Différences n°249- janvier 2004

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Sommaire du numéro

n°249 de janvier 2004

  • Une victoire de la République (procès « Schmitt ») par P. Mairat
  • Meilleurs vœux 2004 par J.C. Dulieu
  • L'éducation à la citoyenneté contre le racisme par Monique Lelouche
  • Mumia Abu-Jamal citoyen d'honneur de Paris
  • Guerre en Tchétchénie: hypocrisie européenne
  • Actes du colloque: du racisme anti-arabe à l'islamophobie
    • Intervention de Mouloud Aounit
    • Intellectuels laïques et nationalistes algériens par C. Liauzu
    • Les attentats du 11 septembre ont-ils été vecteurs ou initiateurs de l'islamophobie par Ghaleb Bencheikh
    • Le mal-être juif par Dominique Vidal
    • Derrière la nouvelle islamophobie, une idée figée de la société d'aujourd'hui par V. Geisser

Al-Chott Al-Awast le lac du milieu par B. Etienne

    • Islamophobie et discriminations par N. Negrouche
  • Conférence débat pour la paix au Kurdistan
  • Forum social européen: un monde sans racisme est possible par J.C. Vessillier
  • Sans eux nous ne serions pas les français que nous sommes par Paul Muzard
  • Antisémitisme: combattre tous les racismes d'où qu'ils viennent par Marianne Wolff
  • Agression: menace contre Mouloud Aounit


Numéro au format PDF

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Texte brut du numéro

Une victoire sur la République · . . . NOTRE DOSSIER : Du racisme anti-arabe ilf~l'1lS nu COLl.l)QIIIl à l'islamophobie ... 2 Edito International Immigration Discrimination Education Kiosque Edito Juridique • Une victoire de la République Nouvelle année • Meilleurs voeux pour 2004 Education • L'éducation à la citoyenneté contre le racisme International • Mumia, citoyen d'honneur de Paris • Guerre en Tchétchénie : hypocrisies européennes • Conférence-débat: pour la paix au Kurdistan 3 4 5 6 7 Dossier 9 - 28 • Du racisme anti-arabe à l'islamophobie Vidéothèque • La sélection du MRAP FSE • Un monde sans racisme est possible! Mémoire • Sans eux ... nous ne serions pas les Français que nous sommes Kiosque e Appel à souscription 30 31 33 36 Madame, Monsieur, • Nous croyons à l'éducation pour faire évoluer les mentalités: le MRAP intervient dans plus de 1500 établissements scolaires, fonme des militants, participe à des débats, organise des colloques. neté égale pour tous. Nous oeuvrons p'our moditier les comportements et doter la France et l'Europe de lois plus conformes aux exigences de l'égale dignité de toute personne. Nous nous engageons sans concession pour résister à la percée de l'extrême droite et aux comportements qui l'encouragent. de notre mouvement qui est en 1'. jeu et surtout le devenir de notre combat antiraciste. Né de la Résistance, le MRAP est fort de l'expérience d'un demi-siècle d'engagement en faveur des Droits de l'Homme, de la Paix et de la Fraternité entre tous les hommes, quelles que soient leurs origines. Aujourd/hui, pour rester fidèle à cet héritagel confronté à un racisme de plus en plus banalisé, le MRAP oeuvre sur le terrain pédagogiquel juridique et politique: • Sur toute la France, plus de 70 permanences juridiques viennent en aide aux sans papiers. En notre nom 1 50 avocats bénévoles mettent leurs compétences au service des victimes de discriminations ou d'agressions racistes. • Notre engagement politique se fonde sur l'exigence de la citoyen- En même temps, l'état de notre situation financière risque de nous imposer, à très court terme, une dramatique réduction de notre activité. Au-delà de notre indépendance, de notre efficacité, c'est la survie même Aussi le MRAP a-t-il décidé de lancer une souscription nationale. Chaque don est pour nous un signal d'adhésion à nos valeurs, un geste d'engagement et d'encouragement indispensable, précieux, vital pour notre association. Nous comptons sur vous. Mouloud Aounit Secrétaire général du MRAP ~----------------------------------------------------- -------- - ----------------- - ---------------------- COntre le racisme, pour l'ammé entre les peuples, Je soutiens financièrement votre action et verse la somme de: • 20 euros • 50 euros • 100 euros • Autre Nom: ......... ................ ....... ...................... ....................... ........ . Prénom: .......... ........... .................... .................................................... . Adresse: ....... .......................... ....... ............................................................................................ ....... ....................................................... . Merci de libeller votre chèque à Vordre du MRAP. Vous pourrez déduire 50 % de votre don, à hauteur de 6 % de votre revenu imposable. • Différences " - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n" 249 - Janvier-Février-Mars 2004 de Mouloud Aounit Secrétaire général Différences 43. bd de Magenta - 75010 Paris Téléphone: 01 53 38 99 99 Télécopie: 01 40 40 90 98 E-mail: joumal.d!Herences@free.fr 6 € le numéro • Abonnement : 21 € (4 numéros par an). Collectif de direction. Différences · : • Directeur de publication: Mouloud Aounit • Coordinateur responsable rédaction (' ) : J.-c. Dulieu • Responsable productions (') : S. Goldberg • Administratrice (' ) : M.-A. Butez' Imprimerie: Impressions J-M Bordessoules - Téléphone: 05 465901 32 • Commission paritaire: n' 0108H82681 • Dépôt légal: 2003/01 • Photos: FR. LO. PRESTI. dito près deux années d'analyse et d'observation du quotidien au MRAP, nous avons estimé de notre devoir d'alerter et de sensibiliser l'opinion et les pouvoirs publics sur l'urgence d'agir pour rompre une certaine loi du silence ; pour mettre à mal une inquiétante indifférence complice devant la progression d'un racisme qui et accentue le racisme anti-arabe : le racisme antimusulman. Cette hostilité, taraudée par la peur n'est pas une vue de l'esprit, comme vient de le valider en prolongement à nos inquiétudes la CNCDH, qui conclut, même en l'absence d'outil d'analyse et d'évaluation, à une réalité alarmante en matière d'islamophobie. Les discriminations dans le domaine de l'emploi, du logement, et des loisirs ne sont plus effectuées seulement en raison des origines des victimes, mais aussi en raison de leur appartenance à une religion. Au critère ethnique des discriminations est venu se surajouter celui de l'appartenance réelle ou supposéè à l'islam, avec le même lot de violences racistes: agressions et incendies visant les lieux de culte musulmans, profanations de cimetières musulmans, appels à la violence verbale ou physique envers des personnes musulmanes ou présumées l'être, appels au meurtre sur Internet envers les personnes de confession musulmane, etc. Que n'a-t-on entendu depuis notre colloque (( Du racisme anti-arabe à l'islamophobie)) du 20 septembre 2003 ? Colloque qui nous a permis, par des échanges riches et féconds entre militants et chercheurs, de renforcer non seulement notre réflexion, mais aussi notre détermination à agir? Avec une violence inattendue, à longueur de chroniques, du Figaro à Marianne en passant par Le Point, le MRAP n'a cessé d'être l'objet d'attaques convergentes frappées du sceau de la caricature, du mensonge, et de la malhonnêteté intellectuelle. En résumé, le MRAP est soudainement devenu le VRP non seulement de mollahs iraniens, mais aussi de tous les potentats islamistes radicaux au service desquels nous nous serions mis: le MRAP serait ainsi l'instmment d'un complot islamiste contre la République. Certains vont même jusqu'à insinuer que le MRAP est allé chercher le mot" islamophobie " à Durban, où s'est tenue une conférence dont certaines conclusions avaient des accents antisémites, et qu'il serait par conséquent lui aussi antisémite. Certaines vérités sont à rappeler, n'en déplaise à ceux qui veulent nous cmcifier sur l'autel de la mauvaise foi. Peut-on critiquer les religions et y compris l'islam? Notre réponse est" Oui ". Nous revendiquons à cet égard haut et fort le droit à la formation de l'esprit critique, que seule l'école de la République peut permettre. Peut-on insulter les religions, et conséquemment les croyants, y compris musulmans? Notre réponse est" Non". Doit-on soutenir toutes celles et tous ceux qui, partout dans le monde - et plus particulièrement dans le monde arabe - , luttent contre l'oppression, l'humiliation, et les discriminations dont sont victimes les femmes? Absolument, oui. y a-t-il aujourd'hui des forces de rejet en France qui prolongent le racisme anti-arabe et qui visent les musulmans, en tant que tels, parce qu'ils sont musulmans? Notre réponse est " Oui ". Doit-on faire appliquer, au sens égalitaire, sans hiérarchie, la loi française contre le racisme qui stipule que " toute discrimination fondée sur l'appartenance ou la non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion est interdite? ". Oui. Si nous sommes autant attaqués, c'est vraisemblablement que le combat contre cette nouvelle forme de racisme soulève, du fond des inconscients, une mauvaise conscience, culpabilise parfois. Les manifestations aggravées de l'islamophobie sont une mauvaise nouvelle pour la République, en ce qu'elle s'ajoute à tous les racismes, antiarabe, anti-maghrébin, anti-noirs, anti-gens du voyage, antisémites, etc ... Le constat d'une régression de la citoyenneté est cmellement signifié par le sondage récent qui montre que 45 % des jeunes issus de l'immigration seulement se considèrent " intégrés ", au lieu de 71 % dix ans plus tôt. Ce n'est pas une loi qui s'en prendrait à des aspects collatéraux, qui peut mettre un frein aux enchaînements des racismes, surtout dans ces quartiers cassés par le chômage, par des transports insuffisants, et un large sentiment d'abandon. On devrait applaudir une organisation comme le MRAP, laïque et républicaine, qui combat les communautarismes en ne laissant pas le combat contre l'islamophobie aux seules mains des musulmans, tout comme la judéophobie ne peut être l'affaire des seuls juifs, le racisme contre les tziganes l'affaire des seuls gens du voyage, etc. Notre fil rouge est donc bien la nécessaire prise de conscience commune d'une mobilisation mêlée de tous ceux qui oeuvrent contre tous les racismes. C'est défendre pied à pied, sans faiblesse, quels qu'en soit les auteurs, les lieux, et les victimes, tous ceux qui sont exclus et haïs ... Nos armes sont, à cet égard, celles de la défense et de la promotion des valeurs universelles d'équité, de justice, et de droit, constmisant, pierre par pierre, des ponts, là où d'autres constmisent des murs entre les hommes et les peuples. C'est dans cet esprit que le MRAP estime nécessaire, en ces périodes troubles et inquiétantes de développement de tous les racismes, et de recul de l'égalité citoyenne, d'appeler à l'organisation d'une grande manifestation natio' nale contre tous les racismes, tous les communautarismes, et pour l'égalité des droits. " Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 249 - Janvier-Février-Mars 2004 3 4 Education Kiosque Une victoire de la République Pa r Pierre Mairal (*' Il Les fouilles des Algériennes pouvaient aller d'une palpation sur les vêtements jusqu'à l'obligation faite aux femmes de soulever leur robe. Vérifier le sexe des femmes s'entend alors au sens propre: il s'agit de s'assurer de leur pilosité. En effet, les femmes dont les maris sont au maquis sont suspectées de continuer à les voir et le pubis rasé est considéré comme une preuve irréfutable de relations sexuelles récentes. S'assurer de la longueur des poils pubiens devient dès lors une activité ressortant de la recherche du renseignement. D'abord simplement soupçonnées d'être des Il femmes de ii, les Algériennes deviennent progressivement des ennemies à part entière. Elles sont de plus en plus nombreuses à être contrôlées, arrêtées, interrogées, torturées, emprisonnées, assignées à résidence ou exécutées. ii Cet extrait d'un article de Raphaëlle Branche, intitulé : « Des viols pendant la guerre d'Algérie», paru en juillet 2002 dans « 20' Siècle Revue d'histoire», illustre avec acuité les raisons pour lesquelles les tortures, les viols pratiqués par l'armée française pendant la guerre d'Algérie ont pu marquer au fer rouge la mémoire nationale au point de revenir d'une manière récurrente, plus de quarante années après l'indépendance de l'Algérie, dans des débats où des mémoires antagonistes s'opposent et se déchirent. M. Henri Pouillot et Me Pierre Mairat au palais de justice. Deux procès majeurs initiés par Louisette Ighilahriz et Henri Pouillot avec le soutien et la collaboration très active du MRAP, viennent d'être gagnés contre le Général Maurice Schmitt, qui a occupé dans les années 90 la prestigieuse fonction de chef d'Etat Major des armées françaises. Même si ce dernier a relevé appel des deux jugements qui ont déclaré que « les éléments de la diffamation publique sont réunis pour avoir imputé à Louisette Ighilahriz le fait de rapporter, à propos de la torture, un récit volontairement faux et pour avoir imputé à Henri Pouillot d'être un menteur», une première bataille fondamentale a été gagnée. Chaque chose en son temps! Prenons celui d'apprécier ces deux condamnations prononcées par la 17' Chambre du Tribunal Correctionnel de Paris, le 10 octobre 2003 qui, non seulement rendent justice à toutes les victimes de la torture pratiquée d'une manière systématique par l'armée française pendant la guerre d'Algérie mais plus généralement, réchauffent le coeur de toutes celles et de tous ceux qui luttent pour promouvoir les valeurs universalistes de la République. Le racisme colonial a, durant cent trente deux années, justifié la privation des droits civils, politiques, économiques et sociaux pour ceux que l'on appelait les indigènes ou les Français musulmans d'Algérie. Il est à l'origine des exécutions sommaires, des viols, des tortures perpétrées par l'armée française qui ont émaillé les huit années d'une guerre qui ne voulait pas dire son nom. Que l'on ne s'y trompe pas! Les enjeux sont à la mesure des dangers du repli communautariste qui guette notre Société. Nier ces années sombres de l'histoire de France, nier aujourd'hui les tortures, les exécutions sommaires, les viols perpétrés durant la guerre d'Algérie par l'armée française revient non seulement à refuser aux français ou étrangers d'origine maghrébine, le droit au respect et à la dignité mais également à alimenter les insupportables discriminations dont ils sont victimes. C'est dire si ces deux décisions de justice représentent une charge symbolique forte: Ce sont les valeurs d'égalité, de justice et de dignité incarnées par notre République qui triomphent. A nos gouvernants à présent de permettre à notre démocratie d'assumer son devoir de mémoire ! (') - Président délégué du MRAP , Différences " - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 249 - Janvier-février-Mars 2004 Pa r Jean-Claude Dulieu (Secrétaire général adjoint) Il ya un an, nous relevions un défi: celui de faire de Il Différences ii un nouvel outil de communication pour notre combat. Prétendre faire de notre journal un espace de dialogue, et de réflexion pluriels qui prenne toute sa place et de manière spécifique dans les débats, qui traversent la société, c'était effectivement un défi audacieux. Aujourd'hui, en ce début d'année nouvelle, nous pouvons essayer de mesurer les avancées les plus significatives, en prenant les quelques exemples qui suivent. • Le dossier sur l'extrême droite en France et en Europe n'a-t-il pas permis de contribuer à enrichir notre réflexion sur les dangers persistants, à attendre du FN à la veille des échéances électorales nationales et européennes de 2004, son éventuelle présence au second tour, dans des triangulaires largement banalisées, devenant même un élément de calculs politiciens avec aussi le risque de voir la région PACA tomber dans les bras de Le Pen? • Le dossier sur les violences policières ne fut-il pas un élément important pour enfin lever le tabou sur ce phénomène de société? Edito International Education Kiosque Meilleurs voeux ... • Le dossier sur l'Islamophobie ne nous a-t-il pas aidés à bien mesurer une nouvelle dimension du racisme qui s'appuie sur la diabolisation de l'Islam, et qui s'ajoute au racisme ethnique, au racisme discriminatoire, au racisme antisémite, et de toute façon un nouveau moyen pour accroître le rejet de l'autre, musulman praticien d'une religion présentée comme belliqueuse par nature? • Les nombreuses pages consacrées à l'action contre l'antisémitisme n'ontelles pas mis l'accent sur l'évolution et l'ampleur du renouveau de ce racisme) • Les nombreux articles contre la guerre, pour l'amitié entre les peuples n'ont-ils pas été d'une aide réelle pour nos actions de mobilisation pour la Paix ) Nous pouvons, me semble-t-il, humblement, mais objectivement, estimer avoir réalisé ainsi la première phase de notre défi par un apport précieux de notre journal à nos débats et interventions. A l'aube de l'année nouvelle nous pouvons envisager la transformation de ce premier essai en poursuivant l'effort quant au contenu du journal et surtout en élargissant son rayonnement. Contenu Nous savons que l'année 2004 sera riche en débats politiques avec au coeur de ceux-ci les questions de l'immigration et du racisme. Dans ce contexte, notre expression publique bien que modeste, sera indispensable, irremplaçable; mais surtout il faudra qu'elle pèse. • Les actes du colloque sur l'Islamophobie, le prochain dossier sur l'évolution de l'antisémitisme en France, le dossier qui analysera les conséquences des politiques d'immigration en Europe seront autant d'outils pour cette expression. • L'année 2004 sera aussi l'année de la Chine ; ce sera pour nous l'occasion d'engager un regard critique sur les droits de l'homme dans ce pays. • 2004 sera également l'année du 55' anniversaire de la création du MRAP, un évènement que nous ne manquerons pas de célébrer. Notre fidélité pour la respect de la dignité humaine ne doit-elle pas être reconnue" d'utilité publique) ". Nous proposons de consacrer le dossier de notre numéro du troisième tlimestre aux grandes luttes de notre mouvement. Nous envisageons également d'éditer un recueil de certaines affiches qui ont illustré ses nobles combats (passer d'ores et déjà vos commandes voir ci contre). Diffusion L'efficacité de notre revue dépend inévitablement de son rayonnement. Pour ce faire, nous proposons de développer la campagne d'abonnement en poursuivant la promotion mise en place en 2003. En effet, l'année écoulée fut celle du lancement d'une campagne d'abonnement promotionnel à 12 € l'année. Fort des premiers résultats prometteurs, nous proposons d'amplifier la mobilisation. Nous vous invitons à parrainer de 5 à 10 de vos amis, collègues, membres de votre famille qui partagent nos valeurs, en nous transmettant leurs coordonnées afin que nous puissions leur faire connaître notre journal et les inviter à s'abonner. Différences appaltient aux adhérents du MRAP ainsi qu'à ses lecteurs ; ensemble transformons l'essai et créons les conditions pour assurer la contribution de notre revue à un avenir d'espoir. A cet égard, nous remercions sincèrement tous les lecteurs qui nous ont fait part de leurs encouragements. Voici donc les voeux que je préconise pour notre journal au nom de l'équipe de Différences et de la Direction Nationale du Mouvement; je vous adresse les Voeux les Meilleurs pour l'année 2004 à vous, ainsi qu'à vos proches. PROCHAINEMENT, PARUTION D'UN NUMÉRO HORS SÉRIE anniversaire du MRAP « Recueil de 20 fiches» Passez: dès maintenant vos commandes! " Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 249 - Janvier-février-Mars 2004 5 6 Edito International Dossier Discrimination Education Kiosque l'éducation à la citoyenneté contre le racisme Pa r Monique Lelouche (Secrétaire nationale) Après le choc du 21 avril, les taux d'abstentions records, notamment chez les jeunes, sur un fond d'inquiétude pour les prochaines élections, force est de constater que malgré un sursaut citoyen, (gigantesques manifestations) le racisme, tous les racismes se développent et se banalisent. D'autre part, des dérives apparaissent, replis communautaires alimentés par les discriminations, la ségrégation, la situation internationale entre autres ou bien développement du racisme chez les victimes du racisme elles mêmes, voire entre elles, signant le peu de perspectives politiques et un certain repli des acteurs de terrain. Lors d'un échange à Vitrolle. l 'éducation à la citoyenneté contre le racisme, pour un « mieux-vivre ensemble ", mettant l'accent sur la solidarité et non la peur de l'autre, est une des réponses les plus efficaces aux défis posés à la société démocratique actuellement. Le MRAP s'est toujours fortement impliqué dans ce secteur, la semaine d'éducation contre le racisme étant un temps folt. L'éducation concerne tous les âges tout au long de la vie, mais privilégie les jeunes, car, intégrée dans la socialisation dès l'enfance, elle est un moyen cie prévention contre le racisme palticulièrement efficace. Nos actions, souvent en partenariat, s'adressent à tous les publics, scolaire bien entendu, mais aussi aux jeunes dans les centres sociaux, de loisirs, foyers de travailleurs, dans les quartiers populaires, comme nous invite notre motion de congrès (cf. les journées de fonnation). La péclagogie antiraciste que nous pratiquons est multiforme. Elle se veut positive en mettant l'accent sur l'interculturel, l'app0l1 des différentes cultures à l'enrichissement de tous, dans le respect des valeurs fondamentales, dans une société plurielle en mouvement. Pédagogie concrète, active, loin des propos moralisateurs, elle déconstruit les stéréotypes et analyse les discriminations, y compris à l'école, terrain sensible chez les jeunes. C'est en effet un lien privilégié où militer pour l'égalité cie traitement, dans le cadre de la loi, pour la responsabilisation de l'individu, son émancipation, son implication dans la vie collective, en tant que citoyen. Mais ceci ne peut se faire sans un recours à l'histoire. Montrer des histoires différentes, même difficiles est enrichissant pour tous, à foltiori dans les groupes de jeunes de multiples origines. L'histoire du mouvement ouvrier, de l'esclavage, cie la colonisation, de la décolonisation, des migrations, des femmes, sans occulter l'exploitation, l'oppression, en donnant la parole aux acteurs-trices des luttes menées, va permettre aux jeunes de se situer, de se reconnaître dans une société riche de tous ses métissages et ainsi de mieux comprendre les enjeux de la lutte contre le racisme. • Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 249 - Janvier-février-Mars 2004 Mumia, citoyen d'honneur de Paris Pa r Renée le MignOI (Secrétaire nationale ad;ointe) Le samedi 4 octobre, dans les salons de l'Hôtel de Ville de Paris, Angela Davis a reçu de Bertrand Delanoë, en présence des responsables du collectif national Il Sauvons Mumia Abu Jamal Il, de personnalités françaises et étasuniennes, ainsi que de nombreux militants, la médaille de citoyen d'honneur de la ville de Paris dédiée à Mumia Abu Jamal. Pour toutes celles et tous ceux qui se battent depuis des années pour que justice soit rendue au journaliste américain, c'est une étape impoltante ; le dernier à avoir reçu un tel honneur étant Pablo Picasso. Le maire de Paris a salué « les valeurs de vie et de droit à la dignité" que défend Mumia. Il a également rappelé que" tant que l'on pourra tuer au nom de la collectivité, notre combat ne sera pas fini ". En demandant au conseil municipal d'élever Mumia Abu Jamal au rang de citoyen d'honneur après Palerme, Venise et plus de 15 villes de France, les élus communistes ont voulu contribuer à élargir le combat. Que cette distinction soit remise à Angela Davis, militante pour l'égalité des droits aux Etats-Unis, emprisonnée entre 1970 et 1972, menacée de la peine capitale comme Mumia pour un t rime qu'elle n'avait pas commis est hautement symbolique. Comme elle clevait le déclarer dans son intervention, «je serai éternellement reconnaissante envers les Français qui, il y a trente ans, ont aidé à mettre en place un mouvement victorieu,"Ç qui m'a libérée ". Angela devait également rappeler le sens du combat en faveur cie Mumia en nous parlant de « l'homme extraordinaire ". « Mumia nous a guidés en nous mon- Renée Le Mignot en compagnie d'Angéla Davis à l'Hôtel de Ville. trant comment faire notre deuil des victimes du Il septembre,' un deuil non empreint de nationalisme, de xénophobie et de violence, mais en gardant à l'esprit une volonté de paix et de solidarité internationale. Mumia nous montre comment dénoncer la guerre et la violence d'Etat. Il dénonce également l'impact du capitalisme à l'échelle mondiale, la pauvreté croissante des pays du Sud et le fossé qui s'accroît entre les riches et les pauvres des pays du Nord. Il dénonce les attaques faites aux femmes, le racisme institutionnel ainsi que le taux d'incarcération croissant des exclus. Ceux qui se battent pour la libération de Mumia veulent sauver sa vie, mais ils veulent beaucoup plus,' ils veulent mettre fin à la peine de mort, à la guerre, au racisme, aux inégalités, à la mondialisation qui écrasent des millions d'êtres humains de par le monde. Cela représente beaucoup d'espoir pour un monde meilleur. Ce qui nous touche le plus chez Mumia est sa profonde humanité, le fait qu'il soit conscient que sa propre destinée est liée à celle de milliers d'hommes et de femmes qui sont dans le couloir de la mort aux Etats-Unis et dans le monde. " Rien de surprenant alors qu'une vague d'émotion envahisse tous les présents lorsque la voix de Mumia retentit clans ' le grand hall de l'Hôtel cie Ville de Paris. Son message avait été enregistré dans le couloir de la molt de la prison de Waynesburg le 27 septembre. « Mes amis, camarades, frères et soeurs.Je veux saisir cette occasion pour remercier mes bons amis en France, tous ceux qui sont profondément opposés à cette barbarie moderne de la peine de mort, ceux qui ont conservé le goût de cette liberté qui a étincelé lors de la grande Révolution française, il y a plus de 200 ans.]'ai été contraint de réfléchir à ce que signifie être un citoyen, même un citoyen d'honnem: .. Cela doit vouloir dire bien plus que le vide droit de voter. Est-ce que cela signifie le prétendu droit de voir des jurés noirs sommairement écartés de votre jury? Le droit d'avoir des juges ouvertement racistes nommés pour décider si vous devez vivre ou mourir? Le droit à un procès qui viole les lois du pays comme les lois internationales? Si c'est le cas, je suis un citoyen américain et cela est devenu virtuellement dénué de sens.]'espère qu'une citoyenneté d'honneur signifie quelle que chose de plus. Quoi? Je n'en n'ai pas l'expérience. Mais j'en sais assez pour vous remercier ainsi que la République française- qui depuis l'époque de Mitterrand, 1981, a choisi le camp de la vie. Il y a bien sûr plus de trois mille hommes, femmes et mineurs qui, s'ils le pouvaient, vous remercieraient d'un tel choix.]e ne suis que l'un d'entre eux. Merci (*) ». (') - En français dans le texte; traduction Dee Brooks. " Différences " - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 249 - Janvier-février-Mars 2004 7 8 Edito International Dossier Discrimi nation Education Kiosque Guerre en Tchétchénie Hvpocrisies européennes FSE, samedi 15 novembre 2003 Depuis 4 ans, la terreur règne en Tchéthènie, l'horreur y est sans limite dans le silence et l'indifférence de la communauté internationale. l a situation des enfants est particulièrement tragique. Les Tchétchènes parlent « d'une génération perdue ». Au traumatisme psychologique, à la sous alimentation, aux handicapés et orphelins s'ajoutent l'analphabétisation de nombreux enfants entre 10 et 16 ans pour qui la scolarisation est devenue impossible. On compte 80 000 personnes déplacées qui vivent pour la plupart dans des camps de tentes en Ingouchie. Amnesty International fait état de nombreuses opérations militaires menées contre ces camps ainsi qu'à des manoeuvres d'intimidation pour contraindre les personnes déplacées à rentrer chez elles, sans aucune garantie pour leur sécurité (privation de services vitaux comme l'eau ou l'électricité). Même l'aide humanitaire subit les conséquences de cette "guerre oubliée " (326 convois humanitaires pour le Kosovo, moins de 40 pour la Tchétchènie). Après le référendum du 23 mars, le pouvoir russe a organisé le 5 octobre des" élections présidentielles ". Les ONG internationales ont refusé d'être observatrices pour ne pas cautionner ces mascarades. Depuis le 11 septembre, la Russie est devenue le plus grand allié dans la guerre contre" le terrorisme ". Jacques Chirac, plus réservé jusqu'à l'agression des Etats-Unis contre l'Irak, soutient désormais le gouvernement russe. Il faut réaliser l'Union sacrée, Poutine est devenu un " pacifiste l ". Raffarin s'est rendu à Moscou le jour de l'élection de la " marionnette" Kadyrov, quant à Berlusconi, il attaque la presse qui" colporte des légendes " sur la Tchétchènie. Les autorités françaises osent pour la première fois expulser des demandeurs d'asile tchétchènes. Intervention d'Elisa Mousaeva, (Mémorial,Ingouchie) au FSE : " il existe deux réalités: la réalité sur le terrain et la façon dont le conflit est présenté à l'opinion publique. Sur le terrain, c'est la ten'eur, le" nettoyage etlmique ", le " filtrage" de la population masculine avec son cortège de tOl~ tures et d'assassinats (on compte plus de 3 000 disparus), les "frappes chintrgicales " c'est à dire les bombardements massifs non ciblés (des milliers de civils tués, essentiellement des femmes et des enfants). Officiellement il n Ji a plus de " nettoyages" mais des an'estations la nuit par des hommes masqués; nous n'avons aucune nouvelle des personnes arrêtées. Pour l'm~ mée russe, la notion de population civile n'existe pas; chaque tchétchène est un "terroriste ". L'impunité permet toutes les exactions. Pour la version officielle, il s'agit d'" opérations antiterroristes ", depuis 2003, de« simples opérations de police ". Par le référendum sur la constitution et" l'élection" de Kadyrov, la Russie veut faire croire à un retour à la " nOl~ male ". Les chiffres officiels parlent de 87 % de participants, en réalité environ 20 % 1 Les élections se sont déroulées dans un climat de guerre, de violence et de délation avec un chantage à l'emploi et à l'aide humanitaire. Kadirov est haïpar la population tchétchène pour qui le seul président est Aslan Maskhadov, élu démocratiquement en 1997. L'Europe elle, veut croire aux mensonges nlsses; silence on tue ". Intervention d'Ella PoIiakova, présidente du comité des mères des soldats de St-Pétersbourg : "Depuis la création de la République de Russie, il n Ji a pas eu une seule journée de paix. La société russe est engagée dans le processus d'agression et de remilitarisation. La propagande militaire forcée commence à l'école dès 10 ans. Il n Ji a aucune e:>.pression libre possible. La Tchétchènie est devenu un laboratoire où on teste de nouvelles armes. L'armée, corrompue, n'est plus contrôlable, des soldats sont t0l1urés. La Russie est elle même en proie à la violence; les soldats de retour de Tchétchènie qui ont pu voler, violer, tuer en toute impunité continuent en Russie. " Intervention de Xavier Rousselin, convoi syndical pour la Tchétchènie : « Le mouvement anti-guerre altermondialiste ne peut passer à côté de la solidarité avec le peuple tchétchène, parce que la complicité de l'Europe n'est pas supportable, parce que les enjeux de cette guerre ne touchent pas que le peuple tcbétchène mais également le développement du racisme et de la gangrène fascisante en Europe. Je me suis rendu à Groszny au début des bombardements et on me disait: " montrez les images de la barbarie, la communauté internationale va réagir! ". Aujourd'hui pour le peuple tchétcbène, au traumatisme des massacres s'ajoute le désespoir de l'abandon. Cela conduit à des actes désespérés (comme la prise d'otages du théâtre de Moscou) y compris de la pClJ1 de femmes, actes qui enfoncent un peu plus ce peuple dans sa solitude. " Intervention d'Anne Le Huerou, membre de la FIDH : "La guerre contre le peuple tchétchène a gangrené toute la société russe; on assiste à une montée du nationalisme et de la xénophobie sans précédent. Le désespoir a anéanti la conscience collective: 1991, à la prise de Vilnius, il y a eu plus de 200 000 manifestants à St Pételsbourg, à peine 400 au début de la guelTe en Tchétchènie, il ne reste qu'une dizaine de personnes qui osent affirmer leur opposition sous les insultes lors des piquets contre la guerre aujourd'bui. " Le MRAP rappelle qu'il s'est prononcépour: • L'arrêt immédiat de l'agression militaire et le retrait des troupes russes, • L'envoi d'une force internationale de protection du peuple tchétchène, • L'ouverture de négociations avec le Président démocratiquement élu, Aslan Maskhadov, • La création d'un tribunal pénal international sur les crimes de guerre commis en Tchétchènie Il réaffirma sa solidarité totale avec les Russes qui se battent avec courage contre cette guerre barbare (déserteurs, militants pacifistes, notamment comités des" mères de soldats ,,). Il se joint au " Comité Tchétchènie " pour faire du 23 février 2004 (jour anniversaire de la déportation des Tchétchènes par Staline en 1944) une journée de solidarité avec le peuple tchétchène. " Différences " - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 249 - Janvier-f évrier-Mars 2004 MOUVEMENT CONTRE LE RACISME ET POUR ltAMlTtE ENTRE LES PEUPLES Colloque organisé par le MRAP le 20 septembre 2003, à l'Assemblée Nationale Du racisme anti-arabe à l'islamophobie ... Du racisme anti-arabe à l'islamophobie ••• • Intervention de Moulaud Aounit, secrétaire général du MRAP 2 Le mal-être juif • Dominique Vidal, rédacteur en chef adjoint du « Monde diplomatique )) Derrière la nouvelle islamophobie 9 Intellectuels laïques une idée figée de la société d'aujourd'hui 12 et nationalistes algériens • Claude Liauzu, professeur à l'université Denis-Diderot, Paris VII Les attentats du 11 septembre ont-ils été vecteurs ou initiateurs de l'islamophobie ? • Ghaleb Bencheikh, vice-président de la Conférence mondiale des religions pour la Paix, 4 7 • Vincent Geisser, chargé de recherche au CNRS, chercheur à l'IREMAN AI-Chott AI-Awast : Le lac du milieu 14 • Bruno Etienne, directeur de l'observatoire de Religion à l'lEP, univ. Aix-Marseille III Islamophobie et discriminations 19 • Nasser Negrouche, journaliste au « Monde diplomatique Il , 10 Dossier --- - ~ - - - - - - --- - - - -- Edito International Immigration Discrimination Education Kiosque Du racisme anli-arabe à l'islamophobie ... Intervention de Mouloud Aounit, secrétaire général du MRAP Tout d'abord merci à chacun et à chacune d'entre vous d'être venus aussi nombreux à ce colloque. Avant toute chose, mes remerciements vont d'abord à l'ensemble des intervenants qui gracieusement ont accepté l'invitation de notre mouvement. Je voudrais remercier aussi le député-maire de Saint-Denis qui nous a permis comme nous le souhaitions organiser symboliquement ce colloque dans ce haut lieu de la république qu'est l'assemblée nationale. Sans oublier Agnès Segura qui depuis plusieurs mois, en tant que chargée de mission bénévole, a contri- 43, bd de Magenta - 75010 PARIS Téléphone : 01 53 38 99 99 Télécopie: 01 40 40 90 98 E-mail: joumal.differeRces@free.fr 6 € le numéro • Abonnement : 21 € (4 numéros par an). Collectif de direction • Différences ,. : • Directeur de publicatian: l\:fouloud Aounit • Coordinateur responsable rédaction C') : J-c. Dulieu • Responsable productions (') : S. Goldberg • Administratrice (') : M.-A. Butez· Imprimerie

Impressions J-M. Bordessoules -

Téléphone: 05465901 32 • Commission paritaire: n' 0lOSHS26s1 • Dépôt légal: 1012003 • (-;- Bélléuoles Tous ces textes ont été réécris à partir des enregistrements (( audio )J. Merci aux lecteurs et aux intervenants pour leur compréhension. Dossier réalisé par J.-C. Dulieu, Alexandrine Vocaturo, Yves Marchi, M.-A. Butez et Agnès Ségura. bué précieusement à l'organisation de cette initiative. Pourquoi le MRAP a-t-il souhaité entreprendre une mobilisation particulière contre cette forme nouvelle d'expression du racisme que nous appelons l'islamophobie ï Trois constats principaux ont motivé notre volonté d'agir et d'alerter. Une inquiétante inflation de manifestations violentes contre les lieux de culte musulman De janvier 2001 à janvier 2003 , nous avons pu recenser plus d'une vingtaine d'attaques de lieux de cultes musulmans allant du simple jet de peinture bleu blanc rouge (Paris, Melun, Lille, Nanterre, Lyon, etc.), aux incendies et tentatives d'incendie volontaires (Alès le grand, Belley, Annecy, Rieux la Pape, etc.), en passant par des jets de cocktails Molotov (Saint Etienne, Chalon en Champagne, Escaudain, etc.) et des plasticages de lieu de culte (essentiellement en Corse). Injures, violences, menaces contre les personnalités et associations musulmanes Dans la même période, nous avons également recensé plusieurs envois de colis piégés à des responsables associatifs musulmans (Perpignan, etc.). De plus, rien que pour la région parisienne, nous avons, au niveau du Mrap, déposé plus de 25 plaintes allant de l'injure à la violence physique contre les populations musulmanes. En outre, le passage à l'acte a été incontestablement encouragé par les sites Internet islamophobes, derrières lesquels se cachent des individus détestant les arabes et les maghrébins, et qui lancent des appels au meurtres contre les populations immigrés et singulièrement musulmanes. De janvier 2001 à janvier 2003, ce sont près de 500 messages par jour qui sont accessibles en toute impunité sur la toile. Discrimination en raison de l'appartenance religieuse Nous savons comment dans le quotidien les populations les plus défavorisées sont victimes d'une stigmatisation et d'un rejet générateur de discriminations spatiales (<< banlieues ,,), ethniques (nationalité), générationnelles (" jeunes ,} A ces critères est venu se surajouter le fait religieux comme critère complémentaire de discriminations. Ainsi un certain nombre d'entreprises de sécurité et de prévention, de nettoyage, de conseil et de gestion, ont modifié la composition ethnique des équipes allant même jusqu'à donner des consignes pour ne pas embaucher des « individus d'origine arabe, de confession musulmane, ou d'origine maghrébine >J. Nous avons été amenés à plusieurs reprises à intervenir auprès du Préfet de Seine Saint Denis contre des pratiques abusives et arbitraires à l'endroit de populations musulmanes allant du non renouvellement du badge d'accès au refus d'accéder à certaines zones dites sensibles de l'aéroport de Roissy. Enfin, la frénésie et le délire médiatiques, la passion, la tonalité de certaines déclarations autour de certaines affaires de foulard révèlent, si besoin est, une certaine islamophobie jusque là contenue et qui a trouvé en la circonstance une occasion de se manifester. Un phénomène sous-estimé et non reconnu L'ensemble de ces faits graves se sont produits dans une incompréhensible et inquiétante indifférence

ils n'ont été ni recensés,

ni reconnus, alors que 5 millions de personnes peuvent en être potentiellement victimes. Ceci a une incidence non négligeable dans l'appréciation exacte de la mesure de la réalité des principales victimes du racisme. Ainsi le rapport 2002 de la CNCDH, remis au premier ministre, a conclu que 62 % des actes et manifestations à caractère raciste sont des actes antisémites. Ce qui fait de l'antisémitisme la principale forme et expression du racisme. Sans chercher un seul instant à ne seraitce que" relativiser" la gravité de « Différences,. - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 « Actes du colloque ,. ces manifestations antisémites absolument intolérables, la non prise en compte statistique des faits évoqués plus haut, ainsi que ceux qui nous sont méconnus, déforment la nécessaire vision de la réalité du racisme et de toutes ses victimes dont font aussi partie les musulmans. En outre, la frilosité des institutions envers cette forme de racisme se traduit de manière très concrète, comme nous avons pu l'analyser à travers les cas qui nous sont confiés, par des procédures judiciaires excessivement longues et des affaires qui sont classées sans suite. Les mobilisations de nos militants ont toutefois réussi à faire bouger cet état de fait: ainsi, nous avons obtenu récemment, dans le cadre d'un double procès, l'un à Rennes, l'autre à Paris, des condamnations un peu plus sévères que précédemment: à Rennes, le Tribunal a prononcé une peine de trois mois de prison avec sursis dans une affaire de diffusion d'un tract raciste à l'encontre des musulmans ; à Paris, le 6 juin dernier, nous avons également obtenu une condamnation à deux mois de prison pour apologie de crime contre les musulmans. Il ne faut également pas oublier notre mobilisation autour des sites Internet qui commence à porter ses fruits. Après avoir alerté l'opinion publique et les institutions, par la publication de deux rapports du Mrap, nous pouvons indéniablement constater une légère avancée qui a conduit à la fermeture de sites (nébuleuse Dossier Edito ; International ! Immigration Discrimination Education 1 Kiosque liberty-web. net), à la condamnation de webmestres (celui d'amisarelhai. org et de sos-racaille.org). En outre, nous avons pu constater des moyens supplémentaires et une sensibilisation certaine des autorités judiciaires et policières contre les délits sur la toile. Autre constat, certainement le plus grave, la mansuétude, voire la complicité inattendue à cette islamophobie ambiante d'intellectuels jusqu'alors compagnons de route contre tous les racismes. L'affaire Oriana Fallaci a été à cet égarclle révélateur de cette inflexion. Si Bernard-Henri Lévy a été d'une clarté exemplaire dans la condamnation de ce livre, il n'en a pas été de même de Alain Finkielkraut ou de Pierre-André Taguieff qui, tout en condamnant la forme, ont cependant estimé plus que légitime l'écriture de ce livre injurieux à l'endroit de tous les musulmans. Cette réalité alimente et entretient dangereusement le sentiment qu'en France s'opère un traitement hiérarchisé du racisme, laissant prise à l'argument selon lequel l'antisémitisme est unanimement condamné, à la mesure de son caractère intolérable, tant par les grandes consciences antiracistes que par la classe politique, les grandes consciences antiracistes ou les communautés religieuses, alors que de l'autre côté il existerait une autre forme de racisme qui, elle, serait tolérée, et acceptée, celle qui frappe les populations musulmanes. Ce sentiment des " deux poids-deux mesures" est vénéneux à plusieurs égards: au delà du profond sentiment d'injustice qu'il génère, il constitue un terreau fertile pour les manipulateurs et extrémistes de tous bords. Ceux-ci peuvent alors s'adosser à cette discrimination pour stigmatiser la France et ses valeurs, et en tirer parti pour instrumentaliser les colères induites et développer ainsi d'autres formes de racisme tout aussi pernicieuses. De plus, ce déséquilibre de la condamnation ne peut qu'entretenir et légitimer les replis communautaires. Ce constat étant posé, je voudrais délimiter le cadre non négociable et immuable dans lequel nous inscrivons cette action contre l'islamophobie. Si nous avons choisi l'Assemblée nationale pour organiser ce colloque, ce n'est pas un hasard: nous estimons que c'est un lieu symbolique qui incarne pour nous la République et ses valeurs d'égalité, de fraternité, et de justice. Nous sommes une association anti-raciste laïque : nous estimons plus que légitime la critique des religions - y compris de l'islam - dès lors que celle-ci reste dans le stricte domaine du débat et non de l'injure. Par ailleurs, nous voulons inscrire cette mobilisation dans le fil rouge de l'action du Mrap, c'est à dire dans le combat contre tous les racismes. Nous souhaitons tout simplement, en « zoomant " sur la réalité de cette forme nouvelle de racisme, créer aussi les conditions qui permettront d'ériger des passerelles entre toutes les victimes de racisme d'une part, et ceux qui, n'en étant pas personnellement victimes, sont profondément convaincus que toute atteinte à la dignité d'un individu, quelle soit sa couleur de peau, sa nationalité, ou sa religion, est une offense à la conscience humaine. Ce combat ne doit pas être non plus considéré avec angélisme: nous savons - et nous devons le combattre aussi avec vigueur et fermeté - qu'il existe des comportements de fanatiques qui se réclament de l'islam et qui se servent de l'I~lamophobie pour imposer leur vision extrémiste et pousser les musulmans à s'enfermer dans le repli communautaire. Ce qui implique une double urgence : d'une part il importe de ne pas laisser ghettoïser la réponse à ce déni de justice et, d'autre part, ce combat pour le droit et contre l'islamophobie ne peut ni ne doit être mené par les seuls musulmans, car il deviendrait alors, même à son corps défendant, un combat communautaire. Alors voilà, chers amis, les raisons qui nous ont conduits à mener cette initiative. et je voudrais, pour conclure, une fois de plus remercier les intervenants de leurs concours vraiment précieux qui vont nous aider à relever ce défi et redresser ce déni de justice, de dignité et d'humanité qu'est l'islamophobie. Comprendre le phénomène dans sa complexité pour mieux le combattre, telle est la tâche à laquelle nous allons nous atteler. .. « Différences,. - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 « Actes du colloque ,. 11 12 Edito 1 In ternational 1 Do~sh:: 1 Immigration Discrim ination 1 Education 1 Kiosque Intellectuels laïques et nationalistes algériens Claude liauzu, professeur à l'université Denis-Diderot, Paris VII « Le yaouled n'a pas de patrie, ni en France, ni en Russie, ni surtout pas en Arabie Saoudite. A nous de lui en faire une ». Cette répartie de Etiemble à Mohamed Dib, qui critique l'école assimilationniste française, donne le ton du contentieux entre une partie des intellectuels de gauche, des laïques et les nationalistes algériens à la veille de l'insurrection (l). Elle rappelle la tradition anti-islamique, qui est l'une des composantes de la culture laïque française depuis la fin du XVIII' siècle. Ce qu'on a retenu surtout de la guerre d'Algérie, c'est l'engagement anticolonialiste des intellectuels. A l'encontre d'une idée reçue, cette étude analyse l'importance des réserves, des refus visant le FLN non pas à droite - ce qui est connu - mais à gauche. En effet, pour comprendre, non pas forcément le racisme, mais un malaise, des préjugés, une incompréhension face à l'islam, c'est de ce côté qu'il est intéressant de chercher, du côté d'un contentieux entre culture laïque française et arabo-islamité (car les deux termes constituent un ensemble à géométrie variable). Enfin, dans un troisième point je m'interrogerai sur la façon dont les anticolonialistes radicaux, ceux qui ont soutenu l'indépendance de l'Algérie, ont agi et réagi. Les années 1950 sont un temps fort dans une longue histoire. Dien Bien Phu, Bandung et la découverte de (( nations jusqu'ici assoupies ou inaperçues» Oacques Berque) du tiers monde (1952), l'Algérie ont une portée immense. Pourtant, comme le considère avec justesse Paul Thibaud l'un des animateurs de Esprit (2), à la différence de l'Affaire Dreyfus et de la Résistance, ces phénomènes qui ont transformé le monde, projeté des centaines de millions d'hommes sur la scène de l'histoire n'ont laissé qu'un très modeste héritage dans notre culture civique. (( Ni dans le mouvement algérien en général, ni dans une partie de celui-ci, nous n'avons trouvé un agent historique que nous aurions pu faire dépositaire de nos espoirs et auquel nous aurions pu nous identifier. .. Les constructions qui voulaient faire de l'indépendance de l'Algérie une cause représentative du sort de l'humanité entière ... , se révélèrent toutes précaires ... ». On peut aussi souligner, pour être honnête, comme le font Les Temps Modernes en avril 1955, (( la persistance au coeur de la gauche d'un certain préjugé anti nordafricain » (3). Au coeur de cette attitude, il y a un embarras à l'égard de la nature du mouvement national algérien. L'embarras des intellectuels Les opérations de la guerre d'Algérie, plusieurs années durant, et de Suez ont été menées par des gouvernements de gauche et ont pu trouver l'appui d'une majorité dans l'assemblée élue en 1956 sous le drapeau du Front républicain. Dénoncer le national mollettisme et la (( gauche respectueuse» ou les hésitations du PC ne suffit pas comme explication, car ces comportements n'auraient pas pu s'imposer sans le soutien actif d'une partie des clercs et le malaise d'une majorité silencieuse, sans des fondements culturels. L'Union pour le Salut et le Renouveau de l'Algérie française (USRAF) publie, dans Le Monde du 21 avril 1956 un appel contre (( les instruments d'un impérialisme théocratique, fanatique et raciste», signé par Paul Rivet, grande figure du Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes en 1934, fondateur du Musée de l'homme, membre de la Ligue des droits de l'homme ... et par Albert Bayet, ligueur et président de la Ligue de l'Enseignement. Tous deux persévèrent, et Albert Bayet s'en explique dans un article duJournal du Parlement, repris dans Le Monde du 15 avril 1960. Ce n'est que progressivement que la cause de l'Algérie française va se réduire comme une peau de chagrin et passer à droite, puis à l'extrême droite. Encore reste-t-il à gauche beaucoup de réserves. Elles se sont exprimées surtout au sein de la République des professeurs (4). La Fédération de l'Education Nationale, qui est une puissance en raison du nombre de ses adhérents, du poids des enseignants dans la vie politique (ils représentent 18 % des députés entre 1944 et 1958), a été un bastion anti-FLN jusqu'à la fin de la guerre: la majorité " autonome " qui conjugue laïcisme et national mollettisme, obtient autour de 60 % des voix lors des congrès. Suez aussi taraude les esprits. L'Ecole libératrice ne se prive pas de stigmatiser les « provocations odieuses et ridicules du dictateur Nasser. .. , son ambition de reconstituer la puissance arabe du Moyen Age, l'unité arabe du Taurus à l'Atlantique, d'écarter la Grande-Bretagne et la France des régions pétrolières et de nous évincer d'Afrique du Nord» (5). La FEN dénonce « les manifestations d'un nationalisme étroit dans certains pays sous-évolués (la formule est employée couramment jusqu'à la fin des années 1950), manifestations qui relèvent incontestablement d'un processus fasciste, vont à l'encontre de l'intérêt même de ces pays, qui ne peuvent trouver des conditions de progrès que dans une coopération internationale véritable» (6). Elle ne cache pas sa sympathie envers (( une jeune nation dynamique dans le brûlot explosif qu'est le Moyen-Orient ». Elle aurait pu ajouter envers une goutte d'Occident dans une Asie innombrable. Denis Forestier décèle les caractères de la peste brune dans (( l'appel systématique à la jeunesse, le culte du chef, l'exaltation du nationalisme et du sentiment religieux ... Hitler aussi avait donné un contenu social au fascisme» (7). La FEN retrouve certains de ces éléments dans le FLN. A cet égard, la mort d'un instituteur -l'un des premiers morts de 1954 - pèse lourd. Elle porte atteinte à l'Algérie idéale, celle des salles de classes. (( L'Aurès est et restera longtemps le lieu de prédilection d'hommes qui ont établi leur hiérarchie des valeurs en tête de laquelle ils placent l'arme; il est et restera également le lieu de prédilection des bandits de droit commun ou des bandits d'honneur (cela n'a rien de romantique) » (8). Ce n'est pas là qu'un argument de propagande mais une donnée culturelle. Mouloud Feraoun aussi a vu dans l'Ecole normale l'embryon d'une Algérie idéale de la fraternité de " la communauté franco-musulmane ". Malheureusement, pour la FEN, (( on a peut-être dans ce pays plus dépensé dans le passé à essayer de s'acquérir la collaboration de chefs religieux que l'on a investi en faveur d'une nécessaire évolution qui, pour avoir été freinée, a conduit dans une impasse ». Parmi ces évolutions freinées, celle de la femme. (( Le problème religieux est incontestablement à la base du trop lent développement de la scolarisation de la fillette musulmane. Or l'Algérie ne peut se hausser au rythme moderne sans que l'émancipation des femmes, donc d'abord l'éducation des fillettes, devienne une réalité complète». Or le FLN a fait de l'islam son arme principale. « Dans la " Différences . - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 " Actes du colloque . lutte que mènent présentement les fellaghas, il y a une part importante de mystique religieuse ... Le code des instructions militaires des hors-laloi commence par cette invocation

Au nom d'Allah» (9).

En bref, la FEN rejette (( tous les nationalismes fanatiques et xénophobes » et refuse ((un Etat algérien dans le cadre des principes islamiques » (on n'a pas prêté assez attention au jeu des pétitions d'octobre 1960. L'appel des 121 soutenant l'insoumission, s'il a fait électrochoc, est quantitativement beaucoup moins important que l'appel à l'opinion pour une paL" négociée, où la nouvelle gauche se retrouve. Lancé à l'initiative de la Fédération de l'Education Nationale (FEN), il s'agit d'une alternative à la radicalisation anticolonialiste qui menace de gagner une partie de la jeunesse.) Cette radicalisation, Jean Daniel dans un article de Esprit et une polémique avec Les Temps Modernes en conteste la légitimité. (( On nous invite à proclamer notre solidarité complète et entière avec le FLN. Pourquoi la guerre d'Algérie ne seraitelle pas notre guerre d'Espagne? Cette question m'obsède depuis longtemps. Voici ma réponse, personnelle. La révolution algérienne est marquée par l'arabo-islamisme. C'est ainsi, et ce n'est la faute de personne. Les insurrections coloniales sont le fait d'élites révolutionnaires qui se nourrissent de l'apport du colonisateur (l0). Mais lorsque ces élites s'en retournent vers leur peuple dépourvu de conscience politique, elles sont contraintes de faire appel au seul levain insurrectionnel qui existe: en Algérie, c'est l'arabo-islamisme ... Le nationalisme algérien a le mérite de vouloir se dépasser et il est sans doute le plus progressiste des nationalismes arabes. il reste que ce dépassement ne lui est pas encore permis, que les conditions mêmes de sa lutte l'enfoncent dans l'arabisme et qu'à ce titre il n'est pas encore porteur d'universalité .. .j'invite les rédacteurs des Temps Modernes à me dire s'il faut combattre sans réticence pour ajouter à la Ligue arabe un nouvel Etat qui souhaitera la disparition d'1sraël» (11). De fait, chez les intellectuels, plus que l'adhésion aux objectifs et méthodes du FLN, le ressort principal de l'opposition à la guerre d'Algérie a été la fidélité aux valeurs républicaines bafouées par la République elle-même. Si L'Express se mobilise, c'est aussi, comme Françoise Giroud l'a rappelé, non par sympathie envers le nationalisme Dossier Edito i Internatio nal 1 Dossicl 1 Immigration : Discrimination Education Kiosque arabe, mais parce que cette guerre était une hypothèque sur le devenir de la modernité. Et il en va de même pour beaucoup à L'Observateur. Pour la gauche, il faut mettre fin à l'archaïsme de ce conflit du temps (( de la marine à voile et de la lampe à huile)) comme disait de Gaulle. Cet archaïsme, elle le voit du côté algérien aussi. Les situationnistes, sans aucun doute les plus lucides sur ce problème, ne se sont pas trompés: il y a là une ligne de faille entre solidarité avec le tiers monde et enjeux occidentaux. (( Le problème algérien apparaissait comme un des archaïsmes français, dans la mesure où la principale tendance en France est l'accession au standing du capitalisme moderne. Les phénomènes encore inofficiels, (( sauvages )), de déception et de refus qui accompagnent ce développement ne se voyaient en rien liés à la lutte des Algériens sous-développés)) (12). Lignes de faille culturelles: civilisation et nation La guerre a atteint le narcissisme idéologique de la gauche sur deux domaines clefs, deux valeurs fondamentales, fondatrices de sa culture: le modèle de civilisation, l'identité nationale. En France, tout commence avec la Révolution, qui fait de la France la nation universaliste par excellence. Pour Volney - qui en a été le mentor - l'expédition de Bonaparte en Egypte, c'est le développement logique du mouvement qui va créer (( une grande société, une même famille gouvernée par le même esprit, par des communes lois et jouissant de toute la félicité dont la nature humaine est capable)) (13). Ce " provincialisme de l'universel", comme disait Jacques Berque, est l'un des pôles de la colonisation-civilisation, progrès, modernité. Un autre pôle cependant, qui s'enracine dans un passé esclavagiste de plus de trois siècles et demi, se modernise au XIX' siècle : celui de la pensée raciale. Entre ces deux pôles, quantité de positions intermédiaires et les glissements sont possibles. Renan est représentatif de ces ambivalences. Apôtre et martyr de la laïcité, dans lequel on voit souvent et à tort le théoricien de la nation élective, il est le procureur le plus accablant contre l'islam, (( la chaîne la . plus lourde que l'humanité ait jamais portée)). C'est lui aussi qui légitime la domination des Aryens, dépositaires du sceptre de l'humanité. A qui refuserait leur domination, l'un des personnages des Dialogues promet l'enfer sur terre. (( L'être en possession de la science mettrait une terreur illimitée au service de la vérité.[...] Quiconque y résisterait, c'est-à-dire ne reconnaîtrait pas le règne de la science, l'expierait sur-le-champ ... Toute méconnaissance de sa force (celle de la raison) sera punie de mort immédiate.[. .. ] Par l'applicÇltion de plus en plus étendue de la science à l'armement, une domination universelle deviendra possible, et cette domination sera assurée en la main de ceux qui disposeront de cet armement. " La formule de Jules Ferry dit bien l'ambiguïté de la colonisation, et ses deux pôles de référence. (( il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures .. .]e répète qu'il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures » (14). On pourrait décliner à partir de là une longue liste de citations, de Jaurès ou Léon Blum. Ce dernier admet (( le droit et même le devoir des races supérieures d'attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de les appeler aux progrès réalisés grâce aux efforts de la science et de l'industrie ... Nous avons trop l'amour de notre pays pour désavouer l'expansion de la pensée, de la civilisation française» (15). C'est bien la colonisation qui est à l'origine de la référence à l'idée de race dans la pensée républicaine, et à son inscription dans les constitutions de la IV' et V' Républiques. Il faut souligner que la place de la colonisation dans la construction de l'identité nationale républicaine a été négligée depuis un demi-siècle alors qu'elle a été considérable. Ferry est à la fois le père des lois laïques et de l'Empire. Paul Bert, ministre de l'Instruction Publique, a été aussi gouverneur général d'Indochine. C'est aussi la colonisation qui est à l'origine d'un découplage nationalité/ citoyenneté dont on supporte aujourd'hui encore les conséquences. Et l'on retrouve dans ce découplage le double visage de la colonisation. Les musulmans algériens sont des sujets français, non des citoyens depuis 1863. Le gouverneur général de Gueydon avait, en 1872, rejeté l'idée de leur étendre la citoyenneté: " que deviendrait alors le principe de base de notre domination? " (16). De Gaulle répugne à l'idée d'une France peuplée de mosquées. En droit, la citoyenneté n'a jamais été entièrement ni définitivement fermée aux colonisés, mais son accession a toujours été une porte étroite. En Indochine, on compte 31 naturalisés en 1925 et 300 en 1939. En AOF en 1937, une cinquantaine de dossiers sont instruits dont deux seulement obtiennent gain de cause. En Algérie, on recense 1309 demandes et 178 refus entre 1845 et 1899, 551 et 214 entre 1899 et 1909, 255 et 101 entre 1910 et 1915, 202 et 115 entre 1919 et 1924, 1541 demandes et 427 refus entre 1925 et 1936 ; au total, 1622 naturalisations entre le milieu du XIX' siècle et les années 1920, soit une dizaine seulement par an, et une trentaine entre les deux guerres! L'Algérie surtout est un cas exemplaire de la logique coloniale et des contradictions entre celle-ci et le droit républicain. Sans suivre ici une histoire complexe, l'essentiel est l'opposition établie entre citoyenneté française et islam et à travers elle l'ethnicisation de la religion. Cette obstination coloniale est telle que même le converti au catholicisme est condamné à demeurer «mahométan" selon un arrêt de la cour d'appel d'Alger en 1903. Pour elle, le terme musulman (( n'a pas un sens purement confessionnel, mais il désigne au contraire l'ensemble des individus d'origine musulmane qui, n'ayant point été admis de droit dans la cité, ont nécessairement conservé leur statut personnel musulman, sans qu'il y ait lieu de distinguer s'ils appartiennent ou non au culte mahométan» (17). Cette situation, le gouvernement Blum n'osera pas y mettre fin, et la première ouverture date d'une ordonnance du 7 mars 1944 accor- " Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 " Actes du colloque " 13 14 Dossier Edito 1 International j} -sie Immigration Discrimination Education ' Kiosque dant la citoyenneté à 60 000 musulmans. Mais Ferhat Abbas a affirmé un an plus tôt que « l'heure est passée où un musulman algérien demandera autre chose que d'être un Algérien musulman » (18). Pour Jean-Paul Charnay, « le statut familial et successoral a été, avec le rituel, le signe le plus éclatant de l'islamité d'une société» (19). Cependant, il serait simpliste de faire du racisme le seul principe explicatif. Certains se réfèrent au principe d'isonomie, c'est-à-dire d'universalité de la loi et du modèle républicain. Dans son rapport sur le projet de loi de 1919 prévoyant un train de réformes en Algérie, Marius Moutet souligne que « c'est dans les règles concernant le mariage et la puissance paternelle, dans le droit du père et dans celui du mari que nous allons trouver les institutions les plus contraires à notre civilisation et à notre état social» (20). C'est assurément la référence à l'islam qui a fourni le rempart contre la tentation de la naturalisation des élites. En Algérie et en Tunisie dans les années 1930, la contre-offensive, aussi bien de la part de Bourguiba et de l'AEMNA, des nationalistes et des Ouléma algériens se fonde sur l'assimilation entre naturalisation et apostasie. En 1962, la définition de la nationalité algérienne est établie par une ascendance paternelle musulmane sur trois générations, à charge pour les autres, y compris les Européens qui ont choisi le camp algérien et participé à la lutte de libération, de demander une naturalisation. Quelques dizaines l'ont fait. Comment donc les anticolonialistes ontils posé ces problèmes 1 Les anticolonialistes Des travaux historiques comme ceux de Mohammed Harbi, Gilbert Meynier, Omar Carlier ont montré l'importance de ' l'islamo-arabité " dans la culture populaire et son exploitation politique pour la mobilisation de la société. Mais, le plus souvent, ceux qui ont fait la guerre à la guerre n'ont pas vu l'importance du religieux dans le mouvement nationaliste algérien. Pourquoi ne pas le dire, une bonne part avaient une ignorance crasse de la culture des colonisés. Madeleine Rebérioux, jeune professeure engagée dans la grande cause de sa génération, raconte que, recevant des militants algériens en octobre 1961, elle leur a préparé un repas ignorant les interdits alimentaires. On peut expliquer aussi cette sousestimation du religieux par le fait que les intellectuels anticolonialistes voyaient l'Algérie à travers les oeuvres des écrivains de langue française, des intellectuels qui se référaient à des valeurs communes, les droits de l'homme, la lutte contre l'exploitation des Damnés de la terre. Le FLN mettait en avant des accents républicains en direction de l'opinion française. L'éditorial du premier numéro de El Moujahid, Le Combattant en juin 1956 insiste sur la variante laïque de la notion de combattant, et présente la guerre comme une lutte de libération nationale. A quoi il ajoute « le bon sens du peupie », car l'Islam «fut précisément le dernier refuge des valeurs pourchassées par la colonisation». Mais les «frères en esprit» étaient minoritaires, voire marginaux au sein du mouvement national et de la société algérienne. Quant aux progressistes du FLN, ils ont été battus, voire abattus. Paul Thibaud reproche non sans raison à André Mandouze d'avoir présenté une version laïcisée de La révolution algérienne par les textes (21). Laurent Schwartz espérait que les nationalistes « ne seraient pas musulmans à ce point là» (p.197). A quoi il faut ajouter une logique idéologique, qui a pesé dans l'engagement des intellectuels en faveur des Révolutions, les communistes, les tiers-mondistes, leur propension à soutenir ce que Rodinson appelle la « victime maximale», tout autant valorisée que méconnue, les damnés de la terre, prolétaires blancs ou prolétaires colonisés, le « juif abstrait ». Mais ces excès d'adoration ont suscité un effet pervers dans l'autre sens. Le désarroi devant des réalités non prévues est l'une des explications du silence de la gauche qui suit la guerre d'Algérie comme le constate un numéro de Esprit en 1972 au moment où éclate la polémique sur la bataille d'Alger (Massu/ Bollardière/ P. Vidal-Naquet). Ce silence a laissé le champ libre, sur fond de traumatisme algérien et de cartiérisme, au développement d'un racisme anti-arabe. Le MRAP s'en préoccupe dans Les Français et le racisme de Maucorps, Memmi et Held (22) Il est à l'origine d'une campagne pour faire adopter la loi de 1972. Ce précédent permet de réfléchir aux problèmes que pose la lutte antiraciste. Le travail que Maxime Rodinson a mené pendant la guerre d'Algérie comme militant et orientaliste anticolonialiste en est un exemple remarquable. De fait, l'un des terrains fondamentaux, du duel idéologique est le terrain scientifique. Ce que les islamophobes actuels n'ignorent pas quand ils s'efforcent de délégitimer les orientalistes. La compétence de Rodinson lui permet d'abord de contester les faux savants qui tranchent de l'islam sans le connaître. « C'est un thème courant dans les luttes politiques d'aujourd'hui que la discussion autour d'une thèse selon laquelle l'Islam serait une religion fanatique, obscurantiste, qui oriente ses sectateurs vers un mode de pensée étroit, dogmatique, hostile à la liberté de la pensée, au progrès» (13). Et Maxime Rodinson débusque les aberrations des prédécesseurs de Bourcier de Carbon ou Michèle Tribalat. Dans ce combat scientifique, Maxime Rodinson a posé les éléments de sa critique de l'homo islamicus, de la vision essentialiste des cultures posées comme des entités closes, immuables et antagonistes. Il s'efforce aussi d'analyser les courants qui traversent l'islam et s'affrontent. Comme Jacques Berque, qui reconnaît avoir longtemps négligé le religieux, le sacré au profit de l'historique, Maxime Rodinson avoue qu'il a surestimé les tendances laïques. Son engagement anticolonialiste ne le conduit cependant pas à la complaisance envers les nationalismes. Il critique les utilisations politiques, instrumentales de la religion par les "athées musulmans" tel Amar Ouzegane. Dans son pamphlet contre le PCA, cet ancien leader communiste explique son ralliement au FLN. « La question religieuse est pour nous un fait social et politique qui n'a rien de mystérieux», alors que l'athéisme manifeste une «ignorance crasse de la psychologie sociale! Comme si l'apparition de l'astronautique suf fit par elle-même à effacer dans la conscience des peuples le souvenir fascinant du Bouraq ou de l'hippogriffe, le cheval ailé avec une tête de femme ou de griffon » ... « Mais la jument Borâq existe-t-elle ?» lui demande Rodinson (24). Chanter en choeur cette vieille chanson, c'est jouer avec le feu. « Plus sa condition est difficile, plus sa misère existentielle se double d'une misère matérielle et plus l'homme est porté à affirmer sa fidélité aux valeurs qui donnent un sens à sa vie par la sauvagerie à l'égard des hérétiques et des infidèles. Plus ces valeurs se présentent comme un absolu et plus cette sauvagerie sera absolue ... Au service de la Bonne Cause humaine, celle du socialisme, croit-on? Qu'on prenne garde aux conflits possibles. On verra alors si ce n'est pas le fanatisme du service de Dieu qui l'emportera. Et si quelque clerc, quelque marabout, quelque faux prophète n'entraînera pas plus aisément les masses que le dirigeant politique malgré l'affectation de piété de celui-ci» (p.196-197). Cette inquiétude qui s'exprime au nom des valeurs universalistes, il est intéressant de la comparer avec celles qu'exprimaient les adeptes de la colonisation-civilisation. Marius Moutet, expert principal de la SFIO, plusieurs fois ministre des Colonies s'inquiétait. « Il faut prendre garde au déchaînement des forces incontrôlables, à la situation confuse et instable, impropre à toute construction positive, qui pourrait sortir d'une action où des notions mal digérées de luttes des classes, certains fanatismes religieux, la nature émotive desAfricains, la dissimulation islamique et asiatique, et toutes sortes d'influences souterraines se rencontreraient en des réactions complexes et imprévisibles» (25). C'était déjà l'inquiétude d'un Romain Rolland face à la menace du " guêpier asiatique ". C'était celle de René Maran, premier écrivain de ' couleur " a avoir eu le prix Goncourt pour qui « l'islamisme, aux écoutes de nos faiblesses, aux aguets de nos défaillances, attend, immobile» (26). C'est encore celle de Charles André Julien face au nationalisme et aux mouvements populaires arabes, son malaise face à l'Algérie, ou de Denis Forestier - cacique de la FEN - soutenant Habib Bourguiba : « chacun savait qu'en dehors de cet homme, c'était l'anarchie" (27). En annonçant l'autonomie interne et les relations privilégiées avec les élites nouvelles, Pierre Mendès France avait fourni une clef de cette politique. Pour conclure La colonisation et la guerre d'Algérie sont à l'origine de quantité de problèmes actuels, problèmes internes à la société française, problèmes des rapports avec les sociétés arabes et musulmanes. Car ces sociétés sont des sociétés qui portent la marque de la colonisation. " Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 " Actes du colloque" Dossier Edita 1 International , " 1)551 1 Immigration 1 Discrimination 1 Education 1 Kiosque On retrouve dans les attitudes actuelles beaucoup d'analogies avec celles des années 1960. Cependant, il serait anachronique de réduire une époque à l'autre. Si l'on parle de société post coloniale, c'est que avec la fin de l'Empire tout un édifice, tout un système s'effondre: mort de la SFIO, de la IV' République en sont des conséquences politiques directes. Plus profondément, c'est une culture, une idéologie qui a fait consensus depuis le XIX' siècle qui est érodée. La catho-Iaïcité, la natio-Iaïcité qui en étaient la clef de voûte subissent successivement la crise des décolonisations, puis les effets de la modernité- monde. Ces deux facteurs conditionnent les recompositions face à l'islam. Cette situation ne laisse pas les spécialistes indemnes : la corporation des orientalistes et des politologues, comme de tous les spécialistes du monde musulman, est traversée par des courants opposés. Dans les rencontres scientifiques s'affrontent des choix idéologiques et des sympathies adverses. Face à de tels enjeux, les spécialistes - qu'ils soient universitaires, journalistes, etc - ont des responsabilités considérables et doivent se montrer particulièrement responsables. (1) - Eliemble, La Nouvelle Revue Française, n' 9, 10, 11 et Mohamed Dib dans [a Nouvelle Critique, n' 54, aUl1l1954. (2) - . ['événement qui nous tourmentait - in La gue/Te d'Algél1e et les intellectuels français, jean-PielTe Rioux et jean-François Sirinelli dir., Complexe, 1991, p. 383. CF. james Lesuelll; Un civil war. Intellectuals andAlge- 11an \Val; University of California, 2002 (3)- N' 111-112, p. 1595 (4) - Bernard Thibaud, déjà cité, p. 379 (5) - 13 aUl1l, 15 novembre 1956, 1'" mars 1957. (6) - L'Enseignement public, août-septembre 1956, p.24 (7) - ['Ecole libératrice, 5 octobre, p35. (8) - ['Enseignement Public, août-septembre 1955, p.20 (9) - Cf Claude Liauzu, Les intellectuels français au miroir algérien, Cahiers de la Méditerranée, CNRS, l!ice, 1884, p. 74. (10) - Souligné par Claude Liauzu (11) - jean Daniel, • Socialisme et anticolonialisme " Esprit, mai 1960. (12) - Internationale Situationniste, avril 1962 (13) - Volney, Voyage en Eg;pte et en Syrie, cité in Thierry Hentsch, L'O/1ent imaginaire, Les éditions de Minuit, 1988. (14) - Discours à la Chambre, 1885 (15)- Léon Blum, débat du 9 juillet 1925 à la Chambre (16) - Cité in Patrick \Veil, Qu'est-ce qu'un FrclI1- çais ' Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Grasset, 2002. (17) - Alge>; 5 novembre 1903, Revue algérienne et tunisienne de législation et de jU/1sprudence, in Patrick Vieil, op.cit., p. 235. (18)- Manifeste du peuple algérien, 10 février 1943 (19) - La Cbaria et l'Occident, L'Herne, 2001, p. 18. (20) - jO, Projets de loi et rapp0l1s, Chambre des Députés, annexe n' 4383, séance du 1" mars 1918, P329, cité in Laure Blévis, • Droit colonial a/gé/1en de la citoyenneté: conciliation illusoire entre des principes républicains et une logique d'occupation coloniale, 1865-1947- in Lague/Ted'Alles anentats du 11 septembre gérie au miroir des décolonisations françaises, Actes du colloque en l'honneur de Charles-Robert Ageron, Société française d'histoire d'outre-mer, 2000 (21) - Article cité in J.P. Rioux et J.F. Sirinelli, op.cit., p. 382 (22) - Payot, 1965 (23) - • Mar.xisme et nationalisme arabe · in Vél1té Liberté, janvierlévrier 1961. L'Islam doctrine de progrès ou de réaction, conférence à l'Université rationaliste en 1961 également, du communisme au FLN, compte rendu dans Le Monde Diplomatique. Ces textes sont repris dans Marxisme et monde musulman, Seuil, 1972. (24) - Op.cit., p.558, réponse au livre de Amal' Ouzegane, Le meil/eur combat, julliard, 1962 et pp. 196-197. (25) - Cf Claude Liauzu (dir.), L Empire du colonial, A. Colin, à paraître 2004 (26) - Clarté, 76, 9, 1926 (27)- L'Ecole libératrice, 21février 1958. ont-ils été vecteurs ou initiateurs de l'islamophobie ;» Ghaleb Bencheikh, vice-président de la Conférence mondiale des religions pour la Paix (1) L'une des questions fondamentales qui se posent est de savoir si les attentats du 11 septembre ont été vecteurs ou initiateurs de /'islam'ophobie. A ~ant de répondre véritablement a cette question Je me reporterai à deux dates : • l'ENAR - European Network Against Racism - organisme européen contre le racisme, a trouvé utile et urgent d'organiser, en octobre 2000, un colloque important à Strasbourg pour recenser, sérier les différents actes racistes et islamophobes. • Et cette année, un colloque pour étudier l'islamophobie en Europe doit se tenir en octobre, à Genève. La rencontre d'aujourd'hui s'inscrit dans cette prise de conscience que la paix civile est menacée pas uniquement en France mais en Europe et de par le monde. Alors si vous me le permettez, l'Arabe, le musulman que je suis, loin de toute auto-flagellation ou d'un quelconque dolorisme, voudrait commencer par exprimer simplement une position éthique rappelée dans l'argumentaire distribué par le MRAP, 'c'est rappeler en quoi, en ce qui nous concerne, nous, musulmans, détenons une part de responsabilité dans le développement de cette crainte de l'islam. Et, préciser en évoquant la parabole évangélique de la paille et de la poutre, que nos hiérarques religieux, les dignitaires qui parlent de l'islam n'ont pas su, sur certains points, prendre position nettement, sans ambages, sans équivoque, d'une manière tranchée, et clamer qu'il y a des dérives meurtrières inacceptables qui pervertissent le sens d'amour et de miséricorde propre à la révélation coranique. Et cela a permis que s'installe sans peine dans les esprits ce terrible amalgame - un mot d'origine arabe - sur lequel surfent et jouent les islamophobes. Islamophobie avez-vous dit ? l'étymologie du mot est bizarre, en soi, littéralement, une peur irraisonnée de l'islam. Les attentats du 11 septembre de ce point de vu en deviendront sans conteste un vecteur, même s'il existait déjà auparavant un site Internet qui se targuait d'être l'unique site francophone contre l'islam ! Ce site, s'appelant d'ailleurs « versus islam», reprenait une citation de Voltaire « Ecrasons l'infâme». Cette islamophobie, du temps où l'on importait de la main d'oeuvre pour la reconstruction du pays, effectivement, c'était avant tout du racisme anti-arabe. Et puis les relents du colonialisme, et la croyance en une supériorité - supposée - d'une civi- " Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n" 249 " Actes du colloque" 15 16 Dossier Edito 1 International )G~o' '- Immigration Discrimination Education 1 Kiosque lisation par rapport à une autre ont modifié les représentations: l'homo economicus des premiers temps s'est commué en homo islamicus posant problèmes ... A cet égard, je voudrais saisir cette occasion afin de mettre le doigt sur l'absence totale de cohérence du racisme anti-arabe : on dédaigne le petit épicier du coin tandis qu'au même moment on fait, avec une obséquiosité servile, des courbettes à d'autres Arabes, quand ils sauvent le marché des yearlings à Deauville ou le marché des pouliches à Longchamp. S'ils ne sont pas encore citoyens on leur apporterait le titre de séjour sur un plateau d'argent 1 La méconnaissance patente du monde arabo-musulman, de sa civilisation multiséculaire engendrée par la faiblesse ou le déclin de l'école orientaliste française - par rapport à l'école orientaliste anglo-saxonne - est un élément dont il faut également tenir compte. Hélas, on n'a pas pu susciter les émules d'un Laoust, d'un Massignon, d'un Corbin, d'un Gardet, ou plus récemment d'un Berque. Dans le sillage des attentats du Il septembre, il faudrait ajouter toute l'hystérie qui s'est donné libre cours, tout le matraquage psychologique, le lynchage médiatique auxquels on a eu droit. Avant on parlait de la déferlante islamiste, du péril vert qui, plus que menaçant, venait se substituer au fameux péril rouge évanescent ou se conjuguer au péril jaune apparaissant. Mais derrière ce spectre de la couleur, c'est surtout, le spectre de la peur qui chaque fois, a été brandi invariablement . Rappelons-nous la fameuse mosquée de Charvieux Chavanieu qui a été démolie au bulldozer par le maire de la ville prenant prétexte de problèmes d'ordre administratif qui auraient pu sans difficultés être réglés autrement; cela témoignait déjà du mépris pour ce lieu de culte, et ceci bien avant le 11 septembre ! Cependant le climat le plus lourd, l'atmosphère la plus irrespirable, se fit effectivement sentir au cours des semaines, qui ont suivi le 11 septembre et ce, à tous les niveaux, politique religieux, académique et journalistique. Nous avons assisté à une prolifération d'une littérature de bazar ou de gare et à une islamologie de comptoirs. Toutefois, les Del Valle, Fallaci et autres Houellebecque, ne présentent aucun intérêt: que vaut l'argument devant l'insulte, que vaut l'analyse devant le discours imprécatoire? Simplement, ce qu'ils disent ou écrivent frappe dangereusement l'imaginaire, et on ne peut laisser faire, ni rester sans réagir. Mais l'amalgame le plus terrible, le raccourci le plus dévastateur, c'est la confusion entretenue à dessein entre la tradition religieuse -une tradition multiséculaire que partagent dans le monde près d'un homme sur cinq, constituée de différentes strates civilisationnelles, spirituelles, culturelles, cultuelles ... et des dérives meurtrières que nous devons condamner. Des illuminés autoproclamés seuls procurateurs de Dieu et seuls défenseurs exclusifs des ses Droits ne cessent de tout bafouer. Des intellectuels musulmans soutiennent que ces dérives ne les engagent en rien, que c'est une perversion de la révélation coranique et d'autres prétendent qu'elles sont intrinsèques à cette Révélation et que le drame est inhérent à la pensée islamique ... Il n'y a rien à faire puisque les universités islamiques enseignent ces mêmes justifications au terrorisme et à la violence dans leur cursus classique actuel! On pourrait comprendre, sans les approuver, les hésitations de certains à remettre en cause les aspects les plus condamnables de l'islamisme. Ne voit-on pas nombre de critiques tout à fait légitimes, retournées et exploitées et leurs auteurs entraînés malgré eux dans les campagnes de stigmatisation dont cette religion fait l'objet, alors que, dans le même temps, d'autres religions restent largement épargnées? Curieusement, alors même qu'elle est stigmatisée, on lit et on entend qu'il y a une certaine frilosité des médias à en parler... Au plan politique, au niveau européen, il nous faut nous souvenir de ce qu'a déclaré Silvio Berlusconi - il n'en est pas à une billevesée près - sur la suprématie indéniable de la chrétienté dans son entier, et non de l'Occident uniquement. A ce sujet, l'opposition islam/Occident est foncièrement impropre. Elle pose un sérieux problème tant au niveau conceptuel, que géographique et historique -je serais tenté de dire à tous points de vue- puisque l'islam fut un occident absolu de 711 date à laquelle Tariq franchit le détroit des colonnes d'Hercule jusqu' à la découverte du nouveau monde en 1492. Mais de cela Silvio Berlusconi n'en a pas fait mention. Il a parlé de la suprématie indéniable de la chrétienté sur l'islam et ceci ad vitam aeternam. Quand au niveau européen, on exerce les responsabilités qu 'il a en ce moment, ce type de déclaration est indigne. Les conséquences de tels propos sur l'ensemble des Européens, et même des citoyens du monde sont terribles. Au niveau intellectuel, je ne prendrais qu'un seul exemple qui est très révélateur de l'ignorance ou de la confusion : un grand académicien parle d'Allah comme divinité mahométane. Curieuse définition ! A ce jeu, God serait une divinité anglicane. Allah n'est que l'appellation arabe de la divinité! La contraction de l'article el et du mot ilah qui signifie " dieu " donne Allah, mot qui existait en arabe bien avant la révélation coranique. Les chrétiens arabes, d'ailleurs, célèbrent l'eucharistie en s'adressant à Allah. Dans cette logique deus une divinité vaticane. Cela fait d'ailleurs écho à toute la théorie américaine post-attentats: notre Dieu a donné son fils pour le salut de l'humanité et leur dieu exige leurs fils pour son propre salut. Nous avons aussi pu lire et entendre les propos tenus par le directeur de l'Observatoire (ou de l'Institut) de la Paix nommé par G. Bush: « Si tous les musulmans ne sont certes pas des terroristes, tous les terroristes sont des musulmans!)). C'est dire la collusion, la perméabilité entre une certaine analyse intellectuelle et des prises de positions au niveau politique. La responsabilité que certains portent dans l'état de crétinisation du public à propos de cette question. Deux autres plans méritent notre attention. Le plan religieux: vice-président de la Conférence mondiale des Religions pour la Paix, il n'est pas question pour moi de stigmatiser mes amis, mes collègues et mes interlocuteurs dans cette mouvance. Cependant, avant les attentats du 11 septembre, suite à l'assassinat odieux, lâche, inacceptable des moines de Tibehrine, nous avons pu entendre, sur France Info, l'Archevêque de Paris, Monseigneur Lustiger, appeler tous les musulmans, tous ceux qu'il connaît et qui sont ses amis, et ceux qu'il ne connaît pas et qui sont nombreux, à expurger de leur coeur la haine qui s'y trouve. Ce type de discours tenu par un prélat, prince de l'Église sur la place de Paris, sur une antenne de radio dont la vocation est de répercuter l'information tous les quarts d'heure, était gravissime, déjà dès 1996. Et je tiens à le dire par respect et estime envers la personne dont je mets en cause les propos. Il faut savoir réprouver le répréhensible, condamner ce qui est condamnable. Mais dire surtout ce qui va dans le sens de l'apaisement et de la réconciliation. Dernier point, il concerne le plan médiatique ou journalistique. Un bon journaliste est celui qui donne à penser et un mauvais journaliste est celui qui livre sa pensée. En matière d'islam les pensées toutes faites sont là et elles sont données sans que le vocabulaire soit maîtrisé. Le djihad est devenu une guerre sainte, la fatwa une condamnation à mort! Inepties et fadaises sont proférées dans des organes de presse sérieux, et on entend cela dans des émissions type débats ... Ultime exemple, c'est Arlette Chabot qui dans son émission Mots croisés ne trouve pas mieux, à chaque fois, quand il s'agit de théologie fine, de géo-religion, d'analyse géostratégique, de faire appel à ce que d'aucuns appelleraient la grosse artillerie d'un côté, opposée curieusement tour à tour à un basketteur, un judoka, un rugbyman en duplex depuis Londres. De facto le débat est biaisé. Demeure donc un énorme travail de communication. Et il faut pour cela nous atteler à construire un véritable discours de responsabilité et de maturité mais aussi de vigilance. (1) - Présentateur de l'émission . Islam " sur France 2. " Différences " - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 ' Actes du colloque " Ed ito 1 Internationa l 1 DO<'51"f Immigration 1 DiscrÎmÎnation 1 Ed ucat ion 1 Kiosque le mal-être iuil Dominique Vidal, rédacteur en chef adjoint du « Monde diplomatique)) (1) Je vous prie d'abord d'excuser Alain Gresh, retenu par un cas de force majeure, mais aussi de m'excuser car, n'ayant appris qu'hier que je devais le remplacer au pied levé, je me suis trouvé dans l'incapacité de préparer une intervention adaptée à vos travaux. J'espère néanmoins que cette réflexion sur ce qui se passe chez les Juifs de France permettra d'éclairer un certain nombre des questions qui sont au centre de vos travaux. Je vais fonder mon intervention sur le livre que j'ai publié au mois de mars dernîer, Le Mal-être juif. Deux précisions de vocabulaire Commençons par une précision de vocabulaire importante: je trouve l'expression" communauté juive" ambiguë. De quoi parle t-on ? Des 500 000 à 700 000 Juifs français, ensemble d'une grande diversité sociale, politique, idéologique, religieuse et évidemment d'origine - avec les ashkénazes et les séfarades? Ou bien de la communauté juive organisée, c'est-àdire du Consistoire, mais surtout du Conseil représentatif des Institutions juives de France (CRIF), et donc des 100000 à 150000 personnes membres d'une des associations constituant le CRIF? Quand l'actuel président du CRIF, Roger Cukîerman, déclare que le score de Le Pen « est un message aux musulmans pour qu'ils se tiennent tranquilles)) ou bien lorsqu'il suggère à Ariel Sharon qu'Israël devrait se doter « d'un grand ministère à la propagande, comme Goebbels)), il ne parle évidemment pas au nom de l'ensemble des Juifs de France, ni même de l'ensemble de la communauté organisée. La preuve, c'est la montée de réflexîons critiques: celle de l'ancien président dù CRIF, Théo Klein, ou de l'actuel président du CRIF RhôneAlpes, Alain Jacubowitz, ou encore celle du « challenger)) de M. Cukîerman au sein du bureau du Conseil, Michel Zaoui. Ce ne sont pas, faut-il le préciser, de dangereux gauchistes ... Seconde précision : le terme « malêtre)) est évidemment un mot fourretout, dans lequel j'ai mélangé des phénomènes extrêmement divers allant d'une inquiétude diffuse à une véritable angoisse et provoquant des réactions qui vont du repli silencieux à une agressivité parfois étonnante. Les causes en sont elles-mêmes multiples. Les unes sont d'ordre conjoncturel, liées au conflit israélo-palestinîen, aux violences antisémites en France ou encore à la campagne irresponsable menée par un certain nombre d'inconditionnels d'Israël. Mais la toile de fond structurelle qui, seule, explique l'impact extraordinaire de ces facteurs conjoncturels, est, à mon avis, la profonde crise d'identité des Juifs français. Revenons sur ces différents aspects. Comme si l'existence d'Israël était en danger L'escalade au Proche-Orient suscite bien sûr une grande inquiétude en général et chez les Juifs en particulier. On insiste souvent sur la dimension idéologique du lien de ces derniers - du moins d'un certain nombre d'entre eux - avec Israël, mais il s'agit d'abord d'un lien personnel. D'après la dernière grande enquête réalisée en 2002 pour le Fonds social juif unifié, une enquête très sérieuse qui porte sur plus de mille chefs de familles (ce n'est donc pas un sondage fait à la vavite comme on en lit tous les jours), 85 % des Juifs de France ont en Israël, un enfant, un parent ou un ami. Rien d'étonnant, dès lors, si, au soir d'un attentat-kamikaze, les lignes téléphoniques sont saturées. Dans leur immense majorité, les Juifs français avaient espéré que les accords d'Oslo de 1993 permettraient d'établir la paix, sans bien mesurer qu'après l'assassinat d'ltzak Rabin, les gouvernements israéliens successifs avaient peu ou prou tourné le dos à cet objectif. Les Juifs français ont été cueillis à froid par l'échec du sommet de camp David en juillet 2000 et, pour la plupart d'entre eux, ils ont cru à l'" offre généreuse " qu'aurait faite Ehoud Barak et que Yasser Arafat aurait refusée. Cette campagne sur le thème de l'" offre généreuse " a été d'autant plus efficace que l'Autorité palestinienne s'est montrée absolument incapable à l'époque de communiquer les raisons pour lesquelles elle avait refusé les propositions israéliennes et, plus généralement, d'expliciter ses propres posi- , tions. Faute donc de savoir ce qui s'est vraiment passé à Camp David, puis à Taba en janvier 2001, l'immense majorité des Juifs français - comme des autres Français d'ailleurs - ont vécu la seconde Intifada et a fortiori le recours aux attentats-kamikazes comme la preuve que les Palestiniens auraient renoncé à la paix. Dans la plupart des cas, les Juifs français ne verront pas - ou ne voudront pas voir -l'écrasement des Palestiniens par l'énorme machine militaire d'Israël. Au contraire, ils auront paradoxalement l'impression qu'actuellement, c'est l'existence même d'Israël qui est à nouveau menacée. Il y a là bien sûr un élément tout à fait majeur du mal-être juif en France. Cela dit, l'enquête, déjà citée, de 2002 nous indique que 48 % des Juifs français (60 % des Juifs diplômés) sont favorables à l'échange des Territoires contre la paix, contre 39 % seulement qui s'y opposent. Six fois plus d'actes antisémites en un an Deuxième facteur conjoncturel, la montée des violences antisémites est venue s'ajouter à cette tragédie proche- orientale. Depuis la parution de mon livre, la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme (CNCDH), a publié son rapport 2002, dont Mouloud Aounit a parlé tout à l'heure. Ce document capital est venu confirmer l'analyse que nous avions développée dans Le Monde diplomatique. De 2001 à 2002, le nombre d'actes racistes a été multiplié par quatre. Inclus dans ce décompte, le nombre des actes antisémites recensés a été multiplié par six - ces derniers représentent ainsi 62 % des premiers. Une remarque à ce propos. li est indiscutable que le recensement des actes de violence antisémites est beaucoup mieux organisé, donc plus exhaustif que le recensement des actes anti-arabes et anti-musulmans - j'ajouterais aussi anti-Roms, car on n'en parle jamais, à tort dans la mesure où les Tziganes constituent sans doute, tous les sondages le confirment, les premières victimes du racisme en France. Mais ces considérations ne changent rien à cette réalité: la France a connu Do.,.,... , VIDAL E NALÊIIIE -IU.... -I~F,-.. <-- une montée brutale des actes antisémites. Pourquoi? La France serait-elle emportée par une fièvre anti-juive ? Les violences, indique le rapport de la CNCDH, " ne semblent pas révéler un comportement de rejet dont seraient victimes les membres de la communauté juive dans l'ensemble de la société française ". De ce point de vue, les enquêtes citées par la Commission réduisent à une expression de paranoïa ou d'irresponsabilité les affirmations de certains selon qui la France serait (re)devenue antisémite. 89 % des Français considèrent que les Juifs français sont des Français comme les autres, 87 % approuvent le principe de la restitution des biens juifs confisqués pendant la guerre. Et quand on demande aux sondés si on parle trop de l'extermination des Juifs par les nazis, 17 % répondent" oui ", mais 80 % " comme il faut ", voire" pas assez ". A mon avis, d'ailleurs, une partie de ceux qui disent" oui " pensent, non qu'on parle trop de la Shoah, mais qu'on en parle mal. Et je suis personnellement d'accord sur ce point: on ne montre pas assez la dimension unîverselle de ce qu'a été le génocide juif. Quand je participe à un débat avec des jeunes de banlieue, notamment des jeunes Franco-Maghrébins, je leur explique que, pour moi ce qu'il y a de commun entre le génocide des Juifs et les horreurs des guerres coloniales françaises, c'est la même idéologie raciste de supériorité d'une race sur les autres qui en est à la source. Bien sûr, je souligne en quoi la Shoah est incomparable, mais ce parallèle leur permet de mieux comprendre le génocide des Juifs. " Différences. - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 " Actes du colloque. 17 18 Dossier


Edito International Immigration Discrimination Education Kiosque Presque toujours des délinquants de droit commun Toujours dans le rapport de la CNCDH, la chercheuse Nonna Meyer observe que «jusqu'en 2000 il Y a eu une certaine libération de la parole antisémite comme si la situation explosive au Proche-Orient et la réprobation suscitée par la politique d'Israël dans les Territoires rejaillissaient négativement sur l'image de tous les juifs (<. Mais elle conclut: « Entre 2000 et 2002, cette tendance s'inverse comme si les violences répétées contre la communauté juive, loin d'attiser ou de banaliser l'antisémitisme, avaient fait prendre conscience du danger qu'il représente. )) A défaut de la France globalement antisémite, peut-on affirmer que musulmans, les Maghrébins ou les Arabes le seraient? Il Y a un an, le livre blanc de l'Union des étudiants juifs de France (UE)F) et de SOS Racisme avait déjà souligné que les jeunes Maghrébins rejetaient l'antisémitisme dans les mêmes proportions que les autres jeunes. Et voilà que le ministère de l'Intérieur, dans le même rapport de la CNCDH, écrit: « L'escalade au Proche- Orient a conduit nombre de jeunes à afficher une identification avec les combattants palestiniens censés symboliser les exclusions dont euxmêmes s'estiment victimes dans la société occidentale)). Mais ce qu'aucun journal n'a reprise, c'est la suite : « Ces attaques antijuives ont suscité de vives condamnations de la part des communautés musulmanes de France, si l'on excepte une minorité de radicaux islamistes dont le message demeure cependant peu audible pour des délinquants fréquemment imperméables aux idéologies et qui prennent habilement prétexte de la situation proche-orientale POUl' donner libre cours à leur violence )). Et le ministère de l'Intérieur de conclure : « Les exactions antisémites constatées impliquent très fréquemment des acteurs originaires des quartiers dits sensibles, souvent délinquants de droit commun par ailleurs, qui essaient d'exploiter le conflit du ProcheOrient)). Je peux en témoigner personnellement, car je l'ai vérifié dans un grand nombre de débats auxquels j'ai participé, soit seul soit avec mon amie Leila Shahid : dans la plupart des cas, les jeunes nous l'ont dit, c'est une petite poignée de jeunes qui se rendent responsables de violences contre des Juifs, les mêmes souvent qui commettent des violences contre d'autres, y compris au sein de leur propre communauté - je mets cent guillemets de part et d'autre de ce terme. Tout le problème, et il est réel, c'est de savoir si les associations regroupant ces jeunes peuvent et veulent combattre cette poignée de délinquants afin de les isoler. Comme l'a magnifiquement dit Leila Shahid dès le début des actions anti-juives : « Ce sont des crimes contre les juifs, mais aussi des crimes contre la Palestine )). Nous voilà donc aux antipodes des thèses d'un Alain Finkielkraut, qui n'a pas hésité à parler d'« Année de cristal )). Permettez-moi de raviver vos souvenirs: le 9 novembre 1938, la « Nuit de Cristal )), ce pogrom gigantesque organisé par le parti et l'Etat nazis, s'est soldé par la mort de 91 Juifs, la destruction de 191 synagogues, la mise à sac de 7 500 magasins juifs et la déportation de 30 000 Juifs. Nul besoin d'une calculette pour voir combien il est absurde de parler d'« Année de cristal)). Nous sommes aussi très loin de la thèse de Pierre-André Taguieff sur « la nouvelle judéophobie )) qui serait portée par les militants islamistes, altermondialistes et tiers-mondistes et, tant qu'on y est, par Le Monde diplomatique. Non: le principal terreau de la violence antisémite comme de toutes les autres violences, ce sont les ghettos de chômage, de misère et d'ennui où végètent, sans le moindre espoir d'avenir, des centaines de milliers de jeunes défavorisés, en premier lieu ceux issus de l'immigration. Derrière le chantage à l'antisémitisme Ce qui m'amène à une troisième cause, elle aussi conjoncturelle, dont Vincent Geisser a parlé: la campagne de manipulation des milielL'\ ultra-sionistes. Longtemps pro-israélienne, l'opinion française a évolué, d'abord avec la guerre du Liban en 1982, puis avec la première Intifada, à partir de 1987. Avec ce qui se passe depuis trois ans en Palestine, elle a carrément basculé. Actuellement, plus de 80 % des Français se déclarent partisans d'un Etat palestinien indépendant aux côtés de l'État d'Israël et, dossier par dossier, ils manifestent plus de sympathie pour les thèses palestiniennes concernant le statut final du territoire. Pour les amis français du général Ariel Sharon, cette situation est évidemment catastrophique. D'où la campagne qu'ils ont engagée à l'automne 2000 et qui se poursuit: elle a pour but de rattraper une partie du terrain perdu dans l'opinion publique. Son principal argument: assimiler à de l'antisémitisme toute critique du gouvernement israélien. L'initiative est venue d'intellectuels situés à la droite de la droite, comme le fameux Alexandre Del Valle, coqueluche des pro-Sharon après avoir été applaudi par le Front national de JeanMarie Le Pen, par le Mouvement national républicain de Bruno Mégret - et j'ajoute par les intégristes héritiers de Mgr Lefèbvre. Cet idéologue au petit pied a fourni le cadre qui structure toute cette campagne : la lutte des Palestiniens s'inscrit dans le combat terroriste et islamiste contre l'Occident

il faut donc appuyer Ariel Sharon

qui se trouve aux premières lignes du front, face au " frère jumeau " d'Oussama Ben Laden, c'est-à-dire Yasser Arafat - cette expression, on la retrouve sur de nombreux sites Internet ultra-sionistes. Nous nous trouvons ici à la jonction entre l'e1.trême droite juive et l'extrême droite tout court. Bruno Mégret n'a-til pas déclaré durant l'été 2002 : « Face à l'intégrisme islamique, nous partageons des inquiétudes communes avec les organisations représentatives des juifs de France)). Et une revue néo-fasciste a écrit: « Ce repli communautaire (des juifs) s'accompagne inévitablement d'un discours raciste, souvent primaire, à l'égard des Arabes. Ainsi de plus en plus de passerelles sont tendues en direction de plusienrs intellectuels proches de la droite radicale, réputés pour leur anti-islamisme, comme Alexandre Del Valle. Ceux-ci, en échange d'un strict alignement sur les positions sionistes, se voient alors conviés à toutes sortes de colloques regroupant les institutions juives ... et invités à de nombreuses émissions de radio et de télévision. On a même vu apparaître un site web ultra-raciste s'intitulant SOS racaille, piloté par des organisations sionistes comme le Bétar. Après avoir lutté violemment contre tous les mouvements d'extrême droite depuis 30 ans, voilà que les milices sionistes leur font désormais les yeux doux, on croit rêver!)) Le plus triste, c'est qu'un certain nombre d'intellectuels se réclamant de la gauche - Alain Finkielkraut, PierreAndré Taguieff, Jacques Tarnero, Shmuel Trigano, Georges Bensoussan et j'en passe - aient accepté de jouer de leur instrument dans ce concel1 ... Bien sûr, ils ne disent pas la même chose qu'un Del Valle, mais, dans la musique tonitruante de ce dernier, on n'entend pas les bémols et les dièses de ces sionistes de gauche. Depuis trois ans, tous les moyens ont été bons. Je pense aux intimidations et aux exactions, aux manifestations devant le siège de certains journaux - on a même écrit à la peinture, en face du Monde, " Plantu = nazi ". Je pense aussi aux agressions commises par le Bétar, et la Ligue de Défense juive, qui, milices vouées uniquement à la seule violence devraient être interdites depuis longtemps: sur ce dossier, Nicolas Sarkozy n'a pas plus de courage que Jean-Pierre Vaillant et JeanPierre Chevènement. .. Mais je pense aussi au harcèlement juridique, très à la mode. Vous avez suivi tous ces procès contre un certain nombre de journalistes comme Daniel Mermet, contre des intellectuels, comme Edgar Morin, contre un candidat de la LCR en Savoie, contre Témoignage Chrétien. L'avocat GillesWilliam Goldnadel, également viceprésident de France-Israël, les a presque tous intentés ... et perdus. Mais l'objectif, c'est sul10ut de tenter d'écarter ou de faire écarter un cel1ain nombre de professionnels trop indépendants aux yeux de ces gens. Dans un seul cas, on peut estimer que le coup a pOl1é : la correspondante de Libération en Israël et dans les Territoires occupés, Alexandra Schwarzbrod, a été rappelée avant terme à Paris après - coïncidence ou non? - une série de diffamations ignominieuses sur un site Internet ultra-sioniste. Je veux revenir - au-delà de la tête de tel ou tel journaliste - sur le but de toutes ces manoeuvres. A mon avis, cette campagne de chantage à l'antisémitisme n'ambitionne pas de convaincre les Français, car elle est beaucoup trop e1.trémiste pour y parvenir. Non: il s'agit, selon moi, de ressouder les Juifs de France et de faire taire parmi eux les voix dissidentes, afin de mielL'\ peser sur les médias et ainsi sur les dirigeants français. Roger Cukierman rêve sans doute de parler, non pas au nom de 100000 ou 150 000 Juifs, mais au nom de 600 000. Si cette bataille parvenait à faire rentrer tout le monde dans le rang, l'opération serait réussie. Une profonde crise d'identité Tous ces facteurs conjoncturels, cela dit, n'auraient pas l'impact qui est le leur s'ils n'intervenaient sur fond de crise d'identité du judaïsme français. Bien sûr, les principales com- " Différences " - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 " Actes du colloque " posantes du judaïsme demeurent: la religion, la mémoire de la Shoah, le rapport à Israël, la culture et les langues juives, mais cela suffit-il pour définir une identité juive du XXI' siècle? Revenons à l'enquête évoquée tout à l'heure. Les religions, les traditions concernent moins d'un Juif français sur deux. Evénement majeur dans l'histoire juive, la Shoah renvoie au passé plus qu'à l'avenir. La force du lien à Israël n'empêche pas quasiment 60 % des chefs de famille juifs - contre 40 % il y a quinze ans - d'exclure toute immigration en Israël (seuls 6 % des Juifs français envisagent d'aller y vivre). Combien de Juifs en France parlent yiddish, hébreu ou judéo-espagnol, combien ont acquis des rudiments de culture juive ? Beaucoup de Juifs ont donc le sentiment d'une perte de substance du judaïsme. Il redoutent une assimilation totale, au sens traditionnel du terme, c'est-à-dire avec l'abandon de la personnalité, de la culture spécifiques que de nombreux Juifs - comme de nombreux Franco-Maghrébins pour les leurs - refusent d'abandonner. D'où, en réaction, la tentation d'un repli sur les composantes traditionnelles du judaïsme. Mais, je le souligne, un tel repli alimenterait en retour l'assimilation, tant le modèle ultra-religieux ou ultra-sioniste représente un épouvantail pour la plupart des Juifs français. Pour sortir de cette fausse alternative, un courant s'est développé: très minoritaire encore mais non négligeable pour autant, il mise sur la construction d'un judaïsme moderne, capable de préserver l'héritage de ce qu'il a de plus positif au sein d'une société française elle-même recomposée. C'est la multiplication d'associations juives laïques, progressistes, pluralistes, etc. C'est la création, il y a deux ans, d'un Comité de liaison des associations juives laïques de France. A terme, cette mouvance pourrait regrouper ceux des Juifs français qui préfèrent Martin Buber à Vladimir Jabotinsky, la MGlI (Main d'oeuvre immigrée, fondatrice de la Résistance française) à l'UGIF (Union Générale des israélites de France, dont l'action pendant la guerre a été très discutée), le Bund au Bétar et, pour ne pas l'oublier, tous ceux qui préfèrent Spinoza à ses juges. Cette perspective offre un intérêt, non seulement pour les Juifs, mais aussi pour la société en général, car elle offrirait aux Juifs français une alternative au repli ultra comme à Dossier Edito International Immigration Discrimination Education ' Kiosque l'assimilation destructrice. Mais elle présente aussi un intérêt politique: celui d'offrir une alternative au CRIF, " une autre voix juive" comme le dit une pétition qui a rencontré un très grand succès. Mais qu'il est difficile de reconstruire une identité juive à partir d'éléments épars, et malgré un manque cmel de cadre de pensée et de cadres tout court. Car nombre de Juifs des années de l'après-guerre ont été absents de la conununauté juive organisée : ils ont grandi dans une période de déjudaïsation, puis se sont engagés à gauche et à l'extrême gauche, et cet engagement est devenu le principal marqueur de leur identité, aux dépens de la judéité. Mais les autres, les Juifs de gauche intégrés à la communauté organisée ont aussi du mal à s'y battre courageusement contre les dérives de la direction du CRIF. Je le disais récemment lors d'un débat avec le directeur de L'Arche, la revue du judaïsme français : « Vous me faites penser aux cadres du Parti communiste français des années 1970, qui étaient toujours critiques en privé, mais incapables en public de critiquer l'Union soviétique ou Georges Marchais. Vous aussi, les juifs de gauche dans la communauté organisée, vous êtes toujours très contestataires dans les conversations privées, mais vous vous taisez sur la politique d'Israël et sur 1'0- rientation de Roger Cukierman. )) Tout cela contribue à cet étonnant paradoxe: l'enquête du FSJU nous montre des Juifs français majoritairement laïques, de gauche et partisans d'un Etat palestinien à côté de l'Etat d'Israël ; et le CRIF est dirigé par de Roger Cukierman ! Cette crise d'identité des Juifs français - je tiens à la préciser avant de conclure - n'a rien d'un phénomène spécifiquement juif. La caractéristique de ces dernières décennies pour l'ensemble de la société française, c'est l'usure des étiquettes identitaires traditionnelles. Ainsi, désormais, la moitié - ou presque - de nos concitoyens ne se reconnaissent plus dans une religion, même si ces " sans-religion ' continuent, pour une part, à croire en Dieu. Ce phénomène touche notamment l'Eglise catholique, qui perd en même temps et son troupeau et ses pasteurs. On pourrait en dire autant des partis politiques, massivement rejetés, notamment par les jeunes. Cela s'explique d'abord, à mes yeux, par leur incapacité à incarner un véritable 'projet crédible et à le faire vivre parmi leurs militants et leurs électeurs. Je comprends bien sûr, chez les Juifs mais aussi chez les catholiques, les protestants et même les musulmans, la peur, voire la panique que suscite cette situation radicalement nouvelle de désagrégation des identités traditionnelles. Mais mon tempérament me porte plutôt à me réjouir d'une évolution qui va dans le sens de la liberté de chacun : si des minorités continuent à s'auto-définir en recourant aux étiquettes traditionnelles, la majorité des Français, et notamment des jeunes, s'efforcent de se bâtir une identité autonome à partir de références, de valeurs et de projets qu'ils ont choisis volontairement. Cela me semble avant tout positif. Se reconstruire dans le dialogue D'autant que, dans cette reconstruction, s'affirment deux dimensions qui me paraissent fondamentales dans les sociétés modernes: la première, c'est que, contrairement aux identités figées du passé, le plus souvent monolithiques, les nouvelles identités, elles, sont en général multiples. Je pense à Annette Viewiorka qui, dans mon livre, explique qu'elle est à la fois femme, mère, chercheur, historienne et juive. Seconde idée nouvelle: contrairement à l'identité prédéterminée du passé, l'identité d'aujourd'hui ne peut se construire que dans le dialogue. En voici un bel exemple : au mois d'avril 2002, une centaine d'intellectuels arabes, et se présentant comme tels, ont publié une pétition très belle, très forte contre les violences antijuives. Je ne vais pas vous la lire. Elle condamnait, bien sûr, toutes ces violences et disait ceci, qui me semble essentiel : « Nos partenaires et nos partisans les plus précieux sont les Israéliens et les juifs qui oeuvrent aux côtés des Palestiniens contre l'occupation, la répression, la colonisation, et pour la coexistence de deux Etats souverains palestinien et israélien. Un bon nombre d'entre eux ont une histoire familiale tragique, marquée par l'Holocauste. A nous [ les signataires, et tous ceux auxquels ils s'adressent, l'opinion arabe en France J, de leur rendre hommage et de les rejoindre sur cette ligne de crête qui consiste à savoir quitter la tribu quand il s'agit de défendre des droits et des libertés universels ». Quand on pratique la marche en montagne, on sait qu'il faut monter sur crête pour embrasser tout paysage. Même si le vent y souffle plus fort que dans la vallée, même si l'on se sent plus à l'abri en bas qu'en haut. Autrement dit, je crois bien sûr aux appartenances. Dans le tourbillon où nous vivons, nous avons plus que jamais besoin de savoir qui nous sommes. Mais nous avons, nous aussi plus que jamais besoin de quitter la tribu pour monter sur la crête et dialoguer avec les autres. Et je pense que le mal-être juif - mais on pourrait aussi parler du mal-être arabe, du mal-être musulman, du mal-être communiste, du mal-être etc. - ne sera durablement surmonté que dans l'échange avec les autres, dans la confiance rebâtie, dans la recherche de nouvelles alliances autour des combats communs, au premier rang desquels, le combat contre le racisme. Il y avait dans la pétition que j'évoquais, initiée par mon ami Elias Sanbar, une phrase sur laquelle je voudrais conclure : « Ne tombons pas dans le piège de Sharon, ne nous trompons pas de combat, l'insulte contre un juif ou un Arabe, c'est la même.» Merci de votre attention. Dominique Vidal est rédacteur en chef adjoint du « Monde diplomatique JJ, auteur de nomhreux livres SUI' le Proche-Orient. il a publié, en 2003, Le Mal-être juif (Agone, Mm' seille), dont la plupart des dtations de cette intervention sont tirées. " Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 " Actes du colloque" 19 20 Dossier Edito 1 International Dossier i 1 Discrimi nation Education 1 Kiosque Derrière la Il nouvelle islamophobie )), une idée figée de la société d'auiourd'hui Vincent Geisser, chargé de recherche au CNRS, chercheur à l'IREMAN Différences : « Vous avez récemment publié La nouvelle islamophobie (1) ; qu'est-ce qui vous a poussé à écrire cette étude? " Ce fut pour moi un véritable choc de voir un certain nombre de consciences éclairées de la nation française, acteurs politiques, associatifs, philosophes, fermer les yeux sur le phénomène de l'islamophobie et même laisser entendre que finalement si ce type de racisme se développe en France, c'est peut-être parce que les musulmans en feraient trop ... L'amalgame entre islam et islamisme radical leur permettant de justifier ou de trouver tolérable un certain niveau d'islamophobie. Ce n'est donc pas tant le caractère massif de l'islamophobie que la démission des intellectuels, en tout cas de certains d'entre eux qui m'a conduit à écrire ce livre. Différences: « Nombre de commentateurs grand public font référence à une opposition Orient / Occident. Qu'en est-il précisément pour vous ?" Il ne faut pas tomber dans le cliché selon lequell'islamophobie serait une sorte d'héritage de cette opposition " Orient arabo-musulman " et " Occident chrétien ", comme si, en fait, sans cesse, dans notre société, se rejouait à intervalles réguliers ce vieux conflit: mahométans d'un côté, chrétiens de l'autre. L'islamophobie ne se résume pas à un affrontement civilisationnel chrétienté/islam. D'ailleurs l'anti-mahométisme institutionnel des Eglises chrétiennes a largement régressé de même que leur antisémitisme. Il ne faut pas oublier que ce sont des prêtres catholiques et des pasteurs protestants qui ont joué un rôle majeur dans la mise en place des premières associations musulmanes et des premières salles de prières en France. Par leurs rapports quotidiens, concrets de coexistence avec les musulmans, ils ont joué un grand rôle dans la visibilité de l'islam à l'intérieur de l'espace public français. Il est nécessaire de sortir de ce schéma, un peu simpliste et réducteur, d'un d'affrontement entre Occident chrétien et Orient musulman. J'ajouterais que la thèse selon laquelle l'islamophobie serait le produit du méchant Occident chrétien est celle qui légitimise le plus la théorie des mouvements islamistes radicaux qui font croire que la France est chrétienne, donc islamophobe par définition. Théorie qui ne présente pas la moindre exactitude. sur le plan sociologique. Différences: « Peut-on définir un champ spécifique à l'islamophobie? " En fait, c'est tout un problème de travailler sur l'islamophobie. Vu l'hétérogénéité des registres, la multiplicité des acteurs, il s'agit d'une problématique complexe. Finalement quand quelqu'un est victime de discrimination anti-musulmane, l'est-il en raison de son faciès, de son origine nationale, de son appartenance sociale ou de sa pratique religieuse? Là, je dirais que pour le sociologue comme pour le militant anti-raciste, il n'est pas évident de cerner ce qui relève en propre de la haine religieuse. Dans certains cas, il est effectivement difficile d'appréhender ce qui relève du racisme anti-immigré, du racisme anti-arabe et de l'islamophobie tant ces trois formes de racisme peuvent s'interpénétrer. Différences: « Ce rejet, cette peur ne relèvent-ils pas d'une ignorance, ou d'une méconnaissance de l'islam?" Pour comprendre cette islam op hobie, il ne faut pas bien sûr évacuer l'Histoire mais il faut situer en premier lieu l'islamophobie comme un fait social actuel, contemporain, l'aboutissement du processus de sécularisation de notre société. Avec la peur de l'islamisme, on en arrive à dire n'importe quoi sur l'islam parce que précisément on ne parle de l'islam qu'à travers le prisme de l'islamisme, de l'intégrisme. Chaque fois que dans les hebdomadaires on présente un reportage sur l'islam, il est accompagné d'un éditorial sur l'islamisme, et illustré d'une photo fantasmatique sur les musulmans. Différences : « Islamophobie et racisme anti-arabe ne semblent pas se recouper, les islamophobes ne représentent pas un groupe uniforme, pouvez-vous préciser pour nous les contours de cette mouvance? " Tout d'abord, les islamophobes ne se limitent pas à ce qu'on pourrait appeler les cercles de catholicité intégriste, ni même aux cercles laïcs durs. Une forme d'islamophobie est présente chez des arabophiles. Aujourd'hui, on rencontre des gens pour vous dire que Saddam Hussein ce n'était pas si mal que ça, parce qu'au moins il empêchait les islamistes de progresser dans le monde arabe. Tout un courant dans les services sécuritaires, dans l'armée et même chez certains experts reprend la même thèse. On trouve, et cela peut paraître tout à fait paradoxal, peut-être pas de véritables islamophobes -mais en tout cas des facilitateurs d'islamophobie- chez d'anciens tiers-mondistes, des gens qui, dans les années 60, étaient pour l'Algérie socialiste et qui, aujourd'hui, ont des réactions passionnelles de rejet dès qu'ils entendent le mot islam. D'autres facilitateurs d'islamophobie se retrouvent chez d'anciens partisans du dialogue multiculturel qui nous disent par exemple aujourd'hui qu'il faut légiférer sur le voile! " Différences " - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 " Actes du colloque " Ces divers éléments montrent bien que l'islamophobie n'est pas aussi évidente à définir. Différences : « La mise en place du Conseil français du Culte musulman a montré des luttes d'influence très dures, cela a-t-il pu avoir des répercussions? " Tout à l'heure j'évoquais la complexité, je comptais aborder ce problème tout en sachant que tout le monde ne partage pas mon opinion. Je considère qu'un certain nombre de leaders musulmans ont tendance à instrumentaliser ce que j'appelle une vision dualiste de l'islam dans le but de gagner un brevet de laïcité républicaine et de modernité. Vous entendez aujourd'hui un certain nombre de représentants de l'islam de France et pas des moindres qui ne cessent de répéter : « En France il y a des modérés et tous les autres sont des intégristes! Moi je suis le modéré et eux sont les intégristes ". Ce type de représentation manichéenne opposant systématiquement ceux qu'on appelle les méchants barbus et les gentils muftis ou les gentils imams participe aussi à accréditer auprès de certains Français l'idée que finalement les banlieues sont peuplées d'islamistes, de méchants garçons qui volent et qui violent les filles. Derrière cette image dégradée, il y a la responsabilité d'un certain nombre de dirigeants religieux qui s'imaginent que pour pouvoir être reconnus par le ministère de l'Intérieur, il faut passer son temps à dire du mal de ses collègues musulmans. Il est vrai que se développe aujourd'hui une forme de néo-conservatisme dans une p~rtie de la jeunesse musulmane de France, qu'un certain nombre d'associations musulmanes dites conservatrices ont le vent en poupe dans les cités, mais de là à accuser ces néo-conservateurs musulmans d'être des islamistes radicaux et des suppôts du terrorisme, il y a un pas à ne pas franchir: or, aujourd'hui, tout le monde le franchit, certains représentants musulmans également. Dossier Edito 1 International 1 Dossier , 1!llmlql" t (r Discrimination Education 1 Kiosque Différences : « Vous évoquez à maintes reprises ceux que vous appelez les « experts de la peur ". Quelle vision de l'islam diffusentils? " Il a toujours existé en France une forme d'expertise sécuritaire. Ce qui est grave, c'est que le climat d'inquiétude actuel a profité à ces experts de la peur. Depuis le Il septembre, on a assisté à un phénomène de surmédiatisation de ce type d'experts au détriment d'ailleurs de la plupart des spécialistes de l'islam ou de l'islamisme radical. En jouant sur les deux tableaux «je suis universitaire donc je sais", et « je suis expert sécuritaire donc j'ai accès à des sources (celles de la DST ou de la DCSE) que les simples universitaires n'ont pas ", ils ont réussi à imposer leur présence sur les devants de la scène médiatique. Plus grave encore selon moi, ces experts sécuritaires ont reçu le soutien inattendu de certains universitaires qui, au lieu de remettre en cause leur sérieux, leur ont donné une caution formidable quand vous voyez Tribalat et Taguieff citer dans leur livre des gens comme Del Valle, ça pose question. Cette alliance entre experts sécuritaires, milieux du Renseignement et universitaires a participé selon moi à banaliser, à médiatiser une certaine forme d'islamophobie et à entretenir une idéologie du soupçon généralisé à l'égard du fait musulman et d'une manière générale à l'égard de la population française de culture et de religion musulmanes. Différences: « Les attentats du Il septembre ont-ils eu des conséquences sur les discours de ces « experts de la peur ?" Ce type d'experts avant cette date inscrivaient leur discours dans une sorte de triptyque de la haine, qui était l'islamophobie bien sûr, mais aussi l'américanophobie voire l'antisionisme, et même l'antisémitisme pour certains. Ce qu'on oublie chez ces experts, c'est que très souvent leur fascination, leur peur, leur obsession à l'égard de ce qui touche à l'islam n'avait d'égal que leur profonde haine à l'endroit de la société américaine qui symbolisait deux choses à leurs yeux, bien sûr l'impérialisme mais aussi le multiculturalisme. Après le 11 septembre, on a assisté chez nombre d'entre eux à des revirements Ainsi en est-il de Del Valle, le prototype de ces experts qui est devenu une référence pour les médias. Lié à l'extrême droite, antisioniste, voire antisémite, il est aujourd'hui très proche de sites Internet pro-israéliens. Différences: « Quelle vision de l'islam ces experts donnent-ils? " L'islam est présenté de manière récurrente comme une religion génétiquement fondamentaliste et programmée pour la violence. Tout leur discours est de type essentialiste, pour eux il n'existe pas d'interprétation, bonne ou mauvaise, de l'islam. Pour eux l'islam est d'essence maléfique, comme si on pouvait prétendre le christianisme, le judaïsme d'essence maléfique. Dans leur vision essentialiste, le Prophète serait le premier djihadiste, le premier fondamentaliste et Ben Laden se trouve être pour eux le représentant le plus authentique du Prophète sur terre actuellement. Paradoxalement, ces experts sécuritaires soutiennent exactement la même thèse que les islamistes radicaux qui affirment que Ben Laden est celui qui défend le mieux l'islam. Dans le discours de ces experts, il n'y a pas de différence entre islam, islamisme et terrorisme, puisque dès l'origine l'islam était une religion conquérante. Différences : « Certains soutiennent que l'islam est plus qu'une religion ". C'est là une vision " huntingtonienne " à la française que reprennent ces experts de la peur. Pour eux, l'islam n'est pas seulement une religion ordinaire comparable aux autres religions monothéistes, l'islam est en premier lieu une civilisation. Les conclusions qu'ils en tirent sont inquiétantes: un musulman est selon eux d'abord, avant d'être français, architecte, diplômé d'université ... , le représentant de la civilisation musulmane, animé par une seule fidélité celle à la oumma amenée un jour ou l'autre à nous anéantir. D'où la thèse de la cinquième colonne que formeraient ces musulmans en France. Pour ces experts, les associations musulmanes ne sont pas moins que les vecteurs ou les représentants de Ben Laden 1 La boucle est ainsi bouclée. Et les vrais racistes ne seraient pas les " Français de souche" mais les musulmans ; le problème ne serait pas celui de la discrimination antimaghrébine, anti-musulmane, mais celui des bons Français atteints dans leur identité nationale par l'islamisation rampante et menaçante. Différences: « Que révèle de notre société la perméabilité à ces discours? " Je dirais donc que cette islamophobie est révélatrice de quelque chose de très profond, d'une certaine idée de la France sécurisée, d'une certaine idée de la France figée. Pour moi, cette islamophobie ou cette tendance islamophobique est bien la manifestation d'une idée régressive de notre nation et de notre citoyenneté. " Différences " - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 " Actes du colloque " 21 22 Dossier --- ~~ ---- - ---- - Edito International Dossier Discrimination Education Kiosque AI-Chon AI-Awasl le lac du milieu •• Bruno Etienne, Membre de l'Institut universitaire de France (1) Marseille et le principe Espérance L'Observatoire du religieux et l'IDHR de Blandine Pont ont organisé à Aix, et en partie à Marseille, un colloque sur " la politique religieuse en Europe et en Méditerranée ", qui a réuni pendant trois jours fin mai 2003, plus de trois cents personnes venues de toute l'Europe et du Maghreb. La complexité des rapports entre l'Etat et les Eglises dans les différents Etats européens et au Maghreb, a fait l'objet de débats éclairants mais il est évident que c'est la présence musulmane en France qui était la clé de toutes les réflexions. Or sur ce plan l'expérience en cours de constitution d'un islam reconnu et la pratique marseillaise plus particulièrement, sont des laboratoires qui ont retenu toute l'attention des congressistes. Mais les discussions ont porté aussi sur l'universalité contestée des concepts dont la France s'est faite le chantre depuis deux siècles : laïcité, sécularisation, séparation, neutralité, espace privé/public, etc ... En conclusion de notre colloque j'ai donc proposé que Marseille serve une fois de plus de tête de pont à la construction de cet avenir de paix sociale .. car cette ville est un laboratoire exemplaire qui devrait être érigé en paradigme. Avec l'expérience de l'association " Marseille Espérance ", les débats des radios communautaires juives, chrétiennes, musulmanes et associatives, les journées d'Averroès, les projets du musée des civilisations du fort St Jean, l'école de la deuxième chance, le futur centre culturel musulman, les chercheurs de la Maison méditerranéenne des sciences de l'homme à AL\: et les Archives d'outre mer et la pensée de midi revue créée par Thierry Fabre avec l'ami Izzo. Mais aussi Euromed et MEDA, les espoirs de la conférence de " Barcelona ", la charte des acteurs de la coopération en Méditerranée proposée par MEDCOOP, le projet de Fondation des civilisations soutenu par la commission européenne, etc ... sans oublier M.Sitbon et ses PME ni Nicolas Bouyadjis et quelques autres activistes des différents secteurs marseillais ... Alors avec les grecs et les arméniens, les espagnols et les italiens, les corses, les pieds noirs, les juifs, les kabyles, les comoriens, les beurs et les feujs, les musulmans d'ici ou d'ailleurs, les athées stupides et les agnostiques conséquents, avec tous les provençaux et les marseillais, faisons de Marseille une nouvelle Cordoue, de la région d'Aix-Marseille une nouvelle al-Andalous, élevons ce Manar al-nahda, ce phare de la renaissance dont la Méditerranée a le plus grand besoin, créons une école d'excellence, un grand institut académique des Ikhwan al-Safa, une faculté des sciences religieuses de la mare nostrum et du lac du milieu, ce Chott al-A wast, pour réaliser le rêve de notre Maître Jacques Berque

joindre les deux rives par un pont,

al-kantara, ou un isthme, al-barzakh al-Barazikh de l'Emir Abd El Kader, donc une liaison irréversible pour tous les hommes-ponts qui habitent réellement des deux côtés. « Dieu ne change rien en un peuple qu'il n'est changé lui-même» nous dit le Coran ... Alors faisons Lui signe, aidons Le par ce signe fort. Peut-être que le reste nous sera donné par surcroît : voici quelques signes de piste ! 1) Pour en finir avec la mémoire gommeuse! Anamnèse Il y a longtemps que nous sommes quelques-uns à expliquer que la relation pathologique franco-algérienne fonctionne sur l'amnésie et l'amnistie des deux côtés. Il est donc temps de faire un sérieux travail d'histoire et non de mémoire, car quand «le drapeau est déployé, toute l'intelligence est dans la trompette» disait Stefan Zweig. L'année de l'Algérie a soigneusement gommé les aspérités de notre histoire commune. La commémoration produit de l'émotionnel alors que seule l'histoire permet de faire le travail de deuil nécessaire à la lucidité des rapports futurs. A condition toutefois que ce que révèlent les archives ne soit pas considéré par les uns comme une attaque contre les autres (1). Géographie historique Les rapports Nord/Sud ou Centre!Périphérie ne sont pas orientés de la même façon: ainsi la pénétration coloniale a suivi un axe nord/sud alors que la relation islamique est plutôt est/ouest. Or l'hégémonie américaine renverse une fois encore l'axis mundi: pour les USA la Méditerranée est un lieu de passage ouest/est qui doit rester" libre " vers les champs de pétrole arabe et de surcroît contribuer à protéger Israël. La mondialisation ou plutôt la " westernisation " du monde est, elle, tout azimut ... elle " désoriente " tout en favorisant un zapping généralisé 1 Mais paradoxalement la relative uniformisation des sociétés produit des particularismes identitaires contradictoires auxquels la Méditerranée n'échappe pas. Pour comprendre tout l'intérêt d'une véritable stratégie européenne en Méditerranée il faut regarder la carte de Charles Quint, immense tapisserie sise dans l'Alcazar de Séville : Alger est en haut et François 1" doit faire appel au grand turc pour lutter contre l'Empereur hégémonique ... Nihil novi sub sole. La mer de l'ouest est le limes du monde occidental et la mer de l'est est le début de l'orient éternel, le Maghreb, l'Occident et le Machreq, l'Orient, Le ponant et le couchant mais le sud de la mer est au nord de l'Afrique et nous, à Marseille, nous sommes le sud du nord protestant et capitaliste. Des colonnes d'Hercule au canal de Suez l'être-ensemble moral et politique méditerranéen est nourri des Grecs (l'agora et la tragédie, la démocratie masculine), de Rome (le droit et la res publica) de la Bible (la Loi du Père), de l'endogamie et de la logique de l'honneur dans ce continent liquide dont les berges sont solides et les populations nomades depuis au moins le paléolithique supérieur ! De Jérusalem à Cordoue mais en passant par Baghdad, elle a donné au monde toutes les dimensions de la philosophie, de la science, de la poésie et de la théologie car la Mésopotamie est l'ontogenèse archéologique de notre civilisation : or "ils ont rasé la Mésopotamie" avais-je écrit lors de la première guerre d'Irak. Histoire immédiate Au-delà des attentats en Europe et surtout du cas de la France qui a vu s'effondrer son Empire colonial, l'on ne saurait négliger la dimension plus internationale dans l'émergence des mouvements de contestation" religieux"

- la guerre du Golfe avait largement démontré que les Américains n'étaient pas très regardants sur leurs alliés en raison de leur désir d'assurer la sécurité énergétique des USA. Et par ailleurs afin de lutter contre le communisme ils ont soutenu tous les régimes qui sont à l'origine de la crise « Différences « - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 " Actes du colloque « actuelle et plus particulièrement l'Arabie saoudite qui diffuse pourtant un islam assez rigoureux; - la disparition de la bipolarité USA/URSS et la fin de la " guerre froide ", impliquaient une redistribution générale des cartes de la géopolitique stratégique dans la sous-région du Proche-Orient et de l'Asie musulmane, en raison du danger de prolifération de l'armement nucléaire mais aussi pour contrôler les ressources en hydrocarbures. Jean Baudrillard notait au moment de l'effondrement de l'URSS perçu comme ' fin de la transcendance du mal" dans Le Débat, nO 60, 1990 : « Reste l'islam pour incarner l'Empire du Mal. C'est d'ailleurs à partir du moment où il se constitue comme tel que le bloc soviétique n'a plus de raison d'exister ». - Le non-règlement de la question palestinienne a fait basculer un certain nombre d'acteurs de la région dans le terrorisme international, sans pour autant que les masses arabes et leurs dirigeants ne se mobilisent autrement que verbalement pour la cause palestinienne ... - La légitimation de l'action de chacune des parties et de leurs différents alliés en présence au MoyenOrient, renvoie à une même conception du monde issue d'un même tronc commun, le monothéisme

la lutte du Bien contre le

Mal ! Il faut donc que chacun dénonce et diabolise l'Autre. C'est le plus faible qui portera les coups les plus durs et il n'est pas du tout sûr que le plus fort gagne même s'il se croit dans son bon droit. - L'affect, l'émotionnel et le sentimental, dans notre règne de l'audimat qui hystérise tout, rendent le spectateur incapable de produire une analyse lucide, sauf s'il prend le temps d'arrêter l'image et de poser la bonne question. Tout le discours matérialiste étant euphémisé, gommé, qui a intérêt à traduire en termes exclusivement civilisationnels (2) et religieux des problèmes qui sont fondamentalement matériels, économi,çJues, énergétiques et stratégiques? Alors: Cap au sud ! Il n'y a pas un " kopeck " à gagner pour nous à l'Est et en particulier dans la mesure où les USA pousse certains pays ex-communistes à entrer dans l'OTAN et dans l'Europe parce que tirant celle-ci vers la Russie et l'Asie ils peuvent se permettre de contrôler la Méditerranée qui n'est pour eux qu'un passage libre qu'ils ne laisseront jamais à la seule Europe. Dossier Edito International: Dossier l " ,;' 1 Discrimination Education Kiosque Quelles sont alors les conditions objectives d'une saine politique culturelle, religieuse et donc économique en Méditerranée ce Al-Chott al-A wast : le lac du milieu? Par delà les amnésies et les amnisties, elles nécessitent une Anamnèse et une herméneutique pour rompre avec le passé immédiat: Sans concessions repenser, revisiter les vraies coupures comme par exemple celle de 1054 ( séparation Eglises d'Orient/Eglise d'Occident) puisque l'Europe chrétienne est plurielle autant que l'islam qui nous apparaît pourtant comme un de Samarkand à Casablanca sur 15 siècles dans la formule musulman = intégriste = terroriste. Que pouvons nous faire? Que devons-nous faire? Que ne devons-nous pas accepter? En hommage à Emmanuel Levinas nous devons rappeler que si l'Occident c'est « la Bible + les Grecs» alors les Arabes sont des occidentaux et l'Orient ne commence qu'au Pendjab, à l'Inde! Si l'Autre ne doit pas devenir le Même, il nous faudra, peut-être alors, revoir l'universalité de nos concepts mais sans accepter tout de l'Autre, ni oublier de respecter l'étranger car nous avons été nous-mêmes guerim en terre d'Egypte comme nous le rappelle le texte fondateur commun. Deutéronome, 24, 18. Ainsi est-il nécessaire d'imposer l'idée que la seule voie de salut est celle de « Notre Seigneur Jésus-Christ " ... mais dans sa version romaine, alors que l'Europe est aussi orthodoxe et protestante ? Il faut donc aborder le dialogue INTRA religieux avant de penser l'inter religieux et nous mettre d'accord sur le fait que l'affirmation fondatrice de la divinité christique n'induit pas la forclusion du judaïsme qui a continué son évolution bien après l'an 1 officiel, et surtout en Europe avec les grands réformateurs que furent Moses ben Maïmon dit Maimonide à Cordoue au XII' siècle et Rabbi Salomon ben Isaac Rashi à Troyes au XI'. Cela ne peut pas signifier non plus, sans conséquence, que, venant après la révélation christique, le prophète Muhammad est un escroc ... Le relativisme religieux s'impose donc tout autant que le différentialisme culturel. La France multiconfessionnelle a été amenée, par le principe de réalité, volens nolens, à tenir compte de cet état de fait: après une dizaine d'an, nées de tâtonnements et d'activités gérées par les cinq ministres de l'Intérieur (puisqu'en France l'Etat s'étant séparé des Eglises, la religion est reléguée dans la sphère privée et donc le culte dépend de ce ministère, ce qui n'est pas le cas dans les autres pays d'Europe) M. Sarkozy, en pleine guerre du Golfe, a tapé sur la table et a réussi, le 3 mai, à faire émerger une représentation des musulmans dans un Conseil français du culte musulman. Certes ce CFCM n'est pas à l'abri de critiques et de nombreuses réserves se sont exprimées tant sur les tractations avec les" Etats d'origine" que sur les modalités d'élection ainsi que sur certaines nominations au Conseil. Il n'en reste pas moins que cette date symbolique marque un événement attendu: la reconnaissance par la République de la légitimité de la présence musulmane en France. Il reste aux musulmans à créer les conditions d'une islam " gallican " qui, à la fois coupe les ponts avec les influences étrangères et qui, en même temps réouvrent « les portes de l'ijtihad» c'està- dire répondre aux défis auxquels sont confrontés les musulmans vivants dans des espaces de pluralisme et de liberté. Un des points positifs de cette élection un peu complexe tient au fait que des conseils locaux ont été élus en même temps et, si le CFCM sera amené à faire de grandes déclarations politiques générales, les élus locaux eux vont gérer les vrais problèmes: les aumôneries, les cimetières, la viande hallal, l'enseignement, les cimetières, etc. Tout ce qui concerne en fait la vie sociale intégrée. Les musulmans d'Europe seront donc amenés, face aux nouveaux défis auxquels ils sont confrontés, à " ré-ouvrir" les pOites de l'Ijtihad ... de l'effort personnel d'interprétation fermée il y a plusieurs siècles par la scolastique orthodoxe. Que doivent faire les arabo-musulmans dans leurs propres pays où règne le plus souvent, sinon la dictature, tout au moins des régimes politiquement et religieusement rigides? Que peuvent-ils faire? Une Herméneutique du sens (P. Ricoeur: car le sens est plus important que l'évènement) et non pas simplement une exégèse répétitive puisqu'ils sont bloqués par l'inimitabilité (al-I'jâz) du Coran. Reprendre tous les débats des premiers siècles de l'islam (et Dieu sait s'ils furent vin!lents !) de façon à établir les conditions objectives de la production de la doxa, de la vie du Prophète, de l'évolution de la jurisprudence, etc, Etablir une sorte de canon commun du Coran (3) et du Hadith au moins, comme c'est le cas pour les différentes" Bibles" catho- . Bruno :'uenne Islam

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liques, protestantes, juives avec toutes les nuances des écrits considérés comme légitimes ou apocryphes par les uns et par les autres. Donc ils doivent travailler leurs propres textes ... et ceux des autres et surtout ne pas nous interdire de les lire et de les interpréter à la lumière des sciences linguistiques, voire ethnopsychiatriques. En France et en Europe certains musulmans ont largement abordé ces problèmes comme le prouvent les travaux de A. Meddeb et de F. Benslama qui refusent l'amour fanatique du texte! (4) Nous vivons dans une monde pluriel mais commun. Nous devons/ pouvons donc lire les textes fondateurs ensemble! Et en débattre de concert et de conserve dans une « munadarat» -controverse, clés linguistiques, voire ethno-psychiatriques en mains, y compris sur le sujet épineux de la falsification des textes par les uns et par les autres et sur la libre interprétation par la raison critique comme le propose Mohammed Arkoun depuis quelques décennies sans oublier ceux des réformistes qui s'y essayèrent au début du XX' siècle, car, contrairement à un fantasme répandu et entretenu par les uns et les autres, la pensée arabo-musulmane n'a jamais été figée. Quefaire? Vieille question léniniste? Tout d'abord cesser de manipuler la peur: il y avait le péril jaune, le complot judéo-maçonnique et le communiste avec un couteau entre les dents, la syphilis des classes sales et dangereuses, puis le sida émigré et les MST. Il y a maintenant la pneumopathie et le voile islamique: mais c'est la canicule qui l'emporta ! Et si nous cessions enfin d'avoir peur ! " Différences " - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n" 249 " Actes du colloque " 23 24 Dossier Edito International Dossier Que faire ensuite? Hiérarchiser les problèmes réels avec lucidité et presque froideur. C'est à dire pratiquer une clinique de l'écoute. Par précaution face à la déferlante des écrits anti-islamiques (5) et comme il y a, à mon sens, dans l'islamophobie des mécanismes très comparables dans l'utilisation des amalgames à l'anti-sémitisme classique, je voudrais rappeler une loi scientifique classique, le théorème de Blackmann : la manifestation d'un phénomène dépendant de plusieurs facteurs est réglée par celui de ces facteurs qui est le plus faiblement représenté ! Le terrorisme n'est pas l'essence de l'islam! La haine du nom et de l'origine (6), le refus de la différence, la haine de soi et sa réversion en haine de l'Autre ne font que traduire la peur d'une différence mal assurée d'elle-même ou qui se donne l'illusion d'une identité forte produisant souvent fascination pour le Même, pour la mêmeté, voire la ' mémerie ' (7). La Maghreb est " arabo-musulman " ... exclusivement? L'Afrique du Nord et certains pays arabes en se décolonisant ont perdu leur force plurielle: plus de juifs, plus d'Européens, plus de minorités (8). L'Algérie en particulier devenait moniste pour la première fois de son histoire, car avant la colonisation elle était aussi plurielle. Et donc les frères seuls face à face se sont créés leurs propres ennemis parmi leurs frères et leurs cousins : kabyles, islamistes ... Il ne suffit pas de fustiger en jouant sur l'émotionnel l'horreur réelle des attentats qui font des victimes innocentes. Encore faudrait -il réfléchir sur le détournement de la rente pétrolière et le pillage des richesses par tous les dictateurs qui sont nos alliés - il semblerait que certains commencent à comprendre que l'Arabie saoudite n'est pas fiable et porte quelques responsabilités dans la diffusion d'une certaine conception de l'islam et que l'antisémitisme et le négationnisme ne sont pas une bonne solution. On peut lire à ce sujet des débats surprenants dans la presse arabe du golfe depuis quelques temps (9). Mais il faut aussi être lucide sur le désespoir qui pousse à la thanatocratie. La pulsion de mort l'emporte sur la vie parce la déréliction est généralisée: si l'on prend les derniers terroristes - j'ai horreur du mot kamikaze qui renvoie à une autre culture - ils ont 20 ans et viennent tous du quartier de Sidi Moumen à Casablanca, lieu qui crée du lien mais qui ne ressemble guère au Maroc des circuits touristiques et à Marrakech de la - Jet society "... même si nous avons Discrimination Education Kiosque démontré (Gilles Kepel, etc.) que certains ' nantis culturels ' basculaient eux aussi dans la tragique aventure. Mais le nationalisme et la langue de bois semblent encore dominer en maintenant l'idée du complot extérieur... « Un musulman ne peut pas avoir fait ça ... » lit-on dans la presse marocaine ... La peur de soi se traduit toujours en la peur de l'Autre. Mais exclure l'altérité en accomplissant des meurtres purificateurs conduit le plus souvent à des résultats inverses : le non- identique étant anéanti ne peut plus nourrir l'identité! La capacité (universelle ?) de penser peut se définir comme responsabilité pour l'Autre, nous dit Lévinas, et non seulement le penser en tant qu'être pour la mort selon le mot de Heidegger! Certes une vraie relation dialogique implique que deux logiques s'affrontent sans concession: il y a cependant des points sur lesquels juifs, chrétiens et musulmans ou démocrates ne peuvent pas céder devant l'autre, mais tout ce qui ne renvoie pas à la transcendance fondamentale est négociable. Comment? D'abord sortir de sa paroisse et de l'apologétique est le premier acte constructif du dialogue, ne pas chercher à convaincre l'Autre de sa part de vérité, mais admettre qu'il possède lui aussi une part de la vérité et que cette vérité, sa vérité produit du sens qui unit. Or la religion est avant tout un ensemble de croyances et de pratiques qui produisent du sens, qui donnent du sens au monde, mais dans la forme culturelle du groupe qui la produit et qui y adhère! (Pierre Bourdieu proposait , structures structurantes ' parce que structurées ou ' systèmes symboliques ", là où disait Marxformen). Un peu de relativisme est donc aussi utile: je voudrais rappeler que les religions pratiquées en Europe et au Maghreb n'y sont pas nées, et que, depuis, les NMR (Nouveaux mouvements religieux et ' sectes ,,) se développent en concurrence avec les cultes reconnus ... et par ailleurs l'Europe ne gère pas le culte comme la République laïque jacobine. Nous Français, nous pensons que nos valeurs sont universelles et donc applicables à toute société, ce que certains de nos partenaires contestent au nom de leur conception du monde! Il nous faut donc accepter - mais eux aussi doivent le faire - de ne pas ' essentialiser ' l'homo religiosus en considérant, en admettant même, que la frontière est floue entre idéologie, cosmologie, religion et ' weltanchauung " ... Et il nous faut rappeler que ce débat a produit en d'autres temps, dans le christianisme comme dans l'islam, des conflits au moins aussi violents que ceux que nous subissons aujourd'hui, en précisant toutefois que les guerres idéologiques ' athées" du XX' siècle ont sans doute fait plus de victimes que l'ensemble des " guerres de religions " - en supposant que la " religion " (10) ait été le véritable moteur de certaines de celles-ci ... Car la Vérité - qui ne peut être négociée et qui doit même être proposée au monde pour son propre profit (11) - produit toujours de l'orthodoxie et donc de la violence. L'intrusion du radicalisme islamique le plus violent nous renvoie donc à des interrogations fondamentales qui ne concernent pas que le monde arabe et musulman mais notre civilisation tout entière devenue complètement matérialiste: si l'on accepte le paradigme créationniste - ce qui est le cas des religionnaires des trois monothéismes - on ne peut que constater que l'explosion technologique a détaché progressivement l'homme de son créateur et son désir d'autonomie absolue induit deux voies : - soit celle d'un individualisme qui a peu à voir avec l'individuation comme émergence de l'autonomie du sujet: - moi j'en ai rien à foutre " et " c'est mon choix " et la " TV réalité " règnent sur nos " étranges lucarnes " en " prime time ' c'est-à-dire avec des millions de téléspectateurs (y compris ceux qui zappent de l'autre côté de la Méditerranée!) figés sur l'applaudimètre et donc 40 % de " parts de marché " ... ; - soit le clonage et la reproduction artificielle c'est-à-dire le fondamentalisme biologique: tout est permis puisqu'il s'agit d'inhumanité. Le produit fabriqué est immortel car il n'a pas de vie, il existe de plus une hypothèse encore plus terrible: la réalité virtuelle est dans le seul virtuel : les politologues doivent aller voir Matrix et comprendre comment fonctionnent nos enfants avec les jeux vidéo : régression dans le grand bleu, dans l'espace sidéral, dans la " khalwa ' car au Maghreb aussi les films et les millions de jeux qui sont distribués avec comme pour " Pokémon ' ou Harry Potter ne renvoient pas aux mythes chers à Jean-Pierre Vernant mais au bricolage du zapping généralisé où chacun construit son parcours virtuel à la carte. Mais ce n'est pas une raison pour suivre les 'Ulama de Riad ou ceux de Rabat qui ont décrété que " Pokémon ' était un jeu " judéo-maçonnique ' insultant le Prophète et l'islam ... Toujours la faute à l'Autre! Car tout cela est beaucoup plus grave: cela signifie que si Dieu n'existe plus ou s'Il s'est retiré - ce que je crois - accablé par sa créature et sa création bâclée, il a déserté notre monde prométhéen - alors l'homme sans Dieu est forcément moins performant et donc moins utile que l'ordinateur. Ce qu'il y a de terrifiant dans la pulsion de mort dans la thanatocratie des islamistes "martyrs" et non kamikaze, c'est qu'ils nous disent que la mort est la seule utopie crédible et la seule sortie honorable : apocalypse now ... ce monde doit être détruit! -Elle est tombée Babylone la putain ... et les marchands pleurent tandis que les justes se réjouissent " nous disait un certain Saint Jean. Nous devons donc nous rappeler aussi la martyrophilie de nos origines, l'attente du Messie, de la Parousie ... mais nous savons aussi que si l' " on attendait le Royaume et c'est l'Eglise qui est venue .... ' Par delà les pieuses condamnations sélectives sur nos propres malheurs, retenons aussi que, tout de même, ce sont d'abord les musulmans qui sont les principales victimes de leurs frères égarés ... sans que cela justifie une paranoïa excessive: ce n'est pas toujours la faute à l'Autre ! Il existe une quarantaine de journaux en Algérie. Je suggère donc - avant de s'attaquer ensemble aux textes fondateurs ou aux discours de nos intégristes réciproques et mutuels - que certains Algériens les analysent par comparaison avec le travail que je propose maintenant : seule l'analyse comparative permet d'avancer vers plus de lucidité et donc de lutter contre les fantasmes réciproques. 2) Guerre des cultures: la fabrique des regards (12) Le marché linguistique de la guerre franco-arabe induit une question dramatique

l'Occident n'ayant plus d'ennemi

principal, a-t-il toujours besoin de la taxinomie " Diable " pour lutter contre le Ma!...? Et sur ce point les arabo-musulmans sont bien des occidentaux puisque leur définition est la même : al-taghut du Coran est le rebelle à Dieu ! La réponse est donc positive même si cette diabolisation se sécularise dans la formule ' hitlérienne ' comme on va le voir ci-dessous : " Hitler " et , Satan " sont utilisés dans une cinquantaine d'occurrences pour caractériser l'ennemi musulman! Il y a longtemps que certains mots arabes ont été intégrés à la langue française. Mais autrefois ils étaient nobles comme" algèbre" ou ' safran ". Pendant la période coloniale ce furent des importations militaro-domestiques comme " klebs ", ' moukère ", " maboul" ou" balèk fissa ' ! Il s'agissait alors de " glottophagie ' coloniale : Mektoub ! on abaisse le discours pour se faire comprendre de l'Autre dont , Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 ' Actes du colloque " on nie le langage et dont on adopte les nourritures mais enrichies : couscous, paella, pizza étaient des plats de pauvres migrants à l'origine! A notre époque, où tout le monde zappe, mais surtout le Sud, les Arabes ont appris à utiliser (mal, c'est un autre problème) les mots modernité et " démocratie ". Les Français eux se sentent menacés par - la djihad ", par la guerre sainte (aljihad est au masculin en arabe et signifie guerre juste) tandis que les lectrices de Elle ou du Figaro Madame se mobilisent contre le Tchador et la Burqa, dont il faut rappeler qu'ils ne sont définis ni par le Coran, ni par le droit musulman ... Islam versus Occident ? Il faut tout d'abord s'interroger sur la pertinence de la formule réduite du mot " islam . surtout dans sa version agressive" versus Occident ". Cette réduction induit l'appréhension systématique d'une religion conçue comme un bouillon d'inculture, un système homogène et clos depuis 14 siècles sur un espace qui va de la Chine à l'Afrique en passant par l'Europe et les USA ... Dans sa version d'acteur sur la scène internationale l'interaction de -islam" en tant qu'espace culturel et géopolitique est remarquablement présenté comme un, uniforme et moniste donc totalitaire puisque totalisant. Tous les titres de journaux analysés (13) posent des problèmes en amont de l'événement" guerre" : - , Le réveil de l'islam" ; - , Le retour de la religion " ; - , Les islamistes attendent leur heure ". On ne savait pas que la religion était partie au galop on ne sait où et qu'à une certaine heure elle allait revenir .... Mais l'Express du 31 janvier 1991 nous donne, en réponse, une leçon sur la flexibilité de l'espace-temps : " ... comme Saladin au XII' siècle et hier Nasser, Saddam Hussein mobilise les masses d'Orient jouant sur la frustration et le sentiment religieux ... ' Le titre d'un ouvrage récent ne laisse aucun doute sur ce point: L1slam est le nouveau totalitarisme! L'islam est ainsi dans l'inconscient collectif le risque de l'après-guerre froide et Monsieur Poutine contribue à l'éradication du Mal défini par Bush-fils. Cette stratégie - car c'en est une - a été mise au point au moment de l'effondrement de l'URSS comme on peut en juger par l'étude des propos de Bush père en 1990 et l'utilisation des oeuvres mal lues de Fukuyama et surtout celle Samuel Huntington ... (14). Déjà la presse développait l'idée de la barbarie liée au terrorisme et à l'ar- Dossier Edito 1 International Dossier 1 t t1119r3h; ! Discrimination ' Education 1 Kiosque mement ' sale " : Julliard Jacques, Le Nouvel Observateur, 23 août 1992. Allons-y ... - cette fois sans honte " ... face faux! " les pires formes d'humanité ... ' et Imbert Claude dans Le Point, 8 septembre 1990 oppose à cette" loi de la jungle . une certaine idée du droit que " nous devons imposer car c'est celle des lumières contre les ténèbres ... ". Je ne sais pas si ces grands journalistes ont fait leur autocritique aujourd'hui alors que la position de la France est bien plus nuancée ... mais dans un premier temps on peut comptabiliser dans trois principaux hebdomadaires français (Le Point, L'Express, Le NouvelObservateur) un peu plus de mille occurrences à l'Irak et Saddam Hussein décrit comme un " tyran appelant au Jihad par fatwa ", , terroriste médiéval ", ' despote " est utilisé 18 fois, -héros lunaire des fous des ténèbres ", "spécialiste de la prise d'otages " se servant • cruellement ' des otages comme " Boucliers humains" 24 fois ... Mais, de plus, sa déligitimation est scientifiquement attestée par des experts: ' psychotique sous traitement, personnalité paranoïaque souffrant de troubles maniaco-dépressifs .... L'Exfr ress, 24 septembre 1990. Bien plus la comparaison avec Hitler apparaît 32 fois, avec Satan 25 fois L'amalgame Hïtler/Saddam a été repris par ailleurs dans d'autres hebdomadaires français ... qui ont évité de rappeler que la presse française avait déjà utilisé cette appellation pour Nasser en ... 1956-57 lors de la nationalisation du Canal de Suez et l'intervention armée des Français, Anglais et Israéliens ... J'arrêterai-là le rappel de la première guerre contre l'Irak, sauf à préciser qu'un sondage réalisé par l'Express et Reporters sans frontières, a montré que 75 % des journalistes interrogés ont estimé que la couverture de la guerre par les médias télévisés a donné lieu à du journalisme-spectacle et que 84 % estiment avoir été manipulés: c'est l'Express qui l'afflfffie le 14 février 1991 ! Aussi pendant la guerre dans l'ex-Yougoslavie nous pouvons constater une sorte d'accalmie et les articles sont moins virulents à l'égard des musulmans. Certains font même preuve de compréhension: il est vrai que la situation n'était guère propice à encenser les " blancs-européens ", chrétiens même orthodoxes ... La presse prend conscience que la cause des musulmans bosniaques rappelle que l'islam est présent en Europe depuis fort longtemps! Et certains découvrent qu'il existe des musulmans ... non arabes. L'hyper-médiatisation de l'évènement " guerre du golfe . avait provoqué des effets de loupe mettant en question la crédibilité des médias. Ce rappel devrait nous permettre d'aborder la crise actuelle tout au moins l'évolution du processus dans les dix dernières années. Cette évolution est caractérisée par un recul massif de la connaissance de l'islam en général, et une recrudescence surprenante d'attaque frontale contre cette religion. L'approche de l'aire islamique qui prévaut dans les médias que j'ai analysés (une dizaine d'hebdomadaires français depuis 1990 et quelques étrangers depuis 2001) se caractérise par l'accumulation de clichés répétitifs : un exemple exceptionnel étant la couverture identique de deux hebdomadaires différents à deux ans d'intervalle: la même photo (un musulman calotté levant les poings au ciel, vu de dos) avec un titre différent. L'Express du 10 février 1994 et l'Evénement du jeudi du 12 juin 1996 : mais" L'Algérie et nous. La victoire possible des islamistes: la grande peur des Français ' devient dans le second: " L'affrontement Islam-Occident ". , Les Français savent que les musulmans vivant dans l'hexagone ne sont pas tous de paisibles immigrés épris d'intégration " L'Express, 29 avril 1994. Ce thème de " L'Affrontement IslamOccident ' revient avec un sousthème: " pourquoi les démocraties risquent elles d'être entraînées dans la guerre ". Le mot" guerre · apparaît sur les couvertures une dizaine de fois : par exemple: ' Djamel Zitouni : l'islamiste qui mène la guerre contre la France, L'Express, 5 juin 1996, avec en couverture la photo du barbu ... fournie par les services algériens. , La guerre contre l'ennemi invisible " Le Point, 12 octobre 2001, nO 1517. Et déjà celui du 14 septembre 2001," Etat de guerre" 42 pages ! Je laisse de côté tous les numéros spéciaux de l'après-Il septembre y compris les journaux étrangers paraissant à Paris comme Time ou Newsweek : ils ont tous repris, en plus des photos accrocheuses des Twins et de Point Zéro, tout le corpus décrit en amont. Mais c'est surtout l'islam qui est mis en exergue et ses dérives : déjà l'Evénement, nO 226 en 1989, avait fait un titre tonitruant: " Descartes et Voltaire au secours : Mahomet réveilletoi, ils sont devenus FOUS! ' Cette thématique sera constamment reprise: Le Point, 21 septembre 2001 : , comment en finir avec les FOUS d'ALLAH " en surimpression d'un portrait de Ben Laden sur fond de fumées cachant Manhattan. Claude Imbert, qui, comme chacun le sait, est un grand islamologue, écrit dans Le Point cité: " L'islam n'admet ni la sécularisation du pouvoir, ni même celle du savoir ... ' C'est pourquoi Marianne du 9 mars 1998, s'interroge: ' L'islam est-il soluble dans la République ?" Mais au moins n' y a-t-il point là d'assertion brutale ! Les poncifs réducteurs et discriminatoires, résultant d'une histoire amnésique et amnistiée, produisent en tant qu'assertions un impact immédiat sur l'exacerbation des différences qui font percevoir l'islam comme immuable, conflictuelle. C'est donc la ' grande peur " qui revient et non pas le religieux! Surtout que deux conflits nouveaux vont traumatiser un peu plus les lecteurs

la deuxième Intifada puis la

prise de Kaboul par les talibans le 27 septembre 1996. " Intifada. est le terme le plus employé dans la presse des années 1998 et 1999 que j'ai dépouillée: 250 occurrences pour les trois hebdomadaires de base mais jamais le mot n'est expliqué ni traduit! puis vient Hamas : 200 occurrences. Là non plus sans explication de ce qui est en fait un sigle et non pas un nom. Le mot jihad est éparpillé car il est utilisé à la fois comme" djihad- guerre ' et comme nom de certains groupes ou organisations ce qui fausse les calculs. Mais la terminologie du descriptif de la nouvelle guerre est entièrement négatif: attentats sanglants, meurtre aveugle, vengeance aveugle ... barricades de pneus enflammés, gamins effrontés qui caillassent les jeeps de "Tsahal " ... A ce propos, rares sont les journalistes qui disent " armée israélienne " et jamais ou exceptionnellement " armée d'occupation ". On sait que Tsahal signifie en hébreu " armée de défense ". Les titres sont précis : " Le fanatisme a frappé" ; " Une fois de plus l'horreur ". Les Palestiniens n'apparaissent que sous les traits de " Tueurs masqués qui manient la hache, le couteau ... ", Le Point, 8 mars 1997. , Les actes kamikazes des forcenés du Hamas ", Le Point, 9 mars 1996. , Ils n'obéissent pas à une logique quelconque ... ", L'E\press, 14 février 1991. En fait le projet des " kamikaze ' est une arme contre une culture basée sur le mépris de la mort de l'Autre. La première façon de dénier toute identité à celui qui se sacrifie consiste à utili- • Différences " - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 " Actes du colloque " 2S 26 1 Dossier - ---- ~ ~----- - Edito International Dossier ' Discrimination Education Kiosque ser dans la taxinomie un mot-son négatif renvoyant à une autre culture que la sienne: ainsi les fidayine, les chouhada deviennent" Kamikaze ". Ce qui constitue un déni (15) de compréhension car la relation à l'Empereur nippon et la conception de la mort du samouraï n'ont rien à voir culturellement avec la pulsion de mort et la thanatocratie du martyr de l'islam. Avec l'affaire de l'Afghanistan, la nouvelle donne de géopolitique stratégique issue de l'effondrement de l'URSS, apparaît clairement dans la presse qui est beaucoup plus pl1ldente que pendant la guerre du Golfe. Mais le vocabulaire reste très négatif et péjoratif à l'égard de l'islam: Le Point, 14 novembre 1998:" un voyage dans l'absurde d'Allah ... les nouveaux maîtres de l'Afghanistan sortis des écoles coraniques ... gèrent ce pays en ruine ... avec une kyrielle d'interdits que leur impose leur rigorisme religieux et féodal..." Les poncifs refleurissent dans le nomadisme des concepts : Cet" obscurantisme (22 occurrences) et ce "féodalisme " (sic! (16) 34 occurrences) qui oblige " à trancher les mains pour quelques tapis et bijoux" Le Point, 2 juin 2000. " L'Occident est piégé " soutient l'Express du 30 juillet 1998, ce à quoi le Nouvel Observateur du 29 août 1998 répond en approuvant: " une nouvelle croisade armée contre les terrorismes islamistes ". Le Point, 20 août 1990, sous la plume de Cl. Imbert est très clair dans le sens de " notre" engagement : " Pour y résister (à" l'éboulis passionnel d'un autre siècle ,) nous n'avons pas d'autre recette que de faire respecter, par la force si nécessaire, les valeurs des démocraties modernes et libres d'Occident jusqu'à ce que l'irrationnel et la mythologie du messianisme intégriste s'éteigne dans l'échec ... " La manière dont la presse se fait l'instl1lment de la thématique" l'islam versus Occident" en stigmatisant toutes les interventions provenant de l'aire géopolitique arabo-musulmane comme étant empreintes de l'essentialisme religieux" extrémiste ", " obscurantiste" et porteur de " terreur ", donc" menaçant " et " déstabilisateur " pour" nos valeurs " se manifeste encore plus dans la nouvelle grille de lecture que j'aborde maintenant à partir de la présentation de la guerre ou des conflits : La presse procède à une stratégie de diabolisation de l'islam en amplifiant les images pour exagérer les dangers: sur ce plan les seules couvertures des hebdomadaires français depuis la guerre du Golfe sont édifiantes. Mais les articles de presse sont plus subtils, les titres à la Une et les contenus intérieurs ne correspondant pas toujours ... "France, faut-il avoir peur de l'islam?" L'Evénement, 4 janvier 1990. Le même du 1" décembre 1993 : " la déferlante islamiste". Le même du 16 novembre 1994: " faut-il déclarer la guerre à l'intégrisme ? ". Quelques titres impl1ldents : Le Courrier international du 18 juin 1997 : " Algérie : pourquoi l'islamisme vaincra ... ". Quelques numéros portent sur le problème de " l'islamisme contre l'islam" mais il s'agit alors d'interviews des rares chercheurs français qui travaillent sur le sujet: Gilles Kepel ou Olivier Roy. Dans la presse quotidienne on voit apparaître des" grands spécialistes" comme Marc Danna dit Alexandre Del Valle et autres inconnus du milieu scientifique ... sans oublier une certaine italienne encensée par certains intellectuels français ... Certaines couvertures sont une véritable fabrique du regard sur l'Autre: La position des corps" musulmans" est assez significative d'une intention complexe de " donner à voir " : une dizaine de couvertures d'hebdos (mais bien plus de photos à l'intérieur) montrent trois possibilités de visibilité des musulmans: -les fesses en l'air ( photo de musulmans en prière vus de dos) et une foule accroupie faisant bloc et dans un état de soumission ; - des foules compactes, défilant, menaçantes et hurlantes ; - des femmes voilées ( 18 couvertures dans la période dont certaines avec une forme d'ironie suspecte) ; - enfin un individu barbu, illuminé, armé et hurlant, bouche ouverte, yeux écarquillés, parfois brandissant une arme. Journaux ayant mis une femme voilée en couverture plusieurs fois pendant cette période de deux ans : La Vie, l'Evénement, Le Nouvel Observatew; Le Point, l'Rypress, Croissance, Télérama, Elle, etc. j'ai le souvenir que Frantz Fanon avait dit: " La France veut dévoiler l'Algérie " ... mais qui se souvient du psychiatre antillais aujourd'hui? Les sous-titres rajoutent à l'impression d'horreur : "Le vrai visage sous le voile ", " la pieuvre islamique", "l'islam et les femmes " ... " les liaisons dangereuses", "foulard: le complot ", et surtout" comment les islamistes nous infiltrent",,, un peuple otage de l'Histoire ". Certains sous-titres intérieurs sont encore plus éloquents: je résume une typologie complètement récurrente : Les fous d'Allah, Terroristes, Massacre, Infiltration, Ennemi intérieur, Les assassins de la paix. Et en opposition bien entendu des «Victimes innocentes ". Le " must " de la manipulation mentale faisant appel aux structures anthropologiques de l'imaginaire a été réalisé par la couverture de l'Express du 31 décembre 1997 après les attentats en Algérie: on y voit d'un côté le portrait de Lady Diana et de l'autre la photo de la mère algérienne éplorée ressemblant à une Pietà. Ce montage tient du chef d'oeuvre. L'émotionnel est la clé de toute nonexplication: il n'est pas nécessaire d'expliquer et de comprendre selon le projet de E.Durkheim et de M.Weber. Il suffit de faire pleurer Margot! Toute cette thématique répétitive conduit à la construction d'un type idéal essentialiste : musulman/ islamiste/ intégriste/fanatique/terroriste/" Djihad". Une étude comparative avec la presse surtout anglo-saxonne à l'occasion de le deuxième guerre contre l'Irak démontre à la fois que les médias (sauf une chaîne de TV américaine) ont été plus pl1ldents y compris dans l'affaire de Jessica Lynch, mais que la manipulation reste de mise: Pour les Américains Saddam" c'est Hitler" et l'Irak c'est le Japon en 1945 ... La conséquence de cette déligitimation du musulman est simple: quand la raison d'Etat progresse, l'Etat de droit régresse, à Guantanamo comme à Moscou ... En fait la méconnaissance du monde arabe est une des clés de l'incompréhension mutuelle. Or elle a régressé depuis quelques décennies surtout si l'on compare avec le XIX' siècle comme je l'ai montré dans différents travaux sur l'Algérie (17). Il n'y a pas en fait de demande sociale de connaissance de l'Autre. Il est donc suffisant, mais nécessaire, de typologiser l'ennemi principiel le Mal, incarné par l'islam. D'autant plus que l'Autre décrit aussi le mal (al-Taghut) en ces termes! Bush parle comme Ben Laden ... Or Hannah Arendt nous a montré le lien heuristique entre l'essence du mal et l'absence de capacité du penser: il nous faut donc penser pour panser! (1) - Comme c'est le cas de ce/tains critiques algériens à propos de mes travaw; sur l'Emir Abdelkader 1 (2)-A noter combien l'information rapide falsifie. Ainsi ceux qui se réJèrent à lo/t el à travers à Samuel Huntington /1. 'ont ce/tainement pas lu son/ivre sur le , clash des civilisations '. Sa thèse est très complexe et subtile et conclue enfait que les ' Etats-phares " ne doivent pas intelVenir dans ce type de conflits, donc le contraire de ce que dit la TV 1 (3) -IR passage de l'oral à l'éClit dans le Coran - comme dans les Evangiles - doit être tmité scientifiqul?ment el non sl?l1timentalenumt; les /IIanuscrits complets -à palt quelques pm'chemins " coufiques " incomplets avant le passage à l'éCiiture cUisive sur papier -les plus anciens connus datent de la fin du IV' siècle et le débat est ancien; à mon sens les premiers textes .authl?l1tiques" fixés sont celui de Ali ibn Shadhan al-RelZi al-Ba)yi (daté de361/972) et celui de Ali ibn Hi/al connu sous le n0111 de Ibn Bawwab (391 daté sur le colophon) (4) - Cf Tout le travail de Youssef Seddik sur le Coran et le hadith comme eXI?I11ple possible

aux éditions de l'Aube et Actes Sud.

(5)- Cf sur cette nouvelle islal11ophobie le travail de deux chercheurs aixois FLorcerie et V. Geissel: paru chez La Découverte cette année. (6)- Et sU/tout de l'origine juive ... et L'amour du cl?l1seur 1 PIRgl?l1dre, 1974. (7)- Cf mon pamphlet co-écrit avec R.Lafont et H.Giordan, Le temps duplwiel, Bd.de l'Aube, 2000. (8) - Il faudra bien un jour que les Anlbes intègrl? l1t dans leurpropre histoire l'apport des partis communistes, de la franc-II/açonnel'ie et de toutes les minOlités dispwues ... (9) - Cf .les débats sluprenants sur ce sujet dans la presse arabe du Golfe reproduits pal' le site; web de Menu? ; meml'i.eu2@memri. org.uk (lO) - IR débat de la taxinomiefait pwtie du débat; II/ais qu'est-ce donc qu'une" religion -? religere ou reltgare ? (l1)- Autrement dit l'Autre n'est maintenu ell vie que parce qu'il est - missiol7able -; C'est un devoir sacré; la Dawa dans l'isla111, l'évangélisation dans les cbrislianismes ... (12) - Regarder la gue/Te est le titre d'un numéro spécial de notre revue, ' La pensée de midi _n° 9, Mwseille, 2003. (13) - j'ai choisi de dépoui/lel' seulelnent des hebdomadaires car la même recherche sur la presse quotidienne nécessiterait un logiciel sophistiqué et un travail de dépouillement rystémC/ tique qui prend un temps infini. De plus la grande presse est lue par moins d'individus et donc l'impact sur l'imaginaire et les représentations est supé/ieu/'poul' l'hebdomadaire. (14) - IR choc des civilisations, Ed. O. Jacob, 1997 et Poche 2000. (15)- Cf B. Etil?l1ne, -IRsAmants de l'Apoca- 0pse ", Aube, 2001. (16)- Je n'ose plus rappeler que le' mode de production féodal - est un concept très sophistiqué de la sociologie, y compris marxiste, et a peu à voir avec l'utilisation qu'enfant les joumalistes ... Cette remarque est aussi pe/1inente pou/' le terme " communauté - complèteml? l1t galvaudé pa/' les médias. (17) - Cf également NASR Marlène, Les Arabes et l'islam vus par les manuels scolaires français, Karthala, 2001. (*) - Bruno Etienne, 1Ilelllbre de l'Institut universitaire de France, directeur de l'Observatoire du religieux à l'lEP de l'Université d'AL"(Marseille III Dernier ouvrage paru.' L'isla1ll, les questiollS qui fâchent, Bayard, 2003, " Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 " Actes du colloque " Dossier Edito 1 International i Dossier 1 mm Islamophobie et discriminations Nasser Negrouche, journaliste au « Monde diplomatique» La passionnante analyse que vient de développer Claude Liauzu forme une excellente introduction à ma propre intervention. En effet, on ne peut pas comprendre les mécanismes actuels de la discrimination raciste à l'oeuvre dans ce pays si l'on fait abstraction de l'héritage culturel colonial qui vient d'être évoqué. Il faut ainsi noter cette symétrie tout à fait parlante entre les figures symboliques qui légitimaient hier l'entreprise coloniale et les alibis aujourd'hui utilisés pour justifier les pratiques discriminatoires à l'embauche, au logement... Il y a, à l'évidence, une filiation idéologique, philosophique, entre les discours d'autrefois - destinés à justifier le " devoir de civilisation" des peuples inférieurs - et les alibis ou les arguments qu'on retrouve aujourd'hui dans les processus de la discrimination raciste. En France, l'islamophobie est une réalité certes contemporaine, mais qui se nourrit largement de ces représentations coloniales. Les mêmes stéréotypes racistes sont mobilisés pour stigmatiser une partie de la communauté nationale pointée du doigt en raison de son appartenance confessionnelle supposée. Les Français d'origine maghrébine sont ainsi assignés de force à résidence communautaire. Ils sont systématiquement renvoyés à l'islam, sommés de se définir par rapport à cette religion, même quand ils ne sont pas musulmans. En fait, le nouveau racisme anti-musulman est le carburant à la mode d'un racisme anti-maghrébin de tradition française. Il lui redonne une certaine légitimité morale et réveille la thèse de l'ennemi intérieur. Finalement, l'islamophobie apparaît comme la forme politiquement correcte et moralemênt acceptable d'un racisme anti-maghrébin traditionnel qui trouve ses racines dans le passé colonial français. C'est une posture plus tenable de se dire ennemi de l'islam et de ses excès plutôt que d'assumer un racisme anti-maghrébin. C'est je crois une forme consensuelle et médiatiquement correcte qui vise non pas à lutter contre l'islam - l'islam est présent depuis longtemps en France -, mais qui vise surtout à redonner vie à ces représentations coloniales fantasmatiques que sont la fourberie de l'Arabe, la déloyauté " naturelle " du Maghrébin. Ainsi, dans certaines institutions, on refuse de recruter à des postes de confiance, nécessitant par exemple une accréditation secretdéfense, des jeunes Français en raison de leurs origines maghrébines. Seraient-ils génétiquement programmés pour la trahison? La République a bien du mal à reconnaître tous ses enfants, et cette l1Ipture d'égalité frappe systématiquement les mêmes populations, celles qui sont issues des anciennes colonies. Est-ce un hasard? La discrimination institutionnelle et légalisée reflète bien ce poids de l'histoire. Plus de six millions et demi d'emplois sont fermés aux étrangers noneuropéens. Concrètement cela signifie qu'un immigré allemand qui a six mois de résidence en France a plus de droits qu'un immigré sénégalais ou marocain qui vit ici depuis quarante ans, travaille, paye des impôts, contribue à la création de richesses. Il se crée donc une société du "deux poids deux mesures", une discrimination institutionnalisée, légalisée qui de facto pose la réalité, l'existence de ces deux catégories d'immigrés. Une réalité quantifiable et mesurable On a longtemps considéré la discrimination comme une vue de l'esprit, une hypothèse d'étude ou pire - et c'est pour moi une forme de perversion dans l'analyse - comme une autovictimisation des personnes concernées. Depuis quelques années, la discrimination raciste bénéficie d'une certaine visibilité. Elle fait l'objet d'études pointues et elle au centre d'une réflexion à la fois universitaire et sociale. Ce qui apparaît, dans ces différents travaux, c'est d'abord qu'elle est polymorphe. Elle se manifeste de différentes manières, prend plusieurs visages. Elle est également systémique: on la trouve d'un bout à l'autre de la chaîne, avec des pratiques profondément ancrées dans la vie des organisations, dans les processus de socialisation. La discrimination raciste est aussi une réalité statistique, quantifiable et mesurable. Des techniques, comme le " tes- . ting ", par exemple, permettent de démasquer régulièrement les entreprises qui pratiquent la discrimination, la sélection ethnique des curriculum vite. Mais aussi les agences d'intérim qui donnent des consignes pour refouler les candidats physiquement typés, ayant un prénom à consonance maghrébine ou une origine supposée indésirable ... La discrimination au logement a également été clairement établie par la saisie, au sein de plusieurs organismes HLM, un peu partout en France, de fichiers informatiques comprenant des mentions ethniques et permettant de faire le tri entre les candidats selon leurs origines. Ces éléments concrets démontrent bien que la discrimination raciste ne relève pas d'un état d'âme ou d'un parti pris idéologique. C'est une réalité objective dont on peut reconstituer avec précision les mécanismes et en dessiner les contours. À ce propos, de nombreuses études sociologiques, dont certaines de l'INSEE, étayent la réalité de la discrimination à l'embauche. Les conclusions de ces travaux sont publiques et corroborent les témoignages enregistrés sur le terrain. À diplôme ou à niveau de compétence égal, dans de grands bassins d'emplois comme le Nord ou la région RhôneAlpes, le taux de chômage des jeunes issus de la population maghrébine est trois fois supérieur à la moyenne. D'autre part, les jeunes dont les deux parents sont d'origine algérienne connaissent quatre fois plus le chômage que la moyenne des jeunes Français. On sait également que le taux de licenciement des personnes issues de l'immigration est deux fois supérieur au taux de licenciement moyen. Sur le marché du travail, la discrimination intervient surtout au sommet de la pyramide hiérarchique. C'est particulièrement dans les tâches d'encadrement que des jeunes diplômés d'originemaghrébine ou issus de l'Afrique sub-saharienne subissent la discrimination. Les fonctions impliquant des responsabilités de management, d'encadrement, de négociation avec le public, de relations commerciales avec une clientèle sont les plus exposées aux pratiques discriminatoires. Le traumatisme du déni de justice Certes, il y a eu des avancées significatives dans la législation et nous som- Discrimination ! Education ! Kiosque mes à la veille d'une modification profonde des moyens de lutte contre les discriminations racistes. L'harmonisation du droit européen en la matière devrait faire avancer les choses dans le bon sens. Ainsi, il est aujourd'hui imposé à la France, comme à tous les Etats membres, de se doter d'une structure destinée à traquer les discriminations et surtout à apporter une assistance concrète aux victimes dans leurs démarches. La reconnaissance du préjudice subi par la justice (lorsqu'il est naturellement étayé), la condamnation des pratiques racistes et l'attribution de réparations significatives aux victimes constituent des priorités absolues. Le traumatisme le plus douloureux, pour les victimes, n'est pas directement lié à la discrimination vécue, mais au déni de justice quai systématique qui la suit. La non-reconnaissance de la discrimination subie entraîne souvent l'intériorisation d'un complexe de culpabilité. Certains magistrats, à ce sujet, ont pu établir un parallèle entre les victimes de discriminations racistes et les femmes ayant subi des abus sexuels ou des viols. La question de la preuve a longtemps étouffé toutes les affaires. La charge de la preuve, sans être renversée, est quelque peu aménagée aujourd'hui. Les magistrats commencent, timidement, à demander aux personnes mises en cause de prouver aussi leur innocence. Mais les condamnations, dans la quasi-totalité des affaires, sont insignifiantes voire ridicules au regard de la gravité des pratiques discriminatoires. Les modes de justification de la discrimination Il est intéressant d'observer que les modes de justification habituellement utilisés pour justifier la discrimination ont beaucoup évolué. D'une argumentation " éthico-culturelle " fondée sur l'incompatibilité supposée entre des pratiques culturelles exotiques et une identité nationale naturellement mythifiée et qu'il faudrait préserver de ces influences, on est d'abord passé à une argumentation fondée sur le pragmatisme social et la rationalité économique. « Ce n'est pas moi qui suis raciste mais je ne peux pas embaucher un commercial maghrébin ou une serveuse africaine parce que ma clientèle va me le faire payer chèrement. Il y va de l'avenir de mon entreprise, des emplois ... )). Cet alibi a pour avantage principal de déculpabiliser de tout sentiment de racisme celui qui l'utilise et de lui éviter tout procès d'intention. Comment lui reprocher de vouloir sauvegarder des emplois? Aujourd'hui il semblerait qu'apparaisse un troisième mode de légitimation dont l'argumentation centrale repose sur la notion "d'impératif moral et patriotique" face à une menace potentielle vague, jamais définie clairement, mais tou- • Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 " Actes du colloque" 27 28 Dossier - - -- - Edito International Dossier Discrimination Education Kiosque jours liée aux musulmans ... La théorie de ' cinquième colonne " retrouve peu à peu un certain crédit. Depuis le Il septembre 2001 , ce nouvel alibi se développe de manière spectaculaire. D'ailleurs, dans les jours et même les heures qui ont suivi les attentats du World Trade Center, une chasse à l'employé maghrébin s'est ouverte dans les entreprises publiques et privées. Notamment dans des sociétés employant des personnels de nettoyage qui faisaient le ménage dans certains ministères ou autres lieux qualifiés de ' sensibles '. Des organisations syndicales ont également signalé de graves dérives dans certains aéroports (Roissy). Selon elles, les entreprises de sécurité, dont la tâche est d'assister le personnel de police, ont été sommées par les donneurs d'ordre de " blanchir " leurs équipes sous peine de nonrenouvellement de contrats. Du jour au lendemain, au mépris des règles du code du travail, des personnes ont vu leurs conditions de travail sérieusement chamboulées (modification des horaires, changement du lieu de travail, transfert à de nouveaux postes, redéfinition des tâches, isolement...). On a donc assisté à une forme , d'épuration " des équipes de travail. La liste des dérives constatées sur le terrain, dressée à l'époque par un responsable syndical de l'UNSA, avait été transmise au Premier ministre, Lionel] ospin. Il n'y a eu aucune réaction officielle ... Le rôle des médias Les couvertures" choc" de magazines qui viennent d'être commentées par Bruno Etienne, les stigmatisations et raccourcis télévisés des " experts de la peur ' comme les nomme Vincent Geisser contribuent à légitimer les représentations négatives des minorités et nourrissent l'islamophobie ambiante. Les médias, et la télévision en particulier, façonnent des constructions mentales collectives qui entretiennent les stéréotypes racistes. L'année dernière, par exemple, la semaine de lutte contre les discriminations organisée sur France Télévision en partenariat avec le FASILD a paradoxalement véhiculé ces mêmes clichés dans l'un des programmes diffusés. Il s'agissait d'une fiction avec Victor Lanoux dont le scénario se passe de commentaires : un jeune beur de banlieue, en échec scolaire, possédant une parfaite connaissance des techniques de vol de voitures, est pris en amitié par un cadre expérimenté (au chômage au moment de leur rencontre) qui va l'aider, à partir de ses compétences particulières, à monter une entreprise de systèmes anti-vols de voitures ! Il y a quelques années, dans une prestigieuse émission de télévision, trois jeunes beurs sont filmés sur un banc dans un quartier, on retouche l'image à l'ordinateur pour leur rajouter des barbes. Ils ne faisaient pas assez islamistes aux yeux des responsables de l'émission ... La mise en scène de l'information trahit les principes déontologiques du métier de journaliste. L'information est appréhendée de plus en plus comme un spectacle qui doit , accrocher ", donner des sensations fortes ... Tout semble mis en oeuvre pour que l'image de l'Autre corresponde à des stéréotypes, à une représentation dominante, négative et infériorisante. Cette représentation se nourrit de l'héritage culturel colonial, d'images racistes parfois inconscientes. Ces caricatures se sont substituées au réel, et la caricature est progressivement devenue la norme. Les médias ne semblent pas parvenir à approcher l'Autre dans sa banalité. Le ' musulman intégré " ne fait pas recette sur le petit écran français. On lui préférera l'extrémiste islamiste menaçant ou l'Arabe de service islamophobe. La banalité, pourtant si humaine, ne fait pas d'audience. Elle dérange beaucoup puisqu'elle est la preuve, la réponse à la question:" Estce que l'islam est soluble dans la République ? '. Comment ne pas relever cette espèce de fascination morbide, de relation obsessionnelle à l'islam ? Il faut rappeler que nous sommes dans un système télévisuel en France, y compris sur les chaînes publiques, où les directions commerciales, la publicité et le marketing façonnent finalement les choix des programmes et colorent les scénarios. Autre facteur à prendre compte: l'important retard des responsables des unités de programmes par rapport aux mutations sociologiques de la France. Le manque d'innovation et de créativité des chaînes TV est préoccupant: elles semblent incapables de produire des programmes intégrant la diversité culturelle nationale de manière positive, autrement qu'au travers de clichés. Le rôle de l'école L'école est un autre lieu où se fabriquent les représentations collectives des minorités ethniques. La formation continue des enseignants à la diversité culturelle et cultuelle constitue un enjeu majeur. La demande légitime des professeurs, notamment ceux qui exercent en ZEP, ne semble pas être sérieusement prise en compte par l'Éducation Nationale. Le choix des intervenants laisse parfois à désirer. Ainsi, il y a quelque temps, le rectorat de Rouen, avait confié la responsabilité de la formation des enseignants à la connaissance de l'islam à une personne totalement incompétente en la matière et qui s'était illustrée par des prises de position à caractère islamophobe. Cet ancien prêtre avait notamment fait paraître un ouvrage intitulé "Le Christianisme, l'islam et la démocratie" dans lequel on pouvait relever de nombreuses et grossières erreurs. Il commençait ainsi son chapitre sur l'islam en disant que l'effort devait commencer en terre arabe où se trouve l'écrasante majorité des musulmans. Erreur qu'un bon lycéen n'aurait pas commise! Même si effectivement il y a un déclin, une faiblesse de la connaissance académique de l'islam, il se trouve quand même encore d'excellents spécialistes de la question en France auxquels il pourrait être fait appel pour former les enseignants. Parfois, la stigmatisation des musulmans s'insinue jusque dans certains documents pédagogiques. C'est le cas de la brochure du film ·Samia" diffusée dans les collèges dans le cadre de l'opération " Collège au cinéma ". Un film admirable réalisé par Philippe Faucon et qui relate le quotidien d'une jeune fille quelque peu harcelée par ses grands frères au nom de la tradition. Une situation tout à fait réelle et dont nul ne conteste la triste réalité. Mais comment expliquer que l'on puisse diffus~r, à l'école, sous les • labels " de l'Education Nationale et du Centre National du Cinéma, des stéréotypes aussi grossiers que ceux-là : « Dans les villes du Maghreb, les comportements agressifs des hommes (interpellations, injures, gestes, viols .. .) sont légion ». « Quand une fille pleure, on la console moins qu'un garçon. On la corrige plus. Il faut lui apprendre la soumission, mater toute velléité d'indépendance ». Les auteurs de la brochure s'abritent derrière les travaux de Camille LacosteDujardin, ethnologue, spécialiste du Maghreb. Cette dernière, à la lecture de la brochure en question, a immédiatement dénoncé l'instrumentalisation de son travail. Elle n'avait d'ailleurs jamais été contactée par les auteurs qui ont recyclé, à son insu, une partie de ses recherches portant sur des structures familiales traditionnelles. Elle tient aujourd'hui à réagir. Tout en reconnaissant l'existence de certaines situations extrêmes, elle s'élève contre leur « généralisation tout à fait abusive, surtout pour l'actualité de la grande maj01ité de l'immigration. C'est ce que l'on peut repmcher à ces commentaires qui schématisent et extraient de mon livre ce qui a paru le plus excessif pour les rédacteurs. Il est tout à fait scandaleux, c'est certain, d'en faire des citations inexactes.' si certaines phrases figurent effectivement dans mon livre, elles perdent bien du sens, une fois extraites de leur contexte. En outre, les termes sont paifois changés et les interprétations en sont fort exagérées. Je conçois combien la lecture de ces textes a pu en rendre le commentaire délicat en classe de ZEF, où il doit être bien difficile de relativiser de telles présentations ». En dépit de cette réaction, les nombreuses caricatures dénoncées par l'ethnologue sont toujours proposées aux professeurs sur le site Internet du Centre National du Cinéma. Le prix de la réconciliation En conclusion, pour sortir de ces tensions permanentes, de ces représentations négatives alimentées par l'histoire coloniale française, je pense que nous ne ferons pas l'économie d'un travail en profondeur sur la mémoire. Il faut, pour invalider les mécanismes intimes du racisme, que chacun apprenne à voir en l'autre son égal, son semblable. Et non plus l'indigène à civiliser, le citoyen de troisième classe. Cet effort passe par une prise de conscience du poids des représentations coloniales dans la perception actuelle des communautés originaires des anciennes colonies et, la plupart du temps, de nationalité française. La France doit regarder cette période de son histoire en face pour se débarrasser de ces schémas mentaux, parfois inconscients, qui empoisonnent le climat social. On ne pourra tourner la page avant de la lire complètement, d'en déchiffrer chaque ligne. Le refoulement forcé n'est pas une solution. Comme à l'échelle individuelle, le refoulé revient, il ressurgit toujours, et l'on pourrait d'ailleurs faire une lecture quasi psychanalytique de ces problématiques. Pour guérir de ses démons, la France n'a pas d'autre choix que de s'engager dans cette thérapie collective. Elle ne se réconciliera avec elle-même, dans la diversité de ses composantes, qu'à ce prix. " Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - Supplément du n° 249 " Actes du colloque " Edito ' International i Dossier i Discrimination 1 Education ' Kiosque Conférence-débat Pour la paix au Kurdislan Assemblée Nationale, lundi 24 novembre 2003 Cette conférence-débat était organisée par: Les Verts, PCF, LCR, MRAp, Mouvement de la Paix, Congrès National du Kurdistan, Fédération des Associations Kurdes en France. Près de 90 personnes avaient répondu à l'invitation des organisateurs et représentaient plusieurs partis politiques, des associations, des ONG ainsi que des personnes venant à titre individuel. Un très riche débat s'est instauré autour des intervenants: - M. Alain Callès ; - M. Gilles Lemaire, secrétaire général des verts. Intervenants - Mme Mizgin Sen, représentante du Congrès National du Kurdistan et Présidente adjoint du Congrès du Peuple du Kurdistan, sur le Processus de Paix et La Feuille de Route du KADEK ; - M. Osman Ôzcelik, représentant du DEHAP(Parti Démocratique du Peuple en Turquie) : « Quelle solution politique à la question kurde en Turquie? » ,. - M. Mustafa Cakar, journaliste-écrivain turc : « Analyse de la politique turque sur la question kurde » ,. - Mme Yasmine Boudjenah, députée Européenne PCF : « La politique de l'Union européenne et la question kurde » ,. - M. Yves-Jean Gallas, représentant du Mouvement de la Paix: « Le rôle de l'ONU et des organisations Non Gouvernementales dans le processus d'une solution pacifique au problème kurde» ,. - Mme Renée I.e Mignot, Secrétaire Générale adjointe du MRAP : « Conclusions au nom des organisations soutenant la Conférence » ,. - Clôture par M. Patrick Farbiaz, Responsable de la Commission transnationale des Verts. Au terme des cette Conférence, les participants ont adopté l'appel suivant: Appel Le peuple kurde est un peuple martyr, ballotté depuis près d'un siècle au gré des intérêts des gouvernements de la région ou des grandes puissances mondiales. Son unité dans sa diversité, maintes fois affirmée, n'a fait l'objet que de déclarations d'intention qui n'ont jamais été suivies d'effets pour sa reconnaissance effective. Les participants à la ConférenceDébat organisée le 24 novembre 2003 " Pour la Paix au Kurdistan », qu'ils y soient à titre personnel ou comme représentants de partis politiques, d'associations ou d'ONG décident de prendre des initiatives pour porter à la connaissance de l'opinion publique la situation des kurdes et d'engager des démarches pour une reconnaissance nationale et internationale de ce peuple. Ils affirment avec force que la solution politique et pacifique au problème kurde est indispensable pour ramener la paix au Moyen Orient. Ils demandent au gouvernement français et à l'Union Européenne, à l'ensemble des partis politiques et des ONG, de se mobiliser pour créer les conditions d'une négociation réunissant autour d'une même table toutes les forces impliquées dans un conflit séculaire. L'autorité des Nations Unies sera une garantie d'un bon aboutissement. Ils proposent enfin à l'ensemble des femmes et hommes politiques, des intellectuels et scientifiques et de tous les citoyens de s'associer à cet appel qui sera diffusé largement. Nous soussignés, représentants de la société civile française, exprimons notre volonté de créer les conditions pour que l'appel à une négociation entre l'ensemble des représentants de la Communauté kurde turque et le gouvernement turc, en intégrant la " Feuille de Route " proposée par le Congrès du Peuple du Kurdistan (KONGRA-GEL), soit entendu de toutes les forces politiques françaises et internationales à même d'y apporter leur contribution. hfi-· .~.::!:~ tt; ,(, ;/ ) ,~----•. ~-- Les actions suivantes ont été décidées • Demande de rencontre d'une délégation des associations et ONG organisatrices avec l'ambassade de Turquie à Paris pour apporter les conclusions de cette ConférenceDébat et l'Appel qui y a été adopté. • Adresses à l'OSCE et aux Nations Unies. • Organisation d'une fête de la Paix vers le 21 mars 2004 à l'occasion du Newroz, nouvel an kurde, incluant une marche regroupant des organisations allemandes et françaises sur le pont de l'Europe près de Strasbourg. • Interpellation des candidats aux prochaines élections européennes de 2004 sur les problèmes du Kurdistan et organisation d'un meeting pour en rapporter les conclusions. Ces actions ne sont pas exclusives d'autres initiatives qui pourront être décidées ultérieurement. Paris, le 24 novembre 2003 " Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 249 - Janvier-février-Mars 2004 29 Edito la sélection du MRIP Page réalisée par Evelvne (Vitrol/eJ 30 • Différences . - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 249 - Janvier-février-Mars 2004 Edito International Dossier Foru m socia 1 eu ropéen Un monde sans racisme est possible ! Pa r Jean-Claude Vessillier Le forum social européen qui s'est tenu dans la région parisienne du 12 au 15 novembre 2003. a été un événement marquant. Il a réuni plus 50000 personnes, dont dix mille délégués en provenance des différents pays européens, y compris de l'Europe centrale et orientale, et aussi avec une participation significative de pays du Sud: pourtour méditerranéen, Afrique et Amérique latine. L'anti-racisme parmi les thèmes du FSE Le sens de la participation du MRAP à ce Forum Social Européen a été précisé dans un communiqué de presse publié le 30 octobre 2003 sous le titre « le racisme est un et indivisible J) : le MRAP veut y faire « entendre la voix de l'anti-racisme, montrer que racisme anti-juif et racisme anti-musulman constituent les deux faces d'une même médaille, car le racisme est un et indivisible. Il y défendra les valeurs universelles d'égalité et de citoyenneté qu'il s'est donné vocation de p romouvoir J). • du FSE était exclusivement consacré aux droits des migrants et des étrangers, et à la lutte contre le racisme et la xénophobie. Cet axe était intitulé : « Contre le racisme, la xénophobie et l'exclusion, pour l'égalité des droits, le dialogue des cultures, pour une Europe accueillante aux migrant(e)s, aux réfugié(e)s, aux demandeurs-euses d'asile J). L'une des séances de cet axe était consacrée à l'action contre l'Europe forteresse, pour une citoyenneté de résidence pour tous, pour la liberté de circulation et droit d'installation. Les instances européennes de préparation de ce FSE ont décidé pour chacune des 55 séances plénières d'un panel d'intervenants représentatifs des différents pays. d'honneur de la Ligue des Droits de l'homme. Si la presse a amplement commenté la participation de Tarik Ramadan intervenant au nom du réseau européen " présence musulmane " de nombreux autres intervenants ont été appelés à témoigner sur les discriminations pesant dans leur pays : avec la situation des minorités ROM en Hongrie, les discriminations visant les populations d'origine africaine en Autriche, ou celles pesant sur les femmes magh- 1 rébines en France, et l'intervention d'Henri Wahlaum du Réseau européen des juifs pour la paix. En défense des sans papiers La représentante du MRAP, Bernadette Hetier, a co-animé la session consacrée aux sans papiers en Europe, dénonçant une nouvelle gestion de la main d'oeuvre, et demandant la régularisation pour tous. Les intervenants provenaient des différents pays européens, représentatifs des mouvements de lutte des sans papiers dans chacun des pays. Des centaines de séminaires Outre ces deux séances plénières, le MRAP a co-organisé, soit directement, soit au travers de collectifs dont il est membre, à plusieurs autres séminaires. Rappelons que le total des séminaires organisés pendant les trois journées du FSE était au nombre de 250, ces séminaires étant le plus fréquemment sur l'initiative de plusieurs mouvements ou réseaux, et de préférence de différents pays européens. La particularité de ce forum, comparé à la précédente réunion européenne qui s'était tenue à Florence et aux forums sociaux mondiaux qui s'étaient déroulés jusqu'à présent à Porto Alegre au Brésil, est la place occupée par les droits de l'homme, la défense des droits des étrangers et la question des discriminations. Ainsi, aux côtés des thèmes contre la mondialisation libérale et contre la guerre, l'un de cinq grands axes Ainsi, Mouloud Aounit a été l'intervenant français retenus pour la session « Racisme, xénophobie, antisémitisme, islamophobie, discriminations, stigmatisation des immigrés J) . Il y a montré comment le racisme, un et indivisible, devait être combattu, quelles que soient les personnes stigmatisées. ,Cette séance a été animée par Madeleine Rébérioux, présidente tre \e5 iné9cJite<'" Un " , Différences . - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 249 - Janvier-f évrier-Mars 2004 31 32 Edito International Dossier Discrimination Education , Kiosque Saint t Denis viLLe du monde Saint t Denis Ville sOlidaire L'égalité des droits pour les résidents étrangers en Europe (Citoyenneté de résidence, acquisition de la nationalité, double peine) a été ainsi l'un des séminaires co-organisés par le MRAP en liaison avec notamment les ASIM, la Ligue des droits de l'homme et des associations britanniques et grecs. La contribution du MRAP a porté sur la sécurité juridique des résidents étrangers en Europe, en se proposant d'élargir au niveau européen les objectifs et les succès obtenus dans le cadre de la campagne contre la double peine. Ce sont bien des pistes nouvelles de réflexion qui ont été proposées. Le MRAP a aussi co-animé, avec Isabelle SIROT, un séminaire consacré à la lutte contre l'extrême droite auquel participait notamment Ras Le Front. La nécessité de créer des réseaux d'associations, de syndicats et de partis prêts à collaborer à l'échelle européenne a été posée afin d'élaborer une riposte construite à l'extrême droite et de permettre une reconquête démocratique. Le MRAP était présent, avec notamment la FTCR et Global Resistance (Ecosse), dans un séminaire consacré à la lutte contre les nouveaux visages du racisme: islamophobie et judéophobie. Ahcène Taleb y a notamment exposé la nécessité de la mise en place d'un observatoire des pratiques racistes et islamophobes. La stigmatisation dont font preuve les ROM en Europe a fait l'objet de plusieurs séminaires auxquels le MRAP a participé, dans la continuité de son action menée sur ce terrain. Avec notamment des représentants en provenance de l'ex-Yougoslavie, la question (( Roms à l'épreuve de la grande Europe: disparition, assimilation ou reconnaissance d'un peuple et d'une histoire occultée? » a été débattue. Enfin le MRAP a été partie prenante de séminaires organisés par l'ODSE « Pour l'accès à la prévention et aux soins des populations vulnérables en Europe ». Une aide pour l'action! Ce forum social européen, par le nombre, la variété et la qualité des débats, a permis d'avancer dans la constitution de réseaux européens d'action militante qui ne peuvent que rendre plus efficace notre activité quotidienne. En retour, la dimension européenne des phénomènes de stigmatisation et de discrimination pourra ainsi être mieux prise en compte dans nos activités. Au-delà de débats, souvent passionnants, ce FSE a débouché concrètement sur la mise en place de réseaux et la proposition d'actions. Par exemple, la coordination nationale des sans papiers en France a noué des relations avec des associations de même type dans plusieurs autres pays européens, notamment en Allemagne, Italie et Suisse pour adopter une première plate forme commune qui souligne que « les sans papiers ne sont que le sommet visible d'un iceberg de précarisation s'étendant aux autres migrants et ensuite à l'ensemble des autres travailleurs », et exige leur régularisation et leur liberté de circulation. Autre exemple : les séminaires qui ont réuni militants palestiniens et israéliens avec des représentants des mouvements de solidarité des différents pays européens. L'assemblée européenne des mouvements sociaux qui s'est réunie le dimanche 15 novembre a voulu traduire tous ces débats en pistes pour l'action avec la proposition de deux échéances dans les mois qui viennent

l'appel à manifester le 20 mars

2004 contre la guerre en se joignant à un appel international lancé aux Etats Unis par le mouvement anti guerre, et la proposition d'une journée d'action le 9 mai, date prévue de la ratification de la constitution européenne, pour une autre Europe, des droits des citoyens et des citoyennes et des peuples. Ce forum social européen trouvera donc son prolongement dans des actions concrètes et dans la poursuite de l'approfondissement d'une réflexion qui s'enrichit de la diversité internationale des expériences partagées. Les anti racistes, qui veulent un monde sans racisme et sans guerre, sont complètement partie prenante de la dynamique qui s'est exprimée tout au long de la préparation et de la tenue de ce forum social européen. Voilà ce que tous les participants et participantes à ce forum ont directement et chaleureusement ressenti ! La délégation du MRAP au FSE était composée de Mouloud Aounit, Bernadette Hétier, Jean-Claude Dulieu, Isabelle Sirot, Renée Le Mignot, Ahcène Taleb, Claudie Garnier et Jean-Claude Vessillier. Le MRAP a également participé aux sessions sur la Palestine dans le cadre de la plateforme des ONG dont le MRAP est membre actif. • Différences · - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 249 - Janvier-février-Mars 2004 Edito International Dossier n Ig 3li 1 Discrimination Education i Kiosque Sans eux ... nous ne serions pas les Français que nous sommes Pa r Paul Muzard (Président du MRAP) Le thème de l'envahissement de la France par les étrangers, qu'il faudrait ensuite porter - ou subir - comme un fardeau parce qu'ils vivraient sur notre dos, ce thème n'est pas récent. C'est en particulier un thème de l'extrême droite, mais pas seulement. Thème de l'extrême droite, donc thème électoral, puisque M. le Pen a pu dire que les gouvernants avaient laissé depuis vingt cinq ans les étrangers envahir la France dont ils défiguraient l'identité nationale. Ce n'est pas un thème nouveau puisque c'était un refrain déjà au 19' siècle. Ce thème est également affirmé par des gens qui ne se réclament pas de l'extrême droite. Mais loin de la haine et des faux semblants, l'histoire porte des enseignements qui nous permettent de faire oeuvre de vérité. Une première évidence est que la plupart des étrangers sont venus en France parce que nous sommes allés les chercher, parce que l'économie française a eu beiioin d'eux. Le 19' siècle a été le premier grand siècle du développement industriel, grâce aux énergies découvertes par l'homme: la vapeur, puis l'électricité. Le " choc de la machine" (selon l'expression d'un historien) qui s'est produit aux environs de 1830 au fur et à mesure des inventions, a entraîné des bouleversements considérables qui ont fait de la France un immense chantier industriel. Nous avons de la peine aujourd'hui à Manifestation" sans papiers " de ülle. mesurer, à imaginer même, l'ampleur des effets de la mécanisation du travail, les transformations profondes qui ont modifié les rythmes du travail qui étaient de moins en moins ceux du monde rural, qui ont provoqué les concentrations ouvrières et l'habitat des faubourgs, puis des villes, etc. Des évolutions incessantes se sont succédé au fur et à mesure des modernisations successives. L'un des traits marquants du processus industriel fut un immense besoin de population active, c'està- dire de main d'oeuvre, d'ouvriers. Après avoir eu recours aux excédents de travailleurs ruraux, à la population féminine disponible, et même aux enfants dès l'âge de cinq ans, en raison d'une faible démographie que connaissait la France depuis le début du 19' siècle, et même au 20', il restait à faire appel aux étrangers. C'est à partir de 1851 que nous avons des chiffres précis, parce que c'est la date du premier recensement. Différentes immigrations furent recherchées au cours des âges, depuis les immigrations de voisinage c'est-à-dire européen, nes, aux travailleurs du tiers-monde, souvent ex-colonisés, sur qui nous avions conservé un pouvoir de domination, Voici quelques chiffres à titre d'exemple : 128 000 belges au recensement de 1851 seront 481000 en 1886, puis diminueront progressivement

63 307 italiens au même

recensement de 1851, atteindront le million de ressortissants en 1931. Durant l'entre-deux guerres, les polonais atteindront le nombre de 508 000, Il faudrait aussi énumérer les britanniques, les luxembourgeois, les suisses, des réfugiés orientaux, Enfin c'est à partir de 1945 que les immigrations maghrébines, subsahariennes, puis turques sont venues compenser le tarissement progressif des immigrations européennes, Les immigrations noneuropéennes deviendront majoritaires en 1982, Tous ces étrangers étaient-ils, sontils des envahisseurs dont la présence serait imputable aux gouvernants? Encore une fois soyons clairs. Avant la guerre de 1914, les employeurs se rendaient dans les pays étrangers d'Europe pour convaincre des gens de venir travailler en France, ils envoyaient des recruteurs qu 'on appelait aussi " rabatteurs " Après 1918, le gouverne ment a pris les affaires en main et ce sont des traités de travail qui ont été signés : avec la Pologne le 3 septembre 1919, avec l'Italie le 30 septembre 1919, avec la Tchécoslovaquie le 20 mars 1920. Les contingents augmentaient selon les besoins. En plus du gouvernement, le patronat, par sa société Générale de l'Immigration, avait son propre recrutement et a introduit 400 000 travailleurs de 1924 à 1930, Tous ces étrangers, si divers, si différents et si multiples ont puissamment contribué à construire la France industrielle. Au 19' siècle, c'était notamment les moyens de transports, les chemins de fer, les routes, les canaux, les mines de charbon et de fer, les usines qui ont été peu à peu construites, les villes, Sans les travailleurs étrangers, tout ce développement de la France, n'aurait pas pu être réalisé, Sans eux, elle serait en retard, comme le furent par exemple, l'Espagne et le Portugal pendant un certain nombre d'années, Sans eux la France ne serait jamais devenue ce qu'elle est. Ceci n'est pas du baratin, les chiffres officiels des mouvements de population et de la croissance industrielle l'affirment sans trucage, Et puis, ça ne s'est pas arrêté là, Pour la réalisation du III' Plan, prévu pour la période 1958-1960, il était affirmé que l'introduction de travailleurs étrangers n'était pas à considérer comme un «palliatif, mais comme un apport continu, indispensable à la réalisation des objectifs)) L'Office National d'Immigration (ON!) chargé par le gouvernement de l'introduction de la main-d'oeuvre a signé des accords en 1961 avec l'Espagne, en 1963 avec le Maroc, la Tunisie, le Portugal, en 1965 avec la Yougoslavie et la Turquie, en 1963 avec les pays d'Afrique Noire; à la libre circula- • Différences . - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 249 - Janvier-février-Mars 2004 33 34 tion des Algériens à partir de 1962, succédèrent des accords successifs de contingentements trimestriels, puis de 35 000 par an à partir de 1969 et ramenés à 25 000 pour 1972 et 1973 ; courant 1973, l'Algérie a interrompu son émigration. Quel chantier! Au vu de tous ces chiffres, on voit comment la France définissait ses besoins de main-d'oeuvre pour son développement industriel. Elle estimait que sans cette main-d'oeuvre étrangère, sans eux, elle ne pouvait pas devenir la France de demain. Ce qui est paradoxal, c'est qu'à ces étrangers qui ont fait de la France Discrimination Education Kiosque avec tous les travailleurs ce qu'elle est aujourd'hui, il est reproché à beaucoup d'être restés dans ce pays et de s'y être installés. On pourrait dire humoristiquement - s'i! était possible d'en rire! - qu'après avoir tant versé de sueur sur les routes ou les autoroutes, dans les mines, dans les usines, dans les guerres, ils avaient encore le culot de vouloir être reconnus comme français, au point que sans eux la France compterait dix à onze millions d'habitants en moins : moins de 50 millions au lieu de 60 ! en somme une France rapetissée. Il y en a qui disent que les étrangers font perdre à la France son identité! Ils nous empêcheraient d'être de vrais français ! Le mépris et la haine sont aveugles. Qu'on le veuille ou non, les bâtiments construits, les autoroutes tracées, les activités des usines, les barrages hydrauliques, et même les écoles et les hôpitaux sont le résultat d'un métissage; c'est trop tard pour séparer ou trier la sueur, et parfois le sang, même si cette sueur et ce sang n'ont pas été toujours considérés au même tarif : étrangers moins payés, moins considérés, davantage exposés aux accidents du travail, avec une identité de travailleur, ou tout simplement une Antisém itisme identité humaine, pas totalement reconnue. Qu'on le veuille ou non, sans eux la France ne serait pas ce qu'elle est, et les français ne seraient pas ce qu'ils sont. Pour le reconnaître, il est impératif de ne pas perdre la Mémoire, et, à cet égard, l'école doit faire son travail. Le raciste, le vrai ou celui qui sommeille en nous, est quelqu'un qui ne vit pas avec son temps. Il prêche l'oubli ou l'amnésie, il encourage les pertes de repères et les retours en arrière, il perd la boussole, et voudrait nous la faire perdre. Combanre tous les racismes, d'où Qu'ils viennent Pa r Marianne Wol" (Rencontre progressiste juive) On assiste en ce moment à des surenchères racistes contre lesquelles il est important de réagir de manière responsable, ce qui n'est pas souvent le cas. 1 uand on entend les propos tenus par le Premier Ministre de Malaisie, Mahatir Mohamad, devant l'organisation de la conférence islamique : " Les juifs dirigent le monde par procuration " propos qui n'ont rien à voir avec un quelconque soutien au peuple palestinien et ne font que desservir cette cause. Quand on entend par ailleurs un ministre du gouvernement Sharon déclarer qu'il est préférable que ce soient les mères palestiniennes plutôt que les mères israéliennes qui pleurent la mort de leurs enfants, on ne peut que s'alarmer. Face à cela, il y a l'attitude qui nous semble irresponsable, qui consiste à ne voir qu'un seul côté du racisme, l'antisémitisme, alors que, citoyens français, nous nous devons de dénoncer tous les racismes. Celui qui freine l'entrée des jeunes d'origine maghrébine dans la société, qui mène à la profanation des tombes musulmanes, qui parfois conduit au meurtre, ou celui qui a conduit à l'agression inadmissible contre Michel Serfaty, rabbin de Ris-Orangis, aux attaques de synagogues qui perdurent. Vient s'y ajouter tout récemment, l'incendie criminel d'une école juive à Gagny, en-Seine-Saint-Denis, unanimement condamné pour ce qu'il est,un acte odieux et ostensiblement dirigé contre des juifs pour la seule raison qu'ils sont des juifs. La réaction rapide du Chef de l'Etat réunissant d'urgence le Premier Ministre et les ministres concernés est saine et pourra se révéler efficace si elle prend lucidement en compte l'ensemble des éléments concourant aux drames que nous vivons. Il nous paraît notamment essentiel de dénoncer tous ceux qui, par leurs paroles, les confusions qu'ils entretiennent, attisent ces comportements. A décrire de l'étranger (en Israël ou aux Etats-Unis) une France où les juifs dans leur grande masse ne se sentiraient de nouveau plus en sécurité, on attaque dangereusement la cause qu'on prétend défendre. A ne plus voir qu'un antisémitisme des , jeunes de banlieue " ce terme signifiant implicitement jeunes musulmans, à confondre opposition à la politique actuelle inadmissible du gouvernement israélien et antisémitisme, on renforce la confusion, en jetant face à face deux composantes à part entière de la société française. On incite des citoyens français, et en particulier des jeunes, à se positionner essentiellement comme membres de telle ou telle communauté, à rejeter la laïcité. Et cela, avec en toile de fond, le conflit israélo-palestinien qu'il est d'autant plus urgent de faire cesser. • Différences . - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 249 - Janvier-Février-Mars 2004 Agression PARIS. 17 novembre (AFP) Agence France Presse Le secrétaire général du MRAp, Mouloud Aounit, a annoncé lundi à l'AFP avoir reçu dans le courrier du MRAP une lettre de menaces avec une balle. M ouloud Aounit a indiqué avoir reçu samedi au siège du MRAP un courrier qu'il n'a ouvert que dimanche soir. Il contenait une lettre de menaces au dos de laquelle était scotchée une balle « peut-être de 22 long rifle ». La lettre confectionnée avec des lettres découpées portait l'inscription ' juifs dehors " , à bientôt " , white wolf , (loup blanc en anglais) et ajouté à la main , la prochaine n'arrivera pas par la poste '. Un courrier portant cette même phrase et accompagné également d'une balle avait été reçu en mars 2003 par plusieurs personnes ayant publiquement fait part de leur soutien à la cause palestinienne ... Edito International Dossier Discrimination Education Kiosque 1 '/1 ) IN, ) « Pour la première jois,j'ai lu intégralement et dès réception "différences" .. Bravo et merci à leurs réalisateurs. » Bernard Jarry Comité de Mealk'r BULLETIN D'ABONNEMENT PROMOTIONNEL DE « DIFFÉRENCES» • • International Juridique • • Dossier Immigration • • Education Histoire ... Renvoyez ce bulletin d'abonnement à l'adresse suivante: Différences, 43 bd de Magenta, 75010 PARIS Je souscris 4 numéros pour 12 € seulement! o Oui, je profite de l'offre de la revue Différences. Je recevrai les quatre numéros à l'adresse suivante: NOM: . ADRESSE: PRÉNOM: . ," 0 Ci-joint mon règlement de 12 € par chèque à l'ordre de Différences. PROFESSION : . ~ - --------------------------------------------------------------------------------------------------------- • Différences " - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 249 - Janvier-Février-Mars 2004 35 " Kiosque Edito Inttrnational Dossit:r Kiosque Carnets du ghetto de Varsovie Ada", Cremiakou: f:dilloll UI Décmwer1e-/tJdJ(', 277 pagts, Il el/ms. Quelques mois après le {jy anni· versaire de l'insurrection du gheuo de Varsovie, il est utile de prendre connaissance de ce document exceplionnel, les Otnets rédigés de septembre 1939 à juillet 1942 par l'ingénieur Adam Czerniakow, président de la CQflIlIIunaUlé jui\'c de Varsovie. Rien de ce qui constitue la vic publique mutilée du peuple juif de Varsovie n'échappe à ses IlOIl[ ions. la persévérenoe admirable des activités religieuses, économiques et cuture1Jes du ghetto tl'OUve en Qemiakow à la fois un organisateur démllé et un historien scrupuleux. S'il n'omet jamais de mentionner lcs actes de terreur perpérrés par les allemands au cours de ces années, ce qui scande les pages du journal, c'est la lutte quotidienne pour la vit' et la dignité dans une auoosphère de thanl.1ge Ct de famine sciemment organisée par le sYStème de rationnement nazi. DiScrimination Education Kiosqut: Cest quand il comprend enfin ce que signifie l'ordre d'expulsion de milliers d'habitants du ghetto, qu'on lui demande de signer - et qui s'applique également aux enfants, 00ru le SOft lui tient paniculièrement à coeur - que Czemiakow tire le bilan de ses illusions et de .son impuissance tragique et lTK.1 fin li ses purs en juillet 1942. La préface de Raul Hilberg - le plus gmnd spécialiste mondi.ll de la Shooh - et Stanislas Staron éclairent le contexte socio-historique et la signification morale de ce texte, incomparable document pour l'histoire de la seconde guerre mondiale, Est-il permis de critiquer Israël? /tlsctJllXmifaoe, /!tUt/OIl Kobert La1fcmt, 240 pa~ 19 euros.. En avril 2001, PaSCll I30nifaoe, directeur de l'IRIS (Institut des Rebtions Internationales et Stratégiques) rédige une note interne sur le conflit israëlopaleslinien, où il demande à la direction du PS de se démarquer du gou\' efTlemeI1t israëlien et de rééquilibrer sa position dans ce conflit. Il est alors l'objet d'une vériuble campagne médiatique organisée J'accusant d'antisémitisme et faismt pres- Est-il permis de critiquer Israël? sion sur les administrateurs de I1RlS pour lui retirer la direction de cet. institut. Dans son ouvrage, Pascal I30niface, analyse dans le détail celte campagne et plus globalement l'impossibilité de critiquer le gouvernement Sharon sans être vidime d'un véritable terrorisme intellectuel. II n'oublie pas de dénoncer les attaques menées contre le MRAI' pour avoir co-organisé en octobre 2000 une manifestation de soutien au peuple palestinien, où quelques extrémisies musulmans avaient lancé des slo~ans antisémites aussitôt désavoués par la direction du MM», Pour résumer, un ouvrage sérieux étayé de nombreux exemples, qui donne des informations et des réflexions propres à rétablir une vision plus équilibrée sur le conflit du Proche- Orient. • Différences _ - Mouv.emenl corme le racisme ct pour l'~mil~ des peuples - n" 249 _ J:mvief-Février-Mars 2(X)4

Notes

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