des quinze dernières années par de jeunes artistes, aux Antilles et dans l'immigration, cette évolution témoigne, aussi et surtout, d'une nouvelle manière pour les Antillais d'assumer leur identité et de penser leurs rapports à la société française. C'est également à travers cette nouvelle dynamique culturelle que se manifestent le mieux l'intensité et le renouvellement des liens qui unissent les réalités de l'immigration à celles des pays d'origine. Le tournant peut être daté du milieu des années 70 et c'est au niveau de la musique qu'il est le plus spectaculaire. Il a pour protagonistes de jeunes artistes décidés à bousculer l'indigence ambiante, en se fixant une double ambition

redonner vie à toutes les formes mu-

54 sicales traditionnelles et modifier les rapports du public populaire à la musique de son pays. Sur le premier point, ils s'attachent à un véritable travail de recréation enrichissant le patrimoine d'arrangements et d'instrumentations modernes. Un travail qui bannit autant la folklorisation que l'imitation passive des productions importées des îles voisines, sans pour autant rejeter ce que la richesse de celles-ci peut apporter à la création locale. Parallèlement, et sans condamner les pratiques festives traditionnelles, ils tentent d'imposer de nouvelles formes d'écoute qui réclament du public une véritable attention à la valeur esthétique des oeuvres produites et, en retour, des artistes plus d'exigence et de rigueur dans leurs créations. A l'origine de cette entreprise, deux groupes ont joué un rôle d'avant-garde. En Martinique, les Malavoi avec leur travail sur les compositions traditionnelles de la biguine, de la mazurka, du quadrille, etc. En Guadeloupe, des jeunes tels Loyson, Bertily, Montreson, Kancel qui, à la suite de Guy Konquet, s'inscrivent dans la tradition des grands anciens - en particulier Velo et Carnot (1) - pour tenter de redonner ses lettres de noblesse au Gwo-Ka (2). Ils seront relayés quelques années plus tard avec le succès que l'on sait par Kassav, le groupe dont l'existence révèle plus clairement le lien avec les réalités de l'immigration, puisqu'il est né à Paris et non aux Antilles. L'EXPRESSION ANTILLAISE DE cc L'AUTRE-BORD » Dans l'émigration antillaise de France l'exigence n'est pas moindre. Que ce soit à l'occasion de mouvements revendicatifs, ou d'événements sportifs, ou encore d'un carnaval, une chose ne fait jamais défaut aux manifestations antillaises en France, c'est la vitalité culturelle qui les accompagne, mais aussi les dépasse. Là aussi les changements en quinze ans ont été étonnants. La distance paraît en effet grande entre les bals qui jusqu'au milieu des années 70, en étaient la forme (quasi unique) d'expres- \ sion publique (4), et les grands concerts des années 80 de groupes tels Malavoi, Kassav ou autres qui, plusieurs soirs de suite, remplissent l'Olympia ou le Zénith grâce, essentiellement, à la mobilisation de la communauté. Précédant ces grands shows, il y avait eu déjà le regain massif d'intérêt pour les musiques rurales traditionnelles, dont l'événement symbole reste cette nuit du Gwo-Ka qui, le 2 décembre 1978, a rempli le Palais des Glaces à Paris autour de groupes constitués en France ou venus des Antilles. Première du genre, cette soirée a été suivie de nombreuses autres animées par les vedettes des musiques des campagnes guadeloupéenne (Konquet, Cosaque) et martiniquaise (E. Mona, Patakak, Avan-Avan et autres ... ). Toujours dans le domaine musical les années 80 voient aussi les groupes antillais de plus en plus appréciés des festivals musicaux français (Bourges, Antilles, Nice, Angoulême, La Rochelle ... ). Si des bals de mairies à Paris de la décennie précédente aux concerts du printemps de Bourges ou du Zénith, la mutation est évidente, c'est plus encore, la floraison de créations dans le domaine de la littérature, de la poésie et du théâtre et du cinéma qui reflète le mieux les énormes changements dans les pratiques culturelles des Antillais de France. Après les spectacles et animations proposés par le Théâtre Noir, ce sont les soirées de « Pawol »de Joby Bernabé, le spectacle poétique de Sonia Emmanuel Paroles de Nègres et les merveilleux récitals de Toto Bisainte accompagnée de Marianne Mathéus et Marie-Claude Benoit; ce sont encore les créations de Mémoires d'Iles d'Ina Césaire par le Théâtre du Campagnol et des pièces de Julius Amédée-Laou par Patrice Chéreau; les films du même AmédéeLaou et, surtout, l'événement de Rue Case Nègre d'Eulzan Paley; et, enfin très récemment, l'immense succès de la nuit de la poésie en .. ------------~ ~ l hommage à Aimé Césaire et des nuits des musiques antillaises du dernier festival d'A vignon ; dans l'attente que la prochaine rentrée culturelle à Paris nous offre la nouvelle mise en scène de Une saison au congo par M. Ulsoy (égaIement programmée à Marseille), la nouvelle pièce de Ina Césaire et le deuxième long métrage de E. Paley. N'ayons garde d'oublier la littérature avec, ces années-là, l'éclosion ou la confirmation de talents tels Maximin, Chamoiseau, Placoly, Xavier Orville et bien d'autres. Tous portant en eux cette grande exigence de qualité qui avait été celle, il y a plusieurs décennies déjà, des grandes figures de la culture antillaise, au premier rang desquelles Césaire qui, dans Moi Laminaire (1982), exhorte plus que jamais les nouvelles générations à ne pas « livrer le monde aux assassins d'aube ... (aux) souffleleurs de crépuscule ». Une effloressence qui témoigne donc de la vitalité et de la soif culturelles des populations guadeloupéenne et martiniquaise de France et des Antilles, mais qui montre aussi le perpétuel échange qui s'établit d'un bord à l'autre de l'Atlantique où s'agissant de créations et d'influences nouvelles les rôles s'inversent plus souvent qu'on le croit. Pour preuve, le nombre d'artisans de la renaissance culturelle des Antilles qui ont fait leurs premières armes et forgé leur ambition aux contacts des réalités de l'immigration, comme l'indique l'histoire du Festival de Fort-de-France qui y puise depuis ses débuts la sève dont il nourrit son développement. Mais rien de ce bouillonnement culturel n'aurait été, s'il ne tirait sa force de son enracinement dans une dynamique politique sociale d'ensemble des populations antillaises, dynamique dont il est à la fois le reflet et l'aiguil- • 55 ~ Ion. Cela est vrai aux Antilles, mais aussi en France, où l'immigration antillaise présente, aujourd'hui, trois caractéristiques essentielles: une stabilisation et une prolétarisation des populations, une accentuation de leurs difficultés d'insertion sociale, et un renforcement des formes d'expression et de mobilisation où priment les solidarités de type communautaire et la vitalité culturelle. Si de l'un à l'autre de ces traits les relations sont évidentes, elles ne sont pas pour autant purement mécaniques ; et le renforcement des solidarités communautaires comme l'accélération des dynamiques culturelles ne doivent pas être tenus pour un simple effet des difficultés rencontrées. Ils constituent bien davantage une initiative (d'une fraction plus ou moins large) des populations considérées face à leur nouvelle situation. Une initiative dont on peut dire, plus précisément, qu'elle est conçue comme une stratégie, c'est-à-dire une conduite d'adaptation aux contraintes d'une situation donnée qui cristallise les aspirations du plus grand nombre (6). LA COMMUNAUTE MOBILISEE L'affirmation de l'identité antillaise et son corollaire, la créativité culturelle, sont à la fois conditions de possibilité et moyens essentiels de _cette stratégie: la mobilisation communautaire exigeant pour être opérante d'être fondée sur la conscience ou le sentiment d'une commune appartenance culturelle des populations qu'il s'agit de mobiliser. Parce qu'elle autorise les regroupements reposant en priorité sur une base communautaire, qu'excluent (particulièrement dans la tradition française) les syndicats ou les partis politiques, la vie associative constitue un lieu privilégié pour l'épanouissement d'une telle dynamique. Cela explique la place prépondérante de l'animation socio-culturelle (bien avant l'action sociale et l'entraide) dans les activités des associations antillaises en France qui ont pour première préoccupation la préservation des « racines » culturelles de leurs adhérents. Une célébration de l'identité culturelle qui ne se réduit pas à une compensation des difficultés de la situation migratoire, mais dont la fonction est, avant tout, l'institutionnalisaton » (7) de la communauté. La structure associative est ainsi le support d'une dynamique qui intéresse tous les aspects de la vie au sein de la « cité ». Elle englobe donc l'ensemble du champ sociopolitique (8), tout en se gardant à distance relative de l'engagement des organisations strictement politiques. Mais cette résistance à l'engagement partisan n'empêche pas les associations antillaises de saisir toute opportunité qui leur permet d'être les interlocutrices du pouvoir politique. Tel a été le cas après mai 81 (9), puis de nouveau après l'alternance de mars 86 (10) lorsque les autorités de l'Etat ont tenté de nouer le dialogue avec la migration antillaise, 56 afin de (re)définir la politique la concernant. La multiplication des associations dès la fin des années 70, qui va en s'amplifiant à partir de 1982, est à apprécier sous cette perspective qui jette une lumière crue sur l'ambition sociopolitique qui anime la plupart. Moyen privilégié de la mobilisaton communautaire, l'identité est aussi l'auxiliaire principal de cette volonté d'intervention politique. La « différence » dont on se réclame, est le référent obligé, qui seul peut légitimer les revendications spécifiques adressées, à travers les associations, aux pouvoirs publics. C'est pourquoi la célébration de cette différence ajoute à une fonction interne « d'institutionnalisation» de la communauté, une fonction à usage externe. A travers, fêtes, carnavals et autres manifestations publiques et collectives de la spécificité du groupe, l'identité qui s'affirme vise à obtenir de la société d'accueil la reconnaissance de la réalité autonome de la communauté. Relativement à cet enjeu, l'attitude des dirigeants d'association est rien moins que désintéressée. Investir dans la valorisation du capital culturel communautaire et le mobiliser périodiquement à bon escient, sont pour beaucoup le moyen de se faire reconnaître desdites institutions, voire même des instances politiques nationales. Toutes raisons qui font de la culture un véritable instrument de gestion sociopolitique à usage, à la fois, interne et externe. Les diverses autorités politiques et les pouvoirs publics ne s'y trompent pas, qui voudraient maintenir leur pouvoir, sinon de contrôle, au moins de régulation des multiples initiatives en cette matière. L'enjeu n'est pas moindre aux Antilles qui voient fleurir des festivals en tous genres, mais aussi des rivalités et polémiques entre institutions et factions diverses sur ce terrain politique entre tous . • M. Giraud et C.V. Marie /. Lire le très beau livre de Marie-Céline Ozier-Lafontaine consacré à cette figure légendaire de la musique populaire guadeloupéenne « Alors ma chère, moi. .. ), Carnot par luimême. Ed. Caribéennes. 2. Le Gwo-ka est l'instrument privilégié de la musique rurale guadeloupéenne tout particulièrement le Lé voz, genre musical historiquement lié au système de la plantation. 3. Expression populaire des Antilles désignant la France. 4. Organisés par des associations diverses, des amicales d'entreprise (RA TP par exemple), ou même par des particuliers qui en faisaient commerce, ils remplissaient d'Antillais les mairies de Paris (5', 14', /8' ... ). 6. A la condition d'enlever à cette notion de stratégie « ses connotations naïvement téléologiques ». « Des conduites peuvent être orientées par des fins sans être consciemment dirigées vers ces fins ... par ces fins (sans être) le produit d'une visée consciente de fins explicitement posées sur la base d'une connaissance adéquates des conditions objectives (calcul rationnel) ». P. Bourdieu choses dites, Paris, Les Editions de Minuit, coll. « Le Sens commun» /987 p. 20-21. 7. Au sens d'élaboration d'une légitimité des pratiques et des croyances que Max Weber donne à ce terme. 8. Qu'ils 'agisse des aspirations relatives à la sphère du travail, des exigences en matière de logement ou de la revendication de possibilités plus larges d'expression culturelle autonome. 9. « Les Assises pour l'insertion des originaires des DOMTOM en France» organisées à l'initiative du gouvernement de Pierre Mauroy le /6 juin /983. /O. Les états généraux des associations des originaires d'outre-mer» à l'initiative cette fois de Jacques Chirac le 22 mai /987. La musique déménage, le public se déchaîne, les concerts battent leur plein... mais c'est en prison. Grâce à deux associations - l'ASSODAS et le Réseau Printemps - « le bruit de la musique est parfois plus fort que celui des clefs de portes ». t maintenant, une chanson douce, d'amour. - Ooooooh ! mais on peut pas danser d'slow, y'a pas d'mecs! » Le public n'est, en effet, composé que de femmes, très jeunes pour la plupart. La chanteuse n'insiste pas. « Je comprends », dit-elle simplement. Et elle ne s'étonnera guère lorsque, aux premières notes de musique, des couples de filles s'enlaceront aussitôt en se balançant langoureusement. Car cette discothèque improvisée est, en fait, une prison. La scène - et le concert - se passe à la MAF, la maison d'arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Régulièrement, -des concerts sont ainsi organisés à raison de trente à quarante fois par an. JeanJacques Roulland, chef de service éducatif et président de l'ASSODAS, a précisément créé cette association pour le soutien, et le développement d'actions culturelles et sportives afin d'obtenir de (maigres) subventions que l'admInistration n'accordait jamais pour de telles initiatives. Parallèlement, Maurice Fro, « vieux» pilier du Printemps de Bourges, couve le même désir. Il y a dix ans, il était resté très investi dans un projet CONCERTS EN PRISON « Quand on est dans une cellule de 9 m 2 Ô p'artager avec deux ou trois personnes, on a besoin de se de fouler ". analogue - « Spectacles en prison » - qui, cependant, se heurte en 1986 à de plus en plus de difficultés

le changement de gouvernement,

à l'époque, oblige à des contrôles sur les artistes programmés et les concerts ne sont pas aussi nombreux que les organisateurs le souhaitaient. Maurice Fro, déçu, abandonne la partie ... pour remettre sur pied, il y a trois ans, le « réseau du printemps ». Subventionnée par le ministère de la Culture, de la Direction de la Jeunesse et des Sports, cette association a pour but d'organiser des concerts en prison et en milieu défavorisé. Marlène Braün, éducatrice spécialisée, en est la responsable et prend sa tâche très à coeur. « Nous voudrions étendre le projet jusqu'en province mais prendre le temps. Il y a tellement à faire ... si l'on pense que, pour Fleury seulement, on compte une prison alors, qu'en fait, il y en a sept ... » De fait, organiser - ASSODAS et Réseau de printemps associés - sept concerts le même après-midi, a relevé de la performance. Car l'administration, si elle ne s'oppose pas formellement à cette démarche, ne la soutient pas pour autant. C'est souvent, par exemple, le concert ou la promenade ... Dilemme cruel lorsque, comme ce jour précis, l'été accablait les cellules d'une chaleur de 25 à 30 degrés. Mais la détermination des organisateurs et de leurs équipes est solide. Entre eux, l'échange a été complémentaire: les uns ont apporté leur expérience du milieu carcéral, les autres leurs larges connaissances musicales (souvent entretenues par le festival de Bourges). Toutes compétences confondues, les concerts en prison se sont multipliés en nombre et en genre. «Les premiers concerts de rock, en 83-84, terrorisaient la direction sous prétexte qu'il pouvait y avoir risques d'émeute! Aujourd'hui, on a beaucoup élargi le champ musical et on programme désormais toutes sortes de musiques - africaine, funk, rai: .. », explique JeanJacques Roulland. Le public est évidemment plus que réceptif à ce mélange musical. Premiers accords de guitare, les détenus sont aussitôt debout, tapant des mains, dansant... Comme déchaînés. « Quand on est dans une cellule de 9 m2 à partager avec deux ou trois personnes, on a besoin de se défouler », disent avec beaucoup d'évidence les animateurs de Fleury. Les artistes sont également nombreux à désirer participer à la démarche de ces deux associations - Higelin, Montagné, Ghida de Palma, Amar Sundy ... « On imagine ça très dur, mais c'est une expérience très forte, se rappelle ce dernier. T'es là et tu sais pour qui tu joues, ce que ça représente pour eux. .. »Pour cette prestation, pas de cachet, sinon 3 000 F servant à rembourser les quelques frais relatifs. Pour eux, il s'agit surtout d'un choix, sinon pour certains comme Allain Leprest, d'un engagement. Selon le président de l'ASSODAS, ces concerts ont même modifié les rapports intramuros avec les surveillants. La musique adoucirait-elle les moeurs? Il semblerait qu'elle ait, en tout cas, permis aux « matons-nes » d'apparaître moins durs, moins rigides. Les détenus, le temps de ces quelques fêtes éphémères, les oublient, ne s'adressant plus qu'aux musiciens. La fin est toujours difficile, les commentaires souvent enthousiasmés

« C'était d'enfer! » A la

MAF, des jeunes détenues, souvent incarcérées pour des affaires touchant à la drogue, ont créé une radio - « radio meuf» - où elles tentent de convier les artistes programmés. Très ouvertes aux différents genres, elles préfèrent, bien sûr, les musiques qui se dansent sans dédaigner, cependant, la chanson française plus sage mais plus engagée. L'ASSODAS et le Réseau du printemps ont ainsi gagné un étonnant pari par leur travail. Concilier l'art avec une action sociale « pour que la musique soit plus forte que le bruit des clefs de portes » .• Souâd 8elhaddad • LE CAFE DE LA DANSE célèbre les artistes qui, depuis dix ans, galèrent leur passion musicale hors des projos du show-biz. Des artistes jusqu'au bout des ongles, de la voix et des tripes comme Alain Aurenche (le 29 octobre à 1 7 heures), compositeur remarquable et sans compromis. Egalement Zaniboni, chanteuse rock and blues à la voix enragée (le 13 octobre à 20 heures) ainsi qu'Alain La Montagne et Mannick. Informations: 48.05.57.22. • KUSERTU: Des Siciliens qui ne renient rien de leurs racines mélangées ..• un groupe de Messine et Catagne a choisi pour chanteurs un Palestinien, un Noir africain et un Sicilien pour des textes revendiquant leur culture du Sud. Et ça déménage bien ••• Une musique pleine de pêche en un 33 tours qu'ils viennent de sortir. En Italie, ils sont le groupe « qui monte, qui monte » ••• A Paris, ils seront en concert à la Fête de l'Humanité le 9 septembre, à l'espace centre pour la programmation « Europe du Sud n, de 16 à 20 heures. Ça va beaucoup plaire d'écouter du Sud dès la fin de l'été. • AU NEW MORNING : du jazz, encore du jazz et toujours avec une ribambelle de grands musiciens du genre. Entre beaucoup d'autres, Steve Lacy ••• Dès le début du mois de septembre. Pour tout renseignement

42.23.51.41.

57 bdelatif Laâbi est un homme de culture et de dialogue. Né en 1942 à Fez (Maroc), il vit aujourd'hui en France où il réalise un important travail de traducteur pour faire connaître les potes arabes, notamment Palestiniens. Dans Les rides du lion, il confirme son goût pour la parole partagée, échangée. S'y croisent une foule d'interpellations plus ou moins autobiographiques, plus ou moins fictives, parfois totalement irréelles. L'homme, l'amant, l'écrivain, l'époux, le fils, l'ami, le père, le militant et d'autres personnages permanents du récit ou occasionnels se disent à fond une parole dure à enfanter. Une extrême tension naît de ces confrontations comme dans le jeu de la vérité qu'affectionnent tant les adolescents, et pour cause ... Avec ce nouveau livre, Laâbi semble encore et toujours déchiré par son passé de militant politique au Maroc (il y a passé huit ans en prison). Mais ce texte pourrait aussi s'énoncer comme l'expression d'une thérapeutique arrivée à maturité. Demain, une parole libérée de la geôle? Editions Messidor C.B. LES PIERRES QUI T'ONT FAIT " RENAITRE .. ~ . • ,.,.,. ntifada ... Cri à bout portant de sa naissance. Urgence sur le seuil du ciel et du sang. Passante aux rives de la chair et de l'hymne, où la vague apprend l'eau de la pierre. Comment témoigner de cette terre qui rend à la terre son destin originaire ? C'est cette grande fragilité de l'histoire, dans le corps des mots qui unit douze poètes, philosophes, écrivains, restituant cette . exigence de vivre, qu'ils ont entendu dans le souffle de la pierre en son vol: fruit de lumière d'un arbre pour tous les hommes. Les pierres qui t'ont fait renaître ... Puisse dans ces pages s'entendre ce que la douleur laisse passer de la présence d'une langue irréversible. Les pierres qui t'on fait renaître. 58 Témoignages sur le soulèvement du peuple palestinien dans les territoires occupés par Israël. FrancePalestine, 14, rue de Montreuil, 75015 Paris. G. C. • • EUROPE: PEUT-ON VRAIMENT FAIRE CONFIANCE AUX ETRANGERS? Le premier dictionnaire du chauvinisme français dresse un tableau des préjugés et stéréotypes des français vis-àvis de ces « étrangers )} que sont les Européens. Ironique et grinçant. Europe: peut -on faire confiance aux étrangers ? de Pierre Antilogus et Philippe Tretiack Ed Rivages/Humour. 1989. G.S. • LITTERATURE ORALE VILLAGEOISE DE L'INDE DU NORD par Richard Garcia (collaborateur de Différences) et Catherine Champion. C'est une traduction commentée des chants du Bihar, une région du nord de l'Inde, frontalière du Népal, qui nous est offerte. A côté du texte dans les langues originelles (bhojpuri et avadhi) et en français, les auteurs présentent avec l'érudition du chercheur, la genèse, les caractéristiques et les fonctions de « ces chants et rites de l'enfance des pays d'Aoudh et du Bhojpuri )}. Pour tous ceux que la littérature orale traditionnelle fascine, ce travail est un document de références ... et de plaisir. Publications de l'école française d'Extrême-Orient. Dépositaire: Adrien Maisonneuve, Il, rue Sain/Sulpice, 75006 Paris dmond Jabès écrit touiours des livres sur les livres. Après Le 'ivre des questions, il y a eu Le 'ivre des ressemb'ances, puis Le 'ivre des 'imites et cette année, un étranger avec, sous 'e bras, un 'ivre de petit 'ormat. Pour Jabès, le livre est traces et lieu de vie. Il fabrique une écriture très originale, particulière, un peu à la manière de Khalil Gibran, un peu comme s'il recréait la genèse du Livre sacré dans un proiet poétique laïque et philosophique. Avec Jabès, le livre ne se ferme pas parce qu'il est constamment ouvert, construit sur une sémantique en spirale où chaque unité est à la fois indépendante et solidaire du tout. Jabès dit surtout l'importance de la question et de la mise en question. Pour déchiffrer l'intelligence du monde et. sa diversité, le livre est une fenêtre. (1 SI - DISAIT-IL - D'UN LECTEUR FAIRE, UN JOUR, UN AMI. C'EST, POUR SON AUTEUR, LA PREUVE RECONFORTANTE QUE LE LIVRE AUQUEL IL A TANT SACRIFIÉ N'ÉTAIT PAS INUTILE. « A LA GÉNÉROSITÉ DE MES LECTEURS, DONT JE CONNAIS, MAINTENANT, L'EXISTENCE ET POUR CERTAINS D'ENTRE EUX,' LE VISAGE, j'ABANDONNE CES PAGES; CAR LE TEMPS D'UN VÉCU N'ËST JAMAIS QUE LE TEMPS ,D'UN ABANDON: « INDEVINE DEMEURE LE TERME. UN AUTRE MOI-MÊME M'ACCOMPAGNE, ÉTANT SEUL A SAVOIR OÙ NOUS ALLONS. « CET AILLEURS REJOINT AURA TOUJOURS, DERRIÈRE LUI, UN MÊME LIVRE MI:(JLE FOIS REPRIS ET, DEVANT, LE LIVRE A VENIR QU'IL LUI APPARTIENDRA, AU MOMENT DÉCISIF, DE FERMER. «TOUT DESTIN D ' É CRI V AIN - Ciel ouaté. La brultle enveloppe la S'ÉCRIT OÙ LA se termine, avant le livre, dans l' VIE ACHÈVE L'instant nous aura refusé. DE S'ÉCRIRE. IL N'EST MÊME nous acharner sur QUE L'ÉCRI- Tout est sim- TURE MALHEU- . . REUSp DE SON SI bIen que ACIfEV,EMENT.» mourir PIEGEE, LA . ANONYME, INCONNU, LE LIVRE ARRIVE A FLAMME RÉDUIT -----' EN C EN DRE S ---.J.a-----__ ~rh~ _ 1 LE PIEGE. ET, POURTANT, A LA QUESTION: «,POUR QUI ECRIVEZ-VOUS?" N'AVAIT-IL PAS, SPONTANÉMENT, RÉPONDU

« POUR PERSONNE:

POUR LE SILENCE, PEUT-ETRE, QUI EST TOUJOURS ATTENTE DE QUELQU'UN. » Extrait du livre d'Edmond Jabes : " Un étranger avec sous le bras un livre de petit format" (Gallimard). Conception graphique/dessin Michel Garcia) LIVRES NOUVEAUX • PERMANENCES DE LA REVOLUTION. Ouvrage collectif, le livre annonce clairement son objectif: pour un autre bicentenaire. La question sera donc posée de savoir ce qui est commémoré (enterré ?) par les fastes et fêtes officielles. Chacun dans leur domaine, philosophes, historiens ou sociologues (Balibar, Bensaïd, Gauthier, Labica, Lequenne, L6wy ou Tort) prennent donc le contre-courant: la Révolution n'est pas un monument où l'on pose sa gerbe. Trois cents pages, l'anti-Furet. Editions La Brèche. • IMMIGRATION ET SITUA TIONs POsTCOLONIALEs, d'Abdelkader Belbahri. Une vérité est ici réaffirmée

les immigrés, l'immigration

a une histoire, et elle commence au « temps des colonies ». Banalité mais utile à affirmer en ce qu'elle est très largement occultée en France. L'étude consacrée aux Maghrébins de la région lyonnaise est précise et sérieuse. Elle décrit, notamment, les possibilités de présence de ces migrants dans les villes, dissémination ou constitution en microquartiers. L'Harmattan. • L'AFFAIRE MECILI, de Hocine Aït-Ahmed. Ali Mécili a été tué en plein Paris, le 7 avril 1987. Il était l'une des figures de l'opposition algérienne. Officiellement, pas de traces du tueur. Ex-responsable du FLN, en exil depuis 1965, l'auteur révèle les dessous d'une affaire où les autorités algériennes sont largement impliquées. Les autorités françaises, elles, regardaient ailleurs ... La Découverte. • CHOISIR L'AUDACE, d'Alain Lipietz. En sous-titre: « Pour une alternative de XXIe siècle» ou comment vivre, produire, travailler autrement. Inspirant largement les arguments des « Verts », Alain Lipietz montre combien notre système fordiste est à bout de souffle. Répartir autrement les richesses, changer les rapports Nord-Sud, penser une Europe sociale: l'utopie réa- 60 liste croise ici quelques-unes de nos interrogations. La Découverte. • LA REVOLUTION FRANÇAISE ET LES JUIFS, par Patrick Girard. L'oeuvre émancipatrice de la Révolution ne fut pas sans ombres et sans ambiguïtés. Pour les différentes communautés juives, on oscillera ainsi entre exclusion et intégration, reculs et avancées. La partie concernant l'Ancien Régime, et notamment les tentatives de Necker n'est pas non plus sans intérêt. Chez Robert Laffont. • MONTAIGNE ET LE MYTHE DU BON SAUVAGE (de l'Antiquité à Rousseau), de Bernard Mouralis. Destiné aux lycéens, avec cartes et études de texte, ce petit livre nous entraîne à la suite de Montaigne, de son humanisme. Un parcours qui passe, bien sûr, par les auteurs anciens, la découverte de l'Amérique, Rousseau et Diderot. Un très excellent livre de réflexion et d'intelligence, pour tous. Aux éditions Pierre Bordas et fils. • SIDA, L'EPIDEMIE RACISTE, de Renée Sabatier. En raison de son mode de transmission et des effets sociaux de ses symptômes, le SIDA suscite la peur. Un échappatoire: la mise en accusation de l'autre, de l'étranger, des modes de vie différents. Renée Sabatier analyse ici ce processus, les implications et les conséquences avec clarté, précision et documents à l'appui. Editions Institut Panos/ L 'Harmattan. • LA VERITE COMME UNE ARME, de Günter Walraff. Après le retentissant succès de Tête de Turc paraît cette série de reportages réalisés dans les années soixante-soixante-dix par le « journaliste indésirable». Cet ouvrage est complété par des commentaires de Klaus Schuffels qui éclairent sur la « méthode Walraff », ainsi que d'une analyse des répercussions de Tête de Turc. Toujours aussi efficace. Editions La Découverte. G. S. (( EGYPTE, EGYPTE ... )) Bravo à l'Institut du monde arabe! Enfin une grande manifestation culturelle digne de lui, et plus encore digne du principal pays arabe, pour la culture, l'Egypte dont le retour dans le giron officiel arabe est salué! Pendant six mois, du 16 juillet 1989 à fin mars 1990, l'IMA constitue temporairement la plus précieuse « schatzkammer » de Paris en présentant 25 oeuvres majeures, pour la première fois sorties d'Egypte et venues des trois principaux musées du Caire: celui des Antiquités égyptiennes, du superbe et moderne musée copte et du richissime (en trésors) musée islamique, avec des prêts précieux de la bibliothèque cairote. Pour couronner le tout, nous avons la première mondiale des grandes découvertes archéologiques de 1989 : le trésor de Douch (bijoux d'or et d'argent, vases) et la « cachette »de Louxor. Cette exposition, Egypte, Egypte, en plus de la beauté et de l'intérêt des pièces qu'elle déploie à nos yeux, plus important encore peut-être, donne un panorama de toutes les grandes cultures qui se sont juxtaposées dans la vallée du Nil depuis 5 000 ans: la pharaonique, la copte chrétienne, l'islamique, fondement de son identité culturelle profonde. Si la maturité d'un pays se mesure à sa capacité à connaître et à reconnaître les différentes composantes de son passé, message que Shadi Abdessalam exhortait son peuple à entendre dans son magnifique film la Momie, on peut dire alors que Egypte, Egypte est l'illustration de cette maturité; juifs, chrétiens et musulmans font partie de la nation égyptienne (les seconds constituent un dixième de la population), même si la grande majorité de ce peuple est musulman et si la civilisation égyptienne depuis quinze siècles illustre avec brio la culture arabo-islamique. Une seule crainte: qu'un million de visiteurs n'envahissent le quai Saint-Bernard pour admirer Egypte, Egypte ... ! comme au Grand Palais .• Yves Thoraval AGE N D A RENCONTRE Quel sera le rôle, en Europe, des 12 millions d'étrangers ? Comment seront réglés leurs statuts (circulation, couverture sociale, citoyenneté .•. ). Rencontre et réflexion avec des chercheurs-intervenants internationaux (Europe, Japon, Amérique latine, Maghreb, etc.) au cours du colloque européen: « Les politiques sodales de l'immigration en Europe " - 19- 20-21 octobre, à Créteil (Université Paris Val-deMarne - Tél. : 48.98.91.44- Poste 22 31). THEATRE • Festival international des francophones à Limoges: 1 5 jours de couleurs et de paroles du Zaïre, Maroc, Louisane, Ontario... Des spectacles d'auteurs contemporains présentés pour la première fois. Et touiours des croisements francophones swr une même réalisation entre auteurs, metteurs en scène, comédiens. Avec les états-généraux de la création théôtrale francophone. Festival du 29 septembre au 15 octobre. Tél. : 47.70.18.17 (Paris) ou 55.32.2.66 (Limoges). • Sade concert d'enfer, d'Enzeo Cormann : « Autopsie d'un monstre, aristocrate déchu, révolutionnaire suspect, citoyen fou», à travers la vie et l'oeuvre du divin marquis qui passa 29 années de sa vie en prison. Mise en scène: Philippe Adrien. Théôtre de la tempête. Cartoucherie, du 19 septembre au 22 octobre. • A l'horizon de la France et de la Grèce: c'est le thème . de la saison du théôtre 13 (24 rue Ravel. Tél. : 45.88.16.30). Avec Francine Berge qui iouera d'octobre à décembre dans deux spectacles. Un des charmes du festival de La Rochelle, c'est de nous montrer, les cinématographies des autres pays. Avec une longueur d'avance sur les salles, et sur l'actualité. près les panoramas sur la Chine sur la Géorgie soviétique, c'est le tour cette année des Républiques baltes. Les films nous rappelaient le cinquantième anniversaire du Pacte germano-soviétique, d'autres, films d'enquête documentaires, portraits, montraient la perestroika en oeuvre. La vie de Liuba Hermann, qui fut Miss Saarema dans les années trente (Saarema est une île au large de l'Estonie) croise tous les événements de l'histoire de son pays. On devine que Mark Soosaar, le réalisateur de ce documentaire l'a choisie pour la patiente obstination avec laquelle elle a vécu ou survécu aux pires et aux meilleurs moments de l'histoire de son pays en gagnant sa vie comme cuisinière, d'abord pour l'Armée Rouge, puis pour les différents chefs d'Etat, de Khroutchev à Brejnev dans la résidence de Yalta. Les documentaires dominent la production des pays baltes et Mark Soosaar, responsable des studios de Tallin, nous a expliqué qu'il y avait des salles qui ne diffusaient que des documentaires et qu'elles étaient fréquentées assidûment. Un fait divers: un jeune soldat tue huit personnes dans un train: compagnons de régiment, officiers. ... lait se retrouver autre part ». Verviers a toujours été en relation avec l'Australie, grand producteur de laine et c'est pour cela qu'Edouard est parti là-bas. Il revient en Belgique, appelé par son frère Julien (Tchéky Karyo). parce que les affaires vont mal. Edouard a laissé en Australie sa fille Sattie (de « Saturday » samedi, amusante référence au vendredi de Robinson) née pendant la guerre, de mère indonésienne. Dans sa ville natale Edouard Pierson rencontre Jeanne (Fanny Ardant), elle vient a:: o de la campagne, elle s'est mariée Yaaba. Second long métrage d'Idrissa Ouedraogo, réalisateur en ville. « Je connaissais le milieu Burkinabé, grand prix du festival de Ouagadougou. paysan par mon deuxième film dit TOUR DU MONDE A LA ROCHELLE Sur ce moment de folie, un cinéaste enquête. On apprend qu'il avait subi des sévices, des tortures et que les brimades sont pratiques courantes dans certains régiments. Une critique du service militaire qui envoit des jeunes gens à des milliers de kilomètres de leur république d'origine, les problèmes de racisme qui peuvent s'ensuivre, l'impossibilité pour les appelés de faire entendre leurs doléances ... Le drapeau de briques, c'est le titre du film est à la fois cela et le térpoin de la longue marche de la parole dans l'Union soviétique d'aujourd'hui. Autre invité de La Rochelle, le Gérogien, Otar Iosseliani, il a tourné ses deux derniers films hors de son pays natal, il ne les considère pas moins comme des oeuvres géorgiennes. Le dernier, et la lumière fut a été tourné en Afrique. Il sera dans les salles à l'automne. Tout comme Yaaba, second long métrage d'Idrissa Ouedraogo, grand prix du festival de Ouagadougou, dont on verra aussi le choix que Différences vous avait déjà recommandé après l'édition 87 du festival d'Amiens dont Ouedraogo est un habitué. « Yaaba, en langue mooré, signifie grand 'mère, explique le réalisateur. Le film a comme point de départ, le souvenir d'un conte de mon enfance, et laforme d'éducation nocturne que l'on acquiert chez nous entre sept et dix ans, juste avant de s'endormir, quand on a la chance d'avoir une grandmère. » Jean-Jacques Andrien est belge, né à Verviers, « la capitale de la laine ». Son film, Australia c'est là qu'il l'a situé. Pour son premier film, le fils d'Amr est mort, c'est un village du Sud tunisien découvert alors qu'il accompagnait un camion de projections itinérantes: «les murs sont blancs et il n 'y a pas de salles de cinéma ... ». Edouard Pierson (Jeremy Irons). Le héros du dernier film est né à Verviers. Entre 53 et 57 remarque Andrien, qui a enquêté sur son sujet, il y a une crise dans l'industrie lainière, « c'est le moment où la crise s'affirme et la vie culturelle est intense: Sidney Béchet vient à Verviers, Brasseur y joue Kean de Sartre, quelqu'un part à la NASA ... Comme si dans cette période de crise pour se sentir sécurisé ou al- Andrien, et je voulais Fanny Ardant, je voulais construire ma distribution à partir d'elle. J'ai remarqué que les gens issus de la paysannerie qui sont partis vivre à la ville comme Jeanne dans le film, ont toujours besoin de raconter des histoires du milieu paysan. Regardez cette photo, cette jeune fille élégante c'est une paysanne qui est partie plus tard à la ville. » Toute la force d'Australia est dans ce balancement entre « c'est vrai» et « c'est une histoire ». Entre une réalité qui soutient le film, par ce « travail d'enquête en spirale ») et la fiction qui en est sortie. « Le spectateur, commente Andrien, exige que l'illusion soit parfaite, « je sais bien mais quand même », c'est le premier thème du film. J'ai lu ce qu'a écrit D. Mannoni, là-dessus. L'autre thème c'est celui de l'exil, on s'exile et on ne sait pas vivre son rapport avec le pays natal. C'est Jeanne, la belle paysanne, dont les parents se sacrifient pour qu'elle épouse un citadin et c'est Edouard, ce Viervétois, qu'on envoie en stage en Australie ». Si on lui demande pourquoi il filme, Jean-Jacques Andrien vous répond qu'il ne sait rien faire d'autre que raconter ces histoires belges qui partent toutes du pays natal pour mieux y retourner, y tourner des films. Après son passage à Venise où nous lui souhaitons de triompher, A ustralia sort dans les salles le 13 septembre. Puisse son succès nous permette de voir les films précédents: ils valent le voyage!. Christiane Dancie 61 62 Parler de l'identité comme quelque chose de figé n'a pas de sens. Il y a des gens qui se sentent parfaitement fran~ais et qui étaient italiens il y a deux générations. La France a régulièrement connu ce refus de l'étranger qui arrive. R o N D E REGARDS CROISÉS Différences: Pouvez-vous nous dire ce qu'évoque pour vous le problème de l'identité? • Leïla Sebbar : Cette question s'est posée à moi à l'âge de 12-13 ans. Je vivais à l'époque en Algérie et c'était pendant la guerre. Je savais que j'avais une mère française et un père arabe; je vivais dans un monde protégé puisque mes parents étaient instituteurs, nous vivions dans une sorte de République laïque très protectrice. Et la guerre d'Algérie a déstabilisé cette protection. C'est à ce moment-là que je me suis posé la question de l'identité. Ça voulait dire: est-ce que je suis la fille de ma mère, ma mère : la Française, donc du côté donc du pays colonisateur, de la langue de colonisation ou est-ce que je suis du côté du colonisé, du côté de mon père, arabe, qui participait à sa manière à la guerre d'indépendance ? Comme mes parents étaient progressistes (mon père était inscrit au Parti communiste algérien), ça n'a pas posé trop de problèmes d'être du côté du père parce que ma mère était solidaire du père. Donc, je n'étais pas rejetée dans le camp colonial. Quand on est le produit d'une situation coloniale, on continue toujours - en ce qui me concerne probablement jusqu'à la mort - à se poser la question de : « Qui je suis? » Le mouvement des femmes à représenté pour moi un lieu essentiel de réflexion où j'ai compris que je pouvais ne pas être dans le déni de la mère ni dans le déni du père. L'indépendance de l'Algérie ne m'avait pas délivrée, tout à fait, de ces questions-là. • Vlysses Santamaria : J'ai tendance à jouer les sociologues de service. L'identité est une chose que l'on construit et reconstruit constamment. Ce n'est pas quelque chose de défini ni d'achevé. On peut y mettre tout et n'importe quoi. L'identité est liée à la stratégie des groupes ou des individus. Je parlerai de « l'être noir ». Le regard de l'autre me renvoie cette identité de noir, mais ce n'est pas la totalité de mon identité parce que je suis juif. Le judaïsme en moi n'est pas évident. Ce qu'on voit c'est le noir donc, là, la situaêtre regardé. La constitution du « moi» comme individu se fait par soi-même et par rapport aux autres, dans le dialogue ou dans le conflit. L'identité n'est jamais un concept fini et absolu. En réalité, c'est un concept qu'on remplit au gré des besoins et des situations. Dans le champ sociologique, le concept est construit et déconstruit. En termes sociologiques, c'est une forme précise par laquelle les individus se situent. vec Leïla Sebbar, Fausto Giudice, Ulysses Santamaria et Kristin Couper, Différences vous convie à une table ronde colorée. Paroles et regards se croisent et se répondent autour de l'identité. tion est renversée. Il y a une gêne. En vivant mon enfance à New York, j'étais mal vu par les noirs parce que j'étais juif et mal vu par les juifs blancs parce que j'étais noir. Donc ça crée un conflit. Voilà une identité duelle que l'on construit jour après jour, que l'on fait coexister l'une par rapport à l'autre. Il y a là du sociologique et du circonstanciel à un moment donné, on met en évidence l'identité noire, à d'autres l'identité juive. On reconstruit et on place cette identité selon les situations. En même temps, qu'est-ce que cela veut dire? L'identité c'est regarder l'autre et • Fausto Giudice : L'identité se construit en bonne partie par une succession de refus: « Je ne suis pas comme vous me voyez» ou bien « Je ne suis pas simplement comme vous me voyez» ou encore « Je ne suis pas du tout ce que vous voyez ». Si tu es noir et juif, on te dit « tu es noir» et tu réponds

« Je ne suis pas seulement

noir, je suis juif ». • V.S. : Le travail que je mène sur les juifs éthiopiens corrobore ce que tu dis : la volonté de casser cette négation a créé le désir d'aller en Israël. Différences : En France comme dans d'autres pays d'Europe, on parle beaucoup de l'identité nationale qui serait en danger ... Comme explique ce phénomène ? • F. G. : En France, il y a un problème entre anciens colonisateurs et anciens colonisés. Cette réalité a par ailleurs tendance à déborder, à généraliser cette problématique à tous les autres étrangers ou immigrés. Du côté des populations d'origine coloniale, il y a une ambiguïté héritée de cette histoire

« Quel est mon état? l'Etat

français ou l'Etat algérien? l'Etat français ou l'Etat malien? » • L.S. : Justement, c'est la question des immigrés qui a provoqué la question de l'identité française qui ne se posait pas pour la plupart des franco-français. Si tu parIes avec des Français et que tu leur poses la question de l'identité française, pour eux, ça fait partie de leur nature, de leur vie, de leur histoire. C'est avec les immigrés maghrébins et avec leur possible intégration, c'est -à-dire avec des immigrés qui ne sont plus des étrangers, que la question de l'identité française s'est posée aux Français qui ne se la posaient pas jusqu'ici. Il y a vraiment eu un ébranlement et on est dans cet ébranlement encore aujourd'hui. Différences : En somme, les repères culturels et géographiques changent et ce changement crée chez les gens les plus fragiles la crainte de se perdre ou d'être perdus ... • V.S. : Parler de l'identité comme quelque chose de figé n'a pas de sens. Il y a des gens qui se sentent parfaitement français et qui étaient italiens il y a deux générations. La France a régulièrement connu ce refus de l'étranger qui arrive. Mais la négation du Maghreb, surtout de l' Algérien, ~ 63 ~c'est plus compliqué: ça, c'est le résultat d'une histoire coloniale. Je me permettrai de comparer avec les noirs américains. Dans la fondation de l'Amérique, les noirs étaient exclus de toute responsabilité, de toute participation à la société et à la décision économique et sociale. Il n'y avait pas encore de société en tant que telle. On craignait moins celui qui débarquait d'ailleurs et qui ne parlait même pas anglais parce qu'il était blanc, qu'un noir qui venait du Sud. Il y avait un préjugé contre ces personnes déjà profondément intégrées dans la société. Différences: Aujourd'hui, on assiste à une sorte de recomposition des sociétés européennes qui mettrait en danger les identités classiques, traditionnelles, formelles comme la nationalité. Qu'en pensez-vous? • Kristin Couper : Le problème est de prendre en charge cette recomposition des sociétés européennes. En Angleterre, les Black British revendiquent d'être britanniques et black. Le discours étatique doit, à ce propos, changer. Déjà, l'influence du Marché commun joue. Quand le Royaume-Uni a adhéré à l'Europe en 1972, il fallait trouver une définition du Britannique car la CEE n'était pas disposée à accepter comme britanniques les gens originaires de l'Inde ou de la Jamaïque, du Commonwealth en général. Il y avait et il y a encore des problèmes de ce type à résoudre. Exemple: un quart de la population blanche d'Afrique du Sud est composée de citoyens britanniques, et considérés comme tels par les douze. Les habitants de Hong-Kong n'y ont pas droit. • V.S. : Le discours global aujourd'hui consiste à montrer à celui qui n'est déjà plus immigré qu'il l'est. La société française est composée de Blancs, de Noirs, d'Arabes, etc. La société anglaise était blanche il y a 20 ans, aujourd'hui elle est blanche, noire, indienne ... Quand l'Etat se définira comme multiculturel et multiracial, alors les choses auront vraiment changé. • K.C. : La société anglaise a dû intégrer ces nouvelles données : l'existence de groupes nationaux 64 R o jusque-là exclus de toute responsabilité au niveau social, de l'Etat, des partis politiques. Une fois qu'ils se sont mis à voter, les choses ont commencé à bouger. Les Beurs doivent prendre en compte le poids du vote. A ce moment-là vous verrez des hommes politiques leur faire la cour, c'est d'ailleurs ce qui commence timidement à se passer. • 1.S. : Le discours de l'assimilation, en France, pose problème aux Beurs parce que la question de l'identité est ouverte. Parler d'assimilation signifierait leur dénier l'identité arabo-musulmane ou berbéro-musulmane ... dont ils peuvent se revendiquer et dont ils ressentent le besoin. • V.S. : Leïla dit quelque chose d'important. Dans la société les groupes ont droit d'exister dans leur diversité et les stratégies politiques et sociales par rapport à la question de l'égalité sont très diverses. Et pourquoi pas? La question beur aujourd'hui se pose en rap- N D E port à la double nationalité. S'exprime là aussi le fait que la question coloniale n'est pas terminée. En France, le mot assimilation est trop marqué comme un reniement et les groupes beurs ne feront pas l'économie d'une stratégie pour obtenir des droits à part entière dans le cadre de la France et non pas dans un pays imaginaire. La seule façon de les faire valoir c'est de ne plus se considérer comme des Algériens mais comme des Français d'origine algérienne avec une culture forte. • K.C. : Les jeunes que je rencontre disent : « Ce n'est pas une question d'intégration, ce débat date des années 60, maintenant ce que nous voulons c'est vivre notre culture et vivre bien avec nos voisins. »En fait, on ne peut s'en sortir qu'en distinguant le domaine privé et le domaine public. On vit sa culture et sa religion dans le domaine privé. Dans le domaine public, on vit sa citoyenneté. Se pose la question du vote. Il n'est pas normal que le 1/3 d'une agglomération parisienne soit exclue du droit de vote. En Angleterre cette question a été en partie résolue du fait que les gens du Commowealth étaient considérés comme britanniques, ils n'ont pas été obligés de changer de nationalité. Mais ils ne votent pas aux élections européennes. Différences: Que pensez-vous de la notion de différence, chère aux antiracistes et de sa «récupération » par certains idéologues de l'extrême-droite? • 1.S. : L'extrême droite veut la mise en ghetto : « vous n'êtes pas comme nous, disent-ils aux immigrés maghrébins qu'ils désignent d'abord, vous ne vous ressemblez pas ». L'intégration de la différence dans le discours de gauche reflétait la crainte de voir la mise en ghetto s'élargir et le refus de la hiérarchisation des cultures. Pour ma part, je ne veux ressembler ni à une Frarrçaise, ni à une Antillaise, ni une Jamaïcaine, ni à une Kristin Couper Universitaire-chercheur, dirige un cours à l'université de Vincennes sur « les minorités et le racisme en Grande-Bretagne J. A publié de nombreux articles dans Les temps modernes, Esprit et autres revues ... Fausto Giudice Journaliste, italien, père de deux enfants, auteur de Têtes de turcs en France (La Découverte, 1989), sans problème d'identité ... Chinoise. Je pense qu'effectivement la différence c'est important. Je veux à la fois une France française et je veux du métissage dans la France. Parce que l'un renforce l'autre. Je ne crois pas que ce soit contradictoire, ou alors c'est une contradiction que je veux entretenir comme écrivain plus que comme citoyenne ... • V.S. : N'oublions pas que cette notion a amené beaucoup de dégâts à travers l'histoire. Dans l'histoire américaine c'est au nom de cette différence que l'esclavage s'est fait, que le discours du Klu-Klux-Klan s'est constitué ainsi que celui des nazis en Allemagne. Aujourd'hui, on retrouve le même type de discours par rapport au tiers monde. • 1.S. : Mais la question de la différence ne doit pas aboutir à des inégalités. D'un état de fait reconnu la différence doit s'affirmer dans une égalité de droit et de devoir. Pourquoi va-t-on exclure « ma » ou « ta » différence. Dans R o le mouvement des femmes par exemple, la question de la différence sexuelle était posée. On se battait contre le sexisme, cela voulait dire qu'on se battait contre l'inégalité des droits dans la société. Je veux que les hommes soient différents des femmes. Une fois qu'on s'est mis d'accord sur une plate-forme qui concrétise l'égalité des droits, la différence est indispensable. Regardez comment Victor Segalen définissait l'exotisme comme une « esthétique du divers ». C'était un éloge de la différence. Cette différence qu'il recherchait le réjouissait d'une manière si intense qu'il a écrit des textes superbes. Je crois que la négation de la différence représente un danger car elle est fondamentalement totalitaire. • F.G. : Les gens tous, sont différents entre eux. Il y a du métissage un peu peu partout même si tout le monde n'est pas métis. Après il yale discours sur le différentialisme. Quand on décolle N D E de la réalité on peut plaquer n'importe quel discours, on entre dans l'idéologique avec toutes les variantes liées aux convictions des uns et des autres. En France, on a fait de la revendication de la différence une question politique. Les plus lucides des Beurs ont proclamé aussi le droit à la ressemblance tout en restant dans le cadre de la notion de différence . Différences: ceci exprime aussi un profond mal-être? • F.G. : En'Angleterre, la différenciation des classes à l'intérieur de ce qu'on appelle les Black ou chez les indo-pakistanais est plus flagrante, plus réelle qu'en France. On voit bien ici le travail qu'il faut faire pour passer du statut d'animateur de quartier à celui de député. En Angleterre il y avait une bourgeoisie constituée prête à répondre et à négocier lorsque le parti conservateur décide de prendre des Black sur sa liste. • V.S : Malgré les différences, dont ils peuvent se réclamer, il me Le'lla Sebbar Ulysses Santamaria Ecrivain, née en Algérie de père algérien et de mère française, dernier livre paru : J.H. Cherche âme soeur (Stock, 1987), ainsi que l'album Génération métisse, en collaboration avec Amadou Gaye (Syros Alternatives). Sociologue et philosophe, juif, noir et américain, ouvrages à paraître: Les juifs éthiopiens en Israël (avec Daniel Friedman) et les juifs noirs américains. paraît essentiel que les beurs prennent conscience qu'ils sont ici et qu'ils ne repartiront pas pour réussir leur stratégie de groupe. Si on n'a pas un tant soit peu de stratégie, le niveau de mobilité socia" le se trouve extrêmement réduit. Les ambitions ne sont pas à la mesure des moyens, donc il faut rentabiliser au maximum les moyens existants. Si un groupe n'organise pas une stratégie adéquate, chacun reste dans son coin et n'en bouge pas. Il faut pouvoir être citoyen français et dire à la face du monde: je suis arabe et musulman. Le blanchiment qu'ont connu les Antillais serait très grave. Dans deux siècles, on parlera d'autre chose, mais je comprends très bien cette revendication aujourd'hui. Il ne s'agit pas à mes yeux de double allégeance. Les juifs ont précisément compris qu'il fallait faire la part entre le public et le privé. C'est tout le défi qui est posé à l'Islam aujourd'hui, de se vivre en laïcité ... • F.G. : Quand on décolle de la réalité on peut plaquer n'importe quel discours, on entre dans l'idéologique avec toutes les variantes liées aux convictions des uns et des autres. En France, on a fait de la revendication de la différence une question politique. Les plus lucides des Beurs ont proclamé aussi le droit à la ressemblance tout en restant dans le cadre de la notion de différence. • 1.S. : A ce titre l'expérience de la communauté juive en France est intéressant dans la mesure où s'est combinée une stratégie d'intégration et de solidarité communautaire. Et cette revendication de spécificité culturelle et religieuse n'a pas empêché le processus d'assi- · milation à la société française. Une vieille plaisanterie juive dit « quand un juif de Carpentras se marie avec une juive d'A vignon, c'est un mariage mixte. • F.G. : Entre une Bretonne et un Auvergnat c'est pareil. • V.S. : Ainsi qu'entre Belleville et le 16e arrondissement de Paris. Propos recueillis par Cherifa 8enadbessadok 65 p R 0 J E T DES CITOYENS A L'ECOLE Dans plusieurs écoles composées d'un grand nombre d'enfants immigrés, se sont mis en place des projets d'action éducative (P AE) dont le but est de lutter contre le racisme en valorisant la culture propre des enfants. Ecole maternelle il Montfermeil : directement concernée par les PAE. e ministère de l'Education nationale, en collaboration avec d'autres organismes, vient de publier une brochure intitulée Connaissance et rencontre des cultures à l'école. Ce document relate à travers la mise en oeuvre de PAE - projets d'action éducative - les initiatives d'un certain nombre d'établissements scolaires (de la grande section de maternelle à la terminale, en passant par l'enseignement technique). Ces initiatives naissent du besoin de gérer la diversité culturelle pour qu'elle soit « source de richesses mutulles » et non « hiérarchie des peuples », pour que « la découverte de l'altérité» soit « celle d'un rapport et non d'une barrière ». Ces actions sont majoritairement entreprises dans des écoles comprenant un grand nombre d'enfants d'origine immigrée. Elles tendent à prouver - tant aux yeux des autres qu'à leur propre regard - la capacité de réussite de ces enfants. Elles visent par là à faire de l'école un lieu de lutte contre le racisme, de valorisation des cultures d'enfants de migrants et aussi de réussite scolaire, notamment en favorisant les rapports de l'enfant avec l'écrit, en effaçant l'inaccessibilité du livre - lecture et écriture étant trop souvent ressenties comme « lieu» de la ségrégation scolaire. 66 Au-delà de la connaissance des cultures, nombre de ces PAE s'attachent à faire de ces jeunes des « citoyens de France, citoyens du monde ». On y étudie l'apport des différentes migrations à l'histoire contemporaine de la France en soulignant l'indispensable rôle de l'école dans tout débat sur l'immigration, en tentant de mieux cerner le problème de l'identité. Enfin, un axe important de ces travaux touche à « l'éducation au développement» à travers les inter-relations mondiales, l'étude des structures internes des sociétés. Elles portent aussi un regard sur notre propre développement. DES PRECURSEURS La rencontre d'autres cultures, les enfant des écoles françaises connaissent délà. Certaines écoles, en banlieue parisienne, comptent plus de quinze nationalités et parfois même majorité d'élèves d'origine étrangère. Les équipes d'enseignants prennent aussi parfois la question de la découverte à bras le corps, comme à l'école Buffon, à Colombes, en région parisienne. L'école, en zone d'éducation prioritaire, couvre un quartier pauvre, avec nombre d'immigrés, d'origines différentes. Les enseignants ont L'école se doit, en effet, de proposer des outils d'ordre intellectuel et éthique pour faire face à certains enjeux du monde moderne: justice, dignité, solidarité. Mais elle se doit aussi d'agir et ces projets, qui souvent sont le fort d'établissements techniques s'ouvrent sur une aide technologique concrète vers les pays en voie de développement. Enfin, d'autres P AE ont pris plus directement pour thème central les droits de l'homme, les libertés, la paix: ils se sont donné pour but la construction de connaissances mais aussi de pratiques, posant le problème de ces valeurs non en se référant à une morale mais en les fondant comme édifice en perpétuelle élaboration. Les actions qui, à l'évidence sont d'un intérêt déterminant pour la formation des enfants, passent par un certain nombre de coopérations. Coopérations institutionnelles d'abord avec l'aide des ministères, du Fonds d'action sociale; etc. Coopérations avec des associations culturelles, sociales, ONG, avec des théâtres, des bibliothèques, des artistes de toutes nationalités. Coopérations parfois entre l'enseignement technique et les entreprises pour la réalisation de projets concrets vers les pays du tiers monde. Mais surtout elles induisent une autre façon de vivre l'école: à travers la nécessaire interdisciplinarité qu'elles entraînent, les liens nouveaux tissés entre jeunes, élèves et enseignants

à travers l'ouverture de l'école sur

l'extérieur (aides financières et culturelles externes mais aussi apport de l'école au quartier, à la ville sous forme d'expositions, d'informations, de spectacles, de rencontres). La lecture de cette brochure offre une foule considérable d'enseignements tant pratiques - financement, aides de toutes sortes - que pédagogiques sur des questions qui nous tiennent à coeur: celles que posent la pédagogie interculturelle, l'ouverture au monde, l'éducation au développement, aux droits de l'homme, à la tolérance, à la solidarité, à la paix. Celle que pose aussi la nécessité d'une pédagogie active, donnant aux jeunes la capacité d'agir. Il apparaît donc comme primordial que les projets de ce type soient diffusés, valorisés mais aussi largement soutenus .• Mireille Maner Secrétaire nationale du MRAP chargée de l'éducation, de la formation et des universités. alors 'décidé d'ouvrir leurs classes à l'échange. Débuté par des correspondances suivies avec des classes cfe province, le projet a grandi, jusqu'à des déplacements collectifs. En 1986, après une longue préparation et un montage financier ardu, les enfants sont partis en Algérie puis au Portugal découvrir les pays et les peuples d.ontleurs copains leur rebattaient les oreilles depuis si longtemps. (es précurseurs ont fCilt de Jeur expérience un livre, Vivre ensemble, à la découverte de /'Algéde, du Portugal et de la Fronce, publié chex L 'Harmattan. JUIF ET FASCISTE? Piazza Carignano de Alain Elkann A.Iain Elkanr. Piazza Cerig nano ~ :-a ~,," 19 l' ,tol1~, ,.~ .'.-.: _-u .• l. -l •• \ • R.o.ltin e De f o r,tte. i diteu.1" Traduit de l'italien par Jean-Marie Laclavetine Le déchirement d'un intellectuel juif et fasciste dans l'Italie des années Trente. Le plus beau roman d'un écrivain majeur de la nouvelle génération italienne. A découvrir absolument. .. En vente chez tous les bons libraires. 296 p. 110 F , Editions Régine Deforges Vous AVEZ DU TALENT. Nous AVONS DU TALENT. SOCIÉTÉ GÉNÉRALE CONJUGUONS NOS TALENTS. [OR BLANC DES PAYS PAUVRES Ce numéro spécial de "Croissance des Jeunes Nations" démonte les mécanismes de production et de trafic des drogues, héroïne et cocaïne, en Asie du sud-est comme en Amérique latine. o La drogue qui tue ici vient de là-bas, les pays pauvres du tiers-monde. Elle enrichit des trafiquants sans scrupules. Mais elle est le plus souvent, cultivée par des paysans, qui n'ont d'autre solution pour ne pas mourir de faim. 0 Ce numéro très complet de "Croissance des Jeunes Nations" "1 expose toutes les données du problème 1 et fera référence en la matière. oe17 janvier 2012 à 14:56 (UTC) des jeune A retourner à CJN-VPC, 163, bd Malesherbes, 75859 Paris Cedex 17 Règlement joint à l'ordre de C.J.N. NOM ' Adresse ___ _ désire recevoir exemplaire(s) du numéro spécial sur la drogue dans le tiers-mond! (nO 319) à 30 francs. POt//( LE/JI fAiRE IJN! l'lACE. Pas de chance, des échecs qui se suivent et qui les suivent ... Parce qu'ils ont rencontré de grandes difficultés, il n'y a pas de place pour eux. Une solution: repanir à zéro. Pour permettre ce nouveau départ, la Fondation de France et ses partenaires contribuent depuis 5 ans à créer des entreprises qui seront une première étape à leur intégration dans la société. Le 12 octobre 1989, un carrefour de travail réunira des élus locaux motivés, qui pourront, à partir de leurs expériences respectives, confronter leurs interrogations et leurs solutions. L'INSERTION PAR L'ECONOMIQUE: COMMENT FAIRE? MINISTERE DE LA JUSTICE . • GROUPE INTERMINISTERIEL SUR LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE LOCAL. UNION NATIONALE DES FE DE· UNION DES fOYERS DE JEUNES ACTIVE. • MINISTERE DU TRAYAll, PROFESSIONNELLE. DELEGATION A TERI ELLE A L'INSERTION PROFESSIONDIFFICULTE: • AGENCE NATIONALE SOLIDARITE, DE LA SANTE ET DE LA INTERMINISTERIELLE AU REVENU MINIFONDATION DE FRANCE RATIONS D'ORGANISMES H.l.M. • TRAVAILLEURS . • FONDATION FRANCE DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION L'EMPLOI . • DELEGATION INTERMINISNEUE ET SOCIALE DES JEUNES EN POUR L'EMPLOI. • MINISTERE DE LA PROTEOION SOCIALE .• DELEGATION MUM D'INSERTION . • SECRETARIAT D'ETAT CHARGE DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS. MINISTERE DE L'EQUIPEMENT, DU LOGEMENT, DES TRANSPORTS ET DE LA MER . • DELEGATION INTERMINISTERielLE A LA VILLE .• PROMOFAF.

Notes

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