Différences n°225 - janvier 2001

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Sommaire du numéro

n°225 de janvier 2001

  • Mouvement: Education contre le racisme: mars et ça repart
  • 20 janvier, journée de mobilisation contre la peine de mort
  • Voyageurs et conseil de développement (gens du voyage) par Michèle Delaunay
  • Dossier: Etudier l'Histoire, former des citoyens
    • D'hier à demain par J.P. Marcy
    • Rencontres d'un autre type par Alain Pellé
    • Gaële Chojnowicz: « il n'y a pas d'enfants, de petits-enfants de bourreau, il n'y que des victimes de la haine et de la colère »
    • J.B. Bourgon: « écouter et comprendre l'autre, se remettre en question »
    • Un enjeu de la lutte culturelle contre le racisme: enseigner notre passé colonial par C. Liauzu
    • Analyse de la revue « hommes et migrations » : notre passé colonial par C. Benabdessadok
    • Autopsie d'un mensonge: le négationisme entretien avec Jacques Ternero
  • Le député Mermaz se rend « aux frontières de l'humanité » (centres de rétention » par C. Benabdessadok

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Texte brut du numéro

1 1>iHérences Mouvement contre le racisme et pour ram~ié entre les peuples Janvier 2001 - N° 225 ., IL Dossier ÉTUDIER L'HISTOIRE FO 1;1 enlre !. :--"';IIC el uToll~ l ('~cr!le t.·, 1 l' 1 1 dl'l '$>.I' , ('Ollll)il' 0;1 Il' d',ll al. Ile dt:JX'llSC, duit", " I:(' \t'r uliotl arrarhl!e à II('ul'i 1\' parla la {]'Itr.'lcr, rut :W(·Utl1Jlric succ('slt.hemtn! \ .. rn rnll'nl~ qui Ollt SUl"Cé.!é au lf'III" ... Il •• : l'Ahtle • • ~'H .. ~ •• nlto. , et;JJ:B~t:r,S LU ~G, 27 F.T ~S S[I'Tt:-'l8nl: '18;,11, l ~ I O' DL SJo:I'Tltll l: A~'IH:Il",lIm: SÎ:(:LU IRl DI lJ\1I0:'))I: (;ETft; IltU:. MOlIsÎeur 1e flÎneleur, Jr \OUS ~i prutui5 une )X'lilc J:l;nWI"f'. ~l _l'" \ ieu! m'aclluÎIIp.r. Lire aussi dans ce numéro '1 La semaine nationale contre le racisme page 2 20 janvier, journée de mobilisation contre la peine de mort page 2 Voyageurs et Conseil de développement page 3 Editorial page 3 Le député Louis Mermaz se rend aux « frontières de l'humanité » Echos 12 ., " , Il ""e> ""a 0:: ""0 'c": a 1§ w Mouvement , Education contre le racisme Mars et ça repart En cette Année internationale contre le racisme, la désormais traditionnelle Semaine nationale d1éducation se déclinera tout au long du mois de mars. De nombreuses activités sont prévues un peu partout et sous de nombreuses formes. Nous y reviendrons dans notre édition de février. En attendant, bref aperçu du matériel proposé au niveau national. TOUS DES HÉROS re planète ~ Une nouveauté: un livret illustré de 16 pages (7,5 cm x 10,5) pour les 6/9ans. Composé de huit portraits d'enfants extraordinaires car différents par le traitement iconographique, chacun ayant été conçu par un graphiste différent. Cet objet dont les enfants peuvent s'approprier se prête à une exploitation éducative et incite à la réflexion. ~ Un journal de 8 pages pour les collégiens et lycéens réalisé sous le sceau de l'Année internationale contre le racisme. Au sommaire, citons un article sur les bonnes pratiques contre les discriminations à travers le monde, un éclairage sur la dimension culturelle avec le groupe de musique Zebda et le chorégraphe José Montalvo, un entretien avec le généticien Axel Kahn sur les dangers de l'eugénisme liés aux progrès des biotechnologies, et bien d'autres choses encore. ~ L'affiche officielle de la Semaine. ~ Le poster éducatif couleurs réalisé l'an dernier par Rue du monde réédité cette année en 20 janvier, journée de mobilisation '{Ill tous extraordinaires la différence est un plus. raison de son franc succès (voir illustration page 7). Et les vidéos co-édités par le Mrap et l'agence Orchidées toujours à votre disposition: ~ « Tous copains, tous humains, tous égaux» qui traite de la différence et des discriminations avec les enfants d'âge primaire à partir d'une fable animalière et du personnage d'Esmeralda du « Bossu de Notre-Dame ». ~ Les magazines « Objectif plein sud» de 1997 et 1998 encore d'actualité puisqu'on y aborde aussi bien les notions de « race» et de nationalité que l'abolition de l'esclavage ou le racisme dans le monde du travail. ~Signalons enfin qu'après la diffusion sur les chaînes de télévision durant la période des fêtes, les douze films contre le racisme (DFCR) sont programmés dans les salles commerciales à partir du 17 janvier. Certains comités ont déjà programmé des événements autour de cette sortie. Pour de plus amples informations, joindre le Secteur Education. contre la peine de mort Le Mrap appelle avec de très nombreuses organisations à une journée d'action contre la peine de mort le 20 janvier prochain, veille de l'investiture de M. George W. Bush. Dans un communiqué rendu public 14 décembre, le Mrap rappelle que pour celui-ci « les preuves de l'innocence ne suffisent pas à rouvrir un dossier» ! L'association ajoute: « nos pensées vont plus particulièrement à Odell Barnes, exécuté au Texas le 1er mars 2000 malgré les preuves formelles de son innocence; à Betty Lou Beets, cette grand-mère de 63 ans exécutée au Texas le 24 février 2000 : les juges n'ont jamais reconnu que toute son existence avait été marquée par des violences physiques, y compris sexuelles et psychologiques; à Farley Matchett condamné à mort pour avoir tué son agresseur, et dont l'avocat commis d'office s'est endormi à trois reprises durant le procès; [ ... ] Elles vont bien sûr à Mumia Abu-Jamal, condamné à mort parce que noir, parce que militant et dont la vie est avec l'arrivée de George W. Bush plus que jamais menacée ». En finir avec la guerre contre les pauvres! Par ailleurs, une délégation représentative de soixante organisations, conduite par le député-maire de Bobigny (93), Bernard Birsinger, qui s'est rendu aux Etats-Unis du 6 au 10 décembre a porté témoignage auprès de l'opinion publique et des autorités étasuniennes de l'ampleur de la sensibilisation et de la mobilisation en France pour que Mumia Abu-Jamal bénéficie d'un procès équitable. Compte-rendu de ce séjour dans notre numéro de février. 2 Différences nO 225 Janvier 2001 Texte de Paul Muzard « Merci à Paul Muzard de nous avoir brossé la sombre histoire de l'esclavage et des guerres coloniales. Ce passé dramatique ne peut que nous tourner vers l'avenir dans un sursaut citoyen. Quand on lutte, on gagne souvent. » Préface de Jacques Gaillot A commander au siège du Mrap 120 F + 16 F (frais de port) Voyageurs et Conseil de développement LES LOIS Chevènement et Voynet sur l'Aménagement du territoire, ont prévu la constitution des communautés urbaines (agglomération de plus de 500 000 habitants), d'agglomération (ville-centre de plus de 50 000 habitants) et des pays, d'ici le 1 er janvier 2002 : mais peu attendront cette date. Seuls, à l'avenir, ces regroupements de communes pourront contracter avec l'État et les régions, il s'établira donc de fait une solidarité financière. Les pays doivent former un territoire cohérent du point de vue économique, social et culturel. Chaque structure élit son président. Ces nouvelles structures se superposent souvent, la zone urbaine du pays se constituant en communauté d'agglomération par exemple. D'autre part, elles peuvent déborder les limites du département, voire de la région. Elles jouissent de larges compétence, mais diverses en fonction des choix faits par les élus, et ces compétences sont appelées à évoluer: on y retrouve toujours l'aménagement du territoire, l'habitat, l'environnement, le développement économique, l'organisation des services publics, l'emploi, l'insertion ... La révision des POS, par exemple, relève désormais de ces structures, ce qui est d'actualité avec la mise en place de la nouvelle loi Besson sur l' habitat caravane. Chaque structure doit se doter d'un Conseil de développement, qui comprend trois collèges

patronat, syndicats de salariés et monde

associatif. Une grande liberté pour cette composition (nombre, secteurs représentés) est laissée aux élus qui ont l'initiative: seule contrainte, un vote favorable de chaque commune ou EPCI composant la communauté ou le pays sur la désignation des membres du conseil. Celui-ci contribue à l'élaboration de la Charte de développement, qui constitue le projet commun de développement durable du territoire

après un pré-diagnostic des évolutions

démographique, sociale, économique, culturelle et environnementale prévisibles sur vingt ans, elle définit au moins à dix ans les orientations fondamentales du territoire, les mesures et modalités d'organisation nécessaires pour assurer leur cohérence et leur mise en oeuvre (1). Ce conseil jouera le rôle de mini conseil économique et social et émettra des avis consultatifs sur tous les projets. Tout est en train de se mettre en place: c'est donc le moment de revendiquer une place pour les associations qui oeuvrent pour les Gens du Voyage, voire pour d'autres. Il faut en adresser la demande aux Présidents qui viennent d'être élus: il ne faut pas trop espérer que l'offre viendra des politiques, mais il leur sera plus difficile de refuser. À Rennes, le principe en a été admis, mais il a fallu insister un peu .• Michèle Delauney (1) Décret n02000-909, JO. du 20/0912000, Disparition de militants du Mrap Membre du « quarteron de fous », selon l'expression d'Aloys Carton du comité de Nice, qui ont fondé le Mrap des Alpes-Maritimes dans les années cinquante, Raymonde FabreLoew est décédée le 9 novembre dernier à l'âge de 83 ans, une vie bien remplie. Les trois autres étaient Jean Nouvelon, Marc Vuillemin et Augustine 8erthod. « Pour avoir partagé un bout de leur route depuis 1980, avec tant d'autres, nous pouvons témoigner de leur dynamisme et de leur souffle sur le long terme. De ces pionniers, seul Jean nous reste témoin vivant. Nous ne pouvons oublier . » Raymonde a exercé le métier d'institutrice à Nice de 1937 à 1974, militante anarcho-syndicaliste et amie de l'Ecole émancipée depuis 1937, elle fut secrétaire départementale du Mrap. Ses filles, Yvette et Catherine, témoignent: « Raymonde a été aussi modeste, attentive, généreuse et ouverte aux autres dans sa vie personnelle que dans ses activités militantes et professionnelles. » (d 'après un communiqué du CL de Nice du 28 novembre) L'été dernier, le 12 août, c'était André Pilet, adhérent du comité de Villeneuve-sur-Lot, de sensibilité chrétienne, ancien des Jeunesses agricoles chrétiennes, qui quittait ses proches et ses amis d'Aquitaine et d'ailleurs. Alain Miranda nous fait notamment savoir qu'André Pilet a été au coeur de la lutte menée en septembre 1988, avec succès, à Casseneuil où le maire avait refusé la scolarisatipn des enfants étrangers hors CEE. Nos espoirs pour ce nouveau siècle Les utopies d'hier sont nos réalités d' aujourd'hu i. A l'orée du 21 ème siècle, en cette période de voeux, autorisonsnous à en égrener quelques-uns: Que, dans la France des Lumières, la couleur de la peau, un prénom, une nationalité ne vous reviennent pas violemment au visage comme une porte de discothèque ou d'entreprise qui vous claque au nez; Que ces dizaines de milliers de sanspapiers, ces laissés-pour-compte d'une régularisation qu'ils avaient avec nous tant espérée, recouvrent une existence sans peur ni précarité matérielle et humaine; Que ce souffle nouveau contre la torture en Algérie rencontre une reconnaissance officielle pour pouvoir tourner cette sombre page de l'Histoire de France, et soulager les consciences; Que la France plurielle cesse d'être assignée à résidence dans le show business et le sport, que les médias, la haute administration, l'Assemblée nationale, le Sénat, les conseils municipaux donnent à cette France la visibilité légitime qu'elle mérite; Que les hommes et les femmes qui composent ces peuples qui ont souffert ne se laisseront plus jamais anéantir au nom d'une quelconque « appartenance» et que leurs malheurs serviront à ce que la justice internationale rattrape leurs bourreaux; Que l'Afrique, plongée dans les ténèbres du Sida et du paludisme, étranglée par la dette, en proie aux guerres civiles, retrouve la paix, développement; et le chemin de la démocratie; Que l'Algérie se réveille d'un cauchemar qui n'a que trop duré, pour que ce merveilleux et courageux peuple algérien puisse vivre sereinement et en toute quiétude; Que cette sentence barbare, moyenâgeuse qu'est la peine de mort et son application raciste soit banl)ie aux Etats-Unis, en Iran, en Chine, en Afghanistan. Société idyllique, monde impossible diront certains, mais l'histoire des conquêtes d'émancipation humaine nous a montré qu'utopie peut être synonyme de réalité, par et grâce à l'intervention de chacun. Bonne Année. Mouloud Aounit Différences nO 225 Janvier 2001 3 DOSSIER Nombre de citoyens consacrent leur vie professionnelle et/ou une partie de leur temps libre à élaborer et mettre en pratique des projets d'éducation et de formation des jeunes de tous âges propres à faire avancer la conscience de l'interculturalité et de l'interdépendance entre les personnes, les groupes, les sociétés, y compris lorsque les tensions montent et que les conflits s'aiguisent. Et même après que les pires tragédies ont eu lieu. Enseignants, animateurs socioculturels, militants, intervenants de toutes sortes croient en la pertinence de l'étude de l'Histoire pour former des citoyens responsables, capables de s'extraire des émotions et des passions identitaires, susceptibles de se forger un esprit critique et d'exercer son libre arbitre. L'enjeu est multiple. Il s'agit en définitive de toujours croire en l'humanité, de donner toutes ses chances à cette promesse qui est aussi un pari: « plus jamais ça ! »Jean-Philippe Marcy est de ces enseignants-pédagogues qui remettent chaque jour l'ouvrage sur le métier. Il présente ici quelques-unes de ses expériences avec ses élèves. On lira dans les pages suivantes de ce dossier la présentation du séminaire triennal co-organisé par le Mrap accompagné des témoignages de deux participants, le texte de Claude Liauzu sur la nécessité d'enseigner l'histoire coloniale, un aperçu du dernier numéro de la revue Hommes et Migrations consacrée précisément à la mémoire de l'histoire coloniale, ainsi que l'entretien avec Jacques Tarnero, co-réalisateur d'un film documentaire sur le négationnisme. C.B. Dlhier à demain SELON MARROU,« la démarche de l'historien doit chercher à comprendre, à expliquer, à établir les liens successifs d'une série évolutive, à dégager des significations, à retrouver des valeurs» (1). L'Histoire constitue un instrument qui permet à l'élève d'étudier le passé, de s'interroger, de Différences nO 225 Janvier 2001 mieux comprendre le monde d'aujourd'hui. Elle constitue donc un outil qui permet de se construire - car découvrir l'événement c'est essayer de le comprendre, de le maîtriser. « Il s'agit de s'appuyer sur l'histoire vécue pour former de véritables citoyens, c'est-à-dire des individus conscients de leur cité - cité est entendue comme une communauté humaine, celle des quartiers, de la ville, comme celle de la nation, de l'Europe et même du monde. Une cité a un passé et un futur dont nous sommes responsables. » (2) Les élèves doivent avoir des documents de nature diverse, représentant des points de vue contradictoires, permettant de développer l'esprit critique. En 1988, des élèves du lycée Foch de Rodez, étudient la façon dont la presse couvre le procès Barbie :cette expérience a déjà été présentée dans Différences (3). Il s'agit d'amener les élèves à comprendre la mise en forme et la mise en scène de l'information en analysant les procédés de l'écriture journalistique, pour mieux cibler le positionnement idéologique du journal. La question est alors de savoir si la démarche journalistique est au service d'une véritable démarche historique, à savoir chercher à expliquer l'événement, à dégager des significations. Une étude des témoignages et des moments importants du procès a été menée à travers une analyse comparative de la presse. L'objectif étant d'analyser les différences de traitement de l'information mais en même temps de s'interroger: la justice doit-elle l'emporter sur l'oubli ? Quel est le sens du procès? Doit-on oublier le nazisme? Quels ont été les agissements et les crimes des SS ? Pourquoi faire une distinction entre crimes de guerre et crimes contre 1 'humanité? Comment faut-il parler du génocide des juifs? La France est-elle prête à s'interroger su ce que fut la collaboration du gouvernement de Vichy avec l'Allemagne nazie. Quelle a été l'importance de la Résistance? (4) Ce travail a eu un prolongement, à l'automne 1990, à Bonn, en Allemagne; trente lycées allemands et français, quatre responsables de l'association allemande ASF - Action signe de réconciliation services pour la paix (lire encadré page 6) - se sont rencontrés pour réfléchir sur le thème: quelle connaissance avons-nous de la seconde guerre mondiale? Par ailleurs, le partenariat avec ASF se poursuit. Durant l'année scolaire 1992-1993, des élèves et des professeurs du lycée Foch réalisent un travail pluridisciplinaire sur le thème «Racisme, immigration, différences ». Au départ un constat : la crise économique, le réveil des nationalismes sont une des raisons de la résurgence du racisme, de l'antisémitisme. Les étrangers, plus particulièrement ceux originaires du Tiers-monde, sont victimes d'un climat de racisme et de xénophobie. De plus en plus, il y a des enfants issus de l'immigration dans les établissements scolaires. Ces thèmes occupent une place de plus en plus importante dans l'actualité. Face à ce constat, nous refusons l'indifférence. Nous voulons que les élèves puissent analyser, confronter leurs points de vue. La lutte contre le racisme ne peut être résolue par des discours de morale. Les démarches en Histoire sont différentes. En classes de première, on étudie l'immigration - Les étrangers en France de 1920 à 1945 ; leur importance; le regard de la société civile et politique; la place de l'immigration dans les débats et l'antisémitisme - 11 pourquoi l'antisémitisme; 2/1es trois âges de l'antisémitisme; 3/1' affaire Dreyfus-étude de caricatures; 4/1e mythe juif: étude des mécanismes de l'antisémitisme depuis la fin du XIXe siècle jusqu'à la seconde guerre mondiale

51 « Blum, un homme à fusiller dans le

dos» ; 6/1' antisémitisme hitlérien; 7 Nichy et les juifs: les premières mesures et la mise en place des organes de la répression, l' élimination des juifs dans les différentes professions, l'organisation économique, les arrestations, rafles et massacres, les camps en France, le gouvemement de Vichy a-t-il sauvé les juifs ?, ainsi que les milieux littéraires français sous l'occupation: collaboration, résistance. En classes de seconde une série de thèmes ont été choisis dans une étude à partir de la presse : le racisme au quotidien ; les banlieues françaises, la présence d'immigrés; les faits Étudier 'IHistoire, former des citoyens divers liés à un climat de racisme ou de xénophobie; la politique d'intégration; le programme du Front national concernant l'immigration; les jeunes immigrés: la politique d'éducation; les relations interculturelles ; l'Islam en France et dans le monde; le racisme en Europe: Allemagne, Italie. Chaque groupe d'élèves à partir des panneaux réalisés pose des questions qui seront reprises lors du débat. Un travail d'analyse a été mené à partir d'un reportage télévisé pour l'émission télévisée Envoyé spécial: « Allemagne, le doute et la peur» (magazine montrant le développement du néonazisme, du racisme, de la xénophobie sur un fond de chômage) : analyse de l'information; analyse de la mise en scène (séquences, plans, effets sonores, effets visuels, etc.) ; les causes de la situation allemande; analyse du comportement face à la montée du racisme, de la xénophobie. Par ailleurs, quatre volontaires d'ASF ont présenté la situation actuelle du racisme en Allemagne lors d'un atelier le matin. Pour montrer les différences avec la situation française d'une manière vivante, ils ont développé un jeu de rôles, mettant en scène la situation d'une ville d'Allemagne de l'Est qui doit prendre position sur la décision du gouvernement d'installer un foyer de demandeurs d'asile. Au cours d'un débat avec des experts sur le racisme et l'immigration en France et en Allemagne, ils ont analysé quelques points spécifiques

les refoulements différents de la responsabilité

par rapport au système nazi des deux Etats allemands de l'après-guerre et les conséquences actuelles de la réunification allemande, la persistance de l'antisémitisme. Au printemps 1999, crise du Kosovo. Les médias multiplient articles et reportages. Mais les causes historiques sont-elles bien identifiées? Peut-on faire crédit aux informations données ? Dans des classes de seconde, on met en place une approche de l'événement à partir de la presse écrite. Le travail se fait par groupes. On étudie les aspects historiques, les cartes, on analyse les « unes» de journaux nationaux et régionaux sur une période relativement longue (Le Monde, Libération, La Dépêche, Centre Presse, Midi Libre). Analyse d'articles extraits de L'Express, Marianne, La Vie. Le choix d'une période relativement longue permet de mieux cerner la culture, le positionnement idéologique du journal. La méthodologie utilisée est celle qui se trouve dans « Presse et enseignement de l'histoire» : composition de la «une» ; traitement d'une information à la « une» ; les effets de maquette ; étude des photos de presse; comment les journaux représentent-ils la presse? quelles sont les sources de l'information? que veuton privilégier: le sensationnel, l'émotif, la réflexion? quelles photos de presse apparaissent à la « une» ? des cohortes de réfugiés? des villages bombardés? Quels sont les termes utilisés? Frappes aériennes. Bombardements. Epuration ethnique, etc. A la suite de ce travail, deux élèves proposent d'aller plus loi et de rechercher des informations sur Internet : cartes géographiques et historiques, photos, dépêches d'agences de presse. S'appuyer sur l'actualité vécue pour former des citoyens, c'est-à-dire des individus conscients de leur cité est aussi un objectif du travail sur la presse. L'histoire est alors un instrument qui permet à l'élève de s'interroger, de mieux comprendre le monde d'aujourd'hui. Elle lui pennet de se construire. Jean-Philippe Marcy Professeur d'histoire au lycée Foch, Rodez Clemi (Centre de liaison de l'enseignement et des moyens d'information) de l'Académie de Toulouse (1) Marrou « L'Histoire et ses méthodes », La Pléiade, NRF (2) Préface de M.-J. Chombart de Lauwe dans « L'éloquent silence de Klaus Barbie », Berlin, 1989 (3) Jean-Philippe Marcy, « Pédagogie de la mémoire- Petit projet deviendra grand », Différences janvier 1997 (4) Le Clemi et le CRDP de Midi-Pyrénées ont édité un livre à partir de ce travail pédagogique: « Presse et enseignement de l'historie» Claude Carrié, Roger Cussol, Bruno Derousseau, JeanPhilippe Marcy Diffusion CRDP-CDDP Rencontres dl un autre type CONVAINCU que la lutte contre le racisme et les discriminations de toutes sortes passe par une démarche éducative visant à contrecarrer les préjugés et les stéréotypes qui les alimentent, le Mrap mène depuis longtemps des actions de sensibilisation privilégiant l'échange et la rencontre de l'Autre. Cette action, qu'elle soit menée en France ou qu'elle se déploie dans un cadre international, comprend nécessairement une dimension interculturelle : rencontre de milieux sociaux différents, de traditions nationales, historiques contrastées ; découverte de réalités humaines - individuelles ou collectives - qui interrogent de trop confortables certitudes. .. L'expérience du voyage, de la mobilité géographique, participe de cette démarche d'ouverture. Elle est particulièrement importante pour les jeunes, singulièrement pour ceux qui n'y ont pas facilement accès, du fait d'une situation sociale ou familiale défavorisée. Depuis longtemps rompu à des échanges binationaux, le Mrap s'est engagé voici deux ans dans l'organisation de rencontres à thèmes intégrant - par delà un partenariat franco- allemand déjà ancien - des participants (venant d'horizons) extra-européens. La conscience de l'intérêt que revêt l'aire méditerranéenne pour les problématiques qui sont les nôtres nous a amené à choisir, pour un programme expérimental, un partenaire hiérosolymitain engagé, à travers une action sociale et culturelle, dans le dialogue israélopalestinien. Intitulé «Mémoire(s) et identité(s) », ce cycle triennal réunit à chacune de ses étapes durant une semaine plus d'une trentaine de ~ Différences nO 225 Janvier 2001 DOSSIER Aktion Sühnezeichen Friedensdienste (ASF) (Action Signe de réconciliation - Services pour la Paix) Berlin Association allemande de volontariat fondée en 1958 par d'anciens résistants à la dictature national-socialiste. Les volontaires d'ASF sont aujourd'hui présents dans plus d'une douzaine de pays ayant subi les exactions nazies. Ces jeunes (femmes et hommes) y effectuent un service volontaire d'un an et demi dans des mémoriaux, des centres de formation, auprès de personnes du troisième âge, de personnes handicapées, de réfugiés, de sans-abri, de toxicomanes, dans des structures pour femmes en difficulté ... Ils sont également investis dans des actions éducatives en direction de la jeunesse. -+ jeunes de 18 à 26 ans (un tiers d'Allemands, un tiers de Français, un tiers venant de Palestine et d'Israël) autour d'un questionnement sur la multiplicité des appartenances constituant l'identité de chacun: attachement à un groupe social ou national, à une sphère culturelle, à une pratique religieuse; adhésion à des lieux, des événements ou des mythes perçus comme fondateurs ... Il s'agit de faire dialoguer les différentes conceptions enjeu, afin de mieux saisir le rôle que jouent la mémoire et les symboles dans chacune des nations. L'équipe d'encadrement est, elle aussi, plurinationale. Une première étape a eu lieu à Aix-en-Provence en 1999; en 2000, Berlin a accueilli les travaux d'une seconde session; au cours de l'été prochain, Jérusalem verra la conclusion du cycle. Auront ainsi été visités de nombreux aspects : la mémoire de la seconde guerre mondiale, celle de la guerre froide, le poids des logiques coloniales . .. Par ailleurs, ont surgi de fréquentes occasions d'aborder la place que la migration - volontaire ou contrainte - tient dans 1 'histoire individuelle ou familiale des participants: quoi de commun a priori entre un jeune Français issu de l'immigration, un Allemand dont la famille a été expulsée d'Europe centrale après 1945, un Israélien accomplissant son alyah ou un Palestinien auquel on dénie tout droit sur sa terre même? C'est pourtant la juxtaposition de ces réalités qui a contribué à la variété et la richesse des approches. Si d'un groupe à l'autre, les expériences personnelles s'inscrivent inévitablement dans des contextes politiques et sociaux différents, leur mise en dialogue s'est avéré extrêmement significative et formatrice. L'organisation et l'animation de ce type de rencontres s'avèrent exigeantes et requièrent une certaine inventivité. Les difficultés surgissent rarement où on les attend: l'obstacle linguistique est souvent rapidement contourné

les vrais clivages n'apparaissent pas tant

entre les groupes nationaux qu'à l'intérieur même de ceux-ci. Le principe retenu d'une très large autogestion s'avère essentiel en ce qu'il permet au groupe de se construire, d'acquérir une certaine autonomie, de se recomposer au gré d'affinités inédites. L'implicaÉtudier "Histoire, Beit Ham (La maison chaleureuse) Jérusalem Créée en 1980, l'association Beit Ham a mis en place dans les quartiers défavorisés un réseau de clubs et de centres de prévention spécialisée pour des enfants (8/13 ans) et des jeunes (14/21 ans), ainsi que des projets d'accompagnement autour du théâtre, de la musique et du sport. Ces clubs, cogérés par les jeunes, sont encadrés par des équipes d'éducateurs spécialisés. Parallèlement, Beit Ham organise et promeut des rencontres et programmes d'échanges sur l'éducation à la paix et la lutte contre l'exclusion et le racisme. tion personnelle des jeunes confère à ces rencontres une densité émotive très forte, fait émerger des mémoires intimes et parfois douloureuses

cela nécessite vigilance, capacité

d'écoute ... et une bonne dose d'humilité. Ni séjour touristique, ni université d'été, ces rencontres d'un autre type ont pour ambition de permettre l'enrichissement par le contact, de donner à chacun les moyens d'appréhender la distance, le décalage, la perspective apportés par l'autre, l'interlocuteur, l'ami. On se prend désormais à rêver de programmes d'échanges similaires menés avec des jeunes d'Afrique du Sud, d'Algérie (et, plus largement, d'anciennes colonies françaises), de pays d'Europe centrale ou orientale ... À suivre .• Alain Pellé Gaele Chojnowicz : «II n'y a pas d'enfants, de petits-enfants de bourreaux; il n'y a que des victimes de la haine et de la colère» Il y a des voyages qu'il est difficile de raconter tant les chemins que l'on emprunte sont douloureux. Il n'existe pas de routes directes entre l'Allemagne et Israël. Je passe par Paris pour me rendre à Berlin. Le passé est encore trop proche. Je marche dans les rues de Berlin. C'est assez surprenant, voire déconcertant. Le plus dur,je pense, est qu'il n' y a pas de réponses à nos questions. Je regarde les rues, les murs et les maisons : Berlin, l'Allemagne

mais il n'y a pas de réponses à mes

questions. Il faudrait pouvoir comprendre. Je suis juive d'origine ashkénaze. Ma famille vient principalement de Pologne, et de Salonique. Je suis la première de ma famille à me rendre en Allemagne. Portée par 1 'histoire de mes ancêtres, je découvre ce pays. Son histoire surtout, qui m'est étrangement inconnue, et ses rues aussi. L'histoire de l'aprèsguerre; étrange, je pensais assez naïvement que tout s'était arrêté à la fin de la guerre en 6 Différences n° 225 Janvier 2001 Allemagne. Chez moi, tout commençait après la guerre. Il y a des traces invisibles du passé, mais pas d'histoire; personne pour témoigner. Il faut comprendre. L'histoire nous a légué un passé lourd de douleurs et cette grande question qui tourmente l'humanité tout entière

pourquoi?

Ce n'est pas facile de s'intéresser à la souffrance de l'Autre, et encore moins de la reconnaître. Le peuple allemand a souffért. Il n'y a pas d'enfants, de petits-enfants de bourreaux

il n'y a que des victimes de la haine et

de la colère. Il ne s'agit pas de réconcilier des peuples« ennemis », encore moins de pardonner. Nous n'avons pas pris part à ce qui s'est passé; aucun de nous. Nous ne sommes que des descendants avec des histoires familiales un peu difficiles à gérer et le désir de s'en libérer. Je n'ai pas de haine contre le peuple allemand d'aujourd'hui, malgré une colère certaine pour celui d'hier. Mes ancêtres me murmurent à l'oreille des questions, mais moi je ne peux pas parler, parce que dans ce pays les morts sont trop bruyants. Aussi, la souffrance nous rend humbles, tant elle nous oblige à nous confronter à nos propres violences les plus archaïques. Il y a l'image insoutenable de l' inachevé, des disparus. Il s'agit d'accepter sans comprendre. Peut-être que le fait de ne rien y comprendre nous rapproche tous un peu les uns des autres ? Pourtant, il y a quelque chose de brutal à se retrouver soudain dans l'histoire et non plus face à l' histoire. Car même si le peuple allemand ne porte pas en lui-même les erreurs du passé, les lieux sont inaltérablement marqués par la mémoire de ce passé. Pour moi, la maison que nous avons habitée a été un refuge, le groupe une forteresse. Il semble pourtant parfois si difficile de vivre la souffrance de l'Autre. Il y a les moments de fuite, les temps de paroles et la volonté de s'amu- 1 Jean-Baptiste Bourgon: « Ecouter et comprendre l'autre, se remettre en question» Ma participation à cette rencontre était motivée par deux raisons. En tant qu'étudiant en histoire, j'étais intéressé par la découverte des lieux de mémoire de Berlin et la rencontre de personnes ayant vécu l'histoire récente de l'Allemagne. En tant que citoyen français et européen ,désireux de mieux comprendre le monde qui m'entoure, je souhaitais appréhender des réalités sociales et individuelles différentes des miennes; et dépasser les a priori véhiculés par des médias et un apprentissage de 1 'histoire parfois peu soucieux d'esprit critique. Ces attentes ont été comblées, et même audelà. Le groupe s'est révélé d'une grande homogénéité, les différences nationales étant plus que compensées par l'usage quasi-général du français (avec l'anglais comme lanser tous ensemble parce qu'il n'y a pas de meilleure amitié que celle basée sur l'altérité et sur l'abus de bières. Il y a eu aussi ces moments uniques où chacun se dévoile aux autres, parfois avec violence, humour, dans la souffrance, sur des feuilles de papier ou dans l'intimité. Nous nous rencontrons, partageons un petit bout de chemin ensemble et bientôt nos routes se séparent à"nouveau. J'ai beaucoup appris en si peu de temps. Je voudrais juste que tout le monde se souvienne, pour honorer la mémoire de ceux qui se sont battus et qui ont disparu. La mémoire de l 'Holocauste est inscrite dans mon peuple et encore plus profondément à l'intérieur de moi. Il n'y a pas de réponses à mes questions en Allemagne, alors c'est à l'humanité toute entière que je pose cette question : Pourquoi ? L'an prochain à Jérusalem . ..• Gaele Chojnowicz, Jérusalem 14 août 2000 gue d'appoint), par la communauté d'âge de la majorité des participants (entre 20 et 30 ans) et par un désir commun d'apprendre des autres. Nous avons pu bénéficier d'une organisation excellente, le programme combinant harmonieusement visites, rencontres et mises en commun. Le regroupement en un lieu de vie commun a permis l'établissement de liens entre les participants, débouchant sur des discussions informelles au moins aussi passionnantes que les séances de travail. Une première révélation fut pour moi la rencontre avec des citoyens israéliens, facilitée par la présence d'israéliens d'origine française. La vision française de l'état d'Israël est exclusivement fournie par l'actualité du conflit israélo-palestinien. A travers ce prisme réducteur s'est forgée une vision négative des israéliens: colons fanatiques, militaires suréquipés affrontant des gamins armés de pierres, politiciens cyniques .. . Mais que sait-on en réalité de la vie quotidienne en Israël ? Rencontrer un Israélien c'est tout d'abord appréhender une société aux visages multiples, dont la diversité et la jeunesse constituent la plus grande force; mais qui renferme de profondes fractures culturelles, politiques et économiques. Ces fractures font qu'aujourd'hui une population qui désire la paix dans sa grande majorité, ne parvient pas à concrétiser cette volonté politiquement. On comprend également le traumatisme généré chez de jeunes gens de 20 ans par la perspective permanente de la mobilisation militaire. On devine enfin à quel point reste présente la mémoire de la Shoah chez tous ceux qui ont perdu des membres de leur famille. Venir à Berlin représente pour un Israélien un retour permanent sur une histoire familiale souvent tragique. Il a également été très intéressant de faire, 10 ans après la chute du mur de Berlin, un bilan non pas économique mais humain, de la réuformer des citoyens Réalisé l'an dernier par Rue du Monde pour les organisations partenaires de la Semaine d'éducation contre le racisme, ce poster éducatif (couleurs, 120 X 80 cm, 5 F l'exemplaire), ayant rencontré un franc succès, est réédité cette année. nification allemande. On a ainsi pu prendre conscience de l'existence d'une fracture chez les Allemands qui ont vécu en RDA, et qui se refusent à voir cette partie de leur existence caricaturée par l'Ouest, voire totalement rejetée et effacée. Réfléchir aux problèmes d'identité, de mémoire ou de religion est sans doute moins évident pour un jeune Français que pour ses homologues allemands ou israéliens. La société française n'a pas connu de fracture majeure durant les 20 dernières années, et les débats actuels ne revêtent aucun caractère vital. Cette situation constitue à la fois un avantage et un danger. Notre chance, que j'ai pu mesurer à Berlin, est de pouvoir être des interlocuteurs ouverts et sans a priori, d'avoir la volonté d'apprendre de tous. Le risque est de s'abstenir de remettre en question notre propre système de valeurs. Deux exemples me sont venus à l'esprit lors des discutions à Berlin. L'Allemagne a effectué un remarquable travail d'introspection et de pédagogie sur les crimes nazis. Même si celui -ci reste imparfait, il n'en reste pas moins qu'aucun Allemand n'ignore la responsabilité de son pays, et se sent souvent personnellement impliqué dans le rejet de toute forme d'extrémisme. La France a en revanche refusé d'assumer sa part de responsabilité dans ces crimes, et nous Français, ne ressentons aucune forme de culpabilité. Cette attitude ambiguë risque d'ouvrir la voie à de nouvelles formes d'extrémisme. De même, aucun Français n'ignore le caractère laïc de la République française, et la majorité considère cette situation comme un avantage. Nous sommes souvent les plus virulents pour critiquer l'immixtion de la religion dans la sphère publique. Toutefois, nombreux sont ceux qui ne retiennent de la laïcité que son caractère restrictif, qui souhaitent réserver la religion au domaine privé. Cette attitude hypocrite est à l'heure actuelle un danger, en ce qu' il entraîne une ignorance croissante du fait religieux. La laïcité doit aujourd'hui être comprise comme l'acceptation mutuelle des différences et la reconnaissance de l' enrichissement qu'elles représentent. Ecouter et comprendre l'autre, se remettre en question, autant de points sur lesquels on ne se lassera jamais d'insister .• Jean-Baptiste Bourgon, France Différences nO 225 Janvier 2001 7 DOSSIER Un enjeu de la lutte culturelle contre le racisme : enseigner notre passé colonial LES COLONIES? Connais pas! »Telle « ~erait la rép?nse de la pl~pa~ ,des élèves a une questIOn sur ce qUI a ete pourtant, cinq siècles durant, un élément essentiel de notre histoire, et qui continue à être présent, comme le mort saisit le vif. On a vite fait le tour des programmes scolaires et des questions du baccalauréat: sauf exceptions (comme le sujet de juin 2000 sur le putsch d'avril 1961 ), on ne trouve que quelques bribes, quelques dates sans lien les unes avec les autres ni avec l ' histoire globale. On ne peut ignorer non plus une bonne dose d'autocensure dans les manuels. S'ils signalent la torture durant la guerre d'Algérie, parfois comme un mal techniquement nécessaire, aucun des sept principaux consultés ne fait référence au 17 octobre 1961. Il existe même un manuel de la classe de seconde signalant que nous avons aboli l' esclavage (en 1794 et 1848) sans que celui-ci ait été mentionné auparavant! Al' aube du XXIe siècle, ce passé est-il si lointain, si éloigné de notre modernité qu'il ne nous parle plus? Voire! 6 à 7 millions d'habitants - pieds noirs, soldats du contingent, harkis, immigrés et leurs descendants - ont l'Algérie au coeur. Quant à la société française, son silence n'était pas dû à l'oubli, comme le prouve la remontée actuelle des mémoires, mais surtout à la difficulté d'assumer un passé qui passe mal. Sur ce point, la responsabilité des politiques - et de la génération aujourd'hui au pouvoir, qui a été majoritairement impliquée dans la guerre d'Algérie, à gauche comme à droite, en y participant ou en s 'y opposant - est considérable. Ce qui a été dit et fait à propos de Vichy et des mutineries de 1917 doit l'être à propos de l'Algérie. Aux juristes aussi de dire si les crimes contre l 'humanité sont blanchis par les lois d'amnistie. Pour ce qui concerne les historiens, leur tâche est autre. S'il ne faut pas céder à l'illusion pédagogique, selon laquelle étudier un problème serait le résoudre, ou suffirait à faire disparaître les causes du mal, ils ont une responsabilité particulière. Etablir la véracité des faits, les expliquer peut contribuer à aller vers un consensus dans la société française. Les archives contiennent des kilomètres de dossiers permettant ce travail. Encore faudrait- il que les documents soient consultables. Certains fonds commencent à s'ouvrir, mais d'autres, tels ceux de la Préfecture de police de Paris restent soumis à l'arbitraire. Il est urgent de mettre en oeuvre une réforme de la loi de 1979 sur les archives, réforme en préparation depuis des années et toujours bloquée. Une fois cet obstacle levé, demeurera le problème, fondamental, d'aller des recherches érudites, confinées dans un milieu restreint, vers les lycées et collèges. Il ne s'agit pas seulement du problème - réel - de la difficulté d'enseigner un passé sensible à des élèves, dont beaucoup sont les descendants des divers adversaires des décolonisations. A cet égard, on ne peut pas ne pas s'interroger sur les effets pervers du devoir de mémoire, qui réduit l' indispensable étude des problèmes historiques à une condamnation morale. La colonisation ne se résume pas aux crimes contre l'humanité qu'elle a provoqués, et il faut lui restituer toute sa signification : elle a été, pour le pire souvent, une étape d'un processus auquel aucune société n'échappe et qu'on appelle aujourd 'hui mondialisation. Elle a projeté les sociétés du monde entier dans une nouvelle période, dans un mouvement perpétuel. Il faut donc l'analyser aussi à partir des questions du présent. Cette interdépendance grandissante, ce câblage de la planète, son unification - dans la dépendance, dans l'inégalité, dans l'injustice-, est bien l'un des plus importants phénomènes de notre histoire, de notre passé et de notre devenir. Flux des produits naturels et flux des hommes s'intensifient et s'accélèrent, de même que les flux d'informations. Quand les cours du pétrole flambent, New York et Paris voient leur économie ébranlée. Migrations, déséquilibres écologiques: tout montre une interdépendance de plus en plus étroite. Ce processus s'accompagne d'échanges, de métissages, mais aussi d'ethnocides - de destructions de cultures et de langues - , de chocs de civilisations. L'une des raisons de ces tensions tient à une immense carence intellectuelle

nous ne nous pensons pas comme

des citoyens du monde. Il est urgent de mettre à j our notre enseignement, de façon à ce qu'il prépare les nouvelles générations à assumer pleinement cette situation .• Claude Liauzu F omm « guerre d'Algérie, mémoire et histoire» 21 mars 2001 La remontée actuelle de la guerre d'Algérie, ce passé qui passe mal, est une réalité aussi surprenante qu'importante. Il ne s'agit pas, en effet, d'un énième épisode de la guerre des mémoires sur fond d'un malaise de la société française, en particulier des acteurs du contingent et de silence de la classe politique. Quarante ans après, malgré ses réticences, cette dernière a reconnu la réalité de la guerre d' Algérie par un vote quasi unanime de la Chambre des députés. De même le massacre d'octobre 1961 et la torture ne peuvent plus être traités par l'occultation. Mais la nouveauté essentielle tient au besoin de clarifier ce passé dans la société française. Cette situation pose une série de questions : Comment expliquer les variations des phénomènes de mémoire? Quels problèmes scientifiques, épistémologiques et déontologiques pose la recherche de la vérité sur ce passé? Quelles relations établir entre historiens algériens et historiens français pour contribuer à l'établissement d'un consensus (sans, bien sûr, rechercher le plus petit commun dénominateur) ? Comment l'enseignement peut-il contribuer à une prise en charge de ce passé? L'initiative est soutenue par l'Institut Charles-André Julien et par l 'Ins- 8 Différences n° 225 Janvier 2001 titut Europe-Maghreb de l'Université Paris 8, ainsi que par le Mrap et l'Association pour la vérité sur le 17 octobre 1961. Premiers participants: R. Bonnaud, R. Branche, S. Combe, l-L. Einaudi, R. Gallissot, M. Harbi, D. Hemery, A. Kadry, C. Liauzu, A. Mandouze, C. Mauss-Copeau, A. Nouschi, A. Rey-Goldzeiger. Programme: 1- Rencontre de spécialistes français et algériens de la guerre d' Algérie sur les enjeux de l 'histoire et les mémoires de la guerre: archives et secrets d'Etat, recherche de la vérité et recherche historique, engagement et objectivité, débats et combats d'historiens, les historiens et les guerres de mémoires, historiens et politiques. 2- Une exposition et un débat avec les associations antiracistes sur les violations des droits de l'homme, la torture, le massacre d'octobre 61, et la lutte contre ces crimes. 3- Un atelier de travail : comment enseigner la guerre d'Algérie? 4- Projection de films Annie Rey-Goldzeiger et Claude Liauzu Institut Charles-André Julien / Université Paris 7- Denis Diderot Étudier 'IHistoire, former des ,..'l'nV'AIC rée non seulement comme une UHÉRITAGE COLONIAL UN TROU DE MÉMOIRE « nationalité différente, mais comme une race différente. Si la Constitution de 1946, reprise par celle de 1958, a éprouvé le besoin d'affirmer l'égalité de tous les ci- N' IU8 NOVEMBRE DHEMBRE 1000 70 F (1070 €I LE DOSSIER du dernier numéro de la revue bimestrielle Hommes et Migrations est judicieusement consacré à « L'héritage colonial-Un trou de mémoire ». Les neuf articles (lire encadré ci-dessous) qui forment le dossier s'intéressent à différentes facettes de cette histoire. Ils apportent une somme précieuse d'informations et d'analyses autant pour les simples curieux que pour ceux dont le métier ou l'engagement passe par la connaissance de l 'histoire et sa transmiSSIOn. Si tous les textes militent pour une meilleure connaissance de ce passé qui a du mal à passer, c'est Philippe Dewitte, rédacteur en chef de la revue, qui lance la première salve dans son éditorial: prenant acte du retard de l'historiographie française pour « faire du passé des migrations "coloniales" un sujet parmi d'autres », l'éditorialiste analyse ainsi la pseudo illégitimité de cet objet d'étude : « Originaires du Sud (et à ce titre venant de civilisations perçues "sans histoire" par les anciens colonisateurs) ; sujets de l'Empire (on disait "indigènes", c'est-à-dire sans les droits du citoyen) ; ouvriers non qualifiés (quand ce n'est pas chômeurs) : ces "gens de peu" présentent ,un profil socio-historique trois fois méprisé, au sens premier du terme. » Pourtant, écrire cette histoire, établir ce qui a été fait de bien ou de mal, est indispensable pour le pays tout entier comme pour les immigrés et leurs enfants. Claude Liauzu analyse cette déficience dans l'étude des migrations africaines et nord-africaines, « longtemps négligée de part et d'autre de la Méditerranée », comme étant profondément liée à la « gestion coloniale française» et à sa vision racisante. L'historien .rappelle ici que la population dominée était considétoyens quelle que soit leur race, c'est que l'évidence ne s'imposait pas. »Après avoir défini quelques termes du « contentieux identitaire », Liauzu invite à s'interroger sur « les conflits de mémoire », en pointant tout particulièrement la guerre d'Algérie et ce raccourci saisissant que fut le 17 octobre 1961. « Jusqu'au procès perdu par Maurice Papon contre Jean-Luc Einaudi en mars 1999, c'est le mensonge ou le silence qui ont dominé du côté de l'Etat. En reconnaissant la réalité d'un massacre, et en promettant l'ouverture des archives, le Premier ministre a mis fin à un déni de vérité et ouvert la possibilité d'une véritable recherche historique.[ ... ] En dépit, ou à cause de l'importance de l'enjeu, de fortes oppositions demeurent du côté de la préfecture de police de Paris, qui, dépositaire de "ses" archives, prétend conserver un pouvoir discrétionnaire sur elles, et en réserve l'utilisation aux seuls historiens qui ont son agrément. Une initiative du gouvernement mettant fin à de telles pratiques est indispensable. » Bien sûr, dans ce domaine comme ailleurs, rien n'est manichéen et la France n'ajamais Au sommaire • La mémoire serait-elle l'histoire du pauvre? éditorial de Philippe Dewitte • Immigration, colonisation, racisme: pour une histoire liée, Claude Liauzu • Les prisonniers de guerre coloniaux durant l'Occupation en France, Armelle Mabon • La gestion coloniale de l'islam à Bordeaux. Enquête sur une mosquée oubliée, Florence Bergeaud • Le zoo humain, une longue tradition française, Pascal Blanchard • Migrations et travaux forcés en Afrique subsaharienne à l'époque coloniale, Jacques Barou • Africains de Belgique, de l'indigène à l'immigré, Bonaventure Kagné • Les méandres de la mémoire dans la littérature africaine, Boniface MongoMboussa • Le colonialisme, « un anneau dans le nez de la République», Nicholas Bancel et Pascal Blanchard • Hors-dossier, Moghniss Abdallah signe un article sur « le 17 octobre 1961 et les médias» été un bloc monolithique. Pour s'en convaincre on lira avec beaucoup d'intérêt l'étude d'Armelle Mabon, assistante sociale et historienne, sur « Les prisonniers de guerre coloniaux durant l'Occupation de la France ». On y apprend comment la politique de collaboration du gouvernement de Vichy a permis de mettre en place vingt-deux Frontstalags (des camps de prisonniers de guerre situés à l'extérieur du Reich) où étaient retenus prisonniers plus de 69 000 soldats « indigènes» qui avaient combattu dans les rangs de l'armée française avant la capitulation: 49 973 Nord-Africains, 15 777 « Sénégalais» (en réalité des Africains de toutes origines), 3 888 Malgaches, 2 317 Indochinois, 380 Martiniquais, 2 718 classés « sans race » (source : Service historique de l'armée de terre 2P78, secrétariat d'Etat à la Guerre, direction des Prisonniers de guerre, 3 juillet 1942). Ces soldats sont employés dans des détachements de travail pour le charbonnage, les travaux agricoles, forestiers et de terrassement. Certains de ces prisonniers « indigènes» travaillent également dans des usines d'armement, en violation de la Convention de Genève. Le « pire» arrive enjanvier 1943, lorsque l'Allemagne ayant besoin de combattants pour aller au front, exprime son intention de remplacer les sentinelles allemandes des Frontstalags par ... des Français. Les officiers français démobilisés sont rappelés sur la base du volontariat et deviennent les geôliers de leurs propres soldats: « L'acceptation d'une telle demande par le chef du gouvernement Laval et par le secrétaire d'Etat aux colonies représente certainement un fait unique dans l 'histoire militaire contemporaine, et jette un trouble manifeste chez certains officiers ». Mais si la trahison de l'Etat français apparaît ici dans toute son horreur et son indignité, cet article montre avec précision comment des citoyens français, choqués par le sort réservé à ces coloniaux, ont agi avec détermination et courage: des manifestations de solidarité s'expriment à proximité de ces camps (réconfort et nourriture), des filières d'évasion sont organisées malgré les risques encourus (certains sont arrêtés et déportés), des résistances collectives de la population s'affichent au grand jour au dam des autorités, des cadres s'évadent avec leurs prisonniers ... Une page tragique mais toujours contrastée ,s'est écrite à ce moment-là dont la connaissance ne peut que renforcer la lutte contre le racisme et faire reculer les conceptions chauvines du monde et de la nation. A noter également l'article consacré au « zoo humain» par Pascal Blanchard, historien et président de l'Association connaissance de l'histoire de l'Afrique contemporaine (Achac). Celle-ci a dispose d'un fonds iconographique dont cet excellent numéro est largement illustré. • . Chérira Benabdessadok Différences nO 225 Janvier 2001 DOSSIER Autopsie d1un mensonge : le négationnisme Sociologue et chercheur associé au Laboratoire CNRS de Toulouse sur les diasporas, Jacques Tarnero a co-réalisé avec Bernard Cohn un film documentaire sur le négationnisme : « Autopsie d'un mensonge» <lh40mn) diffusé en salles un peu partout en France à partit du 17 janvier. Ayant choisi une mise en scène sobre, les auteurs montrent la naissance et les avatars de cette nouvelle forme d'antisémitisme. Entretien avec Jacques Tarnero. Pour queUes raisons et avec quels objectifs avez-vous réalisé ce film documentaire sur le négationnisme ? J'ai voulu montrer à travers la dimension dramatique des images, les différentes facettes d'un phénomène extraordinairement complexe, les diverses origines politiques et intellectuelles des discours négationnistes : c'est bien évidemment l'extrême droite mais aussi l'extrême gauche libertaire et donc pas uniquement stalinienne, des voix arabes (qui dans le film sont contredites par d'autres voix arabes), et toute la dimension des Eglises. Au bout du compte, le film pose une interrogation

pourquoi cette mise en accusation obsessionnelle

du « signe juif» ? Mon projet était de décortiquer la complexité du phénomène et bien entendu de le dénoncer, avec le souci le plus pédagogique possible, en évoquant la complexité des problèmes, en se méfiant des bonnes intentions ou des discours d'apparence qui cachent parfois un certain nombre de monstres, en l'occurrence le discours libertaire a abrité fréquemment le projet négationniste. De même que dans le camp arabe, au nom de la lutte contre Israël, certains ont pris pour argument ce type de discours qui est un discours antisémite. C'est pour cela que j'ai été particulièrement heureux quand au procès Garaudy Mouloud Aounit est venu témoigner contre celui-ci. Pour organiser une projection Les comités locaux du Mrap qui souhaitent organiser des projections-débats peuvent s'adresser au distributeur pour la location de « Autopsie d'un mensonge: le négationnisme » : Les Acacias T :01 56 69 29 30 F : 01 42 56 08 65. Jacques Tarnero comme d'autres personnes parmi les intervenants dans le film peuvent aussi être invités, joindre Chérifa 8enabdessadok à Différences. l 0 Différences n° 225 Janvier 2001 Combattre le négationnisme c'est aussi en parler, en faire de la publicité. Pensez-vous échapper à ce risque? Je ne me pose pas la question. Dès que l'on combat on donne à voir, on nomme l'adversaire. Surtout que le bruit a été considérable de l'autre côté. Combattre c'est prendre le risque de la dénaturation médiatique d'un combat. Le propos est sans aucune espèce d'ambiguïté de ma part, il n'y a pas de complaisance à dialoguer, discuter avec ces genslà, c'est essentiellement une dénonciation, je n'ai donc pas de crainte. A propos de la «souche libertaire du négationnisme », n'y a-t-il pas une exagération autour de ce détournement des thèses tiers-mondistes au profit de l'antisémitisme. Cela ne concerne finalement que quelques individus, un courant tout à fait marginal. Que la cellule autour de la Vieille Taupe soit minoritaire, sans aucun doute. Mais l'impact culturel et idéologique du négationnisme dans toute une frange de la gauche et de l'extrême gauche n'est pas du tout marginal. Parce que la cible du négationnisme n'est pas d'affirmer que les chambres à gaz n'ont pas existé, la cible c'est Israël. Dire « les chambres à gaz n'ont pas existé» induit« cette imposture a profité à Israël ». Ce type de discours est arrivé en argumentaire monstrueux du discours anti-israélien et antisioniste. Cela servait à délégitimer, par un moyen aberrant, l'Etat d'Israël, son origine et pas seulement sa politique. On peut bien sûr critiquer cette politique, et je suis content que ce soit deux Palestiniens, Elias Sanbar ou Edward Saïd, qui aient dénoncé dans le camp arabe, les séductions pour un Garaudy, car l'imposture négationniste est l'un des pires alliés du monde arabe, de la cause palestinienne, ou de l'émancipation des peuples. La légitimité de la cause palestinienne ne saurait trouver un allié dans l'imposture négationniste. Heureusement que la dénonciation du négationnisme d'extrême gauche n'est pas venue uniquement de juifs. Comment expliquer la résistance des Palestiniens à la séduction que pouvait présenter le négationnisme pour leur cause nationale? Ceux qui résistent sont des esprits éclairés et c'est avec eux que le dialogue judéo-arabe et israélo-palestinien peut se construire. Parce qu'il est justement hors fantasme, hors fanatisme, hors haine religieuse. Je leur en suis reconnaissant, alors que l'on voit se développer autour de la séquence actuelle du conflit israélo-palestinien, certains discours délirants dans le monde arabe. Les discours d'Elias Sanbar ou d'Edward Saïd permettent de dire aux Israéliens et aux juifs vous voyez que le monde arabe n'est pas monolithe, et c'est avec ceux-là que pourra se construire le futur. Les négationnistes croient-ils vraiment aux aberrations qu'ils écrivent ou publient? Je ne me pose pas cette question. Je m'en moque, je les combats. Vous voyez dans le film, un Polonais qui montre les Protocoles des sages de Sion en affirmant: « C'était un faux mais il s'est avéré que tout ce que disait ce faux était vrai». Tout cela est animé par la passion antijuive, et on la trouve dans des discours fasciste, gauchiste, arabe, ou religieux chrétien. Ce qui m'importe c'est de les combattre. Cette histoire révèle au fond l' érosion de l'idée de l'interdit ou encore plus profondément le refus de l'idée de la loi. Une cible symbolique est attaquée par le négationnisme, pas le judaïsme en tant que religion, mais ce qui est fondateur des trois religions monothéistes: l'interdit produit par l'idée de la loi. Quand Le Pen tient des discours xénophobes, quand il fait ses calembours grossiers, il transgresse un interdit, des conventions, il va au-delà de la morale communément admise dans les rapports humains. On paie indirectement les slogans idiots de 68: « il est interdit d'interdire» et« jouir sans entrave». Quand des skinheads jettent un Marocain dans la Seine, ils ont transgressé encore plus, ils sont passés à l'acte barbare. Ils ont joui par le crime. Ce à quoi le négationnisme veut attenter, c'est l'idée de la loi et donc de l'interdit. C'est la loi qui est fondatrice de l'idée de civilisation humaniste à l'opposé d'un ordre barbare qui est celui de la force. Nier le meurtre de masse est un appel à l'homicide. C'est pour cela que la loi Gayssot existe. Dire « les chambres à gaz n,'ont pas existé» n'est pas une opinion, cela veut dire « les auteurs de ce mensonge - les juifs - sont des gens qui méritent la haine ». Le discours négationniste est une incitation à la haine et à l'acte de violence. Le discours négationniste est un projet haineux en paroles et en actes. Étudier "Histoire, Au moment du vote de la loi Gayssot, le débat a été contradictoire. Certains comme Pierre VidalNaquet ou Madeleine Rebérioux s'y sont opposés en tant qu'historiens en disant que ce n'est pas à la justice de définir une histoire officielle ... Ce n'est pas à la loi de définir quelle est la vérité historique, c'est le travail des historiens. Mais dire « les chambres à gaz n'ont pas existé » est un mensonge qui incite à la violence raciste, à l'agression contre l'auteur supposé de cette imposture, le juif. C'est se tromper que d'estimer que le discours négationniste relève du débat en matière historique. L'histoire est par nature révisionniste, on la corrige, on la complète. François Furet a révisé l'histoire de la Révolution française, Vidal-Naquet révise l 'histoire de la guerre d'Algérie par l' apport incessant de ses travaux. Un historien qui dirait : « il n'y a pas eu de torture en Algérie, c'est une invention des Algériens» serait négationniste, et à quoi confinerait ce discours sinon à dire: « les Algériens sont des escrocs, des imposteurs, on a bien raison de les détester» ? C'est cela la stratégie des négationnistes à l'égard des chambres à gaz, ce n'est pas un discours d'historien, c'est une attitude de voyou visant à dire « on a bien raison de haïr les juifs puisqu'ils sont les rois de l'imposture ». La loi n'a pas pour objet d'écrire l'histoire, elle a pour objet de sanctionner la dérive antisémite. Il est vrai que c'était une loi de circonstance, à cause de la menace d'extrême droite, mais elle mériterait d'être élargie à d'autres questions. Par exemple? Si quelqu'un venait à dire « il n'y a pas eu de torture en Algérie, que c'est une invention des Arabes »,il y aurait là un discours raciste anti-arabe, ou xénophobe anti-algérien. Ouvrons ce champ: la paix civile passe par l'établissement de la vérité. Toutes les vérités sont bonnes à dire mais toutes les faits ne doivent peut être pas faire l'objet de procès. S'il y a eu des meurtres d'Algériens en tant qu'Algériens, cela relève du crime contre l'humanité. La loi ça s'affine, ça se travaille. Le débat sur les mauvaises consciences françaises mérite d'être traité, sans dévoiement idéologique. Parler du négationnisme mè~e-t-i1 néces- , > o'

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l J ) sairement à traiter de l'antisémitisme de manière plus générale? Le discours qui consiste à dire « les chambres à gaz n'ont pas existé, que c'est un bluff, dont les auteurs sont les juifs », est la forme renouvelée du discours anti-juif. Qu'il s'affuble du suffixe « isme », qui donne comme dans tous les cas une valeur conceptuelle, ne change rien. On est dans la haine des juifs la plus classique même si elle se travestit qualitativement parce que ce discours négationniste a pour fonction de moderniser l'antisémitisme. On ne dit plus «mort aux juifs », pour reprendre le propos de \ j / former des citoyens « Ainsi les héritiers des assassins ne visent plus des vivants mais des morts. Le mensonge complète le meurtre, l'accompagne, l'efface et disculpe les bourreaux. » Finkielkraut dans le film, on dit « les juifs ne sont pas morts », c'est encore pire. Qu'attendez-vous de ce film ? Qu'on le voit, que l'on comprenne que justement c'est une affaire compliquée. Je consacre une longue part aux entretiens autour d\1 Proche-Orient, à travers le procès Garaudy qui a été exemplaire des dérives idéologiques de la haine anti-juive, comme il y en a eu tout récemment à propos du conflit du Proche-Orient. En France, les passions judéo-arabo-françaises sont vives à cause des deux cicatrices que la France entretient: Vichy et la guerre d'Algérie. Ces cicatrices sont toujours vivantes. Et à partir d'un point de fixation, hors de chez nous, au Proche-Orient, les gens s'identifient de manière fantasmatique aux protagonistes. Les jeunes Beurs s'identifient aux Palestiniens, les juifs s'identifient aux Israéliens. Il faut au contraire arriver à sortir de cela. Le but de ce film est de montrer que personne n'est saint en la matière et que les dérapages idéologiques ont interdit aux êtres humains d'avoir un langage commun. C'est un film qui milite pour l'idée de citoyenneté, pour la rencontre des êtres humains au-delà de leurs origines et de leurs appartenances identitaires. • Propos recueillis par Chérifa Benabdessadok Extrai ts du film Tahar Ben Jelloun (écrivain marocain) Et je suis tout à fait consterné de voir que certains médias arabes n'ont pas pensé, pas réfléchi, n'ont pas vu que le délire garaudien est quelque chose qui allait contre leurs propres intérêts, et en tout cas, les intérêts de leur peuple, qui est la paix aujourd'hui entre Palestiniens et Israéliens, et que le monde arabe puisse vivre en paix avec Israël, et que cet Etat puisse vivre normalement à côté d'un Etat palestinien. Jacques Tarnero Mais pourquoi chez certains Arabes, chez certains Palestiniens, pourquoi la légitimité de cette revendication nationale prendrait-elle appui sur le discours négationniste et révisionniste? Elias Sanbar (historien palestinien) Il faudrait remplacer la question« pourquoi les Palestiniens ont-ils besoin» par la question « comment se fait-il que les Palestiniens aient fait si peu écho à ces thèses? » Je voudrais ajouter un élément que peu de gens savent. J'ai été personnellement témoin, dans les années 70, de l'arrivée du manuscrit de Faurisson, à Beyrouth, avec une demande envoyée par des gens en France en disant que c'est un ouvrage de défense de la cause palestinienne, qu'il faut à tout prix que l'OLP le publie en arabe. Et bien, il n'a jamais été publié par l'OLP, il n'a jamais vu le jour. Ça, c'est une chose qu'il faut dire. Il faut rendre justice au fait que bien avant que se déclenche ce grand mouvement de conscience en France, dans le milieu palestinien qui aurait été certainement vulnérable à de telles thèses, à tort, mais vulnérable, la thèse n'a pas eu prise. Différences n° 225 Janvier 2001 l l Actualités ÉChos • Catherine Mégrel et son premier adjoint, Hubert Fayard, ont été condamnés le 8 novembre à trois mois de prison avec sursis, 100 000 F d'amende, deux ans d'inéligibilité pour j'instauration à Vitrolles d'une prime de naissance réservée aux seules familles dont l'un des parents était européen. Le Mrap, partie civile, s'est vu attribuer 50 000 F de dommages-intérêts au même titre que SOS Racisme, la Liera el l'Unaf. • 200 000 personnes ont manifesté à Berlin contre le racisme et l'extrême droite le 9 novembre, au lendemain de J'atlental contre la synagogue de Düsseldorf; date doublement symbolique: celle de la chute du Mur et de la Nuit de Cristal de 1938. • le tribunal correctionnel de Paris a condamné le 10 novembre Alain Terrail, ancien avocat à la Cour de cassation, pour complicité d'injures publiques raciales proférées à l'encontre d'Albert Lévy: 40 000 F d'amende, 1 F de dommages-intérêts au Mrap, partie civile. • Le 11 novembre, le Mrap a rendu publique une longue déclaration dans laquelle il demande justice et réparation pour les anciens combattants des colonies. En effet, selon une loi votée le 26 décembre 1959, depuis les indépendances de leurs pays d'origine, ces anciens combattants ont vue leurs retraites et leurs pensions gelées alors que celles de leurs coreligionnaires métropolitains sont indexées sur le coOl de la vie. Ainsi, à l'heure actuelle, « un ancien combattant français invalide à 100 % reçoit 4081 F de pension mensuelle, mais un Sénégalais ne perçoit que 1463 F, un Guinéen 673 F, un Tunisien ou un Marocain 400 F ». Cela concernerait aujourd'hui 60 000 personnes. Le Mrap souligne d'ailleurs, que « le 3 avril 1989, le comité des droits de l'Homme de ,'ONU a condamné cette discrimination, estimant que la "cristallisation" des pensions selon le critère de la nationalité méconnaissait le principe d'égalité devant la loi, posé par le pacte de New York relatif aux droits civils et politiques

ce pacte a été ratifié par la France en

1980. » • Le Mrap a condamné les tentatives de ceux qui au nom des Palestiniens entendaient s'opposer au concert d'Enrico Macias le 26 novembre à Roubaix. « Accepter ce boycott, c'est mettre des fron tières là où il faudrait créer des passerelles [ ... 1 Enrico Macias est en la circonstance boycotté parce juif, c'est donc un acte antisémite inacceptable ». Dans le même texte, le Mrap a appelé à la manifestation du 29 novembre « pour les droits des Palestiniens, pour la coexistence de deux Etats indépendants et égaux, les antiracistes et les démocrates de France rejetteront (ainsi) les sirènes des extrêmes, ils se mobiliseront contre tous les racismes, et pour que la paix, le droit et la sécurité mutuelle aient raison de l'intolérance, de la guerre et de la haine. » • Vers une nouvelle tragédie dans les prisons turques? C'est la question que se pose Le député Mermaz se rend aux "frontières de l'humanité" Député socialiste de l'Isère, auteur d'un aVÎs rendu public le 14 novembre, au nom de la commission des Lois sur le budget de la police nationale, Louis Mermaz est revenu édifié par sa visite de quatre zones d'attente (Calais, Marseille, Roissy, la gare du Nord) et de cinq centres de rétention (Sangatte à Calais, Arenc à Marseille, un bâtiment du Palais de justice à Paris, Choisy-le-Roi et Bobigny) : c'est ~( l'horreur de la République », affirme-t-il, « des personnes sont traitées dans ces lieux de façon inacceptable », il appelle le gouvernement à « une réflexion sur notre politique en matière d'asile » réduite à une « machine à "fabriquer" des clandestins », et réclame ~( la fermeture dans les plus brefs délais» des deux centres de la banlieue parisienne. La description de l'état de ces lieux où sont accueill is les étrangers dont l'entree sur le territoire français est refusée (zones d'attente) et les étrangers en voie de reconduite à la frontière (centres de rétention) est, dans ce rapport d'une vingtaine de pages (cf chapitre III intitulé (~ Aux frontières du l'humanité ».), aussi concise que sévère : le Mrap a pris acte dans un communiqué de presse de la convergence de ces informations avec« les préoccupations et les voeux exprimés par notre mouvement depuis de nombreuses années. » Dans son compterendu, le député note que d'un point de vue global: {( fa visite des centres de rétention brouille les repères de la citoyenneté et donne le sentiment de pénétrer dans un autre pays, à une autre époque, loin de la France de l'an 2000)}. Puis au Palais de justice de Paris où une partie des locaux est réservée à la rétention et une autre à la détention, la ~( zone d'attente» est constituée {( d'une geôle obscure, sans fenêtres ou presque, sans mobilier, si ce n'est quelques bancs le long du mur. Le sol est recouvert d'une eau stagnante, des plateaux repas inachevés traînent de ci de là ... Des hommes sont regroupés dans un coin, ils sont Irakien, Bulgare, Algérien, Kurde, Chinois, Indien . Et puis c'est le drame: un Marocain s'effondre, entre larmes et crise de nerf ... Cette personne, dont la seule faute serait d'être restée en France à l'issue de ses études, passerait sa troisième journée consécutive dans cet endroit sordide, avant d'être reconduit chaque soir, à Vincennes. "La France, ce n'est pas ça !" Comment lui donner tort? » Une réforme des zones d'attente et un décret visant à améliorer les conditions de rétention sont en cours au moment où nous mettons ce numéro sous presse. Reste à savoir s'il répondra à l'ensemble des propositions formulées par le député Mermaz, en particulier la nécessité {( d'encourager la présence d'observateurs exterieurs » dont les militants associatifs. A ce titre, il faut rappeler que seules six associations sont actuellement habilitées par le ministère de l'Intérieur à accéder aux zones d'attente. Le Conseil d'Etat vient, par un arrêt du 6 novembre dernier, d'annuler la décision du ministère de l'Intérieur de ne pas accorder au Mrap cette habilitation, et lui enjoint de la lui accorder. Le Mrap se mobilise pour l'obtention de dix cartes de visiteurs qui seraient habilités principalement à Roissy (où devrait s'ouvrir une nouvelle zone d'attente), mais aussi à Marseille et à Lille. Chérifa B. • L'intégralité du texte est disponible sur le site Internet: www.assemblée-nationale.fr Marijan Krcmar est décédé le Mrap aprés que de nombreux prisonniers politiques eurent décidé début décembre Militant de longue date du Mrap, origid'entamer une nouvelle grève de la faim pour naire de Croatie, Marijan Krcmar est bruprotester contre les conditions de leur dé- talemenl décédé à Paris. Un hommage lui tention. a été rendu par Albert Lévy et Jean-Yves • La Carinthie, province autrichienne dont Treiber, au nom du Mrap ct des militants Jorg Haider est re gouverneur ayant offert au qui l'ont connu. Albert Lévy s'est ainsi Vatican l'arbre de Noêl de cette année, le adressé à Catherine, sa femme, et à Pape a reçu pour une courte audience le chef Marikita, sa fille :~( Il a vécu avec toi des de l'extrême droite autrichienne le 16 décem- années heureuses, dans un esprit d'ou verbre. De nombreuses associations antiracis- ture humaine, qui t'avait conduite au Mrap. tes ont manifesté leur désapprobation dont le Mrap qui notait dans son communiqué du li était heureux d'avoir une descendance, même jour « qu'un grand nombre de catholi- et fier de sa fille, qu'il emmenait parfois à ques regretteront, avec le Mrap, que le Vati- des manifestations. Il rayonnait. Chère Cacan donne sa bénédiction à ceux qui prônent therine, chère Marikita, je vous embrasse des idées d'inégalité et d'intolérance. » toules deux de grand coeur. ») 1)ifférences 43 bld de Magenta 75010 Paris _ T : 01 53 38 99 99 Télécopie: 01 40 40 90 98 _ E.mail : joumal.ditTerences@free.fr 13 F le numéro _ Abonnement 135 F (II nO'/an) Directeur de publication: Moulaud Aounit. Gérante bénévole: Isabelle Sirot. Rédactrice en chef _ mise en page: Chérifa Benabdessadok. Directeur administratif: Florence Festas. Abonnements

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Commission paritaire n063634 0247-9095 Dépôt légal 2001-01 12 Différences nO 225 Janvier 2001 _____________________________________ _

Notes

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